13 - Partition
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Jacques Lemony était assis sur son vieux fauteuil au tissu bleu et lisait un journal, dont la première page, en anglais, affichait une une historique.
" London Planet, l'info essentielle
1er Septembre 1997
Mort de Lady Diana, le Royaume-Uni sous le choc : les réactions dans les rues de Londres. "
Ne s'intéressant pas tellement aux témoignages chocs et aux déclarations émouvantes de l'édition spéciale de son quotidien, le père de famille était plongé dans la lecture des pages sportives. Une femme entra dans le salon et s'approcha de lui, avant de l'embrasser.
— Je ne pensais pas que les nouvelles sur la princesse t'intéressaient, dit-elle avec un sourire.
— Non, grommela son mari.
Il avait un très fort accent français.
— Par contre, leur analyse de la défaite de Liverpool est excellente. Comment va notre futur petit guerrier ?
— Ou future petite guerrière ! répondit-elle en fronçant légèrement les sourcils.
La femme déroula le plaid qu'elle portait attachée des épaules aux genoux et révéla un ventre rond, qu'elle caressa avec tendresse.
— On a déjà une fille, fit remarquer l'homme. Je veux
un petit garçon, qui pourrait reprendre l'entreprise de mon père après moi quand il sera grand.
— On le saura dans quatre mois !
Un téléphone sonna dans une autre pièce et Jacques se leva pour décrocher, tandis que sa femme se laissa tomber dans le fauteuil, la main toujours posée sur son bas-ventre gonflé par la grossesse. Quelques secondes plus tard, cependant, elle dut se relever.
— Anne, c'est pour toi.
— Qui c'est ? interrogea-t-elle.
— Aucune idée, sûrement la dame de ton club de lecture.
La femme se rendit dans la petite cuisine et s'appuya sur le dossier d'une chaise. Sans vraiment savoir pourquoi, quand son mari lui tendit le combiné du téléphone fixe, elle avait une boule au ventre. Une sensation qui n'avait rien à voir avec son état de gestation d'un petit être humain en développement dans son propre corps. Un grésillement se fit entendre et une voix féminine, mais sèche, parla sans attendre que quiconque s'annonce.
— Quel est votre code ?
La main tremblante, Anne faillit lâcher l'appareil. Elle écarquilla les yeux de surprise et, le fil étiré au maximum, se pencha pour surveiller que son mari ne puisse l'entendre. Du coin de l'œil, elle vit qu'il s'était réinstallé confortablement devant la télévision cathodique. Puis, une fois sûre de sa discrétion, elle chuchota :
— 1-0-6-4-2, Anne Lemony, résidant au 248 Wall End Road, East Ham, Londres.
— L'action est imminente, votre présence est exigée. Le lieu de rendez-vous est Liberty School, Dama Road, Londres. Nous pensons y avoir détecté la présence de notre pupille.
— Très bien.
Anne raccrocha et s'assit sur une chaise, posa ses coudes sur la table en cerisier et se prit la tête entre ses mains. Elle devait trouver un prétexte pour s'absenter et laisser Jacques s'occuper de leur fille. Elle leva son lourd corps meurtrie par la grossesse et se dirigea dans un couloir étroit qui menait à un escalier. Arrivée à la dernière marche, son pied glissa et rata le palier. Le cœur battant très rapidement, elle se rattrapa in extremis à la rambarde et poussa un profond soupir.
— Maman ! s'écria une petite fille dans l'embrasure d'une porte.
— Je vais bien, ne t'inquiète pas, Moira. Dépêche-toi de te préparer, je t'emmène à l'école aujourd'hui.
Elle se rendit dans sa chambre, ouvrit une étroite penderie et attrapa un manteau. Quand elle fut redescendue, elle retrouva Jacques, encore assis dans son fauteuil.
— Tu ne te prépares pas ?
— Je ne commence qu'à neuf heures, aujourd'hui, expliqua-t-il.
— D'accord. Je dépose Moira et je file; c'était la gynécologue au téléphone, elle veut me voir.
— Il y a un problème avec le bébé ? s'inquiéta Jacques, se redressant vivement.
— Non, rassure toi ! l'apaisa Anne en caressant ses cheveux grisonnants. C'est juste un petit contrôle de routine, ça va aller.
— Si tu veux, je vais demander à mon patron si je peux
m'absenter quelques heures.
