18 - Second Souffle
Les loups cavalaient avec aplomb dans la forêt. Margot hélait pour les encourager à avancer toujours plus vite, sans vraiment se soucier de savoir si Ellen, Camille et Elsa réussissaient à s'agripper. L'air glacé et embrumé, en cet automne très pluvieux, irritait les visages tels une multitude d'aiguilles enfoncées dans leurs peaux. Fonçant vers le nord et apparemment peu gênées par leurs charges, les immenses créatures bondissaient et semblaient même s'amuser, se dépassant l'une l'autre régulièrement. Elles traversaient une partie délaissée du camp militaire qui était occasionnellement le lieu d'entraînements et de simulations. Les élèves de l'école des officiers profitaient des grands espaces boisés, des clairières et d'anciens villages abandonnés pour imiter des missions de terrain.
C'est vers l'un de ces hameaux expropriés que Margot comptait se diriger pour s'abriter le plus loin possible des Ombres ; un endroit déjà bien connu des trois lycéens. Kinoz et Bleiz se cambrèrent à côté du four à pain de Guillerien, pour y laisser leurs passagers recouverts de poils et de boue, à l'exception de Margot qui restait resplendissante. Le ciel commença à se dégager et un soleil bas fit briller la cime des chênes de Brocéliande. La fée laissa ses loups jouer avec des débris de grenades de plâtre, qui servaient habituellement de simulacre et laissés là, à polluer ce sol pourtant si riche.
— C'est ici que je t'ai vue pour la première fois, apprit-elle à Ellen. Je pense que Guillery mettra un peu de temps avant de nous rattraper.
— Vous ... vous nous avez espionnés ? demanda l'intéressée, surprise.
— Le Kentan attire les êtres comme moi, ainsi que les Ombres. C'est comme un sixième sens, un puissant instinct, presque animal. Je vous ai tous vus ici, après l'éveil des Êtres de la Forêt.
— On a caché le livre ici, intervint Camille, à bout de souffle et tentant de se débarrasser de feuilles et de terres collées à ses vêtements.
Il pointait du doigt le petit tas de terre sous lequel était enterré le coffret qui renfermait le Livre du Cerf.
— Le livre, oui ... fit Margot, songeuse. Laissez-le où il est, je suis prête à parier qu'il vous servira bien assez tôt.
Elsa s'accroupit sur un tronc d'arbre presque vertical, qui traversait un mur en écartant les vieilles pierres recouvertes de mousses et de champignons.
— Merci, réussit-elle à dire, exténuée. Merci madame.
— Appelez-moi Margot, ou Votre Altesse Mère des Bois.
— Margot c'est bien, suggéra Camille d'un ton légèrement provocateur. Est-ce que vous pouvez nous aider à libérer Sacha et Damien ?
— Qui sont-ils ?
— Nos amis, expliqua Ellen, avec un petit gémissement. Sacha a tenté de s'enfuir, mais il était poursuivi. Je pense qu'il a été rattrapé par les Ombres.
— Et Damien, on ne l'a plus vu depuis le début de la prise d'otages, ajouta Elsa.
— Vraiment ?
La fée semblait étonnement très intéressée par cette information.
— Je dirais que le premier est sûrement mort et que le second ... Êtes-vous certains qu'il est votre ami ? Cela semble suspect.
— Non ... je ... quoi ?
Tous les trois étaient sonnés par les allégations de Margot.
— Je pense qu'il a juste été emmené dans une salle et qu'ils ne l'ont toujours pas fait sortir, suggéra Ellen. C'est un gentil garçon, je vous le jure !
— Quoiqu'il en soit, nous pouvons nous servir du miroir d'eau pour en savoir plus. Il se trouve dans mon Royaume. Tu seras plus en sécurité chez moi, crois moi.
— Comment on fait pour y aller ? interrogea Camille.
Il ne comprenait pas grand chose, ni qui était réellement cette mystérieuse femme, mais avait été convaincu par le mot "sécurité" et sa douce voix.
— On ? Non, juste elle et moi.
Elle tira Ellen vers elle et la poussa délicatement vers les loups.
