I - Προφητεία (partie 7)

Ils sortirent dans le bourg et arrivèrent rapidement sur la place principale où se rassemblaient couramment les marchands. C'était le lieu des rencontres, des échanges, des négociations et des débats, le cœur même du village. Cette place, l'agora (Ψ), était flanquée de bâtiments de marbre destinés aux séances politiques où chaque homme – les femmes étant exclues – avait le droit de prendre la parole. Autour de ces édifices, un immense cercle de galet où une statue de la déesse tutélaire, Athéna, surplombait tout, taillée dans un marbre soyeux, peinte dans son apparat de guerre, la tête recouverte d'un casque et l'épée à la main brandie devant elle, avisant de ses yeux – deux véritables saphirs – les mortels. Daímôn vint à se demander si la déesse ressemblait véritablement à ceci, ou s'il ne s'agissait que du fruit de l'imagination du sculpteur. Au moins pouvait-on affirmer que l'œuvre avait été ciselée à la perfection.

Daímôn et Adrastéia évaluèrent d'un rapide coup d'œil les dégâts causés par la tempête. Plusieurs colonnes qui soutenaient les frontons des bâtiments politiques s'étaient effondrées. Il était difficile à croire que de simples bourrasques eussent pu ainsi les détruire, mais le souffle du Vent du Nord en était bien capable – tout mortel révérait et craignait sa puissance. La tempête n'avait épargné quoi que ce fût, surtout pas les habitations des villageois, hormis une chose, que remarqua aussitôt Daímôn : la statue d'Athéna. Comme si la déesse avait formellement défendu le Vent du Nord de frapper son effigie, songea-t-il. Mais alors, pourquoi la tempête n'a pas uniquement touché les « élus » s'il est du devoir de la déesse de nous protéger ? Étions-nous sujets à sa colère... ou bien a-t-elle failli à son rôle ? Il n'en savait rien, et si Athéna l'écoutait, elle l'aurait sûrement embroché avec sa lance sans sommation !

Les hommes – même les femmes qui pourtant étaient tenues de garder les foyers – s'affairaient à de multiples tâches : reconstruction, empilement de débris provenant des bâtisses détruites, nettoyages, soins... Même les quelques bâtiments de pierre à l'orée de l'agora prévus pour protéger les villageois les plus démunis n'étaient plus que des monticules.

Mais surtout, il y avait des corps partout, camouflés sous des toiles, illustrant parfaitement le désastre de la Nuit des dieux.

Ne sachant guère où aider en priorité, Adrastéia et Daímôn se séparèrent sur l'agora, la dame déposant Athénaïs chez une matrone gardant et nourrissant les autres enfants le temps que les parents accomplissent leur devoir la journée durant.

Il ne faisait aucun doute que tous étaient ravagés par la tristesse. Certains conspuaient au nom des membres de leur famille qu'ils avaient perdus par les éboulements, d'autres car ils souffraient la disparition d'un « élu ». Bien trop de toiles recouvraient les cadavres, éparpillés çà et là dans les rues. Un véritable désastre... La décision des prêtres du temple d'Athéna prise plus tôt dans la matinée était irrévocable : il faudrait procéder à un bûcher funéraire commun pour les adieux. Il fallait au plus vite endiguer les potentielles maladies venues des morts. Au bourg, on n'appréciait guère cette pratique – on y préférait l'inhumation –, mais les circonstances l'imposaient.

Le Char Solaire disparaissant à l'horizon, peu après la fin de la première cérémonie du jour – le bûcher funéraire –, Daímôn et Adrastéia se retrouvèrent devant la statue d'Athéna, caressée d'une lumière orangée chatoyante provenant des rayons du soleil couchant. Ils étaient sales, se sentaient sales, autant par la poussière, la transpiration que les cendres venues du bûcher qui s'étaient accrochées à leurs vêtements, ou encore les sensations provoquées par la première oraison funèbre. Ils rentrèrent chez Adrastéia, firent un brin de toilette, décrassèrent leurs vêtements et attendirent patiemment le début de l'oraison nocturne.

Ils mangèrent des galettes de blé, des olives et burent de l'eau – vivres offerts par les prêtres d'Athéna pour leur aide –, autant pour se rassasier que pour se féliciter de cette longue journée de dur labeur. Daímôn commença à piquer du nez devant le feu – il n'avait pas dormi depuis le milieu de la nuit précédente, après tout – et finit par s'assoupir, bercé par la mélopée du crépitement du bois brûlant. Adrastéia, elle, s'occupa d'Athénaïs en profitant du silence. Elle lui fredonna une vieille berceuse, chantonna les paroles qu'elle connaissait par cœur, ce qui endormit à son tour le poupon.

