ΓΙΙ - Ἀπόλλων (partie 2)
L'orbe incandescent fondit sur le fétiche mannequin qui se consuma instantanément. Une seconde sphère dorée fila sur le suivant, le réduisant en modestes copeaux de bois calcinés. Le troisième, dernier survivant droit sur un pilotis, explosa en une gerbe d'étincelles rougeoyantes lorsqu'une énième flamme, cette fois-ci azurée, le frappa de plein fouet.
Les trois mannequins, dépourvus de jambes et de bras, recouverts d'une cuirasse de cuir et d'un casque en bronze corrodé évoquant grossièrement des hoplites, adoptèrent de nouveau leur forme originelle.
Pour la vingtième fois, Daímôn invoqua l'ignescence mortelle sur les mannequins, graduant l'intensité des flammes de couleurs variées qu'il modifiait à sa guise pour s'amuser, et pour la vingtième fois, les hoplites de bois explosèrent et se reformèrent.
— Bien, fit Hécate qui, comme à son habitude, supervisait l'entraînement du fils de Kháos. Maintenant, concentre les flammes sur une ligne précise et non plus sur un seul et même point.
Daímôn s'y attela, puisa dans son énergie interne. Comme le lui avait ordonné Hécate, l'immortel focalisa les flammes sur une droite parfaitement rectiligne. Un torrent s'échappa alors de ses mains, ne lui causant aucun mal. Cependant, les manifestations de l'Élémentaire étaient bien difficiles à exercer, tant elles étaient épuisantes, et Daímôn fut rapidement dévoré par la fatigue. Son cœur s'emballa et la sueur coula de son front, tandis que ses jambes flageolaient davantage.
Malgré tout, il notait bien l'aguerrissement et le raffermissement de son pouvoir, tout comme son endurance s'améliorait proportionnellement. Il ne contrôlait néanmoins pas encore le Draconique igné à sa guise, ne réussissant pour le moment qu'à matérialiser de petits serpents enflammés – cela dit déjà bien douloureux et insatiables.
Athéna apparut dans une myriade d'étoiles pers, comme toujours vêtue de sa traditionnelle armure en bronze, sa lame similaire lestant sa ceinture. Elle ne portait pas de casque aujourd'hui, avait plutôt attaché ses cheveux en un chignon très serré. Elle vint à côté d'Hécate, admirant les jets de flammes multicolores de Daímôn. Elle observa par la suite ce dernier plus attentivement.
Le Primordial avait bien changé en l'espace d'un mois. Il était désormais fort d'une nouvelle assurance, encore inconnue il y avait à peine une semaine et demie. L'aura commune à toutes les déités l'enveloppait enfin, mais plus intense, plus visible, et bien plus belle. C'était surtout le feu dans ses yeux, une véritable flamme brûlant dans chacune de ses pupilles, qui la stupéfiait toujours. Son corps lui-même s'était endurci, et il n'était guère rare que des étincelles recouvrassent fugacement ses muscles renforcis par les heures et les heures d'activité physique où il ne rechignait jamais à poursuivre ses efforts. Il semblait tout simplement plus sûr de lui, plus fort, se forgeant peu à peu un corps robuste, digne d'un enfant de Kháos. Ses cheveux étaient maintenant coupés plus court. Athéna se souvenait encore que le Primordial avait fait remarquer qu'ils poussaient bien vite. Dans sa grande bonté – ou bien parce qu'elle était exaspérée de ses plaintes continuelles quant à ce minime souci –, Hécate avait mis au point une concoction pâteuse pour ralentir la pousse, au grand bonheur de Daímôn. Il passait ainsi chaque matin et chaque soir à étaler minutieusement la crème blanchâtre sur son cuir chevelu et à le malaxer avant de le rincer, au grand amusement d'Éros et de Psyché, ses hôtes. Hécate avait également distillé dans cette pâte des huiles essentielles traitées par ses bons savoirs d'herboriste afin de soulager les migraines qui assaillaient régulièrement Daímôn à cause de la tension produite par l'exercice de l'Élémentaire et du Draconique.
— Je vois qu'il maîtrise parfaitement le Feu Originel, fit Athéna.
La déesse de la Magie hocha la tête de dénégation.
— Oh non, certainement pas ! Sa pleine puissance est loin d'être atteinte. Malheureusement, je n'ai plus rien à lui apprendre dans ce domaine. L'Élémentaire n'est pas mon champ de prédilection, tout comme toi ou Éros. À présent, le temps seul pourra agir et apporter des évolutions. (Elle soupira.) Comment se porte Arès, aujourd'hui ?
— Il va bien. Il se remet toujours lentement de ses blessures. Il a réussi à adopter sa forme romaine pour voir si les plaies étaient également présentes sur celle-ci. À son grand dam, elles le sont. Alors furieux, il a juré bêtement et a fini par s'endormir. J'ai eu ainsi l'occasion de plonger dans son esprit, fort perturbé...
— Ce n'est pas étonnant, bien qu'un mois se soit écoulé depuis... (Hécate se mut dans ses pensées.) Je n'arrive toujours pas à croire qu'il nous ait soufflés ses secrets pour aider Daímôn à maîtriser la pyrokinésie. Pourquoi a-t-il fait cela ? Il doit sûrement le haïr de tout son cœur – si tant est qu'il en ait un !