— Quoi ? Mais vous ne pouvez pas nous laisser là ! On va mettre des heures à retourner à Brecheliant à pied ! Et Guillery, il risque de nous retrouver !
— Margot, s'il vous plaît, implora Ellen. Pourquoi ne les laissez-vous pas venir?
— Ils ne m'intéressent pas, rétorqua simplement la fée.
Et sans plus d'explications, elle tourna les talons et tira la jeune britannique. Elle la souleva sans difficultés et la posa délicatement sur Bleiz, avant de grimper sur Kinoz.
— Non, attendez ! s'écria Ellen.
Mais son destrier baveux se cambra dans un grognement sourd et ne la laissa pas descendre de son dos. Le couple de lycéens s'élança à son tour et courut derrière les créatures. Cependant ils ne pouvaient les rattraper, là où elles allaient. Les loups lancés à vive allure croisèrent une famille de sangliers qui détala en poussant des grommellements aigus. Quand ils furent arrivés à côté de l'if qui avait servi à la pendaison de Guillery, sur lequel Damien avait vomi, près duquel Gwen avait vu sa petite amie Solen mourir et contre lequel Alice avait été plaquée et abusée par Alfred, Bleiz et Kinoz dérapèrent. Une fumée de poussière terreuse se souleva et fit tousser Ellen.
— N'aie pas peur, s'écria Margot, à quelques mètres. Cet endroit est rempli de magie grise, celle de la souffrance et du regret, il est aussi très imprégné par l'énergie du Kentan. Je vais pouvoir m'en servir pour ouvrir un portail vers le Royaume.
L'adolescente sentit la bête vibrer violemment sous elle. L'animal monstrueux gémit soudainement, ce qui l'inquiéta. Elle lança un regard apeuré à la fée.
— Ne t'inquiète pas, il n'a pas mal ! insista-t-elle.
Margot et Kinoz, sur heroforge.com
Des racines sortirent de terre, enchantées, et enlacèrent les pattes des loups. Du lierre grimpa le long de leurs queues, attiré par une force invisible. Margot se laissait recouvrir et devenait un véritable buisson. Ellen fut prise d'une terrible crise d'angoisse. Les feuilles et les branches avaient commencé à toucher ses jambes. Quand elles atteignirent ses hanches, elle ressentit des picotements.
Des ronces poussaient également et remontaient le long de sa colonne vertébrale. Sa respiration s'accéléra et, très vite, elle ne put plus bouger. Même sa tête ne se tournait plus. Elle vit que celle de Bleiz était désormais entièrement recouverte. Des bulbes sifflaient de l'air floral à ses oreilles, telle une mélodie paradoxalement harmonieuse et dissonante, sinistre. Des brindilles s'engouffraient dans la bouche d'Ellen, motivées par leur propre volonté. Elle voulut hurler, mais ses cordes vocales ne produisirent aucun son. Elle était comprimée, comme dans un cocon beaucoup trop protecteur. Elle ne souffrait pas, et d'ailleurs, elle sentait à peine le bois masquer son visage. Mais la sensation était étrange, oppressante.
Elle crut étouffer, la chaleur était presque insoutenable alors que l'humidité l'emplissait. Un nœud se fit au-dessus de sa tête. Elle crut bouger, du vent s'engouffrait à travers les orties coincées dans son cuir chevelu. A travers ses narines à peine libres, elle sentait l'odeur boisée et les spores des champignons. Ses yeux étaient clos, elle redoutait de voir ce qui se produirait ensuite. Elle tomba, longtemps, craignant qu'il n'y ait pas de fin. Le loup sous ses cuisses semblait s'être évaporé. Elle chuta longuement, jusqu'à se rendre compte qu'elle était allongée sur une herbe douce. Les racines et ramures avaient disparu. Ellen se sentait libre, comme si elle ne l'avait jamais vraiment été. Un sentiment de soulagement l'envahit. Elle ouvrit les paupières et reconnut les lieux. Elle était déjà venue au bord de cette rivière à l'eau brillante et argentée.
