Chapitre 6 - Dans le même bateau


« Kacchan ! »

J'arrive à la hauteur de mon ami, qui commence à descendre les escaliers du bâtiment. Il ne me lance même pas un regard, ne prend pas la peine de s'arrêter, ou quoi que ce soit d'autre.

« Lâche-moi, Deku. » est tout ce que j'obtiens de lui, sur un ton las.

Je me mordille la lèvre inférieure, sans cesser de cheminer à ses côtés pour autant. Quelqu'un ne le connaissant pas plus que cela s'imaginerait probablement qu'il est seulement blasé, fatigué de ma présence, et que c'est pour cette raison qu'il ne me lance pas même un regard. Mais, moi qui le fréquente depuis maintenant un bon nombre d'années, suis en mesure d'affirmer avec certitude que Katsuki est actuellement sur les nerfs, et qu'il n'en faudra que peu pour qu'il explose. Et cette perspective me terrifie.

Pour autant, je ne me décourage pas et, après avoir profondément inhalé, je m'arrête, le regarde s'éloigner quelques secondes tandis qu'il descend les deux dernières marches de l'escalier pour arriver au rez-de-chaussée.

Allez, Izuku, tu peux le faire.

« J-je suis désolé pour ce qu'il s'est passé, Samedi ! » lancé-je finalement, les poings serrés, les bras raidis le long du corps et les muscles tendus.

Il se fige à son tour. Une éternité semble s'écouler. Quelques élèves passent à côté de nous, discutant joyeusement entre eux. Le flot du temps ne semble plus s'appliquer à nous, en cet instant, comme si nous nous trouvions dans un espace coupé de la réalité. Un espace dans lequel je me sens légèrement étouffer, en proie à une tension insupportable, une sensation de lourdeur et d'appréhension m'oppressant la poitrine, empêchant mes poumons d'exercer correctement leur travail. Je ne remarque même pas que ma bouche s'est entrouverte afin de faciliter l'accueil de l'air au sein de mon organisme, trop concentré sur Katsuki et son éventuelle réaction, s'il décide d'en avoir une un jour.

Jusqu'à ce qu'il finisse par me regarder, par-dessus son épaule. Son expression est indéchiffrable. Je ne saurais dire s'il s'agit de colère, de surprise, d'un mélange des deux, ou même d'autre chose. Lentement, il se tourne vers moi, sans me quitter des yeux, et s'approche de quelques pas. L'une de mes jambes se met en mouvement, prête à reculer en réponse, mais je m'efforce à rester sur place, à ne pas fuir.

« Tu peux me répéter ça ? demande Katsuki, un sourcil haussé.

- Je... J'ai dis que j'étais... Désolé, pour ce qu'il s'est passé... Samedi... »

Un nouveau laps de temps s'écoule, bien moins long que le premier, avant que le blond ne se mette à toussoter...puis à éclater de rire.

Je vous avoue que je m'attendais à tout type de réactions, mais définitivement pas à celle-ci. Alors, ne sachant pas quoi faire d'autre, je me joins à ses rires, quelque peu gêné et confus, m'attendant à une explosion de sa part d'un instant à l'autre – parce qu'après tout, peut-être qu'il s'agit simplement de ses nerfs en train de lâcher.

« Pourquoi tu t'excuses ? Il s'est rien passé, Samedi, finit-il par déclarer une fois ses rires calmés, un sourire moqueur sur le visage.

- Bah... Je t'ai quand même embrassé sans— »

Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase que le visage de mon ami d'enfance se retrouve juste devant le mien, à seulement quelques petits centimètres, me coupant le souffle sur le moment. Toute trace de moquerie a disparu, ne laissant place qu'à une expression des plus sérieuses, une once menaçante. Un air qui me donne froid dans le dos, et me pousse à avoir, cette fois-ci, un petit mouvement de recul. Malheureusement pour moi, il m'imite, ne me laissant pas instaurer de distance de sécurité entre nous, ce qui a le don de me mettre très mal à l'aise.

« Je te dis qu'il ne s'est rien passé, le nerd.

- M-mais... »

Cette fois-ci, sa main se retrouve à agripper mon épaule, la serrant avec une certaine force, ce qui me pousse à émettre un petit son plaintif, à cause de la sensation désagréable que cela fait se propager dans cette zone de mon corps.

« Mais ?

- R-rien. Il ne s'est rien passé... finis-je par céder.

