Chapitre 6 : levier
Julien se réveilla. La première chose qu'il vit fut une sorte de mousse verte foncée. Que s'était-il passé ? Tout s'embrouillait dans sa tête. Il commença par se relever, mais dès qu'il fit un mouvement, une douleur lancinante le saisit au bras droit. Il replongea alors contre le sol, criait, se tordait de douleur en serrant son bras le plus fort possible.
-Julien...
La voix de Shaya venait de résonner dans l'immense nature effrayante de la nouvelle planète.
-Sha... Ya...
-Julien ? Tu es vivant ?
-J'ai... mal...
-Je sais... Mais il va falloir que tu m'aides à me sortir de là. Ta plaie va s'infecter si tu ne fais rien. Je suis coincée, Julien. Et je ne peux plus rien faire. Il faut que tu m'aides à sortir, sans quoi nous sommes perdus...
Le jeune homme se redressa avec douleur, puis contempla son amie elle aussi allongée sur le sol.
-Que... que... Oh ! Bon sang ! La balise ! Elle... elle...
-Nous l'avons perdue. Mais avant de la retrouver, il nous faut essayer de... de survivre.
-Oui... Mais j'aurais jamais la force de te sortir de là, avec mon bras...
-Il... il faut essayer...
Les larmes commençaient à couler sur le visage de la jeune femme, habituellement insensible et sûre d'elle.
-Si on ne peut pas... on est mort, Julien, on doit essayer...
Pour toute réponse, le jeune garçon attendit quelques secondes, puis poussa le rocher de toutes ses forces, sans le faire bouger d'un millimètre. Il relâcha l'effort, essoufflé, puis gémit :
-J'y arriverais jamais... Même sans blessure, je ne suis pas assez fort...
Shaya ouvrit de grands yeux terrifiés. Elle se redressa tout ce qu'elle pouvait et poussa le rocher de toutes ses forces, sans non plus le faire bouger. Des larmes perlaient aux coins de ses yeux, et, à bout de force, elle posa son front contre le rocher, pleurant à chaudes larmes, et frappa la pierre de son poing droit.
Elle se laissa ensuite retomber en arrière, visiblement vaincue par la peur et la faiblesse.
-Bon, essaya Julien. On ne peut pas le pousser par la force. En tout cas, pas directement.
La jeune femme, intéressée par son résonnement, releva la tête et l'écouta avec attention.
-Alors. Il faudrait amplifier notre force... avec des rochers... ce qu'il nous faut, c'est...
Les deux adolescents sourirent en même temps, prirent une grande bouffée d'air au passage, puis s'écrièrent, en même temps :
-Un levier !
Xiaoyu releva la tête. À quoi bon pleurer, quand cela ne fait qu'amplifier nos chances de mourir ? Elle se leva, sécha ses larmes, et avança d'un pas décidé vers l'est, balise à la main. Elle marchait lentement, un pied après l'autre, respirant en rythme, faisant le vide dans ses pensées, pour avancer sans réfléchir, calmement, avec sérénité.
Elle fut tirée de son semi-sommeil par un énième bip, lui indiquant qu'elle avait atteint l'endroit où poser sa balise. Elle posa le précieux émetteur par terre, puis s'écarta un peu et saisit son émetteur-récepteur. Elle actionna l'image, puis choisit le destinataire. Un visage noir entouré d'épais cheveux apparut à l'écran.
-Xiaoyu ?
-Khadija, j'ai posé la balise, qu'en est-il de ton cas ?
-J'y suis presque, il doit me manquer un kilomètre tout au plus.
-Super. Shaya et Julien ont des problèmes...
-Ah bon ? J'espère que ça n'est pas grave...
-Shaya ne m'a pas parlé longtemps, mais ça en avait tout l'air. Elle avait même parlé de mourir...
-De mourir ?
-Oui ! Elle m'a dit de ne pas nous en faire et de finir la mission, qu'elle n'avait plus le contact avec le vaisseau et que Julien était blessé... et qu'elle avait perdu la balise.
-Mais c'est impossible ! Que va-t-on faire ?
-Nous allons communiquer ses problèmes au vaisseau et tenter de l'aider à travers nos émetteurs-récepteurs... On ne peut pas la rejoindre, elle est bien trop loin. Si elle était en train d'agoniser, elle est déjà morte à l'heure actuelle. Sinon, elle s'en est sortie.
-Tu es sûre qu'on pourra l'aider ?
-Non, mais on va faire notre possible d'ici, car on ne peut faire plus. Transmets mon message à Stéphane, s'il te plaît.
La communication s'interrompit.
La jeune femme s'adossa contre une tige et prit sa tête dans ses mains. Que ferait-elle si ses deux amis mourraient ? S'ils ne posaient pas la balise et que le vaisseau ne pouvait atterrir et dérivait ? S'ils restaient seuls sur cette maudite planète...