Artiste : sylfvr
C'était dans cette vallée ensoleillée qu'elle avait atterri après avoir ingéré le champignon de Moira. Elle était seule, à part quelques oiseaux aux couleurs splendides et aux becs beaucoup trop longs pour être réels, dans son monde. Elle se leva, ressentant quelques courbatures dans les omoplates et les chevilles. Elle vit que des touffes de poils du loup étaient restées accrochées à son jean. Elle les épousseta et remonta la pente douce. Des bruits, des chants plus précisément, étaient perceptibles un peu plus en hauteur.
Ellen arriva derrière la tour de Margot. Elle la contourna et retrouva les êtres qu'elle avait déjà rencontrés auparavant, des faunes et des lutins dansant au rythme d'une musique entêtante et envoûtante, autour d'un feu violet. La fée assistait à la fête un peu en retrait, comme elle en avait l'habitude. Ellen remarqua qu'elle paraissait différente. Elle irradiait plus dans son royaume que dans le monde des humains. Et, détail qui n'en était vraiment pas un, pour la première fois la jeune fille vit les ailes de la fée. On aurait dit celles d'un papillon, bleutées et nervurées, mais étaient sensiblement d'une envergure bien plus imposante. Elles dépassaient au-dessus de ses cheveux. Ceux-ci avaient changé, passant d'un blond platine à un rouge qui dénotait avec la couleur des ailes. Quand elle se rendit compte qu'Ellen arrivait, elle s'élança vers elle, s'élevant d'à peine quelques centimètres les pieds raides frôlant la verdure.
— Tu es enfin éveillée ! Tu as mis un peu de temps pour reprendre tes esprits.
— Je suis restée assommée longtemps ?
— Quelques heures je crois, selon les calculs de temps des Humains. Il te fallait récupérer, une telle magie peut être éprouvante.
— Oui, je ... Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ?
— C'était trop risqué d'aller jusqu'à l'Hotié pour te faire franchir la porte de mon Royaume. J'ai opté pour une solution plus rapide.
— Ça m'a paru risqué aussi, répliqua Ellen qui ressentait encore les démangeaisons dues aux orties. C'était vraiment affreux ! J'ai cru que j'allais en mourir.
— Tu ne risquais rien, crois-moi. Je savais qu'il y avait un point d'énergie intense au niveau de cet if, c'est fort pratique.
— Et vos loups ? Ils vont bien ?
— Oh, oui bien sûr ! Ils sont dans leur tanière, ne t'en fais pas pour eux. Je crois que Kinoz rechigne un peu, il n'a pas vraiment apprécié l'expérience, mais il s'en remettra.
— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
— Viens avec moi. Je vais te montrer le miroir d'eau.
Elle l'entraîna vers la tour, se désintéressant à nouveau des festivités. La fée poussa la lourde porte et laissa passer Ellen. Un bruit sourd retentit, lorsque le battant massif se referma sur elles.
***
Camille et Elsa ne réussirent pas à rattraper leur amie, aux prises avec cette étrange femme. Ils renoncèrent à les chercher dans la forêt, s'avouant vaincus, démoralisés et surtout perdus dans l'immensité boisée. Ils avançaient à l'aveugle ; chaque arbre se ressemblait, chaque clairière paraissait similaire à la précédente. Le soleil aveuglant laissa rapidement sa place à de gigantesques nuages noirs. Une pluie battante les accabla, comme si la malchance les poursuivait. Ils traversèrent des stands de tirs de l'armée à ciel ouvert, mais aucun soldat en exercice n'était présent.
Tout semblait vide, sans âme. Ils ne croisaient aucun animal, pas le moindre petit oiseau. Même les sangliers et les biches étaient aux abonnés absents. Ils étaient pourtant nombreux en cette période et se réfugiaient habituellement dans le camp militaire. C'était comme si la forêt leur jouait un mauvais tour. Comme si elle faisait tout pour qu'ils s'égarent et, de son étendue automnale, les garder prisonniers à jamais dans ses filets verts. Les arbres étaient si hauts et nombreux que le ciel était presque imperceptible à travers leur cime. La soif tiraillait les entrailles de Camille et Elsa et la terre imbibée les forçait à crapahuter non sans difficultés. Ils erraient en s'accrochant dans les fourrés et en se faisant fouetter par de fines branches capricieuses.