— C'est inutile mon chéri. Je te téléphonerai à mon retour.
La discussion fut aussitôt close, car leur jeune fille venait de descendre au rez-de-chaussée. Quand il fut seul dans la maison, Jacques se prépara à partir au travail, se munit de son attaché-case et fit le nœud de sa cravate. Alors qu'il allait poser la main sur la poignée de la porte d'entrée, le téléphone sonna à nouveau. Exaspéré, l'homme fit volte face et grimaça; ce n'était vraiment pas le moment et il risquait d'être en retard.
— Oui allô ?
Une voix masculine et grave demanda :
— Quel est votre code ?
Jacques ouvrit grand la bouche et resta figé quelques instants. Il ne s'attendait pas du tout à recevoir ce coup de fil et il en fut déstabilisé, pendant quelques secondes. Il ne savait plus ce qu'il devait répondre dans ce cas-là.
— Quel est votre code ? insista la voix inconnue.
— Heu, oui ... attendez une seconde.
Il fouilla dans un petit carnet posé à côté du téléphone. Quand il trouva la page qu'il cherchait, il poussa un cri de victoire et sembla à nouveau sûr de lui.
— C'est bon, voici mon code : 5-1-4-1-3, Jacques Lemony, fils de Jacques senior et d'Isabelle, initié à la section Bretagne, au Manoir du Pas du Houx.
— La prise est imminente, votre présence est exigée.
— Mais je ...
— Le lieu de rendez-vous est Liberty School, Dama Road, Londres. L'ennemi a localisé la cible, nous allons en profiter pour la leur rafler sous le nez.
— D'accord, répondit Jacques. Comptez sur moi !
Après avoir appelé son employeur en prétendant être malade, Jacques conduisit jusqu'à un lycée situé à l'autre bout de la capitale. Il se gara volontairement à une distance raisonnable et rejoignit un groupe de personnes caché derrière un hangar. L'un deux, qui semblait être le chef, prit la parole en prenant soin de rester discret.
— Merci d'avoir tous répondu à l'appel. Je suis John Slaughter, l'actuel Régisseur des Ombres. Je sais que pour certains d'entre vous, c'est la première fois depuis longtemps que vous êtes contactés pour faire partie d'une action. Aujourd'hui, et après une longue pause, la division des Ombres de Londres a l'immense honneur d'avoir enfin repéré le Kentan. Vous avez tous été formés, depuis votre enfance, pour préparer cette journée. Et notre but aura bientôt sa conclusion ! La fin des cours est dans moins d'une heure, nous allons attendre le départ des bus scolaires. La cible sera dans celui qui porte le numéro 4.
— Comment savez vous qu'il s'agit bien du Kentan ? demanda Jacques.
— Il y a trois mois, sa classe a passé un séjour en Cornouailles, dans les landes de Bodmin Moor. La région est réputée pour ses légendes et sa tradition celte. Nous n'avons donc pas été étonnés de constater qu'après leur passage, des rumeurs à propos d'anciennes créatures et du Peuple du Monde Caché circulaient dans la contrée. C'était le signal que nous attendions, l'affirmation que l'élu était enfin révélé.
Un autre homme, à la carrure robuste, une expression glaciale sur le visage, se racla bruyamment la gorge. Il lança un
regard à une femme chauve qui se tenait à ses côtés, et hocha la
tête, comme pour l'encourager à s'exprimer.
— John ... Il y a déjà eu des raids qui ont mal tourné. Il se peut que ce ne soit qu'une coïncidence, ça c'est déjà vu. Ne crois-tu pas que nous devrions attendre ? Il paraît que la vieille oracle de la Compagnie n'a rien vu dans ses fumées divinatoires. Nous pourrions essayer de récolter plus d'informations, pour être sûrs.
— C'est un risque à prendre, répondit sèchement Slaughter. Ce n'est pas maintenant que nous allons reculer.
— Mais ... comment savez vous lequel est-ce, parmi les élèves de cette classe ? renchérit Jacques.
Ce fut l'homme imposant qui lui répondit.
— Je les ai tous observés, depuis leur retour à Londres et pendant tout l'été. Je les ai suivis pendant leur temps libre et j'ai assisté, de loin, à leurs cours de sport.
— Glauque ..., siffla la femme chauve, sans pourtant réussir à cacher un sourire.
