Comme quoi ça s'appelle « café »
Anna Clide était habituée à gérer des cas particuliers.
Elle s'occupait des dossiers d'une myriade d'enfants aux histoires plus incroyables et tragiques les unes que les autres.
Chaque matin en se levant, après avoir ceint ses cheveux roux en une couette brouillonne et prit un minimum de trois tasses de thé mocha, elle se rendait à son bureau en bus (Elle en profitait pour converser avec la vieille dame au journal qui se trouvait contre la fenêtre sur le troisième siège à droite, en partant du fond, chaque jour sans faute), grignotait un spéculos en arrivant puis s'attelait à ses cas.
Des cas de gamins maltraités, d'orphelins abandonnés, de parents atroces ou de divorces compliqués. Et encore, ce n'était là qu'une infime partie de la liste des situations qu'elle devait gérer.
Il ne fallait pas s'y tromper : elle aimait son travail, et adorait les enfants.
Mais elle était obligée d'admettre et de faire remarquer que ce n'était quand même pas le plus évident des boulots.
Aussi, le midi du 3 août, jour où elle se trouvait malencontreusement au commissariat de police pour régler une affaire d'abus physiques et verbaux, alors qu'elle était sur le point de profiter d'une pause déjeuner bien méritée avec une délicieuse salade de champignons frais cuisinée par sa femme, elle avait pour ainsi dire très moyennement
apprécié qu'Alex McClain se pointe pour lui dire de monter à son bureau s'occuper d'un adolescent perdu.
Et elle avait carrément hésité à lui balancer un champignon de Paris sur sa calvitie luisante en rétorquant qu'elle n'était pas une baby-sitter.
Mais son professionnalisme avait heureusement était plus fort que son estomac, et la voilà qui se retrouvait à suivre McClain dans les escaliers pour aller voir le fameux adolescent.
Elle nota de légères traces brunâtres et régulières un peu partout dans le couloir. Qui avait saigné ici ?
Elle eut la réponse lorsque son collègue du jour poussa la porte de son antre.
Anna Clide se figea immédiatement.
La première pensée qu'elle eut, en voyant le jeune homme assis sur la chaise au dossier de faux cuir en face du bureau d'Alex, fut littéralement :
Il n'a pas l'air d'un humain.
Elle ne savait pas vraiment d'où venait cette impression. C'était peut-être un instinct primaire, venu du fond des temps.
Comme lorsqu'un chien sauvage rencontre un lion.
Ils sont tous deux carnivores, ont les mêmes objectifs de survie, les mêmes attributs tels que crocs, griffes, fourrure, et pourtant avant même de se voir ils sentent qu'ils ne sont pas de la même espèce.
D'un point de vue tout à fait objectif, c'était surtout la beauté du garçon qui était pour ainsi dire inhumaine.
Et la couleur surnaturelle de ses yeux.
Mais ce qui la titillait le plus, c'était son aura générale.
Un sentiment inexplicable, subtile mais bien présent, qui lui faisait percevoir qu'eux, Alex McClain et elle, était à des centaines de milliards d'années lumière de cet enfant.
Elle secoua brusquement sa queue-de-cheval de gauche à droite et s'avança pour prendre place au bureau du policier.
« Tu es Colin, n'est-ce pas ? », demanda-t-elle d'un air à la fois professionnel et doux.
Le dénommé Colin hocha la tête. Il eut l'air un peu effrayé quand l'assistante sociale s'assit en face de lui.
« Je m'appelle Anna Clide, et je suis assistante sociale. »
Il a l'air déboussolé. Et ses pieds sont en sang, nota-t-elle intérieurement.
« Alex me dit que tu as 16 ans et que tu es New-Yorkais. Et que tu refuses de lui dire ton nom. Et à moi, tu veux bien le dire ? »
L'adolescent braqua sur elle deux yeux luisants comme des éclats de banquise. Il sembla hésiter fortement, pendant au moins 1 bonne minute.
