Chapitre 35 - Malgré nos différences
Je ne sais combien de temps nous nous sommes regardés, Katsuki et moi, dans le silence régnant entre ces murs. Le temps s'est comme suspendu tandis que j'essaye de comprendre le sens des mots de mon ami d'enfance. Il l'a annoncé de manière si soudaine, si inattendue, le choc a même réussi à dissiper mon angoisse – ou à la figer – aussi rapidement que celle-ci est arrivée. Ma langue passe contre mes lèvres sèches sur lesquelles reposent encore le goût du blond face à moi et l'une de mes mains se glisse dans mes cheveux bouclés, passant entre les mèches désordonnées. Pendant ce temps, Katsuki jauge ma réaction sans jamais détourner les yeux. Et lorsque je me rends compte de ce qu'il vient de déclarer, je me sens exposer, totalement mis à nu et vulnérable. Ce n'est pas une sensation agréable, oh loin de là.
Ma bouche, aussi sèche que mes lèvres, s'ouvre pour reprendre la parole...mais se referme avant même d'émettre le moindre son. Que suis-je censé dire dans une telle situation ? Je ne peux décemment pas reprendre notre conversation comme si de rien n'était !
« Tu peux... finis-je par murmurer. Tu peux répéter... ? »
Katsuki pousse un petit soupire. Je sais qu'il n'aime pas redire les choses qu'il a déjà dites. Mais j'ai besoin de confirmer que j'ai bien entendu ce que j'ai cru entendre. Que je n'ai pas rêvé, halluciné, mal perçu ses paroles. Il approche son visage du mien, de sorte à ce que nos nez entrent presque en contact, et reprend dans un souffle rauque.
« Je sais que tu es un mec transgenre, Izuku. »
Il n'y a donc pas d'erreur possible. Katsuki est au courant. Cette certitude déclenche en moi un torrent de craintes et d'interrogations. Depuis combien de temps ? D'autres personnes le sont-elles ? Ses sentiments à mon égard sont-ils véridiques ou les possède-t-il seulement parce qu'il me voit comme une fille ? Ou bien avait-il l'intention de se moquer, de me repousser une fois qu'il aurait la preuve que je ne suis pas cisgenre ?
La panique remontant en moi doit se voir, ou se ressentir, car il ne faut pas longtemps au blond pour poser une main contre ma joue, ce qui me fait légèrement sursauter sur le coup.
« Hé, calme-toi. Tu m'regardes comme si j'allais te faire du mal.
- D-désolé, je... »
Je souffle longuement, ferme les yeux, et décide de me concentrer quelques instants sur les phalanges effleurant ma peau, sur leur chaleur ainsi que sur la présence proche du garçon que j'aime. Il ne me fera pas de mal. Katsuki est impulsif. S'il a un problème avec quelque chose, il l'exprime généralement sans détour, sans s'embêter à tourner autour du pot. Cela ne dissipe pas la totalité de mes craintes, mais tout de même suffisamment pour me détendre un minimum. S'il avait voulu me blesser, il l'aurait fait bien avant.
Je rouvre donc les paupières afin de retrouver ce contact visuel avec mon ami d'enfance et décide d'éloigner quelque peu mon visage, laissant ses longs doigts glisser le long de ma joue. Il y a tout de même quelques interrogations dont j'aimerais les réponses. Je ne me sentirai pas véritablement serein sans cela – et même avec, je ne saurai dire si je parviendrai à me sentir totalement à l'aise.
« C'est un peu la première fois qu'on me confronte par rapport à ça... ris-je avec nervosité. Depuis... Depuis combien de temps tu...le sais ?
- Pas si longtemps que ça. Moins d'un mois. Quand on était chez toi avec double-face, j'ai surpris une conversation entre ta mère et toi sans le vouloir. Vous parliez de binder. Comme quoi fallait pas qu'tu le gardes toute la nuit ou un truc du genre.
- E-et tu savais ce que c'était ?
- Nan. Mais j'me suis posé la question. J'ai cherché sur Google, et y'avait ce terme qui revenait assez souvent ; transgenre. J'voyais à peu près ce que c'était, mais j'étais pas totalement sûr. Et puis, d'aussi loin que j'me souvienne, je t'ai toujours connu en tant que garçon. 'fin, je crois. Bref, suite à ce soir-là, à cause de mes... Maladresses ? J'ai fini par en parler à tête d'orties. J'veux dire, j'lui ai avoué que j'étais gay et que j'en pinçais pour toi. Mais que j'arrivais pas vraiment à... Gérer ça. Il en a touché un mot à Mina et avant même que j'm'en rende compte, j'ai fini dans un centre LGBT à en discuter avec un mec que j'connaissais pas. »
Au fil de l'histoire, je sens mes yeux s'écarquiller de plus en plus. Est-ce que cela signifie que Katsuki, le Katsuki que je connais, a mis sa fierté de côté pour chercher de l'aide, qui plus est au sujet de ses sentiments ? C'est inédit, jamais je n'aurais pensé apprendre une chose pareille de mon vivant.
