1 - Bouteilles à la Mer

Ce chapitre vous  est présenté par Denez Prigent Gortoz a ran

« Je suis Ellen Swan et demain, je mettrai en jeu notre destin.

En tentant de trouver l'Œil et la Houle.

Nous sommes au lendemain de l'attaque des Ombres à Brocéliande. Personne n'est à l'abri. Je ne sais même pas pourquoi je laisse cette lettre. En fait, j'espère ne pas décevoir mes parents, ni ma petite sœur chérie. Mais nous ne pouvons pas rester à attendre sagement dans nos lits. Ils vont forcément venir nous trouver. C'est sûr.

Je n'arrive plus à sentir Margot. J'ai tenté de "l'appeler" plusieurs fois, mais quelque chose empêche notre connexion. Je réessaierai bientôt, en espérant enfin réussir à la contacter. Je suis certaine qu'elle aurait une explication aux étranges messages que nous recevons depuis notre arrivée à l'hôpital de Riedones.

Peut-être que le Livre du Cerf nous serait utile, mais je ne peux pas aller le déterrer. C'est trop risqué. Je sens chaque jour monter en moi une rage, en même temps qu'une chaleur indescriptible. Elsa croit que nous sommes en train de développer des capacités. Pourtant, je ne pense pas être le Kentan. En tout cas, je ne le veux pas. Vraiment pas.

Cet individu, cette cible, ce monstre. Qu'importe comment vous voulez le définir, il reste constamment sous la menace. Et au-delà de la peur de souffrir et de voir venir approcher ma mort, j'angoisse d'autant plus pour celle de mes amis.

Guillaume Guillery est en vie, et ce n'est pas normal. Je sais qui il est, et ça me hante. Je le vois chaque nuit que je passe dans cette chambre d'hôpital, dans mes cauchemars. Cette brute n'hésiterai pas une seule seconde à tous nous massacrer s'il n'était pas un minimum contrôlé par les Ombres. Je suis persuadée qu'ils ont réussi à se relever de leur défaite bien méritée à la cité scolaire. Mais vous qui lisez ma lettre, j'espère que vous faites tout ce qui est en votre pouvoir pour les empêcher de nous faire à nouveau du mal. Aidez-nous, par pitié.

Sinon, ce sera la fin.

Car il n'y pas que cette organisation de fous à fuir, mais tous les Êtres de la Forêt. Ils n'attendent qu'une chose, être libérés de leurs chaînes pour envahir notre monde. Je l'ai bien compris avec Margot. Même si je dois l'avouer, j'ai besoin d'elle autant qu'elle a besoin du Kentan, je ne peux pas me voiler la face. Cette fée est un danger pour les humains. Et en même temps, elle a raison. Si nous réussissons à nous en sortir, je me promets de tout faire pour améliorer la situation, faire ouvrir les yeux aux hommes, préserver les royaumes cachés et la nature qui l'entoure.

Je ne connais pas très bien les lieux où nous avons prévu d'aller pour résoudre l'énigme du Collecteur, mais je fais confiance aux autres. L'Écosse me manque tellement, c'est aussi pour y retourner que je suis déterminée à en finir avec cette histoire de dingues.

La nuit dernière, j'ai revu Nicolas, le sang foncé qui coulait de son nez, la tête en arrière sur la chaise en bois. Je me demande comment réagissent les gens à Brocéliande, en ce moment. Je ne sais même pas si la grande fête annuelle a finalement eu lieu, malgré la tragédie. Avant, j'adorais danser aux sons des cornemuses de la Folle Fête. Maintenant, j'ai l'impression d'avoir un vide en moi que je dois combler. Et je pense savoir comment, car j'ai soif de justice. Je sens qu'en écrivant ces mots, j'ai gagné en maturité.

Toutes les questions restées en suspens trouveront bientôt leurs réponses, cachées sur les terres émergées du Ponant. Si nous ne revenons pas sur la terre ferme, ce texte servira d'adieu. A tous ceux que j'aime, ne vous en faites pas. Je sais que ce n'est pas définitif. Je le sens.

Je joins à cette lettre un témoignage de Jehan Coatanlem, un membre des Ombres du XVème siècle, consigné en vieux français dans le Livre du Cerf par un moine copiste. Je l'ai trouvé sur une table de chevet, dans ma chambre d'hôpital. Quelqu'un a dû la déposer là, mais je ne sais pas qui. Peut-être le Collecteur ?

J'y ajoute aussi une sorte de brouillon d'un discours qui a été posé sous l'oreiller de Camille. Je n'ai pas bien compris d'où ça venait, mais il s'agit de quelqu'un qui a promis de nous aider. Peut-être que ces éléments pourront vous aider. Pour nous aider.

Surtout, je vous en prie, n'oubliez pas : Demain est une autre nuit. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux pas écrire cette phrase sous sa véritable forme. Si vous ne le connaissez pas encore, vous devrez chercher son sens.