Souvent, ils devaient contourner de longues rangées de fougères sur lesquelles perlaient encore la rosée de la matinée. Là, le couple prenait conscience de toute la splendeur de Brocéliande, mais aussi de son caractère obscur et, indéniablement, du dessein qui lui était propre. Ils ne pouvaient plus alors contester l'existence d'une âme impénétrable et intelligente qui animait son ensemble, à la fois verdoyante et vertigineuse. En descendant une petite pente encaissée, ils réussirent à rejoindre le maigre lit de l'Aff. Le ruisseau était très fin à cet endroit, mais ils le connaissaient bien plus vigoureux et large, plus au sud. Des panneaux étaient accrochés sur des troncs, à distance régulière. Ils prévenaient les promeneurs du danger de la proximité du camp de Coëtquidan.
" Domaine militaire. Défense d'entrer. Tirs en cours, danger de mort. "
Ce dernier n'était effectivement pas encerclé par des grillages et des murs d'enceinte, contrairement à la cité scolaire. La taille impressionnante du terrain militaire rendait sa protection difficile et une clôture sur tout le périmètre était difficilement applicable ; surtout à cause des animaux qui y passaient à chaque saison. Ils se précipitèrent au bord de l'eau, les genoux dans la boue et s'en abreuvèrent, ne se souciant pas de son aspect rougeâtre. Les roches schisteuses conféraient cette couleur à tous les cours d'eau de la région.
Des champignons poussaient de part et d'autre, mais ni Elsa, ni Camille ne voulut prendre le risque de les goûter. Le ciel menaçant s'était à nouveau dégagé et une chaleur rare en octobre les soulagea en séchant leurs vêtements. Ils prirent le temps de s'asseoir et de s'enlacer un instant. Ils avaient tous deux besoin de réconfort et de sentir l'autre contre soi. Ils décidèrent de remonter l'affluent et marchèrent durant trois longues heures, soit en se tenant la main parfois, soit l'un derrière l'autre. Leurs esprits avaient du mal à assimiler les derniers événements et l'essentiel, selon eux, était de retrouver des personnes capables de venir à leur secours.
Ils passèrent près de l'Hotié de Viviane, sans y prêter d'attention et s'engagèrent sur les hauteurs de la Vallée de Gurvant. Les ajoncs piquants de la lande côtoyaient des arbres centenaires et, sur le versant d'en face, d'immenses conifères donnaient l'impression d'une tribu de colosses verts en cercle, immobiles. De grandes pierres sortaient parfois du sol rose, en strates ; la vue sur la nature bretonne était à couper le souffle.
— On n'est pas très loin de l'Arbre d'Or ! s'écria Camille. Je ne pensais pas qu'on arriverait ici. On a été totalement désorientés par cette maudite forêt !
— Tréhorenteuc est juste à côté, en déduit Elsa. On est sauvés.
Il la prit dans ses bras et l'embrassa. Après tout ce temps à faire des détours inimaginables sous le feuillage et le déluge, ils pouvaient enfin espérer rentrer chez eux. Ils s'adossèrent contre une très longue crête de schiste, veinée de quartz, ressemblant à une gigantesque épine dorsale d'une créature légendaire d'autrefois.
— Les gens disent qu'on est assis sur le siège de Merlin, dit Elsa. Tu imagines si c'est vrai ? Le mec avait un beau panorama pour préparer ses potions.
La légèreté de leur discussion s'opposait aux dernières vingt-quatre heures d'horreur. Ils refoulaient les hurlements et les pleurs dans leurs têtes. Le temps des questions et de la recherche de réponses allait venir bien assez tôt. Ce nouveau moment d'accalmie leur était bénéfique, avant d'entamer la descente vers le village.
— Il y a le gros cœur, juste après, ajouta Camille.
Ils continuèrent leur marche, plus apaisés, profitant des rayons du soleil bienvenus. Ils faisaient attention à ne pas trébucher sur les larges pierres qui proliféraient au sol. Il suffisait d'un manque d'attention imbécile pour rouler et finir en chute libre. Le rocher des Faux-Amants se dressait devant eux, tel un cœur figuré, épais et brisé.
