ΓI - ἌΡΗΣ (partie 5)
Daímôn se releva enfin.
Bien qu'un guerrier surentraîné et expérimenté tel que Mars lui en fît voir de toutes les couleurs, il sentait ses réflexes d'épéiste s'aguerrir peu à peu. Il commençait à toucher les subtilités du combat à l'épée. Non, il ne suffisait pas simplement de balancer sa lame n'importe comment : il fallait étudier les techniques de son adversaire, adapter son propre style à l'ennemi, sans trop s'attarder sur des réflexions.
Et pourtant, même s'il ne tardait pas à porter un nouveau coup tout en y réfléchissant, Mars demeurait le plus fort des deux. Il s'amuse ! bougonna Daímôn. Mais ne suis-je pas là pour qu'il m'apprenne à contrôler le Premier Feu ?
C'est vrai, la moindre flammèche ne s'était encore manifestée, autant de l'initiative de Mars que de Daímôn. Alors pourquoi se battaient-ils à l'épée ? Cela aidait-il, dans l'optique de faire ressurgir son pouvoir calorifique avant de convenablement l'étudier pour le maîtriser ?
Et si Mars attendait que je le batte, que je prouve ma valeur ? Le dieu-Guerrier était odieux, mais peut-être exigeait-il également que le Primordial amnésique fût à la hauteur de son assistance. Alors je vais le déchoir !
Daímôn étudia le corps de son adversaire, en quête d'un point faible, et remarqua très vite que la partie la plus sensible du colossal dieu demeurait ses jambes. Celles-ci trémulaient plus frénétiquement à mesure que le combat s'éternisait. Il repéra une zone nue sur le genou droit du guerrier, juste au-dessus de la jambière ; il en conclut qu'il devait se focaliser sur elle !
Il esquiva l'estocade de Mars rapidement en se décalant légèrement sur la droite, puis glissa sous le coup de poing gauche suivant tout en frappant le genou droit, toutefois du plat du glaive pour ne guère le blesser gravement – si encore en était-il capable. Tel qu'il l'avait prédit, Mars grimaça et posa genou à terre, son visage atteignant la hauteur de ceux de Daímôn satisfait de son exploit.
— Bien, enfin ! s'esclaffa Mars. Maintenant, frappe-moi directement dans la tronche, sans hésitation ! L'une des règles primordiales dans l'escrime est de profiter de toutes les faiblesses de ton adversaire, dès qu'elles se manifestent.
Veut-il vraiment m'aider, alors ? songea Daímôn avant d'agir. Peut-être était-ce une ruse ? Il décida néanmoins de suivre le conseil et cogna de toutes ses forces le visage de Mars.
Pauvre gamin naïf ! jubila Mars.
Lorsque le genou de Daímôn fondit sur lui, Mars se releva de seulement quelques centimètres, de façon à ce que son crâne atteignît l'articulation. Dans un coup de boule, il percuta de plein fouet la rotule de Daímôn. Une douleur aiguë irradia ; le fils de Chaos eut l'impression d'avoir délibérément cogné une montagne tant il avait mal.
Mars se releva complètement, enflamma sa lame et frappa Daímôn au visage avec celle-ci. Le Primordial perdit toute notion du temps et de l'espace. Sa vision devint floue, son corps entier brûla d'une douleur abominable.
Il n'entendait plus que le vent souffler et soulever le sable, et en écho lointain le ricanement dédaigneux du dieu romain.
— Hmpf..., grogna Cupidon en ressentant brièvement la douleur de son frère. Mars n'y va pas de main morte.
— Ne t'en fais pas, Cupidon, fit Hécate. Tout cela n'est pas vain. Comme tu le sais sans doute, Daímôn répond à la violence par la violence. Dès qu'il est danger, ses dons reprennent le dessus. Et qui est le seul dieu, parmi nous, cruel et qui aime infliger souffrance ?
— Mon père, à n'en pas douter. Mais il aurait été encore bien plus brutal sous sa forme grecque, tu sais ?