— Ce garçon est le seul à avoir des aptitudes physiques qui se distinguent. Il s'appelle Gregory.
Le chef distribua à chacun une photo du jeune en question. Jacques posa des lunettes de vue rondes sur son nez et regarda le portrait de l'adolescent blond au visage banal, voire typique des britanniques. Mais il semblait musclé et la performance physique était un critère pour déterminer le Kentan. Alors que Slaughter reprenait la parole, Jacques enfouit le cliché dans son sac à dos, qu'il tenait entre les jambes.
— Un plan a été mis en place depuis les premières missions de reconnaissance du Kentan par les Ombres, il y a plusieurs siècles. La première étape se résume en trois mots : terreur, humiliation, évaluation physique. Bon, quatre mots en fait. L'idée est de tester ses capacités sportives. Ce sera le premier point de vérification, nous verrons le reste des étapes ensuite. Nous avons déjà un homme à bord du car, qui se fait passer pour le conducteur. Il va s'arrêter à quelques kilomètres, en dehors de la ville, et nous monterons à bord. Il faut pousser le gamin à s'enfuir, donc nous devons le terroriser, mais sans l'attaquer directement. Nous allons nous diviser. Une équipe dans le car, une autre à le poursuivre. C'est là qu'il nous montrera de quoi il est capable. Êtes vous prêts ? Bien.
Il plongea sa main dans un grand sac de sport et en sortit des masques. Ils étaient en bois et portaient des inscriptions, des marques et des symboles anciens. Chacun en prit un et le mit sur sa tête, et tous s'élancèrent, armés, déterminés, et fiers.
***
Aujourd'hui, et malgré l'actualité chargée, Joshua était heureux. Il avait fêté son anniversaire le jour de la rentrée, avec tous ses amis, et il avait même eu droit à un petit gâteau à la cantine du lycée pour célébrer sa majorité. La fille qu'il aimait bien lui avait dit qu'elle était contente de le revoir et son meilleur ami, Gregory, lui avait rapporté un souvenir de ses vacances en France. Et pour couronner le tout, le ciel était ensoleillé, alors il profitait de ce temps pour rentrer chez lui en vélo. Il avait décidé de suivre le bus scolaire de son ami, qui passait près de chez lui. La petite maison dans laquelle il habitait n'était pas très loin de son école, et ses parents, sur la paille en ce moment, n'avaient pas voulu lui payer une carte de bus. Mais cela lui importait peu désormais, car, le sourire aux lèvres, il pédalait joyeusement. Quand Joshua arriva devant son jardin, il se prépara à descendre de vélo et à défaire son sac. Mais, toujours assis sur sa selle, il constata que le bus venait de tourner dans une rue adjacente, au lieu de continuer tout droit. Intrigué, il décida de se remettre en route et de suivre le véhicule. Il le rattrapa peu de temps après et, à bout de souffle, vit que derrière les vitres du car, les écoliers semblaient paniqués. Sans vraiment comprendre ce qu'il se passait, il continua sa filature en restant discret. Une poursuite qui dura plusieurs minutes, jusqu'à que le bus s'arrête au bord de l'enceinte urbaine. Joshua se dit que ce n'était vraiment pas normal, mais resta prudemment en retrait. Il vit alors de grosses voitures se garer en trombe autour du transport scolaire et des personnes armées en descendirent. Caché derrière un container, Joshua vit qu'ils portaient tous d'étranges masques repoussants. Il les regarda pénétrer les uns après les autres dans l'autocar et certains d'entre eux tirèrent les rideaux contre les fenêtres. Paniqué et ne sachant que faire, Joshua se demanda s'il devait alerter la police, peut-être se rendre chez quelqu'un et lui demander d'appeler les autorités. Mais il était incapable de bouger et il resta là, à maintenir les guidon de son vélo avec une force démesurée. Ses mains tremblaient, mais il ne s'en rendit pas compte tout de suite. Il étouffa un cri quand il vit alors que du sang venait de gicler sur une vitre, entre deux rideaux. Toujours immobilisé, les membres raidis pas la terreur, il aperçut une personne sortir en courant du bus. C'était son ami Gregory. Il voulut s'élancer à sa poursuite, mais hésita. Et si ces personnes étranges et armées le voyaient, ils lui feraient du mal à lui aussi. Avant qu'il n'ait pu prendre une décision, il vit que d'autres de ces gens poursuivaient Gregory. Certains étaient équipés de fusils et d'autres de machettes, mais aucun ne rattrapait le garçon. Joshua espéra alors, très fort, que son ami s'en sorte vivant.
