24 - Coda

Guilwen, l'immortel, et Joshua, le Président de la Compagnie, avaient atterri dans la soirée à Riedones. Après avoir loué une voiture à l'aéroport, ils avaient filé vers le sud du département pour rejoindre Brocéliande. Les membres du dispatch de la Compagnie, à Dunnottar, les avaient contactés pour les prévenir d'une missive qu'ils avaient reçue de la part d'un informateur breton. Mais quand le binôme arriva en lisière de forêt, à Benion, l'armée était déjà en train d'intervenir. Ils se cachèrent pour observer ce qu'il se passait. Des Ombres tentaient d'échapper aux interpellations ; Joshua aperçut Romina Swell. Cependant, ce fut Guilwen qui fut le plus choqué ; son chef de brigandage d'antan, Guillaume Guillery, venait de passer devant eux en courant maladroitement et sans les voir. Quand l'ancien larbin le reconnut, il sentit une légère douleur à l'endroit même où, plus de quatre cent ans plus tôt, il avait été poignardé par l'homme malfaisant.

— Il faut les suivre ! murmura-t-il.

— Non, l'arrêta le britannique. Nous le retrouverons. Mais pour l'instant, il faut surveiller les enfants.

— Regarde, ils en embarquent un dans l'ambulance.

— Je le reconnais, d'après la liste. C'est Gwen Chton.

— C'est lui alors, l'élu ?

— Nous le saurons vite. Attendons qu'il soit emmené à l'hôpital et en meilleure forme pour l'interroger.


***

Moira Lemony était assise en tailleur dans la cour centrale de la cité scolaire de Brecheliant. Les Ombres sous ses ordres venaient de l'assommer sous un flot insupportable de questions. Des inquiétudes auxquelles elle ne pouvait répondre. C'était la fin pour eux comme pour elle, et elle l'avait bien compris. Tout le groupe d'assaut avait été abandonné par l'Ordre, et surtout par Romina. La rousse s'en voulut, car elle estima qu'elle aurait pu s'en rendre compte plus tôt. Mais elle savait aussi que la mission avait été un échec, et elle devait en porter la responsabilité. Le Kentan était très probablement parmi les lycéens qui s'étaient enfuis et son acolyte lui avait fait faux bon. Elle ne le regrettait pas ; elle n'avait pas apprécié que la Régisseuse lui mette des bâtons dans les roues en l'obligeant à diriger l'assaut avec cet énergumène d'un autre temps. Elle se savait être une femme forte et était déterminée à survivre à cette défaite. Elle avait aussi compris qu'aucun infiltré dans l'armée française ne viendrait les exfiltrer et elle acceptait donc son sort. Avec un peu de chance, se disait-elle, Guillery avait trouvé la cible et Cernunnos la sortirait des griffes des hommes impurs.

L'hélicoptère, à la carlingue peinte de motifs de camouflages, descendait lentement au-dessus de la tête de la femme habillée en cuir. Avant même qu'il se soit stabilisé au sol, des militaires en descendirent, les dos courbés par sécurité. Deux d'entre eux se précipitèrent vers Moira et l'obligèrent à s'allonger, face contre terre. L'un la plaquait, un genoux appuyant sur ses omoplates, tandis que l'autre attrapait ses bras et attachait ses poignets avec une menotte moderne en plastique noir. Le visage fermé, elle ne protesta pas mais ses yeux semblaient tout de même parcourus d'éclairs de rage. Tout autour, d'autres soldats affrontaient des sbires. Les balles fusaient mais, indéniablement, la force armée était mieux équipée que les Ombres, qui tombaient par dizaines sous les feux opposés.

Des drones fusèrent, bas dans le ciel, portant des charges explosives. Ils les lâchèrent à différents endroits. Les hommes de l'officier Leblay avaient en effet localisé les brouilleurs et les émetteurs d'ondes qui torturaient le cerveau de quiconque tentait de pénétrer à pied dans l'école. Quand tous les boitiers enterrés furent détruits, ainsi que la statuette maudite du dieu guerrier, une centaine d'autres militaires se précipitèrent par les deux entrées de l'enceinte. Un groupe fit sortir le reste de la classe, la vingtaine d'otages du bâtiment B, une fois qu'il n'y avait plus de danger, ni plus aucune fusillade.

Maeve, qui avait tiré sur Gwen, ne cessait de pleurer en répétant "Je l'ai tué, je l'ai tué !". Mais aucun corps de lycéen ne fut retrouvé lors de l'inspection des salles de classe. La seule dépouille était celle de Christ, et elle fut emportée plus tard par un légiste. Louis présentait de nouvelles plaies ensanglantées, marques de la punition que lui avait infligée Moira après sa tentative de fuite. Un long cortège de véhicules de secours, aux gyrophares éblouissants, s'était garé le long du quai normalement réservé aux cars scolaires, en bas de la butte sur laquelle était construite la cité scolaire. Quelques familles des victimes étaient déjà arrivées de ce côté et certains parents embarquaient dans les ambulances avec leurs enfants. Ellen, Elsa et Camille avaient été les premiers à y être mis à l'abri et à avoir eu un examen préalable. Les trois amis furent emmenés à l'hôpital, alors que certains de leurs camarades, en état de choc mais non blessés, pouvaient rentrer directement chez eux. Pour ceux qui le souhaitaient, une cellule psychologique avait été installée à quelques centaines de mètres, dans une salle polyvalente des abords du camp militaire.

