I - Προφητεία (partie 6)

Daímôn rentra directement chez Adrastéia, comme cette dernière le lui avait ordonné. Il ne prêta toujours nulle attention aux dégâts causés par la nuit de Lune Noire.

En pénétrant à l'intérieur de la demeure de sa bienfaitrice – qui de l'extérieur ressemblait beaucoup à celle de sa grand-mère –, il la découvrit devisant avec un homme de grande stature, les cheveux grisonnants et courts, vêtu d'un chitonblanc ajusté à sa bedaine proéminente. Entre ses mains ornées d'anneaux dorés frappés d'une chouette chevêche – l'attribut animal de la déesse de la Sagesse –, il tenait un fragment de marbre, qu'un lapicide venait tout juste de tailler. Daímôn devina qu'il s'agissait d'un aristocrate et prêtre du temple d'Athéna, comme il avait pu en rencontrer jadis lors des cérémonies.

Adrastéia et le prêtre semblaient échanger de sérieux propos. L'homme lui présentait les écrits sur le fragment. Quand la jeune mère leva les yeux des multiples lignes, elle remarqua Daímôn qui n'osait s'approcher. Tandis qu'elle répondait aux dernières paroles du prêtre, sa voix se mit à diminuer. Elle incita Daímôn à les rejoindre d'une main, ce qu'il fit aussitôt.

— Daímôn, dit Adrastéia. Te voilà déjà de retour.

— Oui, répondit-il évasivement. (Adrastéia vit immédiatement dans ses yeux que quelque chose n'allait pas.) L'entrevue avec l'oracle n'a pas été trop longue, et la conclusion me laisse un amer goût dans la bouche. Je suis dubitatif. C'était une perte de temps ! Et je ne comprends rien... (Il repensa au pendentif qu'il avait sacrifié et refoula un relent de colère.) Mais excusez-moi, prêtre, de vous importuner avec mes malheurs.

— Il n'en est rien, mon brave garçon, répliqua l'aristocrate. Je me nomme Théophilos, se présenta-t-il en serrant la main de Daímôn avec force poigne, l'« ami des dieux » ! Je ne suis ici que par la volonté de notre déesse poliade de la Sagesse, la puissante Athéna. Grâce lui en soit rendue ! Je suis venu m'entretenir avec dame Adrastéia afin de la convier au temple ce soir, pour rendre hommage aux élus et aux victimes de la Lune Noire, un bien trop grand nombre à regretter... Et j'ai par la suite appris que votre sœur faisait partie des élus des dieux. (Cette fois, Daímôn tiqua au terme « élu » mais ne fit aucun commentaire.) Recevez toutes mes prières. Je demanderai au lapicide d'ajouter le nom de Callia à l'épitaphe honorifique des élus. Aussi, si vous le souhaitez, vous pourrez prendre la parole lors de l'oraison, ainsi que procéder à une libation en la mémoire de Callia et prier à haute voix pour son salut et celui des neuf autres élus.

— Merci..., fut la seule chose que parvint à bafouiller Daímôn.

— À quelle heure se tiendra la cérémonie ? s'enquit Adrastéia.

— Lorsque la lune aura atteint son paroxysme dans le ciel nocturne de cet hiver glacial ! déclara Théophilos avec solennité.

Paroxysme..., se répéta pour lui-même Daímôn.Les paroles de l'oracle lui firent pleinement face. « Au paroxysme de ce soir venu, la Nuit des dieux le réveillera. » La Nuit des dieux... Tel était l'autre nom que l'on prêtait à la Lune Noire.

— Je crois que la prochaine nuit sera à nouveau une Lune Noire, informa Daímôn d'un ton hésitant.

La réaction ne se fit pas attendre.

— Allons, mon garçon ! le tança Théophilos soudain furieux. Ceci ne s'est jamais produit, voyons ! Il n'est qu'une nuit de Lune Noire par an. Un tel phénomène ne peut avoir lieu deux fois, car il serait en opposition avec les fondements des lois des Cieux. La grande Pallás (Ω)Athéna nous aurait avertis, nous ses dévoués fidèles !