***
La femme en cuir tenait un pistolet, le garde Ombre pointait une mitraillette et Guillery, qui n'avait pas l'intention de se rabaisser aux armes à feux, serrait le fourreau de son épée, attaché à sa taille. Gwen les regardait discuter à voix basse et ne savait dire ce qu'ils attendaient. Il tourna son regard inquiet, et vit avec tristesse que la plupart de ses camarades avaient caché leurs visages dans leurs mains, dans leurs bras ou se tenaient les uns les autres, comme pour se soutenir. Elsa était en pleurs, toute tremblante, et ne semblait écouter Camille qui tentait tant bien que mal de la rassurer. Malgré ses propres mots, il ne semblait guère convaincu, lui non plus. Au bout de longues minutes, un autre homme masqué fit irruption dans la salle de classe. Sans un mot, il échangea un regard avec la femme au pistolet et hocha la tête, en signe d'approbation. Gwen l'entendit s'adresser à l'homme à la barbe sauvage qui se tenait à ses côtés.
— C'est prêt, Guillery. Nous pouvons commencer la première étape.
Il se demanda s'il avait halluciné, ou s'il avait bien entendu. La femme avait appelé son complice Guillery. Pourtant cela lui semblait impossible selon lui et malgré le fort accent anglais, il avait bien reconnu le nom. Il voulait en parler à Ellen et Sacha, qui étaient assis à côté de lui, mais craignait de se faire entendre. La peur de se prendre une balle le dissuada de tenter quoique ce soit. Le brigand était mort et enterré depuis des siècles, il le savait, c'était indiscutable. Il supposa que c'était une coïncidence, ou un descendant. Il regarda le fameux Guillery sortir de la pièce et les élèves entendirent ses lourdes bottes résonner dans le couloir. Des pas différents s'annoncèrent alors, nombreux et en cadence. Une vingtaine d'hommes masqués entrèrent et, sans ménagement, chacun attrapa un élève et le remit sur ses pieds. Ils commençaient à faire sortir les jeunes quand Louis, le plus grand et le plus musclé des garçons, frappa de son poing l'un des Ombres. Mais le paramilitaire baraqué et surtout armé ne se laissa pas faire. Il fit une clé de bras au jeune homme et le jeta sur le sol. Gémissant alors de douleur, Louis finit par être traîné hors de la salle. D'autres tentaient de se débattre, mais c'était peine perdue. La classe fut divisée en deux groupes, dans deux autres pièces du deuxième étage. Les élèves avaient été forcés de s'asseoir dans des cercles tracés par terre, à quelques mètres de distance l'un de l'autre. Guillery était accoudé à un bureau de professeur, dans une salle où les douze jeunes hommes de la classe étaient rassemblés. La femme habillée de cuir, quant à elle, était dans un coin d'une autre salle où huit des filles de la Terminale avaient été amenées. Elle sortit un papier d'une de ses poches et réfléchit un instant. Elle lisait la liste des élèves et comptait douze garçons, mais seulement neuf filles. Il y avait, effectivement, un cercle vide.
— Qui est celle qui manque ? demanda-t-elle d'une voix forte. Il y en a une qui n'est pas là.
Les jeunes filles se regardèrent mais aucune ne voulait être celle qui allait parler. La terreur se lisait sur chaque visage. Les traits tirés, les mines sombres, les sourcils froncés faisant apparaître des rides inédites, les écolières semblaient avoir vieillit en quelques minutes.
— Si vous ne me répondez pas, je tire dans le tas ! menaça la femme.
Des cris aigus retentirent et certaines se recroquevillèrent encore un peu plus sur elles-mêmes.
— C'est Alice ! dit soudainement Ellen, les yeux exorbités et embués. Alice Blanco. Elle est malade.
La femme s'approcha lentement d'elle, la dévisagea, puis fit le tour de son cercle. Faisant une tête de plus qu'Ellen, elle appréciait la tourmenter et elle jubilait avec un petit sourire malsain. Elle ressemblait à un oiseau charognard faisant des ronds au-dessus d'une proie. L'air satisfaite, elle revint se poster dans son coin. Ellen tremblait comme une feuille, mais restait debout, figée, la tête haute. La respiration haletante, elle sentit une goutte de sueur perler le long de son front.