— Regarde, d'ici on peut voir le Miroir aux Fées, remarqua Elsa.
— D'après la légende, les hommes infidèles restent prisonniers ici. C'était une fée qui aurait lancé ce sort pour punir le chevalier qui l'avait trompé. Je me demande d'ailleurs si ce n'était pas la femme bizarre qui nous a fait sortir du lycée. Si tu n'as pas été loyal, tu restes enfermé pour l'éternité sans réussir à quitter la vallée.
— J'espère que tu ne m'as jamais trompée ! plaisanta Elsa en appuyant sur le torse de son petit ami avec son index.
Surpris, Camille recula brusquement et glissa sur les gravillons. Il ne réussit pas à se rattraper au bord de la falaise. Il entendit sa bien aimée hurler mais perdit connaissance quand son dos frappa violemment le tronc d'un des arbres qui poussaient penchés, sur le bord du précipice. Son corps assommé et flasque continua, par intermittence, de dévaler la paroi rocheuse et de basculer mollement dans le vide. Il finit sa tombée dans l'étang, coulant tout au fond, comme s'il était lesté de plomb. Le choc avec la surface aqueuse le réveilla. Il voulut hurler de douleur, mais il ne fit que remplir un peu plus ses poumons d'eau.
Elsa se dépêcha de descendre vers le bas du vallon. Heureusement, à ce niveau, des aménagements avaient été prévus pour les randonneurs qui s'y aventuraient. Elle s'agrippa à une corde tressée tenue par de petits poteaux de bois plantés dans le sol rocailleux, glissant tout de même par moments. Elle arriva au bord du point d'eau, mais en se penchant, elle ne vit pas Camille. Aucun frémissement ne laissait présager qu'il essayait de revenir à l'air libre. Elle tenta de changer de point de vue et passa sur un petit pont de bois, sous lequel l'étang laissait échapper un énième ruisseau. Celui-ci coulait à côté de la ruine d'un ancien moulin et devant l'Arbre d'Or, célèbre mémorial des terribles incendies qui ont ravagé plusieurs centaines d'hectares de landes et de bois en 1990. L'œuvre, autrefois controversée, était un châtaignier calciné, entouré de cinq chênes noircis, dont le tronc et les grosses branches basses subsistantes furent recouverts de cinq milles feuilles d'or, symbolisant la renaissance du Val.
Cependant Elsa n'était pas là pour admirer l'ouvrage, ni pour se recueillir en ce lieu comme tous les touristes estivaux. Accroupie sur la digue, elle essayait d'apercevoir le moindre mouvement qui pourrait lui indiquer la présence de Camille. A présent, aucune onde ne troublait la surface immobile et opaque, qui reflétait les nuages blancs, le soleil éblouissant et les bouleaux alentour.
Artiste : sylfvr
Camille continuait de sombrer; mais il ne se noyait pas, sans comprendre pourquoi. Il n'arrivait pas à remonter, pourtant ne s'enfonçait plus non plus. Il se sentait étrangement bien, ne ressentait plus les douleurs causées par sa chute, ni les peines qui brouillaient néanmoins son esprit juste avant. Ce sentiment était similaire à la sensation de bien-être dans un bain chaud. Le jeune homme se rendit compte qu'il ne cherchait plus à respirer et qu'il pouvait très bien vivre dans cet étang sans air. Autre chose étonnante, il gardait ses yeux grands ouverts, sans difficulté. Il réussit à se retourner, continuant à nager entre deux mondes. Camille frôlait de grandes plantes aquatiques qui ondulaient paresseusement. Il contemplait les rayons du soleil qui traversaient l'eau et conféraient aux profondeurs une ambiance mystique. Il oubliait complètement Elsa et l'inquiétude qu'elle pouvait ressentir à ce moment.
