ΓI - ἌΡΗΣ (partie 1)
Excentrée de la Cité des Olympiens à proprement parler, la colossale arène était si vaste qu'un grand pan du flanc du mont avait dû être creusé afin que pût y être placé le « Caprice », comme d'aucuns le critiquaient, du dieu de la Guerre, Arès. Immenses gradins ovoïdes, un sable parfait venu des lointaines contrées du Rub' al-Khali, grilles en fer forgées par le plus grand artisan de l'Olympe, Héphaïstos, l'arène était une perfection architecturale, aussi grande et flamboyante qu'avait pu l'être le Colisée de Rome. Pas une déité n'avait le droit d'y pénétrer, hormis son propriétaire, Arès. D'ailleurs, nul ne quêtait y mettre de nouveau les pieds un jour. Un caprice inutile et obsolète, qui défigurait plus qu'autre chose les hautes roches du mont Olympe.
Arès avait tellement insisté auprès de son père pour que lui fût attribué le droit de construire son Colisée personnel.
— Pourquoi désires-tu tant une arène ici haut ? lui avait demandé Zeus.
— Que serait le dieu de la Guerre, craint et admiré de tous, sans une arène aussi magnifique que le Colisée de Rome, à l'endroit même où il vit ? avait été la seule réplique d'Arès.
— Comptes-tu y pratiquer des duels ? Comptes-tu y faire combattre des gladiateurs ou des esclaves ?
— Bien évidemment, Père et Roi. Afin que tous les dieux puissent en profiter, des combats et des tournois seront organisés chaque jour que l'Hélios se lève de l'est.
Alors Zeus avait accepté, avec pour seule condition que l'arène de son fils fût construite à l'écart des demeures des dieux. Arès avait en premier lieu pensé à Athéna pour superviser l'édification mais avait rapidement changé d'avis : il avait été persuadé que sa sœur y dessinerait un défaut pour qu'elle tombât rapidement en ruine. Héphaïstos s'en était donc chargé, avec la coordination de quelques esprits bâtisseurs enchaînés dans les Enfers ; il en avait également profité pour recruter la conséquente main d'œuvre parmi les damnés, avec l'accord d'Hadès. Cinq ans avaient amplement suffi pour que fût achevée la construction, deux fois moins de temps que pour le Colisée ordonné par l'Empereur Vespasien en 70 de cette ère.
Au début, quelque deux mille ans plus tôt, Arès avait effectivement fait combattre des gladiateurs et des esclaves romains à la grande joie de ses confrères et consœurs de l'Olympe. Ces combattants n'étaient que les âmes, réduites à l'état de marionnette et personnalisées par les dons d'Arès, des plus fiers guerriers qui s'étaient affrontés. Avaient ainsi défilé de grands noms tel que Spartacus le Thrace, ainsi que d'autres grands gladiateurs ayant participé à la troisième guerre servile qui avait frappé l'Empire romain. Puis, lorsque celui-ci s'était effondré, Arès avait manqué de nouveaux combattants ; sitôt l'intérêt que l'on avait pu prêter aux combats s'était effondré. Le Colisée était devenu inutile, aujourd'hui oublié telle une courte passade amusante par la grande majorité des dieux de l'Olympe lassés de voir encore et toujours les mêmes soldats se battre à tour de rôle...
Seul Arès y venait encore, afin de pratiquer ses entraînements journaliers des heures durant dès que le Char Solaire s'extirpait de l'Orient.
— Quelle est cette étrange architecture ? s'enquit Daímôn en s'approchant plus encore du Colisée d'Arès. Elle est différente de celle qui recouvre l'Olympe.
— Tu as l'œil ! fit Cupidon. L'arène d'Arès ne provient pas de la même époque que les demeures des dieux de l'Olympe. Elle est même presque deux millénaires moins ancienne. Arès l'a fait construire en plein apogée de l'Empire romain. Y descendaient de valeureux guerriers parmi les plus grands du temps des gladiateurs, ramenés à la vie par Arès le temps d'un combat à mort pour amuser la galerie. Aujourd'hui, tout cela n'est plus.
— Les Romains...
— Le peuple qui succéda aux Grecs. Enfin, on peut le dire comme ça. Ce sont les derniers dans l'Antiquité, en tout cas. Disons simplement qu'il s'agit du peuple qui a su imposer sa domination au monde connu des cartographes de l'époque, l'oikouménê.
— Ces... Romains avaient les mêmes dieux que les Grecs ?
— Oui, à ceci près qu'ils ont changé de nom. Vois-tu, au fil des siècles, les dieux grecs ont évolué en même temps que le monde des mortels sur lequel ils gouvernent. Ils ont simplement suivi la force la plus dominante du moment. Lorsque la culture hellène s'est mélangée à la culture latine, les Romains ont adopté les dieux grecs, mais pas seulement eux. Il existe une multitude de dieux, dont un grand nombre ne vit pas sur le mont Olympe, mais caché parmi les mortels. Tous respectent cependant la légitimité du pouvoir suzerain de Zeus, qui adopta le nom de Jupiter chez les Latins. Mais Jupiter porte d'autres noms, différents selon le peuple qui le vénère. Il fut Tinia chez les Étrusques, qui côtoyèrent les Romains, par exemple.
