6 - Havre - Partie 2


Taryn Harbridge et son hymne celtique accompagne la lecture de ce chapitre

Précédemment dans Kentan 2 :

Gwen Chton s'est réveillé à l'hôpital de Riedones, où une infirmière s'empresse de le désintuber après une opération d'urgence et un cauchemar terrifiant. Pendant ce temps, les Ombres, sous les ordres de Romina, incendient le Manoir du Houx avant de se disperser. Romina part vers Saint-Malo avec son chauffeur Fabian, Guillery, Alice et Damien. Harmbudd, policier britannique arrive à Riedones, accueilli par Élisabeth Lassange. Ils se dirigent vers l'hôpital pour voir les rescapés de l'attaque, quand ils sont contactés par Gerald Flame à Londres, qui rouvre une affaire non résolue des années 90, impliquant les Ombres. Seul un témoin pourrait dévoiler des secrets, mais celui-ci est en France. Il s'agit de Joshua Prime, le président de la Compagnie. Guilwen et Joshua découvrent à Paimpont que les Veilleurs ont été massacrés par Romina et ses sbires. Un message crypté signé par un certain Collecteur apparaît sur un écran, ajoutant une nouvelle couche de mystère. Dans la nuit, Ellen fait une rencontre étrange avec un faune et un korrigan qui l'observent en silence. Les Lavandières, quant à elles, sont alertées du retour du Collecteur, une menace pour leur dieu. La fée Margot, lors d'une fête en l'honneur de Cernunnos, est avertie par une Lavandière de la présence du Collecteur et lui propose une alliance possible avec les Ombres. Mais, fidèle à son camp, Margot refuse et envoie la Lavandière dans l'au-delà. Cernunnos se retrouve à nouveau enfermé à Karc'har, prison magique créé par les anciens dieux. À Saint-Malo, Damien est plus malade que jamais. Romina et son groupe embarquent pour Jersey, où, grâce à une incantation, ils ressuscitent le corsaire breton du 15ème siècle Jehan Coetanlem.


Toujours choqués par la découverte de leurs camarades et amis décimés par les Ombres, Joshua et Guilwen roulaient sur la voie rapide en direction de Riedones. Ils avaient contacté le siège de la Compagnie, à Dunnottar, et avaient missionné les Poings des Cornouailles afin de venir jusqu'en Brocéliande organiser des funérailles dignes pour la quarantaine de Veilleurs tombés. Les autres membres vivant aux quatre coins de la région avaient été informés du massacre, mais avaient reçu l'ordre de tenir leurs postes. Car le danger était plus que jamais présent et les Femmes et Hommes de Bien étaient de moins en moins nombreux.

— Les Ombres n'ont jamais été aussi violents et déterminés, affirma Joshua en rompant le silence.

— Sauf quand ils sont certains d'avoir trouvé le Kentan. Je peux le sentir, Jo, il est là.

— Oui mais lequel ?

— Ou laquelle ... Quand nous serons arrivés à l'hôpital, je vais ressortir mes vieux bouquins, peut-être qu'ils pourront nous aider.

Joshua souffla et repensa aux expressions de terreur imprimées sur les visages des victimes de Romina. Il soupçonna une participation du brigand Guillery dans ces assassinats brutaux.

— Je me souviens d'eux lorsqu'ils étaient tous venus à mon intronisation. J'ai l'impression que c'était hier.

— Pour moi et ma trop longue vie, renchérit Guilwen, c'était hier.

***


2020

Les convives étaient venus de tous les continents pour assister à la double cérémonie qui avait lieu ce jour là à Dunnottar, sur les falaises de Stonehaven. Les funérailles de la précédente Présidente marquaient en même temps le début du mandat de Joshua à la tête de la Compagnie pour la recherche historique et de fonds anciens d'Europe de l'ouest ; une image de façade pour cacher des activités plus secrètes, occultes et anciennes. La principale d'entre elles était de trouver et protéger l'élu. Le nouveau Président avait presque fait l'unanimité, élu démocratiquement selon les volontés humanistes des premiers Hommes de Bien, contrairement aux luttes de pouvoir et à la violence qui gangrenaient l'Ordre des Ombres. 

