ΔΙ - Βορέας (partie 2)
Très vite, l'essoufflement les assaillit ; puis ce fut la sueur qui coula dans le dos du Primordial malgré le froid toujours plus cinglant. Plus ils avançaient dans le désert de glace et plus l'épaisseur de la neige s'accroissait. Rapidement, celle-ci atteignit leurs genoux, trempa le bas de leurs manteaux et le tissu de leurs chaussures, ce qui les fit irrémédiablement ralentir.
— Et si j'usais du Feu Originel pour faire fondre la neige ? proposa Daímôn.
Il était déjà las de leur avancée beaucoup trop lente et de cette neige qui, bien que jolie, les encombrait atrocement.
— Surtout pas ! réfuta Athéna. Nous marchons actuellement sur une immense plaque de glace, une mer solidifiée que l'on nomme « banquise », que tu ne peux voir à cause de cette neige, justement. Mais si tu faisais réchauffer cette glace, compte tenu de l'intensité du Premier Feu, la plaque se fissurerait sûrement et nous coulerions dans l'eau gelé aussi sûrement qu'un navire percutant un iceberg.
Daímôn bougonna pour lui-même. Il se souvint d'un de ces navires mortels – une merveille d'ingénierie, selon Athéna – qui s'était écrasé contre une montagne de glace flottant sur la mer. Il ne se souvenait guère du nom, bien qu'Athéna le lui eût répété cent fois, mais il se rappelait précisément les images que la déesse lui avait présentées à travers un certain « film » – une attraction vidéoludique dont les mortels étaient fort friands – qui narrait une histoire d'amour tragique. Athéna s'était faite un excellent professeur d'Histoire des mortels et de leurs créations. Affectionnant particulièrement l'architecture, considérée même comme la déesse des Arts, elle avait pris un malin plaisir à lui apprendre nombre de choses sur les créations des mortels, de simples bâtiments aux vaisseaux flottants.
Ainsi, il n'avait pas le choix : souffrir la lenteur de leur avancée, transi du froid mortel de Borée. Il porta sa main à l'Omphalόs qui, grâce à Phúlax, lui transmit une vague de chaleur et dissipa cette désagréable sensation d'engourdissement dévorant ses doigts. Athéna, elle, semblait bien moins mourir de froid que lui, alors qu'elle n'était pas plus chaudement vêtue.
Ou bien prenait-elle simplement sur elle, plus qu'il ne le faisait...
Une demi-heure s'écoula ; Daímôn avait l'impression de ne guère avoir avancé. Il ne voyait rien aux alentours, perdu au milieu de ces maudites dunes, noyé dans ce même univers toujours immaculé qui semblait s'étendre à l'infini. Il n'y eut qu'une unique fois où Daímôn aperçut d'étranges structures en plein cœur du désert glacial. Athéna lui apprit que les mortels menaient des recherches en ces lieux encore inconnus afin d'y étudier le climat, la faune et la flore intrinsèques. Tout le reste n'était que neige, neige et encore neige, ce qui agaçait sérieusement Daímôn. Pour ajouter à sa misère, celle-ci tombait plus dru à mesure qu'il s'enfonçait dans ce territoire sauvage.
— Athéna, se plaignit-il. Sommes-nous bientôt arrivés ?
— Cesse donc de geindre tout le temps ! le sermonna-t-elle excédée, pareille à une mère grondant son enfant. Nous y sommes presque, ne t'en fais pas.
— Et comment saurais-je que nous avons atteint notre but ?
— Oh, tu le sauras !
Daímôn soupira une nouvelle fois et continua de suivre Athéna. Cette dernière guettait tout signe.
Ce ne fut qu'après de longs pas supplémentaires, lorsqu'ils piétinèrent un vaste et interminable plateau et arrivèrent au point précis le plus septentrional du monde, qu'ils virent – ou plutôt reçurent en pleine figure – le signe tant attendu.
Le blizzard se souleva subitement autour des divinités. À l'instar d'une tempête de sable, les grêlons les lapidèrent. Daímôn engouffra son visage dans ses bras pour protéger ses yeux et sa bouche que la neige semblait vouloir étouffer. Il remonta le col de son himationsur son nez pour laisser une main libre à proximité de la garde de son épée. Il jeta un regard vers Athéna, plus circonspecte et alerte que jamais.
