21 - A l'Unisson

Sacha Gautier relisait une énième fois le mot de Christ et l'énigme qu'il y avait écrite. Après avoir été examiné par une équipe médicale de l'armée, le lycéen avait pu se reposer sous la grande tente. On l'avait sommé d'attendre que ses parents se décident à venir le chercher, mais cela faisait bientôt vingt heures qu'il patientait, et sa famille ne donnait toujours aucun signe d'inquiétude. Pourtant, toutes les autres étaient présentes, celles de ses camarades de classe, angoissées et dans l'incertitude. Sacha avait salué les parents d'Ellen et ceux de Damien, qu'il connaissait bien. Il avait aussi pris grand soin d'éviter Alan, le père de Gwen. Le garçon tentait de refouler le souvenir de l'assassinat de son meilleur ami par Maeve et commençait de plus en plus à remettre en question ce qu'il avait vu. Il avait certes parlé du sort de Gwen à Rangatira et à l'officier Julien Leblay, pourtant il avait compris qu'aucun d'eux n'en avait encore parlé à Alan. 

Le proviseur et le militaire avaient estimé que Sacha était sous le choc et qu'ils devaient vérifier par eux-mêmes ses paroles, d'autant que l'adolescent n'en avait pas parlé depuis s'être réveillé sous la tente et qu'il semblait désormais plus calme. Sacha hésitait, assis sur le lit de fortune grinçant, les jambes se balançant. Il rassembla le peu d'énergie qui se trouvait encore en lui, malgré sa sieste qui s'était finalement avérée peu reposante, et sortit de sous la toile aux motifs bruns. Alan Chton discutait nerveusement avec Jean-Marc Rangatira. Il se faufila parmi la foule de proches souhaitant obtenir des informations et se posta à côté des deux hommes, écoutant sagement leur conversation.

— L'officier m'a dit qu'ils avaient fait décoller plusieurs drones pour sonder la cité scolaire, expliquait le directeur. Je ne pouvais pas leur fournir de plans précis, puisque tous les documents sont dans nos bureaux qui se trouvent évidemment dans le bâtiment administratif, mais j'ai dessiné rapidement l'essentiel. Apparemment les drones peuvent repérer les balises qui émettent ces fichus ondes, mêmes enterrées. Et d'après Kevin et Marina, la classe est toujours retenue dans la salle de mathématiques de Monsieur Arche, qu'il repose en paix.

— C'est terrible en effet. Perdre un homme aussi sympathique, ajouta Alan.

— Tu confirmes, Sacha ? demanda Rangatira.

Le jeune homme sursauta, ne s'attendant pas à ce que l'on s'adresse à lui.

— Je ... oui, c'est ça, confirma-t-il.

Un hélicoptère passa au-dessus de leurs têtes en faisant vibrer leurs tympans, à cause du son assourdissant des rotations de ses pales. En grimaçant, Sacha reprit la parole.

— Est-ce que ... Monsieur, est-ce que vous avez dit à monsieur Chton ce dont nous avions parlé ?

— Non, mon garçon. Nous devons en avoir confirmation, tu comprends ?

— Oui. Bien sûr, je comprends. Je retourne sous la tente.

Il replongea dans la cohue et, avant de retourner sous le chapiteau vert et marron, se retourna pour regarder les deux adultes encore en train de se parler. Il vit l'air confus d'Alan, mais celui-ci ne semblait pas attristé. Définitivement, Rangatira ne lui avait pas encore appris la nouvelle. Mais peu de temps après, il fut rejoint par le père de famille, qui s'assit face à lui, sur un autre lit d'infirmerie ambulante.

— Qu'est-ce que tu voulais me dire ? Tu sais, ce dont tu as parlé avec le proviseur ?

— Heu ... non rien, répondit Sacha, se rendant compte de sa maladresse.

Il ne voulait vraiment pas avoir cet échange, il ne s'en sentait pas capable. Surtout si ce qu'il croyait savoir, en l'occurrence la mort de Gwen, s'avérait finalement faux et qu'il avait été victime d'un mauvais tour des Ombres, ou pire, de sa propre imagination. Il savait combien son esprit était tourmenté ces temps-ci. Il préféra alors opter pour une parade, en espérant être convaincant.