Chaque division locale, présente en ce milieu de journée sur la côte écossaise, avait participé à ce choix, ainsi que celles et ceux appelés les Émissaires. Ces derniers étaient chargés d'infiltrer des institutions religieuses, politiques, militaires et autres, à travers le monde, afin de protéger et d'assurer la pérennité des actions de la Compagnie. Elisabeth, qui surveillait l'enquête suite à l'attaque du lycée de Brecheliant, en faisait partie.

Elle entonnait une chanson cérémonielle dans un dialecte gallois oublié depuis des siècles, alors que son compagnon s'avançait entre les rangées d'invités jusqu'à un cercueil ouvert et entièrement blanc, entre les ruines du chateau et l'escarpement. Des tambours se mirent à être frappés par de grands hommes vêtus de capes vertes. Les convives se joignirent au chant, puis vinrent les cornemuses. La solennité et l'unité de ce moment firent monter les larmes à bon nombre de participants.

Suivant la tradition, Joshua se pencha sur le visage de sa préceptrice, que le maquillage mortuaire faisait passer pour endormie, et déposa un léger baiser sur son front. Il se redressa, se retourna vers l'assemblée et tendit sa main gauche. Un enfant accourut vers lui et déposa un flacon de verre dans sa paume. Le Président retira le bouchon et s'adressa à ses adeptes.

— La terre de la Vallée accompagnera ton voyage, prélevée du lieu originel du Grand Schisme, rejoins notre père le Duc Gurvant et obtiens le salut éternel à Sidh.

Il versa le contenu de la fiole sur la poitrine de la défunte et tendit, cette fois, sa main droite. Une personne, dont la longue chevelure rousse recouvrait le visage, s'approcha de lui et lui confia un branchage feuillu.

— Le lierre symbolise la vitalité de la Compagnie et l'énergie que tu retrouveras dans l'au-delà. Tu meurs là où il t'attache, tu te réveilles là où il te libère.

Il enroula alors la plante autour des mains jointes de sa prédécesseure, avant de laisser sa place aux porteurs cagoulés qui scellèrent le cercueil et le déposèrent en équilibre au bord du précipice. Joshua posa une main sur le bois blanc alors que tout le monde se leva pour saluer l'ultime départ. Guilwen, resté tout au fond, retint son souffle en regardant son ami pousser le tombeau de toutes ses forces. Celui-ci quitta la falaise, chuta dans toucher la roche, et heurta l'eau. Il s'immergea quelques secondes avant de remonter à la surface. Alors que des vagues se créèrent mystérieusement, berçant le cercueil vers l'immensité, les percussionnistes interrompirent leur rythme. Plusieurs minutes de silence se succédèrent jusqu'à ce qu'il disparaisse de la vue de tous, emporté au loin sur les flots.

Quand il fut prêt, Joshua prononça son discours d'intronisation et ouvrit comme il se doit la fête en son honneur. Chaque branche de la Compagnie se produisit, jouant quelques musiques et chansons, et ainsi suivi un grand banquet autour de longues tablées, jusqu'au milieu de la nuit. Des artistes, cracheurs de feu, magiciennes et danses celtiques animèrent les dernières heures de festivité jusqu'à que chacun quitte le sanctuaire calédonien de Dunnottar.


***

La messe venait de se terminer en l'église de Brecheliant et le prêtre avait tenu à dire quelques mots pour les victimes de la prise d'otage du lycée, et avait incité à une prière pour les camarades de Sacha encore hospitalisés dans la grande ville. Le jeune blond sortait de l'édifice avec sa mère, lorsqu'il ne put s'empêcher une remarque provocatrice.

— Il avait l'air tellement convaincu de ce qu'il racontait, alors que la Bible ne mentionne même pas l'Ankou et les autres.

— Arrête avec tes bêtises, le réprimanda Mina en lui lança un regard noir.

— Je sais ce que j'ai vu, marmonna le lycéen.

