ΓI - ἌΡΗΣ (partie 3)


Elle y avait été contrainte...

Plus tôt, Athéna était venue retrouver Mars dans son arène alors qu'il s'entraînait sur ses mannequins. Chaque fois que les hommes de paille étaient sectionnés par l'espadon du dieu-Guerrier, ils se reformaient d'eux-mêmes.

Athéna avait décidé de s'occuper elle-même de la requête d'Hécate, sachant fort bien qu'en réalité, la déesse de la Magie comptait sur elle pour s'assurer du soutien de Mars dans leur but commun. Il lui avait donc fallu adopter une stratégie, et trouver une bonne raison pour amadouer son antonyme guerrier.

Le boniment d'Athéna vaincrait toujours la vénalité d'Arès !

Ainsi, tandis qu'elle s'avançait vers son frère, Athéna prit son apparence romaine – qu'elle abhorrait pourtant. Les Romains avaient substitué l'Athéna grecque en une simple déesse de l'Artisanat et de la Sagesse, lui arrachant tout simplement sa souveraineté sur la Stratégie. Elle, qui pourtant était bien la plus sage et la plus analytique de toutes les déités, avait vu son frère, le bourreau sans cervelle, être octroyé de toute la régence sur l'art majestueux de la guerre. Depuis, Athéna – Minerve en latin – était irritée par les Romains. Mais pour convaincre le dieu-Guerrier de l'aider, elle devait ravaler son dégoût et jouer de sa « faiblesse guerrière » en tant que Minerve.

La déesse romaine avait pourtant fière allure dans sa longue tunique blanche à la ceinture sertie de diamants et de rubis. Elle ne portait jamais d'armure, car elle préférait l'appliquer uniquement pour Athéna.

Minerve s'approcha de son frère, tailladant en menus morceaux les mannequins qui reprirent leur forme initiale. Mars ne prêta nulle attention à Minerve et s'occupa plutôt de polir sa divine épée. La déesse de la Sagesse attendit néanmoins, placide, que son frère daignât lui accorder un regard.

— Que veux-tu, déesse de la Sagesse ? dit-il d'un ton dédaigneux.

Il n'était guère coutume que Mars et Minerve conversassent ainsi. La rivalité entre Athéna et Arès s'était perpétuée entre leurs homonymes romains.

Le dieu romain de la Guerre ne supportait l'idée que cette déesse, si dénuée de caractère guerrier, fît partie de la triade dite « capitoline » de Rome, aux côtés de Junon* et Jupiter, les homonymes romains respectifs d'Héra et de Zeus. Pis, cette triade avait fini par remplacer la « précapitoline », dont Mars faisait partie aux origines de Rome aux côtés de son père, Jupiter, et de Quirinus, son fils divinisé après sa mort.

Minerve, elle, ne supportait outre mesure la bêtise innée et l'imbécilité de son demi-frère, soumis à la force brute et la violence. Elle se demandait, à l'instar de Cupidon, comment Aphrodite-Vénus* d'une nature si raffinée, lascive et élégante, avait pu succomber au charme viril et antipathique de ce dieu, fût-il sous sa forme grecque ou romaine.

— Je viens quérir ton aide, dieu romain de la Guerre, dit-elle simplement.

— Ah ! rit Mars. Et pourquoi donc t'aiderais-je ? Crois-tu même que souhaiterais le faire ?! Tu rêves ! Peut-être n'es-tu pas aussi sage que tu le penses !

— Je te le demande de vive voix. Ce n'est guère rien, dieu-Guerrier. Je viens ici, dans ton arène obsolète. Un bel effort, que je ne réitérerai pas ! La situation l'exige, et je m'y plie !

Les deux immortels se toisaient férocement. Un seul clignement d'yeux aurait sûrement suffi à ce qu'ils se désintégrassent l'un l'autre. Il était pourtant prohibé de se faire la guerre entre dieux par le traité de Zeus-Jupiter.

— Allons, convaincs-moi, alors ! renchérit Mars en s'esclaffant. Comment ma barbaresque manière peut t'aider ?

— Je ne connais qu'une seule déité sur cette montagne assez terrible pour s'en prendre gratuitement à l'un des siens ayant tout juste l'apparence d'un gamin prêt à rejoindre une légion, dit Minerve en grimaçant.

— Merci du compliment !

Minerve compartimenta son amertume au plus profond d'elle-même et préféra parlementer plutôt que de l'insulter plus que de raison. Heureusement que son esprit était hermétique à Mars.

— Te souviens-tu de garçon au Conseil ? s'enquit-elle.

— Celui qui a mis une rouste à Père ? Bien sûr !

Minerve souffla.

