Nous nous hâtons dans les couloirs, tous aussi semblables les uns que les autres. Je me demande comment font ces gens pour s'y retrouver sans un plan ou une carte. Je jette un œil à mon compagnon. Son regard est bloqué droit devant lui. Sans broncher, il évite avec agilité les obstacles et personnes que nous croisons, tandis que je manque plusieurs fois de trébucher et de renverser quelqu'un. Ce château est gigantesque. Bien que je ne sache pas où il m'emmène, j'ai le temps de remarquer la façon dont les hommes et les femmes de la cour le dévisagent. Avec leurs vêtements hauts en couleur et luxueux, leur air hautain et sans gêne ne me surprend pas tant que ça. De toute évidence, ce garçon ne fait pas l'unanimité ici.

— Tu ne t'es toujours pas présenté.

Surpris par le son de ma voix, il me regarde furtivement tout en continuant de marcher à grandes enjambées. Il hésite tout en accélérant le pas, me forçant à me presser derrière lui.

— Je m'appelle Koma.

— C'est bizarre comme prénom.

— Non, pas pour un Nécromancien.

Un Nécromancien? Voici donc sa spécialisation.

— Et qu'est-ce qu'un Nécromancien sait faire comme tour de passe-passe?

Il me fusille du regard. D'accord, j'admets que j'ai peut-être mal choisi mes mots.

— Évite de parler de la magie comme d'une chose puérile et imaginaire. Nos pouvoirs sont bien réels, puissants et dangereux si on ne sait pas les utiliser correctement. Il faut des années d'entrainement. Mais toi, tu ne peux pas le comprendre.

Dédaigneuse, sa petite pique me fait l'effet d'une coupure de rasoir. Il a raison, je ne peux pas le comprendre, mais je devine qu'il me connait bien plus qu'il ne le devrait. Je ravale ma fierté et tente de m'excuser.

— Désolé, j'ai encore du mal à réaliser où nous sommes. J'avoue que je ne connais rien à votre monde, mais je compte bien y remédier !

Koma semble satisfait de ma réponse.

— Contrairement aux autres sorciers, les Nécromanciens vénèrent Lazarion, le Dieu de la Mort, et non Nythal. Notre magie est plus sombre, plus vicieuse, plus brute. Les poisons sont notre spécialité.

— Et vous pouvez ressusciter les morts ?

— Bien sûr que non ! Ce serait dégoutant !

Son air faussement offusqué me fait rire malgré moi.

— Mais les plus puissants d'entre nous sont capables de voyager entre les Tréfonds et le monde des vivants.

— Toi, tu en es capable ?

— Peut-être bien... Et toi, de quoi es-tu capable ?

Perturbée par sa question, je n'ai pas le temps d'y réfléchir davantage que nous tombons nez à nez avec Oswald. Il semble soulagé de nous voir.

— Vous voilà enfin ! Je te serais reconnaissant de ne plus t'enfuir, tu es sous ma responsabilité.

— D'accord, si vous promettez de ne plus me sermonner comme vous l'avez fait. Vous avez l'impression de me connaitre de par ma sœur, mais vous vous trompez !

— Oui si tu veux, gamine... Pressons-nous, le Conseil débutera d'une minute à l'autre.

D'un geste théâtral, il nous incite à continuer notre escapade dans le château.

— Nous allons exposer au Roi et à ses Conseillers notre plan pour sauver Kira, en espérant qu'ils acceptent. Dans le cas contraire, on se débrouillera.

— Et en quoi consiste votre plan ?

— C'est simple: la trouver et la sauver ! s'exclame Koma.

— Le plus difficile c'est de découvrir où ils l'ont enfermée. Nous connaissons la plupart des emplacements des camps de détentions dispersés sur le territoire du Drakar. Travor a essayé de la localiser grâce à un de ses sortilèges, mais ça n'a rien donné...

— Donc, ce n'est pas normal ?

— Non, ça veut dire qu'elle se trouve dans une zone protégée contre la magie.

— Comment est-ce possible ? Je n'ai jamais entendu parler d'un endroit pareil.

— Il faut que tu saches que le Régisseur ne tourmente pas seulement les tiens. Au fil des années il a réussi à capturer plusieurs sorciers de notre monde. On sait qu'il les oblige à utiliser leur magie pour satisfaire sa soif de pouvoirs et de contrôle.

— Ce n'est pas votre Dieu qui lui procure sa jeunesse, mais certainement l'un des nôtres sous la contrainte, surenchérit Koma.

Il existe très peu de portraits du Régisseur. Les seuls que j'ai eu l'occasion de voir se trouvent dans mes livres d'histoires et accrochés dans les bâtiments importants. Sur chacun d'eux, il n'a pas plus d'une quarantaine d'années. Il n'a plus vieilli depuis des décennies. On nous fait croire qu'il a reçu ce cadeau de la part de Dieu pour avoir débarrassé notre monde des sorciers. Ce n'est qu'un mensonge de plus.

— Il a donc très bien pu utiliser un sort de protection pour camoufler une de ses prisons. Quel que soit ce lieu, il y est impossible d'utiliser la magie et donc impossible de localiser Kira.

Nous arrivons devant une double porte en bois massif, haute de plusieurs mètres et sculptée avec précision. J'y observe une couronne, entourée de divers symboles.

— Nous y sommes. Soyez sage les enfants !

Alors qu'il s'apprête à s'appuyer contre la porte pour pénétrer dans la salle du Conseil, je comprends que je n'y suis pas invitée. J'agrippe la manche de sa veste pour le retenir.

— Je viens avec vous !

— Non, Koma et toi vous restez ici. Je m'apprête à leur demander de déployer une armée pour retrouver une seule ensorceleuse. Inutile que la présence d'une étrangère en rajoute une couche !

Avant que je n'aie le temps de protester, Oswald passe la porte, me laissant seule en compagnie du nécromancien.