- Bien. »

Il relâche sa prise, et recule d'un pas, sans pour autant cesser de me jauger tandis que, de mon côté, je baisse les yeux, ne parvenant pas à soutenir son regard dans ces conditions. Est-ce que je l'ai dégoûté à ce point ? Au point qu'il préfère oublier ce baiser, cette déclaration ? Faire comme si rien de tout cela n'avait jamais eu lieu ?

Je ne veux pas aller contre sa décision, même si j'aurais largement préféré en discuter avec lui, mais celle-ci me fait me sentir atrocement mal. Par rapport à notre relation, par rapport à lui, par rapport à moi-même. Mon cœur se déchire, violemment, douloureusement, dans ma poitrine, me forçant à attraper ma chemise entre mes doigts, à l'endroit où bat celui-ci.

Bon, je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'il y réagisse positivement, mais me retrouver véritablement face à cette situation de rejet me fait mal, bien plus mal que je ne l'aurais pensé. J'ai même l'impression que le poids de mes sentiments s'est fait plus conséquent, comme si je ne m'étais jamais soulagé de celui-ci en lui révélant ce que je ressentais à son égard.

C'est vraiment compliqué de t'aimer, Katsuki. Un véritable sport qui aspire pas mal de mon énergie, chaque jour. Parfois, j'en viens à me demander comment je fais pour être amoureux d'une personne comme toi. A quel moment mon cœur s'est-il mis à battre la chamade à ta simple pensée, mon corps a-t-il commencé à se réchauffer à ta vue, mes pensées ont-elles décidé de diverger vers toi bien plus qu'elles ne le devraient ? Je ne m'en souviens même pas. Je pense que c'est apparu naturellement, avec le temps. Je t'ai toujours admiré, après tout. Et cette simple admiration, cet émerveillement à ton égard... Tout cela a dû peu à peu évoluer, pour se transformer, malgré moi, en amour.

Et même s'il le réfute, même s'il refuse d'accepter que cet amour existe, il n'en sera jamais moins sincère.


Je n'ai pas remarqué Katsuki s'en aller. Lorsque je reviens à moi, après m'être plongé dans les méandres de mes pensées, une main s'est posée sur mon épaule, bien plus délicatement que l'emprise précédente du blond, me faisant légèrement sursauter. Mon regard dévie du point vide sur lequel il s'était concentré pour se poser sur la personne à mes côtés. C'est avec surprise que je constate qu'il s'agit de Tsuyu, m'observant de ses grands yeux curieux – j'y décèle également un brin d'inquiétude. Depuis quand se trouve-t-elle là ? Est-ce qu'elle a entendu notre discussion ?

« Excuse-moi, j'étais à mon casier, et je vous ai vu, Katsuki et toi, m'explique-t-elle de sa voix éraillée. Il avait l'air pas mal remonté, alors je me demandais si tout allait bien.

- Ah, euh... »

Elle n'a pas l'air d'avoir perçu ce que l'on se disait. Tant mieux.

« Ouais, t'en fais pas, Tsu. On a seulement quelques différends en ce moment, mais c'est rien de grave.

- T'es sûr ? Parce que tu m'avais quand même l'air d'être pas loin de pleurer, quand il est parti. Il t'a menacé ? T'a fait du mal ? Faut pas que tu gardes ça pour toi, tu sais. »

Je secoue la tête, un petit sourire se formant sur mes lèvres. Tsuyu est très gentille, et je suis persuadé qu'elle saura être une oreille attentive et faisant preuve de soutien. Mais dans l'état actuel des choses, je ne me vois pas parler de ce genre de choses avec quelqu'un d'autre qu'Ochako. Elle retire sa main de mon épaule, comprenant certainement que je ne compte pas me confier. J'espère qu'elle ne m'en veut pas – mais la connaissant, ce n'est sûrement pas le cas.

« Tu veux qu'on rentre ensemble ? Du moins, qu'on fasse un bout de chemin. » finit-elle par proposer, après plusieurs secondes de silence.

Je ne réponds pas, me contentant de hocher la tête, avant de me mettre en route, ma camarade de classe à mes côtés.

... Maintenant que j'y pense, je pourrais totalement envoyer un message à Ochako ou Tenya pour leur signifier que finalement, je peux les accompagner en ville, puisque la discussion que j'espérais avoir avec Katsuki n'a pas eu lieu. Ils ne doivent pas être bien loin.

... Non, je n'ai pas vraiment le moral à ça. J'ai simplement hâte de rentrer chez moi, pour me poser et essayer de penser à autre chose que cet idiot qui hante constamment mon esprit.