Lassée de se lamenter intérieurement, elle ressortit son émetteur-récepteur et contacta le vaisseau.
-Bonjour, ici Xiaoyu, sur la planète Kepler-62 e. Vous me recevez ?
-Bon, alors, que nous faut-il ? Demanda Julien en regardant autour de lui, tenant fermement son bras.
-Une pierre pas très large mais assez haute, qui tienne bien droit, lui répondit Shaya.
Le jeune homme chercha un instant avant de s'emparer d'un rocher qui correspondait à peu près à la description de son amie.
-Celle-là ?
-Ouais, ça ira.
Il la posa près de la jeune fille.
-Maintenant, il te faut une grande, très grande, pierre plate. Il faut vraiment qu'elle soit longue et un minimum solide.
-D'accord...
Il chercha un instant autour de lui et repéra finalement une pierre très longue et assez plate... Comme si tout avait été préparé à l'avance !
-Bon, continua la jeune fille, maintenant tu places la grande pierre sur la petite, et tu la place, non ! La grande, pas la petite ! Bon, tu la places sous le rocher.
-Mais je peux pas la placer sous le rocher, je te rappelles qu'on arrive pas à le soulever !
-Tu es pas obligé d'être méchant, je te parle gentiment, pour une fois, tu pourrais faire de même ! Bon... eh bah... essayes quand même.
Julien s'avança vers l'imposante roche et tenta de la soulever pour insérer la pierre plate en dessous. C'est à peine si le rocher bougea d'un millimètre.
-J'y arriverais jamais !
-Réessayes ! Je t'aide.
Les deux adolescents tentèrent tous deux de soulever la lourde pierre. Ils réussirent à la rehausser d'un centimètre environ. Julien poussa alors la pierre plate du pied pour la glisser en dessous. Ils lâchèrent ensuite l'énorme rocher qui retomba sur la longue pierre en un bruit assourdissant.
-Bon, commença Julien, maintenant...
-Tu essayes de soulever le rocher en sautant sur la pierre plate. Et si tu penses que ton poids ne suffira pas, alors prend les pierres éparpillées un peu partout et poses-les une à une sur la longue pierre sans les faire tomber.
-D'accord...
Optant pour la seconde solution, le jeune homme prit deux pierres de taille moyenne et les disposa sur la longue plate.
-De toute façon, fit-il en haussant les épaules, j'arriverais jamais à sauter avec cette foutue pesanteur !
-Ah... Bah c'est sûr que notre poids à bien augmenté et qu'on a l'impression d'encore porter la combinaison...
Le jeune homme retourna chercher d'autres pierres. Shaya sentit le rocher peser un peu moins lourd sur ses jambes endolories. Il revint avec deux autres et les posa sur les premières.
-Ça marche, Julien. Je sens mes jambes un peu moins écrasées.
-J'espère que tu pourras marcher...
-T'en fais pas, si je peux sortir d'ici, je me débrouillerais.
Après une dizaine de roches entreposées sur le levier, Julien commençait à voir les jambes de Shaya.
-On y est presque, soupira cette dernière.
-Je me dépêche...
Suivant ses paroles, le jeune homme ramassa les pierres, toujours deux par deux, un peu plus vite, montrant explicitement qu'il souhaitait accélérer pour libérer son amie de sa prison de pierre.
Arrivé au levier, qui s'éloignait de plus en plus de pierres qu'il ramassait, il se dépêcha de poser les roches et s'appuya dessus pour souffler, fatigué. À sa grande surprise, la grande pierre sur laquelle il était appuyé sur baissa sous son poids. Le levier venait de s'actionner, beaucoup plus fortement qu'avant, soulevant l'immense rocher et permettant à Shaya de dégager sa première jambe.
Elle était empourprée par une petite blessure, probablement causée par la chute du rocher. Le jeune femme massa sa jambe endolorie, puis tenta de dégager son autre membre.
-Il faut que tu soulèves plus, l'autre jambe est encore coincée ! S'écria-t-elle.
Julien ne répondit pas et se contenta d'appuyer plus fort sur le levier.
Le rocher se souleva plus et Shaya commença à retirer lentement sa jambe, pour ne pas s'écorcher.
Julien appuyait le plus fort possible sur le levier, soulevant efficacement la pierre, quand la douleur de son bras droit le reprit. Sa force se déséquilibra et les roches disposées sur le levier tombèrent soudainement sur la terre.
Le rocher retomba d'un coup, écrasant la cheville de Shaya, qui hurla sous la douleur.
Une marre de sang l'entourait et la jeune fille était allongée sur la terre humide, respirant péniblement, sanglotant, s'époumonant, contorsionnée en arrière, ses mains arrachant des mottes de terres pour supporter sa douleur.
Julien se leva d'un bond.
-Shaya ! Hurla-t-il.
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