Sacha Gautier, quant à lui resté à l'entrée nord, ne vit pas partir ses amis. Leblay venait de discuter avec Alan et Melyna, le père et la mère de Gwen. Il les avait informés qu'une unité avait secouru leur fils à l'extérieur de l'école et qu'il était déjà en route vers les urgences de Riedones, dans un état grave. Le jeune blond, entendant leur conversation, croyait que l'officier s'était trompé dans ses paroles et qu'il aurait dû dire à la famille Chton que leur garçon était mort. Cependant, quand il les observa partir à leur tour pour passer le reste de la nuit à l'hôpital et tenter d'avoir des informations encourageantes, Sacha se dit encore une fois qu'il s'était peut-être trompé, dans un dernier élan d'espoir. Puis, il se souvint qu'il avait repoussé sa mère quand elle avait voulu le récupérer et que désormais, il était bien seul. Il n'osait pas demander à d'autres parents inquiets de le ramener chez lui et finit par se faire raccompagner par trois soldats. Il s'agissait de ceux qui l'avaient retrouvé dans la forêt, après sa rencontre avec l'Ankou. 

Quand la jeep s'arrêta devant un petit portillon, il les salua et entra dans la maison. Tout le monde semblait endormi, les lumières étaient éteintes et, visiblement, personne ne s'était soucié de son sort.


***

Le crossover noir filait à vive allure sur la grande route reliant Riedones à Saint-Malo, dans le nord de la Bretagne. Après être passés vider en hâte le manoir du Pas du Houx, les Ombres s'étaient rapidement éparpillés dans la région. Beaucoup avaient été arrêtés au lycée et dans la vallée de l'Aff. Ceux qui avaient réussi à s'échapper n'étaient plus très nombreux. Heureusement pour eux, d'autres équipes étaient constituées au Royaume-Uni. Romina, Alice et Guillery avaient récupéré Damien Brome qui attendait nerveusement à l'entrée de la majestueuse résidence, à Paimpont. Le chauffeur de la Régisseuse les conduisait vers le littoral, où différentes opportunités s'offraient à eux. Alice et Guillery, qui s'entendaient étrangement très bien, discutaient d'un éventuel projet de traverser la Manche sur un ferry et de se réfugier en Angleterre. Une idée qui intriguait le brigand, autant qu'elle l'inquiétait. Le monde moderne était encore très flou pour cet homme sorti du trépas depuis moins d'une semaine. Cependant, Romina Swell, assise à l'avant du véhicule, les interrompit.

— Je ne comprends pas comment ... Comment s'appelle-t-il, déjà ?

— Gwen, répondit Damien, blanc comme un linge et renfermé depuis qu'il avait appris l'identité de leur cible.

— C'est ça, oui. Je ne comprends pas comment Gwen a pu faire venir Cernunnos, s'il n'est pas le Kentan. En tout cas, notre élu n'a pas encore été clairement identifié.

Elle se tourna vers les trois autres et eut un sourire auquel ils ne s'attendaient pas.

— Mais de prochaines épreuves le dévoileront, ajouta-t-elle.

— Comment ? demanda Guillery.

— Un ami va venir nous aider. Je sais comment le retrouver. Je crois que vous allez bien vous entendre, très cher !


***

Jean-Louis l'écureuil gambadait entre des arbres, près du bâtiment administratif de la cité scolaire de Brecheliant. Personne ne le remarqua quand il dévala la pente, à côté du grand escalier extérieur, et arriva en bas, où de nombreux humains s'agitaient. Il se faufila entre deux ambulances et traversa la route. Il s'engagea dans le bois et courut plusieurs heures, sans s'arrêter. Le rongeur arriva dans la Vallée de Gurvant et s'arrêta devant l'Arbre d'Or. Il le regarda en couinant. Des pieds nus apparurent près de lui et il reprit sa course, apeuré. Une magnifique femme, sortie de son royaume, venait d'apparaitre. De parts et d'autres, invisibles aux yeux des hommes, ses sujets, faunes, korrigans et autres créatures de l'étrange, l'entouraient depuis le haut d'une petite cascade jusqu'au bord de l'étang appelé le Miroir aux Fées. L'animal grimpa sur le versant nord, jusqu'au Rocher des Faux Amants. Une silhouette squelettique le souleva dans les airs, entre ses doigts osseux et le posa sur sa charrette. Le serviteur de la mort observa la cour fantastique de la Mère des Bois, présente en contrebas.

— Dis-moi tout ce que tu as vu ces derniers jours, mon gentil petit espion.

En face, sous les hauts pins, Guilwen se tenait à côté de Joshua, déterminant leurs prochaines actions.

— Je pense que le Kentan est Gwen Chton, disait l'immortel, prêt à en découdre.

— Notre élue est Ellen Swan, estimait Margot, les ailes déployées.

— J'attends que le destin de Sacha Gautier se réalise enfin, affirma l'Ankou à Jean-Louis.

Au nord de la région, dans la voiture lancée à toute vitesse, Romina fit également sa supposition.

— Peut-être que notre cible est finalement bel et bien cette chère Elsa.

Au même moment, sous la cime des arbres de Brocéliande, un grand humanoïde portant des bois de cerfs apparut dans le dos de la fée. Il posa une grande main sur son épaule. Elle ne bougea pas ; elle savait déjà qu'il viendrait. Il l'avait promis il y a très longtemps. Ils étaient enfin réunis, pour le meilleur et le pire. Et quand il s'adressa à elle, plus rien d'autre ne comptait.

— Bonsoir, mon amour.

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