Chapitre 5

 Une brise légère caresse mon visage me réveillant tout en douceur. Je tente d'ouvrir les yeux, mais les rayons du soleil m'aveuglent, tels des flashs qui se fracassent contre ma rétine. Lorsque je parviens enfin à retrouver une vue plus ou moins nette, je réalise que suis allongée sur le ventre à mène le sol. M'appuyant sur mes avant-bras, je relève péniblement le buste tandis qu'un mal de tête tambourine contre mes tempes. Mes oreilles bourdonnent et mes articulations sont douloureuses comme si une foule en colère m'était passée dessus. Regardant autour de moi, je découvre un paysage cauchemardesque. Je me trouve au milieu d'un amas de décombres et de cendres, là où était bâtie, il y a à peine quelques heures, ma maison. Le souvenir de l'incendie me revient aussi violemment qu'une claque. Je parviens à me hisser sur mes jambes, titubant quelques pas peu assurés.

Comment ai-je pu survivre aux flammes ? La maison a dû s'effondrer, j'aurais dû mourir brûlée, écrasée par les décombres. Par miracle, je n'ai que quelques égratignures sur les bras, les jambes et le duvet légèrement roussis. Je n'ai plus rien, plus personne, ma vie s'est évaporée. Les larmes me montent aux yeux aboutissant à des sanglots incontrôlables. Je me laisse tomber sur le sol et me roule en boule, priant pour que ma douleur suffise à arrêter les battements de mon cœur. J'avais déjà imaginé ces événements, retournant cette situation dans centaines de fois dans ma tête sans doute pour m'y préparer, sans envisager que ce serait mille fois pire. Je redoutais tant ces événements que j'ai presque du mal à croire que c'est réellement arrivé. Comment ai-je pu songer même un bref instant que peut-être, ma vie demeurerait normale ? Comment ai-je pu imaginer un avenir serein, pour Kira et moi ? Je ferme les yeux dans l'espoir d'échapper à cette triste réalité, cherchant désespérément à m'immerger dans un autre monde. Un monde où la magie n'existerait pas, sans angoisse ni douleur.

Les minutes passent, peu êtres des heures, et je suis toujours en position fœtale. Je ne pleure plus, mais mes membres tremblent encore, le soleil est perçant et me brûle les joues. J'ouvre lentement les yeux avec la bonne volonté de me ressaisir, mais mon corps ne m'obéis pas. Pourtant, il faut absolument que je parte d'ici, je ne peux pas prendre le risque que quelqu'un découvre que j'ai survécu. Où vais-je aller ? Je n'ai plus de famille, plus de foyer, plus rien. Je parviens à m'assoir et à envisager quelques scénarios possibles. Mon regard se perd dans le vide. J'essaie de rester lucide, mais mon cerveau est en pause, incapable de fonctionner correctement. Aucune option ne s'offre à moi, à part fuir, fuir très loin à la recherche d'un abri pour cette nuit au moins. Je me lève, bien décidée à me battre malgré les circonstances, comme Kira et mes parents le souhaiteraient.

À peine ai-je avancé de trois pas, qu'une silhouette se dessine à l'horizon. Je distingue la forme d'un cheval, monté par un cavalier. Je prie le ciel pour que ce soit une hallucination, mais plus l'animal se rapproche, plus mon corps me suggère de prendre mes jambes à mon cou. J'inspire profondément, prête à courir me cacher lorsque je devine un visage familier. Alaric fait halte à quelque mètre de moi, assez proche pour que nos regards se croisent. Il bondit au sol, les yeux larmoyants devant les ruines de ma demeure.

— Al !

Je crache son nom comme si ma vie en dépendait et cours me réfugier dans ses bras. L'odeur familière qu'il dégage suffit à me redonner espoir. Tout compte fais je n'ai pas TOUT perdu, Alaric est toujours là, son étreinte réconfortante m'enveloppant avec amour.

— Annie, je suis tellement heureux de te savoir en vie ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?!

Mes sanglots m'empêchent de répondre, je me contente de pleurer contre son épaule. Nous restons silencieux un moment, jusqu'à ce que j'arrive à prononcer des mots correctement.

— Kira ... Kira a été arrêtée !

Le souffle essoufflé, je ne cesse de hoqueter malgré mes efforts pour me calmer.

— Ils sont venus en pleine nuit, ils ont tué nos parents avant de mettre le feu.

— Qui ? Des Instructeurs ?

Je hoche la tête en guise de réponse, le visage toujours enfui dans ses bras.

— Au village, vous faites la première page des journaux. Ils font passer tout ça pour un acte criminel orchestré par des sorciers rebelles, ils ne mentionnent même pas Kira. D'après eux, il n'y a aucun survivant !