— C'est juste que ... Mes parents ne sont toujours pas arrivés. Il ne s'inquiètent jamais trop pour moi.

— J'en suis désolé, vraiment. J'espère qu'ils ne vont pas trop tarder.

Alan, gêné, lançait des regards autour de lui, comme s'il s'attendait à voir débarquer d'une seconde à l'autre la famille Gautier.

— Je suis resté ici toute la journée, j'en ai vraiment marre. Et du coup, je me disais que ...

Il se sentait soudainement honteux.

— Oui ?

— Peut-être que vous pourriez me ramener chez moi ?

L'adulte ouvrit la bouche, étonné, mais ne répondit pas.

— Je veux dire ... quand tout ça sera terminé et que les soldats auront réussi à faire sortir tout le monde ! s'empressa-t-il d'ajouter.

— Je suis certain que tu pourras vite partir d'ici, mon grand. En plus, quand Gwen sortira, il sera sûrement emmené dans une de ces ambulances et je devrai le suivre jusqu'à l'hôpital.

— Oui, vous avez raison. Je suis trop bête.

Alan compris la détresse du garçon et lui tapota l'épaule, dans un geste maladroit pour tenter de le réconforter. Sacha vit qu'un homme bedonnant venait de pénétrer sous la tente et questionnait un membre du service médical de l'armée. Celui-ci pointa un doigt dans leur direction et l'homme se dirigea vers eux.

— Bonjour, je suis le commissaire Gauvin. Tu es Sacha Gautier ?

— Oui, c'est moi.

— Et vous êtes son père ? demanda-t-il à Alan.

— Non, du tout. Je suis celui de Gwen, un ami de Sacha. Il est encore là-dedans.

— D'accord. J'espère sincèrement que votre fils va bien.

Sacha baissa ses doux yeux bleus et fixa ses chaussures. Mais il releva presque aussitôt la tête, quand le gendarme s'adressa de nouveau à lui.

— L'officier m'a raconté brièvement comment tu as pu sortir de l'école. Et comme tu vas relativement bien, d'après l'examen préliminaire de l'infirmier militaire, tu ne devrais pas être emmené à l'hôpital, sauf si tu en ressens le besoin.

Le garçon répondit négativement de la tête.

— Bien, dans ce cas, je souhaiterais que tu passes au commissariat dès demain matin. J'aurais quelques questions à te poser pour nous éclairer sur tout ça. D'accord ?

— D'accord.

— D'ici là, repose-toi bien.

Sur ces mots, il repartit et sortit de la tente. Sacha doutait de pouvoir se reposer, comme l'avait dit l'homme, d'autant plus qu'un interrogatoire imminent venait de s'ajouter à ses préoccupations. Alors qu'il ne l'attendait plus, sa mère arriva enfin au parking nord de la cité scolaire. Elle était escortée par Julien Leblay qui la connaissait bien, puisqu'elle était l'épouse d'Albert Gautier, un gradé de Coëtquidan. Il s'agissait d'une grande femme blonde et élancée, marchant fièrement et avec aplomb. Elle portait un sac à main de marque et était vêtue d'une longue robe chic.

— C'est pas trop tôt, grommela Sacha.

— Voilà Mina, annonça Leblay. Vous pouvez le ramener à la maison.

— Merci Julien, je dirai à mon mari que vous avez bien veillé sur notre fils, assura-t-elle sur un ton léger. Bonjour Alan, comment allez-vous ?

— Heu ... et bien, plutôt inquiet.

— Ah oui, bien entendu, c'est terrible, dit-elle sur un ton faussement peiné.

— On attend les nouvelles. Je pense que l'assaut ne va plus tarder.

— C'est très bien.

— Papa n'est pas avec toi ?

— Non, ton père est parti en mission au Sahel cette nuit. Ce n'était pas prévu, mais il lui fallait répondre en urgence à un besoin de renfort. Heureusement que je n'ai pas été retenue plus longtemps au congrès des femmes des officiers supérieurs. La tombola de Noël est un vrai casse-tête !