— Oh non ! s'interposa Athéna. Mars cache bien son jeu. Au fond de lui brûlent une haine et une agressivité plus monumentales que celles d'Arès. Les Romains avaient beau vénérer Mars comme un protecteur, ton père n'en est pas moins une bête enragée sans pitié, plus encore que son homonyme grec. Crois-moi, c'est le meilleur pour cette mission, même si j'ai du mal à l'admettre.
— Et tu penses sincèrement que mon père parviendra à réveiller l'autre partie des pouvoirs de Daímôn ? s'enquit Cupidon à l'attention d'Hécate.
— Peut-être pas Mars lui-même, mais quelque chose fera en sorte que les dons de Daímôn émergent, affirma la Magicienne. Il en est de même pour tous les dieux. Un simple événement suffit à tirer cette force léthargique. C'est ainsi que cela fonctionne pour les enfants d'ascendance divine. Tous les Olympiens pourraient m'en être témoins !
— Et tu as une vague idée de ce que pourraient être ces... dons ?
Hécate ne répondit et médita tout en fermant son esprit à Cupidon – elle savait que ce dieu pouvait lire dans les esprits comme personne, faculté plus accentuée encore par son appartenance aux Primordiaux.
— Je ne peux encore te le dire avec certitude, mon petit Cupidon, mais son pouvoir est lié à une autre espèce de créature. L'identité de celle-ci est floue, même si j'entrevois sa silhouette ombrageuse. Tout ce que peux affirmer, c'est que si ce que je ne me trompe pas, alors Daímôn est le Primordial, l'être, le plus puissant que le monde ait jamais porté. Plus puissant que Gaïa elle-même, l'Aïeule de tous.
— Tu restes très évasive..., dit Cupidon.
— Et pourtant ! Quand Daímôn recouvrira toutes ses capacités... (Elle conserva un silence lourd de sens avant de reprendre :)... il sera invincible !
Cupidon ne pipa mot. Il essayait d'imaginer la puissance que Daímôn devait posséder. Plus grand que Gaïa... La prudence serait alors le maître-mot de tous !
Le bébé-dieu se recentra sur le combat entre Daímôn et son père. Il désirait que le potentiel de Daímôn se révélât maintenant, mais il s'inquiétait aussi pour la vie de Mars. C'était – peut-être ! – son père après tout, bien qu'il le détestât plus qu'autre chose. Père et fils n'avaient jamais été proches. Arès confiait son amour – plutôt une affection malsaine – à ses deux autres fils nés d'Aphrodite, Phobos et Déimos. Cupidon espérait néanmoins que Daímôn parviendrait à se contrôler face au dieu de la Guerre. Si ce n'était le cas, alors un cataclysme sans précédent frapperait le monde, et cela n'augurerait rien de bon pour l'avenir de tous, divinités comme mortels.
Mars jeta à nouveau Daímôn dans le sable. Ce dernier n'en pouvait plus tant sa jambe le faisait souffrir. Il sentait son sang couler le long de son bras endolori par les nombreux coups que son adversaire lui avait portés. Sa joue gauche le brûlait également, suite au revers de la lame toujours enflammée de Mars. Il passa une main sur la zone pour tenter de calmer la douleur mais sentit un filet d'ichor juste en dessous de sa brûlure : une estafilade courait sur toute la partie inférieure de son visage. Mars avait dû le couper sans qu'il ne s'en rende compte dans ce dernier échange. Entraînement ou non, cela tournait à l'humiliation. Couché à terre, il respirait profondément, patientant que la douleur s'estompât un peu avant d'y retourner.
L'ire montait en lui, et le sang mêlé à la poussière lui brouillait la vue. Il entendait toujours Mars se gausser à gorge déployée, spéculer que Minerve avait surestimé son petit protégé, alors qu'il n'était en réalité qu'un menu gamin sans une once de Primordial.
— Comment a-t-il pu blesser notre père ? scanda-t-il haut et fort.
Mars, las de ce combat, s'approcha pour porter le coup de grâce au gamin en le narguant de plus belle. Évidemment, Minerve, à l'instar de Cupidon et d'Hécate, connaissaient ce stratagème : un duel obsolète en guise de mise en bouche afin que le pouvoir enflât peu à peu.