Puis il se racla la gorge et chuchota d'une voix enrouée :
« H-Hesledge. Je m'appelle Colin Hesledge. »
La jeune femme sourit. Colin Hesledge, donc.
« Très bien. Merci, trésor. Alex, pouvez-vous sortir un instant, je vous prie ? Il faudrait que je m'entretienne avec Colin en privé. »
L'agent la regarda d'abord en pinçant ses lèvres, mais finit par s'exécuter. La porte grinça doucement derrière lui.
Anna croisa très professionnellement ses mains sur la table et servit un sourire encourageant au gamin devant elle.
« —Alors..., commença-t-elle gentiment. Colin Hesledge, pourrais-je te poser quelques questions ?
—O-oui, murmura le jeune homme en réponse.
—Merci. Alors... tu as fugué, n'est-ce pas ?
—...Oui, répéta-t-il en fixant le sol.
—Tu veux me dire pourquoi ? »
Colin secoua la tête de gauche à droite en déglutissant.
« —D'accord... Tu viens de New York. Chéri, depuis combien de temps erres-tu ?
—Ça va faire... trois mois...
—Tu as pris le train ? Le bus ?
—Euh... o-oui. Le train. »
Pourquoi avait-elle l'impression que ce garçon mentait ?
Bon. Il allait falloir la jouer plus fine. Elle allait commencer par lui poser des questions d'ordre administratif.
« —Donne-moi ta date de naissance, s'il te plaît. »
....................................................................................................................................
Sa date de naissance.
Il ne connaissait pas sa date de naissance.
Raaah, les humains et leurs habitudes étranges !!
Aux abois, il chercha un secours providentiel des yeux. Il s'était trouvé un prénom correct comme ça, après tout...
Ses yeux tombèrent sur le calendrier trônant sur le bureau d'Alex (C'était bien ça, son nom ?)
Un crayon lâché là pointait sur une case au hasard.
Son talent tout neuf de Polyglotte traduisit automatiquement la langue bizarre, et il dit en relevant le regard vers Anna Clide :
« —Le 13 juillet.
—Oh, tu es Cancer !, sourit-elle, dans une évidente tentative de briser la glace. Tentative forcément soldée par un échec : qu'est-ce que c'était, « Cancer »?
Il se mordit imperceptiblement la lèvre. La femme sembla le remarquer, car elle changea tout de suite de sujet :
« —Tu as faim ? Soif ?
—Euh... non...?
—Je peux aller faire du café. Ça te plairait ?
—D-d'accord. »
Encore un mot louche...
Anna Clide sortit, et Alex McClain entra à nouveau.
Il regarda la porte un instant, puis glissa au garçon d'un air complice :
« Un peu effrayante, la Clide, hein ? »
Devant le hochement de tête de Keefe, il partit dans un éclat de rire.
« Ne t'inquiète pas. Elle est bien plus gentille que ce qu'elle n'arrive pas à faire
paraître. »
La jeune femme revint dix minutes plus tard, avec dans chaque main une tasse fumante. Elle en posa une devant l'elfe et se mit à siroter la sienne.
Keefe observa le contenu du récipient : un liquide brun sombre, le même que dans le mug de monsieur McClain.
Il s'empara de la tasse d'une main tremblante et la porta à ses lèvres.
Eeeet... c'était affreux.
La boisson puait, lui brûlait la langue et avait un ignoble goût amer.
Alors comme ça, ça s'appelait le « café ».
Et bah il recracha sans remord tout ce café dans sa tasse en toussant bruyamment.
Anna et Alex rirent de concert, puis l'assistante sociale, comme elle s'était désignée, retira la tasse en s'excusant.
« D'accord, fit-elle. Pas de café. »
Elle tendit un biscuit tout carré au jeune elfe.
Il lui répondit d'une œillade soupçonneuse, haussant un sourcil.
« Tu peux manger, assura-t-elle. Tout le monde aime les spéculos. »
Il tendit la main et attrapa le petit gâteau entre ses doigts.
Puis il croqua dedans du bout des dents...
Et honnêtement, ce n'était pas mauvais. Sec et bien inférieur aux éclaterolles, mais pas mauvais.