— C'est sûr que c'était beaucoup plus urgent que de venir secourir ton fils échappé d'une prise d'otage !

— Allons, n'exagère pas. Viens, tes frères et sœurs t'attendent à la maison. Alan, mon cher, nous prierons Saint-Antoine pour votre fils.

— C'est gentil merci, répondit l'intéressé, peu enthousiaste.

— Maman, en fait j'ai changé d'avis, je veux rester jusqu'à ce que mes amis soient sortis.

— Il faudrait savoir ce que tu veux ! Et comment tu comptes rentrer ?

Sacha regarda monsieur Chton, implorant. Celui-ci afficha une petite grimace mais acquiesça.

— Je le raccompagnerai Mina. Ne vous inquiétez pas, il est entre de bonnes mains ici.

— Très bien. Tu te rattraperas sur ce coup-ci, alors.

Elle les quitta en continuant de se plaindre.

— Je n'y crois pas, me faire venir ici pour rien ! Qu'est ce que j'ai bien pu faire de mal pour avoir un fils aussi mal élevé ...

Sacha se tourna vers Alan et eut un petit sourire.

— Merci, souffla-t-il simplement. Vous savez que Saint-Antoine, c'est le saint patron des causes perdues ? Pas ouf, hein.

— Non je ne savais pas. Qu'est-ce que tu tiens ? l'interrogea Alan.

Le blondinet tenait toujours le morceau de papier de Christ en boule dans une main. Il le déplia encore une fois et relut la dernière phrase.

— J'ai trouvé ça dans ma poche, ce matin. C'est écrit par celui qui m'a aidé à m'enfuir.

Il lui fit lire les deux seules lignes.

— Demain est une autrre nuit ? Ça veut dire quoi ?

— Justement, je n'en ai aucune idée.

— C'est peut-être un anagramme, suggéra Alan. Tu sais, quand les lettres d'une phrase sont mélangées pour en constituer une autre. Regarde, il y a un "r" en trop dans le mot "autre", et il y a des lettres soulignées, c'est sûrement un signe qu'il faut déchiffrer cette phrase !

— Oui, je sais ce que c'est. Mais ça mettrait tellement de temps à résoudre une telle énigme ...

— Pas sûr. Si on part du principe que les lettres soulignées doivent être conservées ensemble, on garde "est" et "un". C'est étrange ... oh, je dois te laisser ! Edwige vient de sortir de la cabine.

— Pas de soucis, répondit Sacha.

Alan l'abandonna alors que le garçon venait de résoudre le mystère. Il le regarda serrer dans ses bras sa fille et se sentit bien seul, tout d'un coup. Il froissa le papier et le remit dans sa poche, estimant préférable de conserver ce nouveau secret. Il n'était pas sûr d'avoir raison, comme pour la mort de Gwen, alors inquiéter d'autres personnes sur les révélations peu recevables d'un anagramme ne lui semblait pas être une bonne idée. Monsieur Chton partit saluer la mère d'Elsa et son chien, tandis que la collégienne vint s'asseoir à son tour aux côtés de Sacha.

— Il est vraiment très déprimé depuis l'accident et la mort de Solen, expliqua-t-elle.

— Il a l'air en forme pourtant, constata Sacha. Mais je comprend, ça ne doit pas être facile pour lui non plus.

— Pour lui non plus ?

— Non, rien.

— Bof, il boit beaucoup, il prend des antidépresseurs. Il essaie de nous le cacher, mais je suis maline, je m'en suis rendu compte. Oh regarde, c'est horrible, ce sont les parents de Nicolas, celui qui est mort. C'est grave triste.

— Oui.

— Sacha ?

— Oui ?

— Mon frère, il va bien hein ? Il va sortir de là, pas comme Nicolas je veux dire, mais sur ses deux pieds ?

— Je ... je l'espère.

Elle le serra fort dans ses bras, un geste qui les réconforta tous les deux.