Le plan eut l'effet escompté... mais peut-être un peu trop.
Une aura bleutée irradia du corps de Daímôn. Sa respiration s'accéléra subitement, ses muscles tremblèrent follement et ses yeux s'illuminèrent d'un azur aveuglant.
Daímôn se releva en une fraction de seconde, ivre de rage. Mars s'immobilisa totalement en observant les écailles multicolores qui parsemaient le visage du fils de Chaos. Soufflant la bouche ouverte comme une bête, le dieu de la Guerre put également voir que ses canines avaient poussé jusqu'à former des crocs. Daímôn grognait furieusement, tel un loup enragé prêt à mordre. Mars parcourut le bras droit de Daímôn qui peu à peu se couvrait d'écailles semblables à celles sur son visage. Il découvrit alors cinq longues griffes terminer ses doigts. Ses pupilles s'étaient graduellement resserrées sur elles-mêmes, jusqu'à former deux sortes de fentes, à l'instar de celles d'un serpent venimeux.
En un même instant, Daímôn, dont la fureur et la puissance émanaient tel un courant électrique redoutable, brisa le pommeau de son glaive simplement en serrant le poing et chargea Mars à une vitesse mercurienne. Il frappa brutalement son ennemi. Ses écailles étaient dures, si bien que Mars eut l'impression de percuter une montagne à chaque coup. Dans une sauvagerie sans limite, Daímôn lacéra Mars de ses griffes aussi solides que le titane.
L'ichor de la Guerre gicla en une pluie éclatante. Le dieu râlait bruyamment de douleur, paralysé par les nombreuses frappes. Daímôn le poussa brutalement du plat de sa main. Mars roula dans le sable ensanglanté et ne parvint à bouger dans l'immédiat.
Le bras de Daímôn plongea dans le sol, comme s'il n'avait été que du beurre. Il déchargea une incroyable quantité d'énergie dans le sable sans même s'en rendre compte, a contrario de Mars.
Rien ne se manifesta.
Mars se releva, tenant son bras gauche tordu en un angle impossible. Les multiples plaies provoquées par les griffes du fils de Chaos pissaient abondamment. L'espadon avait volé plus loin et s'était planté impeccablement dans le sol, cependant trop loin pour que Mars pût le saisir rapidement – et avec une seule main valide, l'arme était très difficile à manier, même pour lui. Le dieu de la Guerre ne savait que faire, et pour la première fois depuis de nombreuses années, se retrouva à la merci de son ennemi. Ressentit-il alors une sensation nouvelle : la peur !
Le sable se mit soudainement à onduler, semant la panique dans l'esprit du dieu-Guerrier. Il ne comprenait guère d'où pouvait provenir une énergie si... maléfique. Sa propre aura – celle d'un Olympien ! – paraissait si infime en comparaison de la force ancestrale à l'œuvre. Comment un gamin comme ce fils de Chaos pouvait contenir en son sein tant de puissance ? La pression était énorme !
Puis émergea des fondations de l'arène une colonne de sable entre les deux immortels. Le sable monta jusqu'à une dizaine de mètres et s'immobilisa, tandis que sous les pieds de Mars se produisait le même phénomène. Surpris, n'ayant le temps de réagir, le dieu fut soulevé, incapable de se défaire de l'étreinte des bras de sable passés tout autour de son corps. Il resta prisonnier, impuissant ! La colonne face à lui explosa subitement et lui occulta la vue. Lorsque le sable retomba finalement de ses yeux, il fit face à un immense serpent parcouru de flammes dorées. La tête de la créature était deux fois plus imposante que le dieu de la Guerre ! Ses orbites de feu s'illuminèrent d'une rougeoyante lumière ténébreuse et son immense gueule laissa découvrir d'imposants crocs.
