ΓΙΙ - Ἀπόλλων (partie 4)

— Que fait le Parjure de l'Olympe ici ? s'enquit Apollon d'une voix ferme et dure.

— Le « Parjure de l'Olympe » ? répéta Daímôn surpris.

Les deux immortels se toisèrent. S'ils en avaient été capables, un simple clignement d'yeux les aurait détruits l'un l'autre. La tension fut d'autant plus tangible !

— Pensais-tu que l'on te nommerait autrement, fils de Kháos ?! fulmina Apollon. Ta présence parmi nous est un affront, traître ! Tu ne respectes pas ton serment. Alors que tu te dois de protéger les dieux par le rôle que ton père t'octroya, voilà que tu t'obstines à les détruire ! Croyais-tu sincèrement que les conséquences de tes actes resteraient impunies ? que nous autres, Olympiens, resterions de marbre ? Tu as bien failli détruire Arès avec ton maléfice ! Bien que guéri physiquement, son esprit demeure anéanti ! Tu es un danger pour nous tous !

» Sache que nombre de dieux se sont retournés contre toi, et très bientôt, tu seras frappé d'exil, enchaîné et surveillé à jamais en plein cœur des terres les plus arides du Tartare ignominieux !

Non, nous t'effacerons totalement de ce monde ! s'avisa Apollon.

Daímôn fit volte-face et observa Athéna. Celle-ci ne pipa mot et se contenta de décocher un regard sévère à son frère. La situation était donc plus désespérée qu'elle ne l'avait estimée au départ...

— Plus que quelques voix exhortant ta condamnation, et c'en sera fini de toi, Parjure de l'Olympe ! cracha le fils de Létô. Tu succomberas et disparaîtras de nouveau, tu rejoindras le destin de feux tous tes disciples ! Le néant sera ta seule villégiature ! La paix régnait avant que tu ne viennes ici, avant qu'Athéna ne s'évertue à te retrouver !

Cette dernière s'avança afin de faire taire son demi-frère, mais Daímôn bloqua son élan en tendant le bras. Qu'importent les mots d'Apollon, les dieux n'étaient bons qu'à geindre comme des enfants !

— As-tu fini ta chanson ? répliqua-t-il sèchement. Je ne suis pas venu échanger avec toi de futiles paroles. Je me fous de l'avis des dieux me concernant, Souverain de la Lumière. Je ne me présente à toi que par nécessité. Narre-moi les événements qui mettent en œuvre le dernier des grands dragons et toi-même !

— Python ?

Exactement ! répondit Daímôn en serrant les dents.

Apollon rit théâtralement à gorge déployée.

— Python, modeste adversaire ! Cette bête était féroce, certes, mais elle était trop stupide pour vaincre un dieu. Elle terrorisait les contrées, dévorait les troupeaux et les hommes. Elle est morte dans une très lente agonie. J'ai dû me débarrasser de son sang pour pouvoir rencontrer mon oracle, à Delphes. Mes flèches de lumière l'ont d'abord pétrifiée, puis l'ont vidée de son sang nauséabond. Elle a hurlé, si fort ! Ses cris étaient si doux, si jouissifs à mes oreilles !

La fureur de Daímôn continua son ascension.

— Tu l'as donc tuée car elle s'en prenait aux mortels ?

— Oh, telle est la raison première que l'on pourrait prêter à mon « exploit ». Ha ! mais ce n'est que mensonge et maquillage de la vérité ! C'était avant tout par pure vengeance !

» Python, envoyée par Héra, empêcha ma merveilleuse mère, Létô, d'accoucher. Artémis et moi restâmes bloqués dans son ventre, lui prodiguant des souffrances insupportables. Ce ne fut qu'en atteignant l'île d'Ortygie, que je baptisai alors Délos pour la remercier, que ma mère, avec l'aide d'Ilithye, par la grâce de Zeus et de Poséidon, put enfin enfanter. Une fois suffisamment puissant, je retrouvai la trace de la scélérate, laquelle semait la terreur à Delphes. Je l'éliminai alors pour me venger, et en récompense, les oracles de Delphes devinrent miens. Je fus dès ce jour considéré comme le dieu de la Mantique et des Prophétesses.

— Je n'ai que faire de tes pouvoirs et de tes histoires ! Je ne veux savoir qu'une unique chose... Quels furent les derniers mots de Python avant de mourir ?

— Ah ! Des borborygmes, entrecoupés de pleurs, de bégaiements, de râles de souffrance et de peur. L'inacceptation de la mort toute proche !

Quels étaient ses mots ? répéta Daímôn.

— Jamais tu ne le sauras, Parjure de l'Olympe !

La fureur atteignit alors son paroxysme. Daímôn s'avança fermement vers Apollon et, avec une étonnante célérité, le plaqua contre la colonne derrière ce dernier, le bras sur sa gorge nue. Il appuyait avec suffisamment de pression pour insuffler douleur à Apollon qui grimaçait et s'étranglait.

Quels étaient ses derniers mots ?! hurla à s'en époumoner Daímôn en primordial, sans même s'en rendre compte.

— Va... pourrir... dans les geôles profondes du... Tartare !

Grondant, Daímôn fit apparaître des serpents de feu au bout de ses doigts gauches, s'allongeant graduellement, sifflants de colère. Les vipères commencèrent à cracher des gerbes de flammes vertes vers Apollon dont les yeux dorés trahirent soudain une frayeur incommensurable, tandis que les souvenirs surgissaient instinctivement.