***

La tour du Royaume de Margot

Ellen était impressionnée par la beauté de la salle du trône de Margot. Elle n'avait pas changé depuis la venue de Romina Swell, cependant la fée était beaucoup plus détendue qu'à ce moment-là. Le fauteuil royal et transparent obnubilait la jeune britannique, donc les yeux suivaient le courant de l'eau cristalline qui y circulait paresseusement. Elle s'en détourna et s'approcha d'une fenêtre au cadre d'or. Elle put y voir, en contrebas, les sujets de son hôte encore en train de faire la fête, en hauteur les deux soleils dont l'un dégageait une lumière bleutée et l'autre était similaire à l'astre qu'elle connaissait dans le monde des Humains. Le paysage du domaine de Margot semblait s'étendre à perte de vue. Avec des yeux perçants, l'enchanteresse regardait Ellen admirer son royaume.

— Alors ? Tout cela te plaît-il ?

— C'est magnifique, oui.

— A la grande époque, lorsque les Hommes et les Êtres comme moi marchaient main dans la main et foulaient toutes les terres en harmonie, ce pays était libre. Aujourd'hui, nous devons nous cacher. Mais si tu es celle que je cherche depuis tant de siècles, depuis que le véritable amour de ma longue vie a décidé de se terrer, je pourrais faire rayonner tous les royaumes autour, ton monde compris, de la lumière et de la richesse du mien.

— Vous croyez que c'est moi ?

— Et bien pourquoi pas ? Je ne peux pas en être certaine pour l'instant, mais le miroir d'eau nous le dira, s'il le souhaite.

— Vous avez dit qu'il pourrait nous apprendre si Sacha s'en est sorti. Et si Damien va bien.

— Nous allons voir cela.

Margot se positionna derrière son trône, Ellen à ses côtés, ferma les yeux et tendit un bras vers le milieu de la longue pièce. Aussitôt, le sol en bois s'affaissa en son centre et ne laissa à leur hauteur qu'une fine coursive de chaque côté. Le creux se remplit d'eau, se transformant en un bassin peu profond. La fée avança et entra dans l'eau jusqu'aux chevilles. Elle fit signe à sa convive de faire de même. Ellen enleva ses baskets boueuses et la rejoignit. Le liquide était chaud et soulagea les pieds meurtris de la jeune fille. Des filaments dorés flottaient et ondulaient lentement autour de sa jambe.

— Pose tes mains à la surface et pense fort à une question. Si le miroir a la réponse, il nous la montrera.

Ellen se concentra sur sa question. Elle voulait savoir où était Sacha, mais les mots de la fée à propos du Kentan résonnaient dans son esprit. L'eau devint trouble, de minuscules vagues se formèrent depuis un cercle au centre du bassin et touchèrent le bas des jambes de la lycéenne. Son propre visage, agrandi, apparut sur l'étendue aqueuse. Ses yeux étaient recouverts de deux feuilles d'arbres et elle souriait. La prédiction se précisa et devint plus nette. Sur sa tête poussaient très rapidement des bois de cervidé. Margot agita une main brusquement, décontenancée, et la vision s'évanouit.

— Qu'as-tu demandé ?

— Je ... le lieu où se trouve Sacha.

— En es-tu sûre ?

— Oui ... heu non. Mais pourquoi est-ce qu'on a vu ça?

— Visiblement, ce n'était pas la réponse que nous attendions. Concentre-toi bien !

Alors Ellen reposa sa question intérieurement et la répéta en boucle.

"Où est Sacha Gautier ? Où est Sacha Gautier ?"

Et il apparut enfin. Son visage tendre, ses cheveux blonds et ses yeux verts. S'il n'avait pas été déformé par les ondes de l'eau, elle aurait pu croire qu'il se tenait là, allongé devant elles. Elle voulut parler, mais Margot l'en empêcha en plaquant sa main gauche sur les lèvres de l'adolescente. Le mirage changea et elles voyaient à présent le garçon du dessus. Il se trouvait sur un petit lit sous une immense tente. Des militaires marchaient autour de lui, et d'autres personnes qui étaient autant inconnues de Margot que d'Ellen. Sauf quatre, qu'elle reconnut comme étant le père et la sœur de Gwen et les parents de Damien. Elle se demanda si Alan et Edwige avaient été mis au courant du destin tragique de leur fils. Elle se concentra sur le blondinet, qui tenait à la main un papier. Elle lut ce qui y était écrit et se tourna vers la fée, qui ne semblait pas comprendre non plus la phrase. L'image disparut également au bout de quelques secondes.