« Katsuki, hein... » finit par déclarer Tsuyu, alors que nous sortons de la cour du lycée, son index amené contre sa lèvre inférieure.

Je lui lance un regard interrogateur, ne comprenant pas ce qu'elle essaye de me dire. Elle doit probablement encore être en train de réfléchir à ce qu'il s'est passé, non-loin d'elle, quelques instants plus tôt. Ses prunelles croisent les miennes, et elle me gratifie d'un sourire bienveillant.

« Je pensais pas qu'il était ton genre. »

A ces mots, je manque de m'étouffer. Donc, finalement, elle a bel et bien entendu ce que nous nous sommes dit, lui et moi ?! J'ouvre la bouche, la referme, et me pince les lèvres. Je ne sais pas quoi répondre à cela. Quelques mots, cependant, parviennent à passer timidement mes lèvres, d'une voix à peine audible.

« C-comment tu... Je... Tu as entendu ce que...

- Non, vous parliez trop bas pour que je discerne quoi que ce soit. Mais... Je saurais pas trop comment l'expliquer. Disons que tu as passé la journée à lui jeter des coups d'œil un peu furtifs. Et puis, tu étais tout rouge, tout à l'heure, quand il est parti. Et ça m'a mis la puce à l'oreille.

- ... Je vois. » soupiré-je, soulagé.

J'avais presque failli oublier que Tsuyu était le genre de personnes à toujours dire ce qu'elle a en tête, en tout cas.

Elle m'observe tandis que nous poursuivons notre route et, voyant que je ne reprends pas la parole, elle poursuit.

« Tout à l'heure... Tu t'es déclaré à lui, et ça s'est mal passé ?

- On... Peut dire ça comme ça. »

Je me mets à rougir. C'est bien, en partie, à cause de ma déclaration de Samedi que nous nous sommes retrouvés dans une telle situation, lui et moi, il faut dire.

« Je vois. Je suis désolée pour toi, Izuku.

- T'en fais pas pour moi. Je m'attendais pas à être reçu positivement.

- Mmh... J'aimerais bien avoir ton courage, pour avouer mes sentiments à la personne que j'aime. »

Alors là, je suis surpris. Tsuyu ? Ne pas arriver à déclarer quelque chose ? Elle qui ne réfléchit jamais à deux fois avant de parler ? C'est assez surprenant de sa part.

Je me demande bien de qui elle peut être amoureuse. Il doit s'agir d'une personne sacrément intimidante pour qu'elle n'ose pas se—

« Je me demande bien comment Ochako le prendrait, si je venais à lui dire. »

... D'accord, ce n'est pas une histoire d'intimidation. Je me frotte la nuque, un peu embarrassé. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me révèle de qui elle parlait de but en blanc, sans même que je ne lui demande. Cependant, ma meilleure amie n'a d'yeux que pour Tenya, alors je sais déjà que, même si elle réagirait avec sa douceur habituelle, elle ne serait pas en mesure de répondre aux sentiments de Tsuyu. Et cette dernière doit probablement s'en douter également. Je me sens quelque peu triste pour elle, cependant. Je sais ce que cela fait, de vivre un amour à sens unique.

« Je suis sûr qu'elle le prendrait bien. » essayé-je malgré tout de la consoler.

Elle ne répond pas à cela, se contentant de hausser les épaules.

Nous arrivons bientôt à l'arrêt du bus qu'elle prend afin de rentrer chez elle. Deux autres personnes s'y trouvent déjà, attendant patiemment l'arrivée du véhicule qui ne devrait plus trop tarder. Je décide de patienter avec mon amie, profitant ainsi de sa compagnie – il est assez rare que nous nous retrouvions seulement tous les deux, elle et moi – et de la douceur de ce début de soirée.

« Ca m'étonne qu'il ait réagi comme il l'a fait, me dit soudainement Tsuyu.

- Mh ?

- Katsuki, je veux dire.

- A-ah ?! Tu... Tu es encore là-dessus ?

- C'est juste que j'y réfléchissais.

- Et... Et pourquoi ça t'étonne ?

- Même si, pour toi, je ne l'ai découvert qu'aujourd'hui, ça fait déjà un moment que j'ai remarqué, pour lui.

- ... De quoi tu me parles ?

- Des regards qu'il te lance, quand tu as le dos tourné. De la façon qu'il a de t'observer, parfois, pendant quelques secondes, comme si tu étais un songe prenant vie devant lui. »

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