4 - Tocsin
— Tu es bien Sacha Gautier ?
— Oui, c'est moi.
— Je peux t'appeler Sacha ?
— Oui monsieur.
La scène était plutôt atypique. Deux hommes adultes, l'un assis devant une petite table grise, l'autre se tenant debout à ses côtés, faisaient face à un adolescent visiblement terrifié. Ses yeux bleus étaient embués, le teint encore plus pâle que d'ordinaire, et ses bouclettes blondes se dressaient désormais. Des marques sur le bord des manches de son polo jaune laissaient deviner qu'il s'était rapidement essuyé quelques larmes. Il avait posé une main tremblante sur le métal froid de la table. L'aspect déstabilisant de la scène était que ces deux hommes étaient présents pour interroger le plus jeune, mais que ce dernier n'était ni délinquant, ni dangereux, mais bel et bien une victime. L'adulte assis, le plus âgé des trois individus, essayait de minimiser la situation en parlant doucement et souriant de temps à autre au garçon. Le procureur Arnold Geschwinger avait en effet décidé de particulièrement s'investir. Une mise en avant qui était en fait un ordre direct du Ministère de l'Intérieur. Mais cela, il ne le dit pas au commissaire Gauvin.
— Écoute Sacha, enchaîna le magistrat. Nous on est pas les méchants, d'accord ? Si nous t'interrogeons ici, c'est juste parce que nous respectons le protocole, mais le commissaire et moi-même comprenons que tu sois intimidé. Rassure-toi, ta mère est dans la pièce d'à-côté. Si tu le souhaites, elle peut venir s'asseoir avec toi ici.
Le garçon répondit négativement en hochant la tête.
— D'accord. Tu n'es pas gravement blessé, donc tu n'es pas gardé à l'hôpital avec les autres, c'est pourquoi tu peux être auditionné au poste.
— Je comprends.
— Bien. Commissaire, je vous laisse poursuivre ?
— Oui merci, monsieur le procureur.
L'homme s'approcha de la table, fixa le jeune homme, puis reprit :
— Pour commencer, j'aimerais savoir où tu étais le 3 octobre ? Je te demande ça parce que, d'après plusieurs témoignages, les Ombres ont été vus pour la première fois dans les environs à cette date. Et l'administration de ton lycée nous a affirmé que tu n'étais pas présent ce matin-là, n'est-ce pas ?
— C'est vrai oui. Gwen et moi, on avait appris que notre professeure de chimie était absente et, du coup, on a été se promener dans la forêt. On n'avait pas de cours avant le début d'après-midi J'ai le permis de conduire depuis cet été et on aime bien se poser dans certains endroits de la forêt.
— Où étiez-vous ?
— C'est un endroit plutôt joli, près d'un vieux truc mégalithique qui s'appelle l'Hotié de Viviane.
Après une légère hésitation et un haussement de sourcils, Sacha continua :
— Vous devez connaître, monsieur ? Bref, si on passe la lande et que l'on s'aventure un peu dans le bois, on tombe sur des rochers en hauteur. De là, il y a une magnifique vue sur les collines et les champs.
— Je vois, oui. Mais ce n'est pas tout près du lycée.
— Oui mais j'aime bien ... C'est sympa et là on oublie un peu nos soucis.
— Quel genre de soucis ?
— Juste ... des petits trucs de lycéens. Et puis, vous le savez déjà sûrement, sa petite amie est morte il y a quelques mois. Donc je veux pas le laisser tout seul à se morfondre. Et quand-même, j'aime être avec lui. Mais après on est revenus pour manger, le midi !
— Oui, nous le savons.
— On avait entendu les cloches d'une des églises du coin et ça nous a surpris. Elles résonnent dans toute la vallée. Du coup, on s'est dépêché de revenir au lycée.
Sacha s'essuya une énième fois les yeux en se remémorant cet instant de quiétude passé avec son ami.
***
— Oh merde, les cloches sonnent ! J'avais pas vu l'heure, il faut qu'on rentre, Sacha !
— Ouais ... j'ai pas trop envie. Après les cours j'aime vraiment pas rentrer chez moi.
— Moi non plus. Mais bon, on a pas le choix là ! C'est le tocsin qui va sonner, si on arrive pas à temps au self !
— C'est quoi ce truc, un tocsin ? demanda Sacha Gautier.
— C'est quand les cloches des églises sonnent pour annoncer une catastrophe, répondit Gwen Chton.
— Je savais pas. Quelle culture ! répliqua Sacha, en faisant mine d'être impressionné. Pourtant je devrais le savoir, avec tous ces machins cathos dont mes parents me bourrent le crâne.
***
— Vous êtes proches, toi et Gwen, non ?
— Oui, c'est mon meilleur ami. On se connaît et on se soutient depuis longtemps.
— Je suis désolé Sacha, je ne comprends toujours pas quelque chose ! intervint le Procureur. Si vous êtes si proches, pourquoi n'as-tu pas cherché à le retrouver quand il s'est échappé du lycée, ce jour-là ? Tu en avais la possibilité.
Il sembla perdu dans ses pensées, mais reprit :
— A un moment, tu as pu toi aussi sortir de là. Tu as été récupéré par les soldats postés autour de l'enceinte, mais tu leur as dit vouloir rentrer chez toi. Je comprends cela. Néanmoins, tu ne leur as pas dit que l'un d'entre vous avait réussi à s'enfuir. C'était une information qui aurait pu être essentielle, tu ne crois pas ?
— Oui, de votre point de vue, je pense.
— Mais pas du tien ?
— Je pensais qu'il était mort.
— Comment ? s'étonnèrent les deux hommes en cœur.
— C'était Maeve. Maeve LeMoal lui avait tiré dessus. Je croyais qu'ils avaient emmené son corps ailleurs. On l'a plus revu, jusqu'à ce que je le retrouve à l'hôpital.
Il reprit son souffle très lentement et ajouta, les yeux écarquillés :
— En vie !
Image en haut de page : Sacha Gautier, sur heroforge.com
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