Ma douleur laisse place à de la colère. Je n'arrive pas à croire que les autorités déforment à ce point la vérité ! Dans quel intérêt ? Ces agissements sont courants de la part des Instructeurs. J'admire le sang-froid d'Alaric. Il doit être anéanti face aux événements, mais il garde son calme, en bon frère protecteur qu'il est. Tant mieux, là tout de suite, son courage est assez fort pour nous soutenir tous les deux.

— Il faut partir d'ici, ça ne m'étonnerait pas qu'ils viennent fouiller les décombres. S'ils remarquent qu'il manque un corps, ils se mettront à ta recherche.

J'opine de nouveau, trop perturbée pour prononcer la moindre syllabe. Nos marchons rejoindre son cheval, quand mon pied bute contre quelque chose. L'ouvrage sur l'histoire de Kazadren est intact, étendu sur un tas de cendre. Tout comme moi il a été épargné des ravages de l'incendie. Nostalgique, je me penche pour le ramasser et le serre fort contre mon cœur. Je ne veux pas que ce livre soit la dernière chose qui me reste de ma sœur.

Alors que je suis perdue dans mes pensées, un craquement de branches mortes remonte jusqu'à nos oreilles. Nous faisons volteface et tombons nez à nez avec un homme à l'allure débraillée déboulant des buissons. Il semble perdu, voire abattu. Al me pousse derrière lui pour me protéger, mais l'inconnu ne nous jette même pas un regard. À sa droite, un renard à la fourrure flamboyante nous fixe de ses deux grands yeux jaunes. Cet animal dégage quelque chose de spécial et d'apaisant.

— Qui êtes-vous?! C'est une propriété privée, vous n'avez rien à faire ici !

Alaric tente de faire bonne figure, de se montrer assez autoritaire pour que ce vagabond ne nous cause pas davantage d'ennuis. Il pourrait alerter les autorités ou piller ce qu'il reste de mon chez-moi.

— Nous arrivons trop tard... souffle l'homme d'une voix à peine audible.

Son regard triste laisse rapidement place à des sourcils froncés et une imposante confiance en lui. Il daigne enfin nous regarder.

— Il ne reste pas grand-chose de cette propriété, mon grand !

Il jette son dévolu sur moi, s'approchant un peu trop rapidement dans ma direction.

— Tu es Annie ? Il faut que tu nous suives avant qu'ils ne viennent vérifier les lieux.

Le fait qu'il connaisse mon prénom me tétanise. Je me raidis, mais ne détourne pas les yeux des siens.

— Comment me connaissez-vous ?

— Nous sommes des amis de Kira, elle nous a demandé de veiller sur toi le temps qu'on tire cette histoire au clair.

— C'est qui "nous" ? Cet homme est fou, Annie, partons d'ici.

Nous nous apprêtons à faire demi-tour, lorsque le renard se met à grogner. En un battement de paupière, la bête se transforme en une jeune fille aux cheveux roux soigneusement entrelacés. Pas beaucoup plus âgée que moi et habillée d'une longue robe d'un blanc immaculé, elle nous sourit chaleureusement. Al blêmit comme s'il venait de voir un fantôme. Moi non plus, je ne parviens pas à dissimuler ma surprise. J'ai déjà été témoin de choses hors du commun, de petits tours de lévitation et de bougies allumées sans allumettes, mais jamais rien d'égal à cette métamorphose. Est-ce qu'il se pourrait qu'il dise la vérité ? Sont-ils vraiment des amis de ma sœur ?

— Nous n'avons pas le temps de t'en expliquer davantage Annie, tu n'as pas le choix de nous faire confiance.

La fille me tend la main, sûre d'elle, sans être trop insistante. J'hésite un instant, pesant le pour et le contre. Qu'ai-je à perdre après tout? Plus rien... J'opine silencieusement. Al proteste, mais ma décision est prise.

— Bien, allons-y, s'impatiente l'homme.

— Vous n'irez nulle part si je ne vous accompagne pas. Il est hors de question que je la laisse toute seule ! s'écrie Alaric.

— Je suis navrée, mais les Sans Dons ne sont pas autorisés à passer la barrière.

— Quoi ?! Quelle barrière ?

À cet instant, le bruit tumultueux des cheveux en approchant nous interpelle. Un groupe d'Instructeurs surgit au loin, en route vers les décombres de ma ferme.

— On a plus le temps de discuter !

Le vagabond s'approche de nous et nous souffle une poudre au visage. Une odeur prononcée et épicée s'infiltre dans mes narines, avant de me faire perdre connaissance.

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