— Demain est une autrre nuit ? fit Margot, perplexe.

— Ça ne me dit rien.

— Essaie de penser à cette phrase, ma fille, essayons de nouveau !

Tout se passa de manière similaire. Les filets d'or, l'eau trouble, les vaguelettes. Pourtant cette fois-ci, elles virent une autre pièce, plus sombre et dont les murs étaient placardés de posters de sportifs. Ellen connaissait cette chambre, elle y avait déjà été ; c'était celle de Damien Eunu, son ami et camarade de classe disparu. Elle n'avait plus revu le garçon depuis qu'elle avait été emmenée passer l'épreuve du champignon. Le miroir d'eau fit un focus sur le bureau du lycéen. Une rose morte était posée, encore dans son emballage en plastique fermé par un ruban mauve. En voyant la fleur, Margot eut un mouvement de recul, mais se retint de sortir du bassin. La pièce se volatilisa, cependant des lettres dorées se formèrent à la surface.

"Demain est une autrre nuit"

Les symboles se mélangèrent, bougèrent et finirent par former de nouveaux mots. D'abord, "est" et "un" au centre de la phrase. Puis, en fin de ligne, le mot "traître" sauta aux yeux d'Ellen. Les battements de son cœur s'accélérèrent, redoutant la révélation finale. Elle ferma les paupières, refusant d'en savoir plus. Elle avait déjà compris les deux mots manquant, le nom qui s'afficherait, mais ne voulait pas accepter la réalité. Margot, toujours silencieuse, vit les lettres restantes prendre position au début, dévoilant l'intégralité de la phrase.

"Damien Eunu est un traître "

La fée prit vivement la main de la jeune fille, l'entraîna en arrière et l'obligea à sortir de l'eau. Un silence pesant s'installa, Ellen rouvrit les yeux et vit le sol se reformer comme à l'origine, dans un grincement. Margot s'assit sur son siège transparent, posa ses bras sur les accoudoirs gravés de symboles anciens et attendit patiemment que sa protégée rassemble ses pensées et émerge de la brume qui envahissait son cerveau. Elle fit apparaître une chaise matelassée, aux dorures représentant des branches entrelacées, sur laquelle la lycéenne put se poser confortablement.

— Je crois que tu as tes réponses, ma fille.

— Je ... Non, ce n'est pas possible.

— La Rose Morte est le symbole de ralliement chez les Ombres. Elle signifie que l'individu qui la reçoit a été accepté dans l'ordre. Ton ami leur a certainement rendu service et a prêté allégeance à la Régisseuse, cette horrible femme dont le nom est Romina Swell.

Ellen prit sa tête entre ses mains et commença à pleurer. Margot se leva immédiatement et s'accroupit face à elle.

— Tu ne peux rien faire pour lui, annonça-t-elle d'un ton chaleureux. Par contre, tu dois rester auprès de moi. S'il te trouve, je suis certaine qu'il oubliera votre amitié passée et te traînera dans l'antre des Ombres.

— Mais je dois y retourner ! Sacha est là-bas, je pourrais m'y rendre et être à l'abri, comme lui, avec les soldats. Et je dois retrouver mes parents, ils doivent être tellement inquiets.

La fée se releva en grimaçant.

— Tu n'es pas bien, ici ? Je peux t'offrir tout ce que tu souhaites, de la musique, de délicieux gâteaux, de nouveaux amis. Oublie le monde des mortels, tu vaux bien mieux.

— Je veux revoir ma famille. Vous ne pouvez pas me garder indéfiniment.

Pour seule réponse, Margot fronça les sourcils, leva une main et la porte massive se verrouilla dans un cliquetis grave et menaçant.


***

Alice Blanco était assise sur le canapé du salon, dans le manoir du Pas du Houx. Face à elle, Damien la dévisageait, aussi surpris que la jeune fille. Debout, à côté d'une petite bibliothèque, Romina les fixait d'un air joyeux.