Il perçut alors un bruit cristallin, comme si deux immenses verres s'entrechoquaient. Il plissa les yeux dans la tempête et vit la forme bouger à l'horizon.
Une jeune femme s'avança au milieu de la tempête, séparant de ses mains les flocons et cristaux de glace. On eût dit qu'ils s'assujettissaient à sa seule volonté, car le blizzard ne la touchait aucunement. Elle leva sa main gauche et aussitôt, le même phénomène se produisit autour d'Athéna et de Daímôn qui eurent tout le loisir de contempler cette maîtresse des glaces.
Elle était d'une réelle beauté, mais froide et sévère comme Héra aux yeux de bœuf. Vêtue d'une très légère tunique blanche, elle se confondait parfaitement avec l'environnement. Elle ne portait aucune sandale, marchait simplement pieds nus dans la neige sans que cela ne la gênât plus que de raison, et ce malgré le froid cinglant dont Daímôn était le premier martyr. Sa délicate peau était aussi blanche que les flocons, ses cheveux blonds striés de mèches blanches voletaient allègrement derrière elle.
Daímôn se détacha d'elle pour observer la tempête qui faisait rage autour du noyau salvateur formé par l'inconnue.
— Que faites-vous au cœur du royaume de mon père, intrus ? s'enquit l'inconnue.
Sa voix était aussi douce qu'un flocon et aussi brutale qu'un blizzard.
— Nous requérons une audience auprès du dieu du Vent du Nord, Borée, répondit Athéna d'un ton ferme.
La dame tourna la tête vers elle et la toisa impudemment.
— Si Athéna le souhaite, je ne puis qu'accepter, dit-elle. (La virulence n'échappa pas à Daímôn.) Qui est le jeune homme à vos côtés, fille de Zeus ?
— La raison pour laquelle nous venons voir Borée, répliqua Athéna sans divulguer plus d'informations.
Daímôn s'apprêtait à dévoiler son nom, mais Athéna l'en empêcha d'un mouvement ferme du bras.
La maîtresse des glaces l'observa avec attention. On eût dit qu'elle l'étudiait comme un veneur avant un équarrissement, ce qui ne manqua pas de lui glacer les sangs. Elle était aussi antipathique que la tempête de neige !
— Je vous en prie, finit-elle par s'exclamer. Suivez-moi.
Tout sourire, elle incita les divinités à l'accompagner à travers la tempête.
Ils ne tardèrent pas, afin de ne pas la perdre de vue et de replonger dans la tempête, car le noyau protecteur la poursuivait. Athéna saisit le poignet de Daímôn et le tira ; celui-ci ne chercha pas à se séparer du contact, rassuré de sentir l'Olympienne tout près de lui.
Daímôn ne sut dire combien de temps encore ils marchèrent ; mais lorsqu'ils s'immobilisèrent, la tempête disparut subitement et le mur protecteur du dieu Borée se manifesta de toute sa hauteur.
Lorsque la femme blanche s'approcha des deux immenses portes en verre cristallin, celles-ci s'ouvrirent dans un son musical et doux à l'oreille. Daímôn et Athéna la suivirent à l'intérieur.
Le fils de Kháos fut immédiatement frappé par les deux monstres intégralement faits de glace. D'une forme humanoïde, ils étaient totalement cristallins. Ils semblaient à Daímôn aussi grands et charpentés que l'était le mini-Talos d'Héphaïstos, à l'instar des colossales portes qu'ils surveillaient en tout temps. Leur visage n'était pas tout à fait humain : dépourvu de nez et de bouche, seuls deux trous avaient été sculptés dans la glace pour former comme des narines, ainsi qu'un orifice plus gros et profond au-dessus d'un menton taillé en pointe qui leur conférait un air burlesque. Leurs globes oculaires, nimbés d'une lueur obscure, n'incitaient néanmoins et surtoutpas à se moquer de leur apparence.
Le fils de Kháos se sentait bien ridicule à côté d'eux et ne doutait pas un seul instant qu'ils fussent fermement hostiles envers tout inconnu. Athéna, elle, ne leur prêta nulle attention et se contenta de poursuivre son avancée derrière la jeune femme. Daímôn porta de nouveau sa main au pommeau de son épée et les suivit toutes deux, tout en admirant la demeure de Borée.
