Γ - ἙΚÁΤΗ (partie 5)


La veille, après que Daímôn et Éros s'en furent allés chez ce dernier, Athéna était retournée dans son propre foyer. Elle avait longuement hésité à se perdre en plein cœur de l'Acropole d'Athènes, là où nul mortel ne pourrait la voir, mais avait finalement décidé de jouir de la tranquillité de son chez-soi divin.

Sa demeure était magnifique, un édifice tout en marbre, à l'instar des autres architectures du mont Olympe, mais dont elle avait elle-même dessiné les plans et suivi la construction étape par étape. Il ressemblait, vu de l'extérieur, beaucoup au Parthénon, avec ses huit colonnes de face et ses dix-huit latérales, mais intégralement fermé et recouvert d'un dôme ellipsoïdal doré. L'intérieur était incroyablement vaste et comportait quatre pièces disparates : une chambre à coucher, une salle d'eau, une salle d'entraînement remplie d'armes et de mannequins de bois, et un immense salon où brûlait le feu bienveillant de la déesse du Foyer, Hestia.

Se rendant directement dans sa chambre, Athéna s'était défaite de ses armes, de son armure et de son casque, ne gardant que son léger chiton sur les épaules.

La chambre était parsemée de tableaux mouvants figurant une multitude de merveilles architecturales édifiées par les mortels : la Tour Eiffel, le Big Ben, la Sagrada Família, le Tāj Mahal, entre autres. Les images changeaient toutes les dix secondes, tandis que certaines duraient plus longuement dès lors qu'elles étaient en lien avec un monument grec. L'Érechthéion, lieu emblématique sur l'Acropole et cher à l'Olympienne de par son histoire, demeurait en tout temps sur le mur du fond à côté d'autres temples orientaux et hellènes.

Athéna, déesse de l'Architecture, supervisait de loin toutes les constructions des mortels depuis la nuit des temps. Aujourd'hui, leur technologie et leur savoir-faire avaient grandement évolué ; leurs machines leur permettaient désormais de construire de titanesques monuments en un temps record. Et ils n'étaient jamais à court d'idées révolutionnaires ! Elle suivait actuellement le chantier de la plus grande tour américaine, se demandant quand elle devrait intervenir pour les aider – mais ils semblaient bien se débrouiller seuls.

Elle se remémorait l'ancien temps, où tout prenait un délai nettement plus colossal. Mais surtout, elle se rappelait le plus grand architecte qu'elle avait connu, en la personne de Dédale.

Ce mortel au génie incroyable – qu'on aurait volontiers pu considérer comme son fils légitime si elle n'avait fait vœu de chasteté éternelle – était le créateur du Labyrinthe, une construction si monumentale qu'il était parfaitement impossible de s'y retrouver sans en connaître les plans dans les moindres détails. Seul un mortel avait réussi à s'en échapper : le héros Thésée. Une fois que la construction fut terminée, le roi Minos y enferma le Minotaure. Puis, pour avoir favorisé l'amour d'Ariane et de Thésée, le tueur du Minotaure, et avoir trahi son souverain, Dédale et son fils Icare y furent à leur tour emprisonnés jusqu'à la mort. Mais le génie de l'architecte lui fit créer des ailes qu'il colla avec de la cire aux épaules d'Icare. Ils purent ainsi s'échapper du Labyrinthe. Et seul Dédale parvint à Cumes, la petite cité italienne.

Délaissant les souvenirs de ce cher mortel, Athéna s'était jetée sur son lit. Le moelleux incitait même les esprits les plus insomniaques au repos ; mais Athéna songeait sans cesse à son protégé, Daímôn, l'empêchant de dormir. Ces pouvoirs... Qu'adviendrait-il lorsqu'il les comprendrait, et surtout les maîtriserait ? Elle faisait néanmoins confiance à Éros, fils de Chaos, pour le canaliser.