— Tant pis, céda la rousse. Si elle est souffrante, c'est que ce n'est pas elle.
Elle s'avança vers la porte et fit un signe aux hommes qui s'étaient rassemblés dans le couloir. Les armes en direction des filles, ils se disposèrent en rangée, face à elles. La femme se glissa entre deux d'entre eux; elle semblait frêle, comparé aux musculatures impressionnantes qui l'entouraient. Mais son regard froid et perçant lui conférait une aura qui déstabilisait le plus féroce des soldats Ombres.
— Bon, dit-elle. Je vais être transparente avec vous. Si vous écoutez bien ce qu'on vous demande de faire, et si aucune d'entre vous ne fait de connerie, du type essayer de s'enfuir, tout va bien se passer. Et qui sait, peut-être qu'on deviendra les meilleures amies du monde.
Elle eut un petit rire de sorcière, qui n'inspirait ni la confiance, ni l'envie de se lier d'amitié avec elle.
— Nous recherchons une personne en particulier. Peut-être l'une d'entre vous, mesdemoiselles. Cette personne remplit des critères bien particuliers, d'après ce que j'ai compris. La première étape est l'évaluation physique. Donc nous allons, dans un premier temps et à défaut de mieux, faire une observation. Vous allez me dire, et vous aurez totalement raison, que c'est une analyse basée sur des a-priori, mais ne vous en faites pas pour ça. Malgré ma foi, je peux être empirique quand il le faut !
Pendant qu'elle parlait, la femme faisait le tour de la pièce, en jetant des coups d'œils à chaque fille. Parfois, elle s'approchait un peu plus, souvent quand l'élève était assise par terre, les membres repliés, terrifiée. Quand elle eut fini son tour, elle regarda les hommes armés qui n'avaient absolument pas bougés. Elle pencha la tête, eut un expression doucereuse de psychopathe de bande dessinée, les yeux grands ouverts, et leur sourit. Brusquement, elle se retourna en gardant son expression malfaisante.
— Mais vous comprendrez, mes chères nouvelles amies, que nous ne pouvons nous contenter d'une investigation aussi peu poussée. C'est pourquoi, et c'est là où mes petits camarades vont nous être utiles, je vais vous demander de vous déshabiller.
A ces mots, toutes les filles relevèrent la tête et la regardèrent estomaquées. Aucune ne bougea, et aucune n'obéit.
— Rappelez-vous que si vous coopérez, si vous n'avez rien à vous reprocher, tout ira bien pour vous.
Elle eut à nouveau un petit rire mauvais.
— Par contre, si vous ne m'obéissez pas, ces messieurs auront la joie de vous y contraindre.
Les hommes, toujours en ligne, firent un pas en avant. Le bruit sec et puissant des bottes de la troupe fit sursauter certaines filles. Cinq d'entre elles, dont Elsa et Ellen commencèrent à retirer leur haut et à déboutonner leur jean. La femme leur tourna à nouveau autour et, quand les canons des mitraillettes se tournèrent vers elles, deux autres cédèrent à leur tour. Une dernière réticente, encore assise sur le sol, des larmes coulant sur son visage, tenait sa tête entre ses paumes. Arrivée à son cercle, la femme rousse eut un nouveau sourire étrange. Mais cette fois-ci, il révéla des canines petites et pointues, comme prêtes à mordre.
— Allons ma petite, dit-elle d'une voix étonnement mélodieuse. Pourquoi tu ne veux pas faire ce que je demande ?
L'élève renifla bruyamment et fut prise d'un énorme sanglot.
— Calme toi, s'il te plaît. Comment tu t'appelles ?
— Maeve ... Maeve Lemoal.
— Maeve, d'accord. Je te l'ai dit, si tu m'obéis il ne t'arrivera rien. Alors maintenant, si tu ne veux pas que ce soit l'une de ces grosses brutes qui le fasse, déshabille-toi.
— Je ... je ... je veux pas !
— Et pourquoi, tu ne veux pas ?
— Parce ... Parce que je suis moche !
Les autres filles exprimèrent leur compassion par des petits gémissements et des regards pleins de peine.
— Ah d'accord, répondit vivement la femme.
Sa voix avait à nouveau changé, elle était redevenue sèche et nasillarde.