Φ


La fille de Gaïa, Python, était immense, son corps aux épaisses écailles grises s'étirant sur des dizaines de mètres. Elle me semblait... infinie, et si grosse ! Il ne me faisait aucun doute que ses crocs étaient capables de mettre en charpie un troupeau ovin d'un Cyclope pasteur d'un seul et même coup de gueule ! Sa langue, baignant toujours dans l'acide verdâtre dégoulinant, fendait les montagnes. Le jaune ténébreux de ses globes oculaires n'inspirait que haine ; elle respirait la destruction et le carnage, la mort et la terreur.

La destinée me poussait dès mon plus jeune âge à me venger du monstre. Bourreau de ma mère, Artémis m'exhorta à l'éliminer, car je devais faire mes preuves. J'étais bien sûr fier de pouvoir lui montrer que j'étais tout aussi capable qu'elle d'annihiler nos ennemis.

Lorsque je la vis pour la première fois, je ne pus m'empêcher de déglutir. Je paraissais si insignifiant à côté d'elle, petit par ma taille anthropomorphe. Une année s'était écoulée avant que je ne vinsse ici, où je m'étais réfugié au-delà du Vent du Nord, chez les Hyperboréens (Ξ). Je reçus tous les hommages de ce riche et aimable peuple, moi le fils de Zeus, symbole de lumière et de perfection. Je jouissais ainsi de mon sang et de mon nom, profitant du calme, loin des obligations et des difficultés qui jalonnaient la vie d'un dieu.

Il était pourtant temps que mon ennemie succombe à mes premières flèches. Je tendis fièrement mon arc d'argent, bandai trois flèches enflammées que je tirai sur le monstre. Magnifié par mon aïeul Hélios, mon corps brillait d'une force solaire.

Tels ses rayons, mes traits traversèrent le corps de la dragonne ondulant, lui arrachant alors les cris de douleur qui vrillèrent mes tympans. Python se mut brusquement et me frappa de sa queue. Recevant le coup de plein fouet, n'ayant le temps d'échapper à cette sournoiserie, je m'écrasai contre les falaises, derrière lesquelles s'étendrait le palais aux portes d'or de mon futur oracle de Delphes.

Je me relevai, crachant le sang. Mon ichorcoulait de mon nez et de mes oreilles, m'étourdissant. Je décochai trois nouvelles flèches sur le monstre sans attendre. Python hurla de plus belle, faisant vibrer l'air et la terre.

La colère de Python grandissait, ses yeux se teintant alors d'une lueur rougeoyante comme le rubis. Lâchant un rugissement tonitruant qui me paralysa une brève seconde, la démone en profita pour me happer. Sous la pression des crocs, je hurlai à mon tour, poussant aussi fort que possible avec mes bras et mes jambes pour échapper à la morsure mortelle. Sa tête se mut en tous sens ; sa langue me fouetta et me jeta de nouveau contre les falaises. Le corps plus solide que le roc, je m'enfonçai profondément, jusqu'à le briser, la matière m'ensevelissant alors. Je me redressai lentement, creusant pour me libérer des débris. Recouvert de sang et de poussière, tous mes muscles souffraient de la violence de l'impact.

Une douleur plus aiguë irradia dans ma jambe, puis ce fut ma vision qui se troubla. Python se gaussa, dressée sur toute sa hauteur, et me toisa en sifflant. Voilà que le doute s'installait : étais-je donc incapable de vaincre mon ennemie ?

L'acide dégoulina de la gueule de la dragonne, dévorant la roche en contrebas. Allait-elle le renarder sur moi ?

J'observai l'Hélios et portai un bras vers lui, priant mon aïeul de me venir en aide. Dieu de la Lumière, le Soleil était la fontaine dans laquelle je puisais mes forces ! Je sentis alors sa chaleur s'intensifier, se diffuser dans ma chair et mon sang, apaisant la douleur et dissipant l'aveuglement. Mon armure d'or se mit à briller, à l'instar de mon arc et de mes flèches. Python fut étourdie par ma puissance nouvelle jumelée à celle d'Hélios. Porté par ce regain et ce soutien, je sus que l'heure de la vengeance avait sonné !

Je tendis de nouveau mon arc et décochai une seule et unique flèche de lumière, fort d'une précision indiscutable, entre les deux yeux de Python.

Le rayon traversa le crâne gigantesque du serpent, un minuscule trou béant se forma entre ses orbites, duquel s'échappa un léger écoulement de sang noirâtre.

Python hurla si fort ; la vibration me plaqua au sol, tandis que les montagnes derrière moi s'écroulaient. Puis, le serpent gesticula en tous sens, incapable de se défaire de la puissance de la flèche assassine. Les bienfaits de la Lumière s'immiscèrent en elle, détruisant toutes traces du venin emplissant son cœur et son esprit. Sa fin était venue.

Les béances formées par mes flèches déchirèrent sa peau ; son sang gicla et m'arrosa, brûlant par son acide. Plusieurs minutes s'écoulèrent avant que sa tête, puis tout son corps, ne s'affaissât, soulevant une épaisse poussière aveuglante. Ses yeux se peignirent d'une tristesse infinie.

Entauthoî nûn pútheu (Ω) ! la maudis-je. Bientôt, la chaleur ardente de Soleil fera pourrir ta carcasse jusqu'à ce que tu ne sois plus !

Enfin, dans un dernier souffle, elle prononça ses regrets, ses souhaits qui ne s'exauceraient jamais, ceux de revoir son maître disparu, que je fus le seul à ouïr.

La Raison avait à jamais vaincu l'Instinct !


(suite du chapitre 7 en suivant...)

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