— Brave gamin, fit Mars. Stupide, mais brave. Combattre ainsi Jupiter... Faut le faire, quand même !

— Il se battait contre Zeus, non Jupiter.

— Bah ! c'est du pareil au même ! Quoique Jupiter serait plus puissant, peut-être. Ce gosse a eu de la chance de ne pas être pulvérisé par le foudre.

— Au contraire ! C'est Zeus qui eut de la chance de ne pas être « pulvérisé » par Daímôn.

— Que veux-tu dire ?

Minerve afficha un discret rictus d'enjouement. Elle avait piqué la curiosité de Mars, son premier but. Il lui suffisait désormais de titiller son envie.

— Daímôn est le fils de Chaos, comme tu le sais ; mais il est celui qui préside les Éléments. Les formes qui régissent le monde, que nous offrîmes aux mortels, sont siennes, en quelque sorte.

— Tu plaisantes ? Pourquoi je ne me rappelle pas de lui ?

— Personne ne se souvient de lui. Artémis en a fait part lors du Conseil. N'écoutais-tu donc pas ?!

Mars grimaça : évidemment qu'il n'écoutait pas ! Les assemblées des Quatorze étaient si ennuyeuses...

— Personne n'en connaît la raison, poursuivit Minerve. Le problème est qu'avec la longévité de son coma, ainsi donc l'immobilisation de son énergie, il a perdu ses facultés. Il n'est que la carapace vide d'un Primordial. Il faut que nous l'aidions à recouvrer ses pouvoirs.

— Pour qu'il puisse nous tuer à sa guise ?! cracha Mars.

— Non, sourit Minerve. Pour que l'Équilibre soit restauré.

Sombre crétin ! manqua-t-elle ajouter.

— Arrête donc avec ces conn... ces aberrations, Minerve ! Tu as suffisamment bourré le crâne de tout le monde avec tes inepties et tes histoires à endormir un légionnaire !

Minerve ne répliqua pas à ceci : elle était bien trop habituée à l'idiotie volontaire – mais peut-être désormais devenue involontaire dans sa persistance – de ses confrères et consœurs immortels. Aucun n'avait cru en elle à l'époque, mais jamais ne s'en était-elle préoccupée. Ce n'était guère pour commencer aujourd'hui !

L'approche n'est pas la bonne !

— Je sais que tu t'ennuies, Mars, dit-elle, tandis que son demi-frère décapitait d'un coup d'épée enflammée le mannequin de paille le plus proche. Tu cherches un adversaire à ta taille, un duelliste aguerri qui te fera suer sang et eau, qui te contraindra à user de tes plus puissants pouvoirs. Tu en as assez des mortels. Oh, ils sont si peu combatifs aujourd'hui, avec leurs armes à feu et leurs gros blindés. Souviens-toi de l'ancienne ère : tu préfères le combat à la lame, à la lance et au bouclier, à la sueur du front.

Mars renifla bruyamment. Il ne pouvait contredire Minerve. Il avait bien en horreur la « simplicité » des combats de ce temps, bien qu'il admirât grandement la puissance dévastatrice de ces nouvelles armes technologiques. Il se remémora cette bombe qui avait fait des dizaines de milliers de morts au XXe siècle dans deux villes du Japon en quelques secondes seulement.

Mais c'était vrai : il préférait les antiques guerriers. Malgré l'amertume qu'il pouvait cultiver à leur égard, les légionnaires romains et leurs troupes étaient toujours prêts à se battre en son nom pour la victoire, noyant dans leur sillage les terres d'un torrent de sang ennemi et hérétique. Ils ne sont pourtant rien en comparaison des Spartiates ! songea-t-il. Ils étaient les meilleurs, les plus forts, les plus beaux, les plus féroces. La pitié n'existait pas ! C'était le bon vieux temps...

Il recherchait désormais l'adversaire qui le pousserait à ressentir de nouveau ces sentiments de l'époque : l'exaltation, l'extase et l'excitation du combat.

— Tu penses que ce gamin est le bon ? fit-il.

— J'en suis persuadée !

Mars étira un léger rictus.

C'était gagné, Minerve le savait parfaitement. Jouer avec les sentiments du dieu de la Guerre payait toujours, comme Vénus jouait avec la libido de son amant.

— Nous te retrouverons ici dans quelques minutes, dit-elle pour conclure. Il arrivera avec Cupidon. Hécate viendra également avec les Moires. Peut-être nous serviront-elles.

— Super..., maugréa Mars.

Minerve sourit et se dématérialisa, laissant son demi-frère retourner à ses mannequins de paille qui avaient bien la chance de ne ressentir la douleur ou la terreur face à l'espadon avide de sang.


(suite du chapitre 6 en suivant...)

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