Puis l'heure fut venue.

Adrastéia réveilla doucement Daímôn en le secouant. Le garçon se frotta des yeux encore emplis de fatigue et peina à se lever. Une fois prêts, habillés plus chaudement pour le soir, ils sortirent pour rejoindre le prêtre Théophilos et ses fidèles au temple d'Athéna, non loin des limites du village. Daímôn était plus nerveux qu'il ne l'avait jamais été !

L'air était plus froid encore dehors, cela dit moins que la veille car le vent ne soufflait pas. La demi-lune éclairait chichement les cieux. Peut-être était-ce finalement un fourvoiement de l'oracle, espéra Daímôn. Ou bien l'événement était en retard et cette panse céleste en D n'était qu'une illusion ? Il semblait divaguer. Il repéra alors une légère traînée noire s'insinuer devant l'astre sélène, ce qui lui fit froid dans le dos. Allons, cesse donc ! se morigéna-t-il.

Avec Adrastéia, il déboucha finalement devant le temple hexastyle d'Athéna. C'était l'édifice le plus important et le plus grand du bourg, tout d'un marbre chamarré. Lui non plus n'avait pas subi de dégâts. Son entrée était illuminée d'une dizaine de torches, parsemant le grand escalier central. Les colonnes doriques et ioniques au fût parfait de l'entrée avaient été décorée de lierre et de feuilles d'olivier, ainsi que de soieries tissées par les jeunes filles vierges du bourg où figurait Athéna en tenue de guerre avec sa chouette chevêche sur l'épaule gauche, lance et bouclier en mains.

Daímôn jeta un œil vers la lune et déglutit. La traînée noire avait pris plus d'ampleur, non ? Il s'apostropha plus encore et suivit Adrastéia qui gravissait l'escalier. À mesure qu'il montait, un léger aquilon commença à souffler croissant. Adrastéia ne semblait s'en préoccuper, a contrario de Daímôn. Il se dépêcha de grimper pour entrer à l'intérieur, l'anxiété lui torsadant les tripes. Une fois dedans, il serait à l'abri et il oublierait toute cette histoire...

... mais lorsque son pied se posa sur l'ultime marche, une force le saisit dans le dos et le tira violemment. Il hurla, dégringola toutes les marches en roulant, appela Adrastéia, en vain – celle-ci était déjà entrée et n'avait rien remarqué. Il continua sa culbute jusqu'au bas de l'escalier et se retrouva la tête dans la neige.

Seul.

Il se releva, perclus de douleur, et observa les cieux. Ses yeux s'écarquillèrent de terreur lorsqu'il vit l'amas de ténèbres qui engloutissait le croissant sélène, tandis que la brise devenue bourrasques tumultueuses soulevait la neige autour de lui, produisant l'effet d'un maelström. Les trombes ! s'écria pour lui-même Daímôn.

Puis un rayonnement de lumière lactescente s'échappa soudainement de la lune, fendit l'amas d'obscurité et frappa de plein fouet le garçon. Le temps sembla s'immobiliser autour de lui. Il ne voyait rien, plongé dans une phosphorescence blanche parsemée de traits bleutés.

Lorsque la cécité s'atténua, il tâtonna avec ses pieds étrangement nus le sol inconnu. Son manteau ayant disparu, le chitonabîmé et brunifié par le temps qui le vêtait était devenu aussi propre et immaculé que la lune elle-même. À l'horizon, il n'était que blanc à l'infini. Il lui fallut un certain moment pour s'habituer à la nouvelle clarté brûlante.

Une forme apparut au loin. Elle grossissait à vue d'œil et, très vite, Daímôn distingua une silhouette féminine en tenue de guerre semblable à la statue de son visage, qui néanmoins se mouvait. Les yeux perçants de l'inconnue – les mêmes qu'il avait vus après que sa sœur eut été enlevée par les dieux ! – étaient flamboyants sous le casque qui ornait sa tête, couvrant l'intégralité de sa chevelure.

Daímôn n'osa bouger d'un pouce et attendit, comme paralysée par une profonde appréhension, que l'inconnue le rejoignît.

La guerrière ne s'arrêta qu'à trois pas de lui, le fixant toujours intensément ; ses yeux luisaient de joie, soulignée par le sourire sur son visage. Daímôn était mal à l'aise : il ne savait que faire ; mais devant elle, il sut qu'il ne lui devait qu'un respect des plus solennels, qu'elle ne lui ferait aucun mal.

— Daímôn, introduisit-elle, je suis Athéna.


Fin du chapitre 1

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