— Je ne fais que relater les propos de l'oracle...

— Cher Daímôn, je...

— Théophilos, l'interrompit doucement Adrastéia en posant une main sur son épaule. Nous viendrons ce soir, je vous en fais la promesse. Je vais préparer Daímôn pour son discours à la mémoire de Callia. Il est encore tantchamboulé. Je vous verrai ce soir en sa compagnie, le temps des prières et des sacrifices.

Le prêtre d'Athéna se renfrogna et maugréa pour lui-même.

— Fort bien, je vous verrai ce soir, donc.

Sur ce, il fut conduit par Adrastéia, une main le poussant discrètement par l'omoplate, jusqu'à la porte où il s'échappa sans adresser un seul regard ou un seul mot à Daímôn resté placide. Une fois qu'il eut disparu de la vue d'Adrastéia, celle-ci fit volte-face et rejoignit Daímôn.

— Ai-je dit quelque chose qui l'aurait froissé ? demanda innocemment ce dernier.

Adrastéia remarqua que le pendentif de Callia n'ornait plus le cou de Daímôn. Elle aussi connaissait les exigences lorsqu'on requérait l'assistance d'un oracle, mais elle n'en dit rien. Jadis, elle s'était détachée d'un bien plus que précieux à la mort de son époux, un bracelet d'argent qu'il lui avait offert à leur mariage et qui s'était finalement consumé dans le feu de l'oracle, à l'instar du pendentif à l'effigie d'aigle royal.

Elle revint à la question de Daímôn.

— Théophilos n'est ni ignorant ni naïf, et connaît surtout les légendes sur la Lune Noire. Les paroles de l'oracle l'ont émoussé. S'agit-il bien de ses dires ?

— Elle n'a mentionné qu'un individu sans jamais le nommer. Quant au fait que la prochaine nuit sera une Lune Noire, elle l'a clairement signifié. (Il lui répéta alors la prophétie mot pour mot.) Je ne comprends pas les cinq derniers vers, ni même qui peut être le sujet de la prédiction.

— Si l'oracle t'a destiné ses paroles à toi seul, alors c'est qu'il ne peut s'agir que de toi. Elle transmet les propos des dieux. Deux « Nuits des dieux » successives...

Elle se retourna subitement et plongea dans sa bibliothèque pour en extirper le gros ouvrage qu'elle avait lu durant la nuit à Daímôn. Revenue à ses côtés, elle montra à ce dernier un long paragraphe écrit à la main.

Adrastéia parcourut et lut rapidement les deux pages silencieusement. Daímôn ne sachant lire – ses parents qu'il n'avait jamais connus ou sa grand-mère ne lui ayant jamais appris –, il se concentra plutôt sur les nombreux dessins de divinités furieuses et de phénomènes d'une autre Lune Noire qui ravageaient un village innommé. Des scholies, d'une fine écriture et à l'origine inconnue, annotaient les représentations. Un éclair déchirait le ciel ; des monstres dépourvus de visage massacraient sans pitié des mortels ; certains de ces derniers étaient engloutis par le vent ; les forêts alentours étaient en feu ; les terres étaient noyées sous les eaux tumultueuses... et enfin ce garçon de dos, une vipère bleue sur l'épaule, immobile au sommet d'une colline, contemplant le carnage divin et le massacre de créatures reptiliennes et gigantesques, terrifiantes et sanguinaires.

— Il est une autre légende, qui relève plus d'une fable, concernant les raisons des nuits de Lune Noire, dit Adrastéia. Je ne t'en ai pas fait part, car il ne s'agit que d'une histoire afin d'effrayer ceux qui déshonorent les dieux, en illustrant leur courroux.