— Tu ne vas certainement pas me faire honte ici, comme hier avec ces gendarmes. On aurait dit que tu délirais ... leur raconter des sornettes pareilles sur la mort de ton ami alors qu'il est dans une chambre d'hôpital. J'ai ressenti tellement d'embarras, tu sais qu'ils connaissent ton père ? Est-ce que ce garçon t'a fait prendre de la drogue ? Je n'ai jamais aimé cette famille, les Chton, tu vas t'en éloigner, je te le dis.

— N'importe quoi ! J'ai pas menti, j'étais ...

— Chut, silence ! Oh bonjour Alan, comment allez-vous ? Nous venons d'appeler la bonté du Seigneur pour votre fils, ce pauvre malheureux.

Le père de Gwen venait de se retrouver face aux Gautier en tournant à l'angle d'une rue. Il sembla décontenancé par cette rencontre fortuite.

— Ah euh ... Merci, oui, bonjour Mina, salut Sacha.

Le jeune homme sourit au quadragénaire en réponse.

— Je m'apprêtais à récupérer ma femme et ma fille pour aller voir Gwen, vous comptez y aller aussi, peut-être ?

— Non, répondit Mina dans la foulée. Nous avons beaucoup de choses à faire et ce serait bien que ...

— Je peux y aller avec vous ? supplia le blondinet. Je voudrais aller les voir, maman.

La mère accepta non sans certaines exigences. Sur la route en direction de la ville, il y eut peu de discussions. Sacha avait déjà raconté sa version de l'histoire et personne dans le foyer de son meilleur ami n'osait lui poser plus de questions. Arrivés à l'hôpital des Jetins, ils montèrent dans les chambres et saluèrent d'autres parents d'élèves, venus de Brocéliande. Ainsi, ils virent entre autres connaissances Florence Delage, la mère d' Elsa, les écossais Craig et Isla Swan autour de leur fille Ellen et la famille d'accueil de Louis Dumarquis. En marchant dans le couloir, Sacha se fit la réflexion qu'il avait du mal à supporter l'odeur et se demanda pourquoi il était si facilement reconnaissable de sentir que l'on était dans un hôpital. Il se rendit avec ses amis dans une salle commune à toute l'aile du bâtiment, laissant Gwen avec ses proches. Après avoir longuement discuté, et presque soulagées, Melyna et sa fille laissèrent Alan seul en compagnie du jeune brun.

— Il y a quelque chose que je dois t'avouer, commença le père en baissant la tête. Je crois que je te dois une explication.

Intrigué, le garçon se redressa tant mieux que mal dans son lit médicalisé. Il prit la main que son paternel lui tendait.

— Tu es un Chton. Et de ce fait, tu en tires tout un héritage dont je n'ai jamais parlé. Comme tu le sais déjà, notre famille est en Bretagne depuis très longtemps, vraiment très longtemps. Ma grande tante disait même qu'on descendait directement de ceux qui ont migré du sud de l'Angleterre jusqu'ici, il y a des siècles et des siècles. Ils ont amené une chose avec eux, en traversant la mer. Des croyances, des pratiques, ce genre de choses, tu vois ?

Gwen fronçait légèrement les sourcils, restant cependant silencieux.

— Chton, c'est un mot ancien. Ca signifie que nos ancêtres croyaient en d'anciennes figures, surtout une. Un ancien dieu, un très vieux culte. Je pensais qu'il avait même été oublié parce que plus personne n'en parle, et nous-même désormais, nous ne sommes pas adeptes d'une religion. Tu comprends ?

— Pas trop, non. Où tu veux en venir ?

— Ton ami, Sacha, je l'ai beaucoup entendu parler de ce qui vous est arrivé. En plus, la police et les médias parlent d'une sorte de secte. Je trouve que ça ressemble beaucoup à ce qui se racontait dans ma famille.

Gwen écarquilla les yeux et fixa ceux de son père, dans lesquels il vit une peur.

— Attention, je ne dis pas que j'y crois, c'est de la folie. Mais fais attention à toi. Ne creuse pas là où il ne faut pas, d'accord ? Notre héritage ne justifie pas que je te perde. Promets moi que tu ne vas pas chercher les ennuis.

Le jeune homme, perplexe, passa une main sur la plaie qu'il portait sous l'œil droit, et fixa Alan.

— Je te le promets.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top