— Bon, écoute moi. Ma patience a assez duré ! On s'en fout totalement là, de ce que les autres pensent de toi ! Ce n'est clairement pas le moment pour s'en soucier, tu ne crois pas ? Toi on te dit que tu vas crever, et tout ce qui t'importe c'est si tu vas effectivement crever de façon esthétique ou comme un vieux laideron ? J'en peux déjà plus de ces gamines ...
Deux hommes attrapèrent abruptement Maeve et la remirent debout. Cette dernière était repartie de plus belle dans ses pleurs, en entendant ce que venait de lui héler la femme. Après quelques secondes à essayer de se ressaisir, la jeune fille, toujours choquée, imita ses condisciples et se mit en sous-vêtements. Guillery apparut alors, se faufilant par la porte à demi-fermée. Il se posta à côté de sa complice, tandis que les hommes militarisés ressortaient.
— Alors, comment ça se passe ici ? demanda-t-il, visiblement très intéressé. Joli paysage.
— Peu d'opposition, quelques larmes de crocodile et des papillons sur des culottes, affirma la femme d'une voix blasée. Des adolescentes, en somme. Et vous ?
— C'était divertissant. Deux d'entre eux se sont battus, bien que je ne comprenne pas le pourquoi de l'affrontement.
— C'est bon signe. La pression monte et ça, ça va jouer en notre faveur. Surtout pour la suite des épreuves. Des indices sur une cible potentielle ?
— Pas grand chose. L'un des garçons est tatoué ... c'est comme ça qu'on dit de vos jours, non?
— Oui, une des miennes aussi. Un petit Totoro sur le bras droit.
— Un Totoro ? Qu'est ce que c'est que cela encore ? Une arme ?
— C'est un personnage fictif, c'est dans un film.
Face au regard perplexe de Guillery, la femme leva les yeux au ciel et poussa un soupir.
— Un film, vous voyez ? Non, laissez tomber. Bref, pour l'instant, aucune ne semble révéler de capacités physiques. Les tatouages sont un bon début, ça montre une certaine persévérance et une force d'esprit, donc pourquoi pas.
— Celui qui a essayé de se rebeller tout à l'heure s'appelle Louis Dumarquis. Drôle de nom. J'me rappelle avoir dépouillé un marquis une fois. Lui et les deux autres qui se sont battus peuvent être d'éventuelles cibles.
La femme sortit sa liste froissée et la montra à Guillery.
— C'était lesquels ?
— Nicolas Houle et Kevin Danois, répondit Guillery en essayant de ne pas massacrer les noms qu'il lisait.
— Parfait, ceux-là on les garde à l'œil. L'une des filles n'est clairement pas à la hauteur, elle n'a pas arrêté de chialer et a refusé d'obéir. Je l'ai rapidement remise à sa place, mais je me dis que j'aimerais quand-même la tester sur une épreuve. Pour être sûre. Une autre a montré un peu de courage, elle a su se mettre en avant, quand les autres restaient de marbre. Je vais m'occuper personnellement de cette petite insoumise.
Elle eut encore une fois un petit rire qui n'augurait rien de bon. Étant proche des deux bourreaux, Ellen entendit leur conversation et comprit que la femme parlait d'elle. Un frisson parcourut son échine mais elle resta droite, sans montrer le moindre signe de panique.
— Sérieusement, il fait chaud ici ! dit l'acolyte de Guillery, en enlevant sa veste en cuir.
Ellen vit alors qu'elle portait un débardeur noir, comme le reste de sa tenue, mais floqué d'une tête de mort à paillettes. D'un geste nonchalant, la femme souleva une petite chaîne en argent qui révéla un collier, sur lequel était accroché un petit objet transparent. Il formait une sorte de K stylisé, la petite barre du bas étant courbée en spirale. En regardant mieux, la jeune fille se rendit compte que la grande barre de la lettre, à gauche, était en fait un petit tube qui renfermait un liquide verdâtre.
Un homme, qui était un de ceux qui avaient porté Maeve, rentra à nouveau dans la salle de classe. Il s'adressa à Guillery et à la femme.
— Les pièces pour les autres épreuves sont prêtes, dit-il.
— Bien, répondit Guillery. C'est maintenant qu'on va s'amuser, alors !
Image en haut de page : Moira Lemony, sur heroforge.com
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