Pour se changer les idées, la fille de Zeus s'était échappée du lit pour se pencher sur une longue table dans le coin gauche de la chambre. Sur celle-ci, étaient déroulés sept plans griffonnés par ses bons soins. Elle travaillait depuis quelques semaines sur la reconstruction des sept merveilles du monde, qu'elle offrirait aux mortels pour redorer l'Âge des Anciens. Les schémas du phare d'Alexandrie, du temple d'Artémis autrefois situé à Éphèse, ainsi que celui des jardins suspendus de Babylone, étaient terminés. Le mausolée d'Halicarnasse le serait bientôt, après une dizaine de détails supplémentaires. Seuls le colosse de Rhodes et la statue chryséléphantine de Zeus à Olympie lui posaient de gros problèmes de gestion, mais aussi de souvenir. Elle avait beau se référer aux ouvrages d'auteurs anciens en ayant fait une description, elle ne parvenait toujours pas à leur réattribuer toute leur majesté. Athéna avait même pensé faire appel à l'esprit du bienheureux Phidias qui avait construit la statue de Zeus en 436 avant cette ère, ainsi que l'Athéna Parthénos environ deux ans plus tôt – de vrais trésors de sculpture ! –, pour l'aider à reconstruire les deux effigies, mais Hadès lui avait assuré que le sculpteur renommé avait sans nul doute perdu la mémoire, à l'instar de tous les esprits peuplant les champs Élysées. Au moins, elle n'avait pas à travailler sur la pyramide de Khéops, la dernière des sept merveilles ayant survécu au feu, au tremblement de terre ou aux vicissitudes du temps et de la guerre.

Puis, entendant le feu crépité dans le salon, Athéna s'y était dirigée. Expectant la visite de sa tante, elle avait arrangé ses cheveux en passant devant un miroir de sa chambre. La déesse du Foyer l'attendait bel et bien.

Hestia était l'aînée des enfants nés de l'union de Cronos et de Rhéa la Titanide. Maîtresse des malheurs et du bonheur des familles, elle décidait de la vie ou de la mort, de la chance ou de la mauvaise fortune d'un foyer. Elle en était la protectrice... ou leur pire cauchemar. Pour échapper aux avances éternelles de ses frères Zeus et Poséidon, ainsi que de ses neveux Apollon et Hermès, Hestia, tout comme ses nièces Athéna et Artémis, avait fait vœu de virginité éternelle.

Elle était vêtue pour l'heure d'un chiton orange aux manches longues, ses cheveux flamboyants tombant en cascade sur ses fines épaules. Ses yeux brillaient d'une flamme immuable et chaleureuse.

— Tante, avait dit Athéna avec déférence. Que me vaut le plaisir de votre visite en ma demeure ?

— Je suis venue m'entretenir avec toi quant à ton... nouveau protégé. Daímôn, n'est-ce pas ?

— Je me doutais bien que votre venue ne fût simple courtoisie. C'est bien son nom, oui. En quoi puis-je vous satisfaire ?

Hestia s'était avancée paisiblement et s'était assise sur un fauteuil de velours rouge non loin du feu crépitant. Elle y avait tendu le bras et avait caressé les flammes sans qu'elles ne l'eussent brûlée – avaient-elles même semblé se cajoler contre les doigts de l'Olympienne.

— Ton jeune immortel est tourmenté, avait-elle dit calmement. Il est également incroyablement ignorant, tout comme toi...

— Que voulez-vous dire ?

— Athéna, crois-tu véritablement que Zeus le laissera en paix ? Je connais ton père, et je puis t'assurer qu'il le tuera dès que l'occasion se présentera. Mais s'il le fait, il se pourrait bien qu'il s'attire les foudres de notre créateur, Chaos. Aucun dieu ne doit mourir... Tu n'aurais jamais dû ramener ce pauvre garçon.

— Et le laisser pourrir pour l'éternité dans son sommeil ?!

