ΓΙΙ - Ἀπόλλων (partie 3)
Il était une demeure que l'on ne pouvait contempler continuellement sur le mont Olympe, car le véritable petit palais du dieu des Arts scintillait tant et si bien que les rétines brûlaient et les yeux s'asséchaient si l'on restait trop longtemps concentré dessus. Hélios lui-même ne brillait autant ! De fines paillettes dorées recouvraient le marbre blanc soyeux du palais décastyle. Un bestiaire, composé de corbeaux, de cygnes, de coqs, de serpents et de loups, était enchâssé dans la crépis à trois degrés ; le fût des colonnes corinthiennes était décoré de laurier, montant jusqu'aux neuf métopes sculptées de divers instruments à vent et à corde. Sur le fronton figuraient les neuf Muses conduites par Apollon Musagète (1) juché sur un char tiré par des bœufs. Beauté et clarté magnifiaient ainsi le mont Olympe. Le dieu de la Lumière – accessoirement le plus bel homme du monde – se devait de ne point faire défaut à son image.
Apollon était assis sur le stylobate, dos contre une colonne, jouant délicatement de sa lyre à sept cordes qu'Hermès avait façonnée et lui avait offerte pour se faire pardonner de lui avoir volé son troupeau dans sa jeunesse, un parchemin posé sur ses genoux qu'il lisait de temps à autre. Chaque pincée de chaque corde émettait un son si pur, mélodieux, délicat, complaisant toute oreille qui l'écoutait. L'air semblait ronronner de plaisir à l'harmonie de la lyre ; il n'était même guère rare que, lorsque le dieu jouait dans la forêt, les animaux vinssent l'écouter dans un moment de paix. À cet instant, mérions, colibris et rossignols, nichés dans les feuilles de laurier et attirés par la mélopée de l'instrument couplée à la voluptueuse et entêtante voix d'Apollon, chantaient en cœur avec ce dernier qui commençait un poème de sa composition tout en alexandrin.
Muse héliconienne, fille du roi des dieux,
Chanta à la rosée, ses souhaits et ses vœux.
Sa peau de lait nue, dorée de mille merveilles,
N'était semblable à nulle autre pareille.
Au cœur du silence de la verte forêt,
Au bord du ruisseau, le placide daim lampait.
Belle nymphe se leva, à la toison d'or,
Attirant cervidé avec sa voix dès lors.
« Ami, viens-là, l'invita-t-elle doucement,
Je ne te veux nul mal, toi qui m'attendris tant. »
Le daim l'observa, intrigué par la déesse,
Et laissa son museau jouir de ses caresses.
Muse héliconienne, fille du roi des dieux,
Lui chanta près du cœur, ses souhaits et ses vœux.
Le petit l'écouta, lorsque jaillit l'oiseau,
Se posant, impudent, sur le daim au rond dos.
Jouvencelle présenta, guillerette, main,
Oiselet s'y nicha pour picorer les grains.
Musicienne sourit, amusée du pinson,
Et enjoliva son repas de ses beaux tons.
« Apollon Poète, conducteur de troupeaux,
Entends mon appel, et apaise donc mes maux.
Je ne rêve que d'amour, innocent et pur,
Comme le souffle de la brise aux murmures. »
Muse héliconienne, fille du roi des dieux,
Raconta aux Cieux, ses souhaits et ses vœux.
Joueur de lyre, enlaçant la vierge sainte,
Entendit ta peine, ta douleur et tes plaintes.
S'arrachant au sommeil, bien sûr il t'écouta,
Compatissant à ton malheur, lit il quitta.
À la fin de sa quête, le jeune chasseur,
Par la flèche d'Éros, fut touché en plein cœur.
Ses pensées se tournèrent vers sa destinée,
Qui n'était autre que toi, tendre dulcinée.
Traversant toute fourrée, ton chant l'appela,
T'admirant, ébaubi, son esprit s'emballa.
Muse héliconienne, fille du roi des dieux,
Finissait de chanter ses souhaits et ses vœux.
Lorsque le bruit survint, daim et pinson filèrent,
Nymphe et veneur, gais, alors se regardèrent.
« Qui es-tu ? » s'enquit la dame aux cheveux d'or.
« Votre vœu, mon amour, vous le plus beau trésor.
Car Apollon, dieu bon, entendit votre peine,
M'envoya, dès lors, embaumer votre géhenne. »
Oui, ma jolie Muse, Apollon te protège,
Car toujours en son cœur, ton bonheur il héberge.
Tel est le chant d'amour, que je viens vous conter,
Oui, celui qu'il vous faut, à jamais, écouter.
Lorsqu'il se tut, cessant de pincer les cordes de sa lyre, Apollon étira un grand sourire. Oh, ça plaira beaucoup aux naïves mortelles ! Il ajouta des notes sur la partition et fredonna l'air général.
Athéna, Éros et Hécate s'étaient immobilisés le temps de la chanson, tout comme Daímôn dont l'ire s'était quelque peu apaisée en écoutant la mélodie d'amour. Puis, lorsque le silence s'imposa, la fureur revint le foudroyer.
Daímôn n'avait plus que fait preuve d'hostilité à l'encontre des dieux depuis l'« incident ». La méfiance s'était, par la suite, rapidement ajoutée. Loin d'être naïf, stupide ou dupe, le fils de Kháos savait fort bien que ses comparses de l'Olympe avaient peur de lui, et n'attendaient surtout plus que de le condamner à la peine capitale. Apollon faisait partie de ceux-ci, et ayant détruit le dernier grand reptile, il ne pouvait dès lors plus qu'apparaître comme un ennemi aux yeux du Primordial chargé de diriger et de gouverner la caste des Dragons et de leurs descendants, aussi petits et insignifiants fussent-ils.
Lorsqu'Apollon quitta des yeux sa partition, relevant la tête et observant devant lui, il déglutit. L'ennemi de l'Olympe se dirigeait vers lui ! Que lui voulait-il donc ? Un filet de sueur coula le long de son dos. La réputation du fils de Kháos le précédait, et voilà bien des jours qu'Apollon s'était juré de ne plus se retrouver face à face avec lui. Il aperçut derrière le Primordial Athéna, Hécate et Cupidon, ce qui sembla le rassurer un tant soit peu.
Somme toute, Apollon se leva prestement, délaissant sa lyre et son parchemin, et porta la main droite non loin du poignard d'or qui reposait contre sa cuisse, prêt à assener le coup mortel à Daímôn s'il débordait ne serait-ce qu'un peu.
Daímôn ne se figea qu'à quelques pas de lui
(suite du chapitre 7 en suivant...)
(1) Cf. Mousagétês dans le lexique, section « Grec ancien ».
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