Tic-tac.

Ellen Swan,

le 02 Novembre »

***

« Dernière journée en mer.

À bord du Veñjer, mon bijou de deux-cent tonneaux, fléau de la mer celtique, nous flottons sur le chenal entre les Galles et le Somerset. Les lumières de Cardiff ondulent sur les douces vagues. Nous sommes près de notre destination. Bristol, aux armoiries de licornes, ennemie de mon cher pays du Leon. Il y a peu que les armateurs de cette cité sont venus à travers la mer pour m'attaquer en personne, mécontents de mes aptitudes à repousser ces vauriens de contrebandiers en baie de Morlaix. Jusqu'à ce jour, je suis resté fidèle au Roy de France, mais des rumeurs attirent mon attention vers les contrées britanniques.

J'y vais, avec mon escadre, pour venger la cité corsaire, bien entendu, mais aussi pour y percer les secrets des anciens peuples. Je ne reviendrai peut-être pas, mes compagnons non plus, si nous y trouvons la gloire, la richesse ou bien la vie éternelle, comme l'ont promis les contes. J'y creuserai dans la lande des Cornouailles, questionnerai les gallois, nagerai dans les eaux sacrées de la mer d'Irlande. Et mon allégeance ira à ceux qui m'y conduiront. Je n'ai point peur de devenir païen. Quelque divinité qui soit au-dessus de ma tête aux cheveux balayés par les vents du nord, je sais qu'elle nous protège, mon bateau et moi.

Protecteur des duchés du nord en Armorique pour certains, terrassier infernal pour d'autres. Je serai chtonien, sombre et punisseur de mes ennemis.

Bristol approche. Son sac commence bientôt. Ses notables connaîtront ma fureur et l'on en parlera des siècles durant. Des érudits conteront encore mes exploits dans plus de cinq cent ans.

N'oubliez pas le grand Coatanlem. Lui ne vous oublie pas.

Jehan, voguant sur les flots de l'infini, fils des cités corsaires.

la mi 1484 »

***

Discours d'intronisation de Joshua Prime, Président de la Compagnie, Défenseur du Kentan

le 17 Mars 2020

Chers Femmes et Hommes de Bien,

C'est avec une immense fierté que je me tiens aujourd'hui devant vous tous. Ici, à Dunnottar, après avoir chanté notre résistance puis dansé dans vos rang, et avant de dîner sur nos bancs, je prête serment. Je suis heureux de voir réunis sous ces ruines emblématiques tous les clans de la Compagnie.

Adorateurs des Lochs, Prieurs des Îles du Nord, Veilleurs de Bretagne, Poings des Cornouailles, Émeraudes d'Irlande, Mineurs de Galles, Hommes de Man, Envers de Nouvelle-Zélande, Marins de Nouvelle-Écosse, Cymrus de Chubut et Guetteurs des Channel Islands. Merci d'être présents. Nous devons rester soudés dans notre foi et notre combat. Et bien sûr, je n'oublie pas les Ailes Blanches de Londres. Celles et ceux qui ont payé un lourd tribut il y a une vingtaine d'années. Ces héros qui m'ont recueillis, qui ont fait de moi l'homme passionné que je suis désormais. Je le sais, ni moi ni vous ne cachons ce fait, je fais partie de la Compagnie depuis moins longtemps que beaucoup d'entre vous. Cependant, j'espère avoir mérité ce nouveau rôle au sein de notre organisation. Je compte honorer ce poste de Président de la Compagnie. Je sais aussi que certains des précédents chefs de cet ordre ont rompu leur serment. L'un d'entre eux vous a même trahi et rejoint l'ennemi. Mais ce ne sera pas mon cas.

Ne croyez pas que le camp adverse s'est assagi ou s'est endormi. Je suis persuadé que ce n'est pas le cas. Nous devons rester alertes et protéger d'éventuelles cibles. Il est grand temps de moderniser chacun de vos quartiers généraux, tout en conservant les pratiques anciennes. C'est pourquoi j'aimerai créer un nouveau programme de recrutement. Un peu de sang neuf parmi nous ferait le plus grand bien. Cherchez parmi les étudiants en Histoire, les passionnés des rites anciens, la jeunesse qui veut sortir du lot. Car nous courrons à notre perte si nous restons dans l'entre-soi, au fond de nos manoirs poussiéreux.

Il n'y a pas eu d'affrontements depuis la fin des années quatre-vingt-dix. C'est pourquoi je sens que de nouveaux évènements surviendront bientôt. Restez vigilants mes amis, chers compagnons, femmes et hommes agissant pour le bien. Notre dieu veille sur nous, et pas sur ces psychopathes abjectes qui nous mènent la vie dure. Mais je sais que vous avez maintenant très faim et que vous souhaitez admirer le coucher du soleil depuis les falaises. Vous l'avez mérité.

 Que Cernunnos réchauffe vos âmes.

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