Et... il eut soudain les larmes aux yeux.
Parce qu'il se rappelait un autre biscuit.
Un autre biscuit accompagné de deux yeux noisettes avec leur ravissant éclat doré.
Stop. Stop.
« Colin, l'appela soudain Alex McClain d'un ton préoccupé. Et si tu allais voir Gabrielle ? C'est une collègue à moi, la bonne femme avec des grosses lunettes et une frange noire. Dis-lui que je t'envoie, elle soignera tes plaies. »
Anna Clide et lui se jetèrent un regard entendu et Keefe eut soudain la très nette impression d'être en présence de Télépathes en pleine conversation, ce dont il avait quand même l'habitude.
Il se leva, le pas chancelant, et sortit de la pièce.
Keefe apprit un certain nombre de choses dans les quinze minutes qui suivirent :
1) Retirer une vingtaine d'éclats de verre d'une plante de pied à la « pinssahépileh » était très long et très douloureux,
2) Un pansement humain grattait. Du genre : ÉNORMÉMENT,
3) Leur désinfectant consistait visiblement en un liquide transparent qui sentait très fort et qui brûlait tellement qu'on voulait s'arracher la peau,
4) Les chats ont des petits crochets sur leur langue pour mieux faire leur toilette (Information généreusement fournie par la fameuse Gabrielle),
5) Il était très facile de se perdre dans un commissariat de police,
6) Les vaches peuvent monter un escalier mais pas le descendre (Encore une info tirée de Gabrielle.)
Tout ça, plus d'autres anecdotes hasardeuses qui semblaient être la passion de la collègue d'Alex McClain.
Autant dire qu'il considérait les derniers instants comme très productifs, aussi bien au niveau de ses pieds à présent pansés et traités que par rapport à ses éléments de bagage culturel tout neufs.
En ce moment-même, il écoutait Gabrielle Brown déblatérer des discours sur la différence entre « stalactite » et « stalagmite », avec son accent fort et sa voix qui portait loin.
« Tu vois, petit, j'aime bien parce qu'on se connaît même pas, et puis là, tu m'écoute te raconter mes bêtises sans te plaindre, t'as l'air tout intéressé. Ça fait plaisir, ça. »
Le garçon sourit. C'était marrant de se faire bercer par ses paroles savantes en se faisant arracher du verre des pieds... hm, hahaha.
Non, sérieusement. Elle lui avait fait du bien.
Il n'avait presque pas eu mal.
Il l'entendit stopper sa tirade. Un grincement de tiroir retentit et une paire de tongs s'écrasa sur la table devant lui.
« Tiens, dit Gabrielle Brown d'une voix bourrue. En attendant de vraies godasses. »
Il lui sourit simplement, sincèrement. Il était toujours dans sa démarche de « je parle le moins possible », mais il jugeait pouvoir très bien exprimer son bonheur et sa reconnaissance.
« Allez, file, ordonna la femme. Le Alex aime pas attendre. »
Donc, après cette très courte rencontre, il remonta au bureau.
Il entendit alors les voix de madame Clide et monsieur McClain.
« Je pense que les Nakamura-Lewis feraient très bien l'affaire, dit l'homme. Ils sont jeunes, mais expérimentés et très volontaires. »
Curieux, il s'avança, mais ne franchit pas la porte. Les adultes ne semblaient pas l'avoir remarqué.
« Je ne te demande pas de faire de la pub, soupira Anna. »
Il tendit d'avantage l'oreille.
« Ce que je te demande, c'est de me faire une liste, pour pouvoir placer le plus rapidement possible Colin en famille d'accueil. »
Ah, bah ça fait déjà quatre chapitres d'histoire XD
Désolée, mais ce sera tout pendant un minimum de trois jours... Il faudra attendre mercredi ou jeudi ^^''
Bon, eh bien... n'hésitez pas à me faire des critiques constructives (et pas trop haineuses please... peace and love, on est entre gens civilisés) en commentaires ! Merci, à la semaine prochaine UwU
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