Dans un rugissement résonnant dans tout l'Olympe, le serpent attaqua. Mars ne put rien face aux coups de gueule surpuissants de la bête. Elle le happa entre ses crocs et le secoua en tous sens, comme voulant le démembrer et le broyer avant de le dévorer. Mars hurla de terreur et de douleur, tandis que les dieux spectateurs se dématérialisaient en panique pour y mettre fin.
Tout avait été si vite !
La bête plongea et s'égrena en grains de sable lorsque Mars percuta durement le sol de tout son long. Il s'évanouit sur le coup.
Daímôn, penaud, était à genoux.
Hécate, Cupidon et Athéna se matérialisèrent en plein cœur de l'aire de combat défoncée et craquelée. Les Moires étaient restées en retrait avant de disparaître à leur tour, sans émettre un mot.
Athéna courut au secours de son frère ruisselant de sang. C'était bien la première fois qu'elle le découvrait dans un état aussi pitoyable. Elle avait, de nombreuses fois, rêvé d'assister à la déchéance d'Arès-Mars de ses propres yeux, certes, mais non dans ces conditions. Malgré l'animosité perpétuelle entre eux, Athéna était très inquiète !
Cupidon et Hécate demeuraient en arrière tout en observant le dieu de la Guerre. Même inerte, son faciès était tiraillé par la peur et la douleur. Son apparence oscillait entre Mars et Arès, ses deux corps dans un même sale état.
Ils se tournèrent alors vers Daímôn. Interdit, celui-ci était dévoré par l'incompréhension. Mais derrière elle, il ressentit l'incroyable énergie divine qui le traversait tel un fluide, l'abreuvant de force brute. Les plaies mouchetant son corps se refermèrent d'elles-mêmes. Quelque chose s'était effectivement débloqué, mais quoi ? Le trou noir qu'il avait subitement eu devait en être la cause : à présent, Mars était impuissant, alors qu'il s'esclaffait encore quelques secondes plus tôt. Les rôles avaient été inversés, à ceci près que Daímôn ne riait pas.
— Emmène Mars auprès Asclépios, fit Hécate à Athéna. Maintenant.
L'Olympienne hocha la tête et se dématérialisa avec son frère pour panser en premier lieu les blessures ruisselantes.
Un échange télépathique se fit entre les deux déesses que personne d'autre ne reçut. Une réunion était primordiale !
Hécate s'avança vers Daímôn avec Cupidon. Elle s'agenouilla à ses côtés tandis que le bébé-dieu voletait face à lui.
— Tu as invoqué un serpent, dit Hécate.
Daímôn la regarda sans mot dire, les yeux miroitants d'ignorance.
— Le monstre que tu as invoqué, le basilic, était intégralement composé de flammes. C'est une forme de l'Élémentaire, mêlée à une autre, continua la déesse.
— Qu-quelle au-autre ? s'enquit Daímôn d'une voix faible et chevrotante. Ce... c'était... maléfique !
— Non, pas maléfique. Juste puissant. Mais tu dois apprendre à la maîtriser afin de ne blesser quiconque ! Tu as failli tuer Mars, Daímôn ! L'ichor de la Guerre a trop coulé, et les conséquences ne tarderont pas !
Le ton de la Magicienne était subitement monté. Elle le sermonnait ; Daímôn ne comprenait pas. Ce n'était pas comme s'il l'avait voulu... non ?
— Si seulement je savais ce qu'est ce pouvoir ! s'exclama-t-il.
— Je n'en étais pas certaine, mais je connais désormais l'identité entière de ton autre pouvoir, fit Hécate. Le sang m'avait donné des éléments de réponses, pourtant. J'aurais dû le voir venir ! J'aurais dû voir l'émergence de cette énergie ancestrale !
— Mais quel est-il, ce pouvoir ? s'enquit Cupidon impatient.
— Tὸ toũ drákontos krátos !
À cette évocation, un flot de souvenirs d'un temps lointain, inconnu des jeunes dieux et des hommes, jaillit dans la mémoire de Cupidon, si bien que la parcelle d'Éros, fils de Chaos, ne put s'empêcher de s'écrier :
— Les Dragons Primordiaux !
Fin du chapitre 6
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top