Avançant un peu plus, l'adolescent perçut dans le fond une chose étrange; une masse informe, recouverte d'algues, qui l'attirait. Il se sentait captivé par elle et ne comprenait pas ce qu'elle était réellement. Quand il s'approcha de plus près, il s'aperçut qu'il s'agissait d'ossements. Seulement, ils étaient énormes et certainement pas humains. Le squelette devait mesurer plusieurs mètres de hauteur. Pour la première fois depuis qu'il était dans le Miroir aux Fées, il fut effrayé. Cette vision le terrorisa, le crâne du géant semblait le fixer et sa mâchoire paraissait hurler à l'infini.
Il parvint enfin à se détacher de son envie inexplicable de rester immergé et, après de longues minutes, Elsa vit enfin du remous sur le côté sud de l'étang. Elle courut sur le chemin de terre opposé au versant par lequel elle était descendue. Son amoureux était déjà en train de sortir, la chemise dégorgeant et le pantalon collé à ses maigres jambes. Elle remarqua qu'il avait perdu ses baskets et ses chaussettes. Mais tout ce qui lui importait c'était qu'il n'était pas mort, malgré le temps considérable passé sous l'eau.
— Je suis désolé, sanglota Elsa dans les bras de son petit ami.
— Non ... c'est de ma faute.
Il ne semblait pas être en détresse respiratoire, ce qui étonna la jeune fille, totalement paniquée.
— Tu vas bien ? Tu es resté tellement longtemps là-dedans ! Pourquoi tu n'es pas à bout de souffle ? Mon dieu, je suis soulagée que tu sois en un seul morceau ! Tu ne devrais pas tenir debout. Tu devrais plutôt avoir un milliard de fractures ...
— Calme-toi.
Il s'affala sur le sol, faisant quand même attention à ne pas poser ses pieds nus sur les ajoncs aux épines tranchantes.
— C'est vraiment très bizarre. Je me sentais réellement bien sous l'eau. Je pensais que j'allais me noyer, mais pas du tout ! Et puis ...
Elsa releva la tête, attendant la suite de son récit.
— Et puis, j'ai vu cette chose. C'était tout sauf humain. C'était impressionnant et, heu ... sûrement très ancien.
— Cawr, dit spontanément l'adolescente. C'est le squelette du géant Cawr.
Sa réponse la surprit tout autant que Camille. Elle ne savait pas du tout d'où lui venait cette information.
— Comment tu sais ça ?
Une larme coula sur le doux visage d'Elsa qui écarquillait ses yeux de biche.
— Je ... Je n'en ai aucune idée !
***
Alice était allongée sur un lit confortable, dans une petite chambre très colorée. Le manoir dans lequel elle avait été accueillie était très plaisant, au bord du Pas du Houx. Le cadre champêtre lui plaisait beaucoup, malgré les miliciens qui faisaient des rondes sous sa fenêtre. Elle avait hâte de suivre les enseignements promis par Romina Swell et qu'elle tienne son engagement vis-à -vis d'Alfred. Elle se dit qu'il devait sûrement être enfermé dans une pièce sous la demeure. Elle ouvrit une grande armoire, dans laquelle elle aurait aimé, petite, découvrir une porte vers un monde magique caché. Elle y avait rangé les vêtements qu'elle avait pris en quittant ses parents. D'autres étaient déjà entassés, des cadeaux de sa préceptrice. Elle enfila un nouveau gilet mauve qui lui allait parfaitement et sortit de la pièce. Elle descendit le grand escalier scintillant et chercha au rez-de-chaussée une porte qui mènerait à une cave. Mais avant d'avoir pu la trouver, Romina la remarqua et prit les mains de la jeune fille.
— Ma chérie. Tu te plais ici ?
— Oui, je crois. J'espère que mes parents ne s'inquiètent pas trop. J'aurais dû leur laisser un mot.
— Tu auras le droit de les appeler plus tard, je te le jure. Mais pas tout de suite.
Elle eut un immense sourire. Il fut contagieux car Alice fit de même.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Viens avec moi.
Elle l'amena devant la grande porte du salon dans lequel Guillery avait eu son entretien avec la cheffe des Ombres, quelques jours plus tôt. Elle ouvrit et la lycéenne
vit qu'il y avait déjà une autre personne dans la pièce, qui lui tournait le dos. Le garçon se retourna et ils durent tous les deux très surpris de se voir à cet endroit.
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