Hestia avait souri à la soudaine fougue de sa nièce. Elle connaissait le tempérament bagarreur d'Athéna, tout comme son esprit de contradiction. Elle était la plus sage des déesses, mais perpétuellement déchirée entre deux choix parfaitement opposés à cause de son instinct et de sa raison. Hestia savait également qu'elle ne renonçait jamais à une entreprise qu'elle avait elle-même instiguée. Elle protégerait Daímôn jusqu'au bout !

— Ce garçon emploie un pouvoir qui nous dépasse tous, avait poursuivi Hestia. Je n'ai que pour seul but de te faire comprendre qui il est réellement, les dangers qu'il représente. Il est plus ancien que nos parents, les Titans. Plus ancien encore que les parents de nos parents. Daímôn est un Primordial, un fils du Créateur !

— Où voulez-vous en venir ?

— Ce que je veux dire, c'est que lorsqu'il aura pleine connaissance de ses pouvoirs, il faudra que les dieux fassent montre d'une très grande prudence. Et pis que tout, ils ne semblent guère se rendre compte de tout son potentiel omnipotent, pas même Zeus. Athéna, imagine-toi la situation et prends-en pleinement conscience. Zeus hait Daímôn, car il a peur. Voici la raison pour laquelle il désire le tuer. Mais on ne peut anéantir un dieu, et encore moins un Primordial sans s'attirer le courroux implacable de l'Univers lui-même. Mon frère – ton père – se confronte à plus fort que lui, et il se pourrait bien qu'il perde la vie en s'attaquant à Daímôn. Pour le moment, et ce jusqu'à ce que Daímôn ébranle ma confiance, je suis de votre côté, Athéna, car il n'a fait aucun mal délibérément.

— Il a pourtant blessé Zeus devant vous.

Hestia avait de nouveau souri, se remémorant le Conseil et l'intervention spectaculaire de Daímôn. La déesse savait que Daímôn ne s'était que défendu et, sans le vouloir, avait meurtri Zeus. Et d'ailleurs, ce n'était même pas tout à fait lui, mais plutôt l'Entité qui avait pris possession de lui. À savoir s'il s'agissait véritablement de Chaos, Hestia attisait encore des doutes. L'être le plus ancien du monde ne s'était jamais plus manifesté depuis les premiers temps.

— Mon frère a fait une erreur, et je n'en tiendrai point compte, comme tous les autres dieux, hormis Héra, cela va sans dire, avait répondu Hestia. Zeus n'embrasse guère l'idée qu'attaquer Daímôn revient à s'en prendre aux autres Primordiaux. À l'avenir, la circonspection sera de mise. En as-tu véritablement conscience ?

— Évidemment, Tante ! Daímôn et Éros se rendront auprès d'Hécate demain dès l'aube. Ils espèrent qu'elle leur révélera l'origine du pouvoir de Daímôn, et peut-être aussi les souvenirs de son temps.

— Alors nous devons nous protéger sans tarder. Je fais confiance à Éros pour empêcher Daímôn de commettre des erreurs. Mais il se peut que lorsque nous redécouvrirons la vie du Primordial, nous soyons tous dévorés d'une peur incoercible, que nous nous rappelions que sa disparition fut une bonne raison. Qui c'est, peut-être fut-ce nous-mêmes qui en fûmes responsables. Daímôn devra être protégé de tous, de moi ou de toi. Seul Éros pourra accomplir cette tâche.

— Et Éros le fera. Je vous l'assure.

Hestia avait une dernière fois souri à sa nièce et avait disparu dans une gerbe de flammes auburn sans un mot de plus, laissant Athéna seule avec ses craintes. Celle-ci savait que le futur de l'Olympe était désormais en jeu, autant par la Grande Prophétie que par son rôle d'avoir ramené le Disparu parmi eux. Elle espérait simplement que Daímôn ne commettrait aucun acte impardonnable, car les conséquences n'en seraient que terribles.

Elle était ainsi retournée dans sa chambre, s'était mise nue et s'était endormie difficilement, souhaitant, comme Daímôn, que la nuit lui portât conseil.


(suite du chapitre 5 en suivant...)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top