Le palais du dieu de l'Hiver était démesurément grand, plus imposant encore que les demeures des rois de l'Olympe, Zeus et Héra. À l'image de son seigneur Borée, marbre et glace se mêlaient pour composer cette architecture unique. Stalactites et stalagmites, aussi longues que des espadons et effilées que les meilleures épées d'Héphaïstos, parsemaient tout l'édifice. Quatre tours quadrangulaires encadraient les courtines couronnées de mâchicoulis ; le cœur du palais s'élevait en une tour tubulaire, chamarrée de statues en marbre peint sur socle représentant le dieu du Vent du Nord et ses enfants. Un escalier translucide joignait presque la courtine nord à l'entrée au vestibule gargantuesque, flanqué toutes les trois marches de nouvelles statues de marbre ou de glace aux diverses effigies.
Ce qui impressionna le plus Daímôn ne fut, en réalité, pas vraiment l'architecture atypique du palais, mais plutôt les centaines d'archers et arbalétriers positionnés aussi bien sur le chemin de ronde du palais que sur la muraille. Ils visaient tous, cordes tendues et arbriers prêts à lâcher flèches et carreaux, les deux intrus à travers les meurtrières et les créneaux. Le fils de Kháos ne sentait nulle chaleur émaner de ce lieu, des soldats ou même de la femme de neige.
Au sol, d'autres soldats se présentaient, poitrail bombé, lesquels firent une révérence au passage de leur maîtresse. Munis de lames acérées ou de javelines, chaque pointe d'arme laissait échapper une très légère vapeur blanche.
Daímôn ne parvenait à voir l'intégralité de la muraille qui encerclait et protégeait le palais, ce qui le fit songer à l'immensité excessive de cet endroit. Comment n'avait-il pu le voir, même plongé dans la tempête de neige ?
— La forteresse est dissimulée par Borée, ce qui empêche quiconque de l'apercevoir comme bon lui simple, s'exclama la jeune femme d'une voix toujours aussi froide. L'emplacement doit être au préalable connu pour l'atteindre.
— Tu connaissais donc cet endroit, Athéna ? s'enquit Daímôn en ignorant superbement la guide.
L'Olympienne n'éclaircit pas ce point et resta muette.
— Ne tardons pas, continua la femme. Notre roi abhorre les étrangers en ces lieux. Plus vite l'échange aura été conclu, plus vite vous partirez.
— Est-il au fait de notre venue ? s'interrogea Daímôn, sourcils froncés.
Évidemment, l'inconnue ne répondit rien et pressa plutôt le pas vers l'escalier translucide. Les groupes de soldats se tournèrent, synchronisés aux mouvements des nouveaux venus, et les suivirent du regard, pointes présentées devant eux.
À mesure que Daímôn gravissait les marches, il observa plus attentivement les statues de glace. Elles lui semblaient terriblement réalistes, si bien qu'une idée abominable lui traversa l'esprit. Non ! C'est impossible, se résolut-il pour se rassurer. Mais cela ne cessa dès lors de le tourmenter. Il préféra détacher son regard des statues et pénétra enfin dans la tour ronde.
L'intérieur était aussi neutre, triste et froid que le désert de glace. Partout s'étalait une seule couleur : le blanc.
Sur les murs étaient accrochés des toiles cadrées d'or, croquant un homme ressemblant parfaitement au modèle des statues de glace parsemées sur la tour tubulaire. Un escalier hélicoïdal grimpait vers les appartements privés de Borée et de ses enfants. La seule lumière provenait de lanternes accrochées sur les parois d'où s'échappait une flamme lactescente et vive. Tapis, mobiliers et rambardes de l'escalier étaient aussi blancs que le marbre.
Daímôn se colla à Athéna et porta malgré lui son attention sur les effigies parcourant le pourtour intérieur de la tour. Elles étaient véritablement et incroyablement réalistes, représentaient aussi bien des hommes que des hybrides comme des satyres.
— Patientez ici, dit alors la jeune femme une fois au centre de la pièce. Je vais informer mon humble père que ses visiteurs l'attendent... avec impatience.
Elle s'élança aussitôt vers l'escalier et monta d'un pas léger.
(suite du chapitre 11 en suivant...)
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