» Ainsi, les dieux grecs ont changé de nom, mais aussi de forme ou même de souveraineté. Certains sont plus puissants, d'autres ont perdu quelques attributions, et d'énièmes ont eu une portée purement protectrice et gardienne aux yeux des Romains. La majorité des dieux grecs ont aussi leur homonyme romain. Mais d'autres sont nés uniquement sous l'Empire romain, et n'ont de ce fait que leur forme romaine. D'autres encore ont disparu aux yeux des Romains, et n'ont pas d'homonyme autre que le tout premier. Pourquoi ? Je ne saurais le dire. Peut-être que les Romains eurent-ils une approche théologique et philosophique, voire pragmatique, différente de ces dieux-ci. Toujours est-il que l'histoire des dieux grecs et des dieux romains est jalonnée de bien des complexités, même pour nous. Alors, si en sus nous mêlons les autres déités venues de lointaines contrées...
» Ces changements ne touchent pas uniquement les dieux, mais également les créatures et les héros. Pour les Romains, Héraclès est devenu Hercule, fils de Jupiter ; les satyres sont devenus les faunes. Et pour certains dieux, il n'y a pas eu de changement de nom. Éole ou Apollon gardèrent le même homonyme, la même présidence, à ceci près que l'on attribua en plus à Apollon la gouvernance du soleil à proprement parler, en dépit d'Hélios.
— Et nous, les Primordiaux ?
— Notre caste a gardé le même nom, mais nous avons également changé d'identité pour certains. Pour les Romains, Gaïa est Tellus, Éros est Cupidon.
» Et enfin, quand je dis « caste », je parle du nom associé à tout un groupe de divinités. Par exemple, les Moires, pour les Romains, sont devenues les Parques.
Daímôn mémorisa toutes ces découvertes. Décidément, chaque heure apportait son lot de nouvelles informations qui devaient s'implanter en lui. Il avait emmagasiné tellement de renseignements sur son monde depuis qu'il avait foulé le sol de l'Olympe la veille. Comment parviendrai-je à tout retenir ? Pourtant, il savait que là non plus, le choix n'était pas, car ce nouveau monde était dorénavant partie intégrante de son existence. Chaos lui-même pensait-il que sa création évoluerait ainsi ?
— Nous nous rendons alors aux côtés d'Arès ? fit Daímôn.
— Non, pas Arès mais Mars qui est, selon mon homonyme romain, mon véritable père. La différence entre ses deux homonymes relève de sa fonction perçue par les Romains et par les Grecs. Mars se veut moins... violent ? Oui, on peut le dire comme ça. Mais je te laisse te faire ton propre avis sur la question...
Daímôn déglutit, se demandant comment ce Mars pourrait l'aider à maîtriser ses pouvoirs en pleine résurgence.
Cupidon pénétra avec lui à l'intérieur d'une des parcelles des gradins ovoïdes. Daímôn le suivit jusqu'en haut de l'escalier de marbre. Sur le sable de l'arène, en plein cœur de la piste, il vit un homme à la musculature monstrueuse, armé d'un long espadon massif. Le guerrier mettait en charpie deux pauvres et ridicules mannequins de bois affublés d'un casque plumé sur la tête. Il était vêtu d'une lourde armure de fer où un lion crachant des flammes avait été sculpté sur le plastron. Les jambières du même alliage étaient pourvues de chaînes, tout comme les brassards. Les épaulettes étaient hérissées de piques en acier. Le soldat avait fière allure, et ses coups de lame directs étaient d'une précision mortelle sur les mannequins.
Les cheveux chocolat du dieu de la Guerre virevoltaient en adéquation parfaite avec ses mouvements. Daímôn crut même percevoir des étincelles s'en échapper. Il remarqua également sur tout le pourtour du terrain de combat des lanternes, mais qui ne brûlaient guère, il en était persuadé, d'un feu naturel.
La supposition lui vint aussitôt.
— Éros, l'Olympe est-il le futur ? s'enquit-il.
— Le futur ? Que veux-tu dire ?
— C'est l'idée qui vient de me traverser l'esprit. Par exemple, regarde ces lumières tout autour de l'aire de combat. Je vois bien que ce ne sont pas de simples feux, comme j'ai déjà pu le remarquer chez Hécate. Et je suis sûr que ce n'est pas de la magie. De plus, les systèmes pour se nettoyer dans ta demeure, vos habitudes, me sont eux aussi inconnus. Étaient-ce des traditions employées au temps de cet Empire romain ?
— Non, c'est nettement postérieur à cette ère-ci.
La réponse troubla Daímôn.
— Depuis combien de temps exactement étais-je porté disparu ?
— Plus de trois mille ans, fit une voix derrière eux.
(suite du chapitre 6 en suivant...)
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