» Il y a environ deux mille ans, deux Nuits des dieux frappèrent le monde des mortels successivement. Ce qui arriva fut un drame sans précédent, qui jamais ne se reproduisit. Les dieux cherchaient un être en particulier, afin de l'éliminer. C'est ce garçon que tu vois ici sur la colline, avec un serpent sur l'épaule. Ils le trouvèrent finalement dans ce village et décidèrent de punir ceux qui l'avaient caché parmi eux. Cependant, lorsque le carnage frappa le village et que les créatures des dieux furent envoyées pour tout décimer, Athéna se rebella contre sa famille et permit au garçon de s'enfuir. Depuis, ce jeune homme n'a jamais été retrouvé ou vu, ni par les mortels, ni par les dieux. Qui était-il ? Nous l'ignorons ; mais Athéna voyait en son assassinat des conséquences plus terribles encore que la propre mort du roi des dieux, Zeus. Courroucés plus qu'ils ne l'étaient après la forfaiture d'Athéna, les Olympiens abattirent toute leur puissance sur chaque cité protégée par la déesse de la Sagesse – Athènes fut la plus touchée, comme toujours. Lorsque l'ire des dieux se retira enfin, seul un quart des Athéniens avait survécu, le soleil ne se levait plus dans les cités rendant culte à Athéna seule, et la maladie rongeait les fidèles encore en vie.

— Tout est redevenu normal par la suite ? s'enquit Daímôn intrigué.

— Oui. Las de ce cataclysme et de ses conséquences, les dieux inférieurs se révoltèrent contre les Olympiens et formèrent une coalition autour d'Athéna. Ils mirent fin à tout. Cela n'arrangea évidemment pas les relations entre tous les dieux, mais il fut alors décidé que la recherche de l'Entité disparue serait à jamais abandonnée.

» Moralité de l'histoire : si les mortels se parjurent envers les dieux, alors ceux-ci se vengeront toujours et n'hésiteront pas à annihiler toute vie humaine afin de reconstruire une nouvelle génération basée sur de meilleurs fondements ; mais jamais les immortels, eux, ne seront détruits, car il ne peut y avoir une nouvelle génération de divinités.

— Pourquoi y aurait-il une seconde Lune Noire ce soir, alors ?

— Eh bien, les dieux ont sûrement dû percevoir les traces de celui qu'ils cherchaient il y a deux millénaires, et ont décidé eux-mêmes de se parjurer quant à leur serment passé.

— Des traces ? Dans ce village ? Mais qui ?

— Je l'ignore. Mais tout cela reste un mythe. L'oracle n'a pas forcément prophétisé le nouvel éveil de cette histoire.

Daímôn se sentit bien apeuré par ces nouvelles révélations. Surtout, Adrastéia ne l'avait pas du tout convaincu qu'il pût s'agir d'un simple mythe, plus improbable encore que les deux versions quant aux raisons de la Lune Noire. Une simple coïncidence ? Certainement pas ! Daímôn ressentait comme une étrange sensation désagréable dans chaque fibre de son corps. Un... un lointain souvenir qui tentait de s'éveiller mais qui n'y parvenait pas.

Je deviens fou !

— Ne te préoccupe pas de tout cela pour le moment, le réconforta Adrastéia. Il est tout à fait possible que ces paroles ne te concernent pas...

À cet instant précis, Daímôn comprit qu'Adrastéia lui mentait ouvertement pour le rasséréner. Elle avait affirmé le contraire quelques instants plus tôt. Il avait presque réussi à se convaincre lui-même que tout ceci n'était dû qu'au fruit de sa folie... À présent, il tremblait de peur à l'idée que tout ceci soit sûrement vrai !

— En attendant, continua Adrastéia, nous devrions nous rendre auprès des villageois et leur venir en aide. Cela nous changera les idées jusqu'à la cérémonie. Nous ne pouvons rien faire tant que le moment n'est pas venu.

Elle avait raison, alors Daímôn accepta volontiers. Il cultivait l'espoir de parvenir à penser à autre chose...

Mais ce semblait peine perdue.  


(suite du chapitre 1 en suivant...)

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