Athéna pouffa.
— Peut-être pour que Daímôn ne blesse plus les dieux...
— Allons, ne te moque pas de moi, déesse de la Sagesse ! Comment peux-tu croire cela ?
— Je puis te rassurer : je n'y crois pas moi-même.
— Alors pourquoi ?
— Ce sera à jamais un mystère.
Elles furent arrachées à leur conversation lorsque Cupidon applaudit son frère. Dans un dernier cri, ce dernier avait intégralement détruit les hoplites de bois, si bien qu'il fut impossible pour Hécate de les reformer.
Athéna s'avança vers les deux Primordiaux qui s'étaient mis à joyeusement deviser. Par les semaines passées, les frères s'étaient irrémédiablement rapprochés. Bien que Cupidon fût un fils de Mars, il savait que Daímôn n'était pas totalement responsable de ses faits et gestes. L'énergie qui le régissait était si intense que même le dieu des Sentiments ne parvenait à lui prodiguer sérénité et placidité. Du fait qu'ils passassent tout leur temps ensemble, aussi bien les journées avec les séances d'entraînement que les soirées et les nuits en la demeure de Psyché et Cupidon, ils partageaient un lien d'empathie très fort, une liaison aussi bien véritablement fraternelle qu'amicale. Plus que tout, le lien sensoriel entre ces deux membres d'une même caste s'était lui aussi solidifié, mais Éros avait tout de même noté que Daímôn s'éloignait toujours de cette attache, sans réussir à comprendre le problème – et moins encore à y remédier.
La déesse de la Sagesse avait eu toute la liberté de méditer la question des pouvoirs de Daímôn, ainsi que d'observer leurs manifestations. Daímôn avait un jour croisé l'un des nombreux serpents d'Asclépios tandis qu'il rejoignait le Colisée de Mars en compagnie d'Athéna. Le Primordial avait alors naturellement engagé une vraie conversation avec la petite vipère, comme s'il s'était agi d'une vieille camarade. Athéna en avait convenu que les serpents, descendants et cousins éloignés des antiques Dragons, voyaient en Daímôn leur roi, leur maître, et surtout leur ami. Elle avait dès lors immédiatement pensé au dernier grand dragon, outre le reptile d'or, que les dieux avaient connu.
— Nous devons parler à Phœbus, dit Athéna aux Primordiaux.
— Apollon ? s'enquit Daímôn. Pourquoi donc ?
— Tὸ toũ drákontos krátos... J'ai réfléchi sur cette notion et ses implications, ces derniers jours, notamment depuis ta conversation avec la vipère d'Asclépios. Je me suis alors demandé si les serpents, étant pour ainsi dire les descendants éloignés des Dragons Primordiaux, pouvaient nous en apprendre plus sur toi. Malheureusement, le dernier grand reptile de cette race – que l'on nommait « dragon », d'ailleurs – qui aurait eu un esprit suffisamment éclairé et une contemporanéité avec toi, n'est plus. Il a été vaincu voilà bien des millénaires. Je connais néanmoins celui qui lui porta le coup de grâce.
— Le dieu de la Lumière a tué le dernier grand représentant des serpents ?
— Oui. Ce serpent géant fut membre de la caste de nos dragons. Une fille de Gaïa.
— Python l'Instinctive, ajouta Éros.
L'esprit de Daímôn s'emballa. Combien de membres appartenant à son espèce étaient encore en vie, et combien avaient été tués ?
Le Primordial essaya de se souvenir de la dénommée Python et de la raison pour laquelle Apollon l'avait anéantie. Mais il n'y parvint pas, sa mémoire lui jouant toujours le même tour horripilant.
Daímôn n'attendit plus une seconde et quitta précipitamment le colisée d'Arès en direction de la demeure d'Apollon, les trois immortels sur les talons. Une sérieuse discussion devait avoir lieu avec le fils de Létô.
Pendant le trajet, Athéna ne put s'empêcher d'angoisser quant à la rencontre toute proche. Son frère n'était pas le plus antipathique des dieux, souvent considéré comme le plus beau parti de l'Olympe, un amant merveilleux et un précieux allié – si tant est qu'on ne le courrouçât pas en s'opposant à ses décisions et ses jugements. Fortuitement pour Daímôn, après qu'il eut attaqué et manqué de tuer Arès-Mars, Apollon avait décidé d'embrasser le parti des dieux ayant jugé préférable de condamner leur pair à l'atimie. Il serait ardu de le convaincre de renseigner Daímôn, assurément.
Nulle divinité ne pipa mot, chacune dressant un tableau des potentielles conséquences de la rencontre entre Apollon et Daímôn. Seul ce dernier marchait droit devant, ruminant de colère, conspuant les Bienheureux. Éros ressentait comme la pointe d'un poignard aiguisé filant le long de sa colonne vertébrale chaque fois que son frère jurait sévèrement, que ce fût en marmonnant ou en son for intérieur.
Rapidement, le foyer d'Apollon fut atteint.
(suite du chapitre 7 en suivant...)
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