— Allons, ne faites pas vos timides ! se réjouit-elle. Vous vous connaissez déjà, en plus.

— Qu'est-ce que tu fais ici ? demanda Damien.

— J'ai quitté mes parents, expliqua Alice. Romina m'a promis ... quelque chose.

— Je vois.

— Et toi ?

Il regarda la cheffe des Ombres, qui lui sourit et passa devant, jusqu'à la sortie.

— Je vous laisse discuter calmement. Prévenez-moi quand vous aurez fini !

Elle se faufila dans le hall et claqua la porte derrière elle.

— A moi aussi elle m'a promis quelque chose. Je sais pas du tout comment elle l'a su, d'ailleurs. Je suis mourant, expliqua le jeune homme.

— Quoi ?

— Je suis très malade. D'où mes absences répétées en classe, depuis quelque temps. En fait, ça c'est aussi parce que je participais aux réunions des Ombres, ici. Romina m'a approché il y a quelques semaines pour rejoindre ses rangs. Il leur fallait quelqu'un de l'intérieur et j'ai fini par accepté, je suis un traître, franchement. On était tous observés et traqués, que ce soit dans nos déplacements ou sur les réseaux sociaux. Elle m'a raconté tout ce que je devais savoir sur les Ombres, le Kentan, la magie, Brocéliande. En gros, tout ce que je pensais imaginaire mais qui en fait existe bel et bien.

— Oui, à moi aussi.

— Alice, je ne sais pas si tu te rends compte de tout ce qui va se passer. Si les Ombres ... je veux dire, si nous trouvons le Kentan, ce sera extraordinaire ! Et je ne serai plus malade, plus jamais ! C'est ce qu'elle m'a promis, je vais guérir.

— Mais peut-être que c'est un de nos amis, Damien !

— Je sais, oui. J'y ai beaucoup réfléchi, depuis que je suis arrivé ici. J'espère sincèrement qu'ils vont bien, je te l'assure. Mais je veux vivre, tu comprends ? Alors si je dois choisir entre eux et moi, je n'ai pas à y penser longtemps pour trouver la réponse. Soit je meurs sans avoir saisi ma chance, soit je vis grâce au sacrifice de l'un d'eux.

— Je comprends, je pense la même chose. J'ai l'impression que pour moi aussi c'est une question de vie ou de mort, ça me ronge.

Ils échangèrent un sourire, comme pour se soutenir mutuellement.

— D'ailleurs, comment es-tu sorti du lycée ?

— J'ai été exfiltré par les autres Ombres, derrière Sacha. Oui, lui aussi il est sorti, mais il n'est pas des nôtres. Au moins, je suis rassuré de le savoir en sécurité. Je pense qu'il a été récupéré par l'armée en poste tout autour du lycée. J'espère qu'il me comprendra et me pardonnera. Ensuite, j'ai dû errer pas mal de temps avant d'être retrouvé par une équipe de notre camp au dehors et amené ici, les militaires et la sexion d'assaut patrouillait partout dans le bois, j'ai failli être choppé. Heureusement pour l'instant ils ne peuvent pas entrer dans le lycée, Romina m'avait demandé de poser des pièges d'ondes au bord du grillage. Et une très vieille statuette aussi, apparemment elle représente Ogmios, un dieu celtique, comme Cernunnos, celui qui est vénéré par les Ombres. Comme c'est un dieu de la guerre, le maléfice de la statuette devrait les repousser pendant encore un moment. Et sinon, ne prends pas trop tes aises ici, je pense qu'on ne va pas rester très longtemps. Quand l'armée libérera l'école, on partira loin, mais en attendant je me cache ici. Je ne peux pas participer aux prochaines opérations, Romina dit que je ne suis pas encore prêt et même trop faible, je ne sais pas si je suis déçu ou soulagé. Par contre, elle a l'air de miser gros sur toi.

— J'espère que je ne la décevrai pas. Elle m'a promis une vengeance, elle n'a pas intérêt à me berner non plus !

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