« De fil en aiguille, continue-t-il, j'ai fini par lui demander ce que c'était exactement, que d'être transgenre et il m'a expliqué en me révélant qu'il l'était lui-même. Et c'est avec ses explications que j'ai compris. Enfin, y'a encore quelques trucs qui m'échappent un peu, et j'suis pas certain de vraiment tout piger. Mais j'veux...quand même faire en sorte que tu t'sentes le mieux possible. J'pense que j'ai suffisamment été un connard avec toi. »
Il marque une courte pause, puis reprend en croisant les bras sur son torse.
« C'est pour ça que j't'en ai pas parlé. J'voulais pas que ça te foute mal ou quoi. Moi, de toute façon, je m'en fous. Quel que soit ton genre, tu resteras toujours Deku. Bon, si t'étais une nana, je ressentirais probablement pas la même chose mais peu importe. »
Puis il s'autorise un léger sourire tandis que je sens quelques larmes me monter aux yeux ainsi que les commissures de mes lèvres se redresser à leur tour. Donc, cela ne change rien pour lui ? Il me voit malgré tout comme je le suis, comme un garçon ? Un certain soulagement se propage dans mes veines tandis que les gouttelettes amassées au coin de mes yeux se mettent à dévaler mes joues. Moi qui avais si peur, qui craignais que, le jour où il l'apprendrait, Katsuki me repousserait de nouveau... Je suis tellement, tellement heureux de m'être trompé.
« M-mais tu as dit que tu étais gay, non ? soufflé-je à travers mes sanglots. D-du coup, ça ne te dérange pas que mon corps...
- Deku, me coupe-t-il. Si c'était ça qui m'attirait chez les mecs, je m'emmerderais pas et je m'achèterai un dildo. J'ai dit que j'étais gay, pas que je fantasmais sur les bit—
- Kacchan ! l'arrêté-je à mon tour, le visage en feu. C'est... C'est juste que... Je sais que pas mal de gens... Ne pensent pas de la même manière.
- Je suis pas 'pas mal de gens', je ramène pas tout aux organes génitaux. »
Sur ces mots, il rapproche de nouveau son visage jusqu'à ce que nos lèvres s'effleurent, délicatement. Ce geste des plus tendres fait redoubler mes larmes alors que je l'embrasse à mon tour en y mettant toute la douceur dont je suis capable. Une main de Katsuki se pose sur ma cuisse, l'autre contre ma nuque et il réitère l'opération plusieurs fois, sans me brusquer, avant de laisser son visage atterrir dans le creux de mon épaule. Même au travers de mes vêtements, je peux légèrement sentir la chaleur de sa respiration tandis qu'il reste là, sans bouger. De mon côté, mes larmes s'estompent peu à peu et je laisse mes muscles se détendre, mon corps se faire attirer par celui du blond.
« Du coup... osé-je demander. Mina et Eijirou, ils... Ils savent ?
- Pour toi ? Je leur en ai pas parlé explicitement mais je pense qu'ils s'en doutent. Mais bon, comme ils avaient l'air potes avec le mec du centre dont je t'ai parlé, je pense pas que t'aies de souci à te faire. »
Je me contente d'opiner tout en faisant remonter mes phalanges dans le dos de mon ami d'enfance jusqu'à ce que celles-ci atteignent son cou, puis ses cheveux que je me mets à caresser, occasionnant chez lui un petit grognement bienheureux. Je me sens bien. Libéré des craintes que je pouvais avoir jusqu'alors. J'ai la sensation que plus rien ne pourra se mettre en travers de ce chemin que Katsuki et moi avons décidé d'emprunter ensemble.
« Et à part moi, y'a d'autres personnes au courant ? demande-t-il à son tour.
- Non.
- Même pas tête d'œuf ou double-face ?
- Même pas. Bon, tu t'en doutes, ma mère la sait. Et il me semble que tes parents aussi.
- Ca m'étonne pas. En tout cas, je pense que j'ai pas besoin de te dire que j'en parlerai pas, répond-il en redressant la tête.
- Mhm, je sais que je peux te faire confiance.
- Et, euh... J'risque certainement d'être maladroit, parfois ? Je veux dire, pas dans le sens où je parlerai de toi au féminin ou quoi, j'suis pas con non plus. Mais j'm'y connais pas tellement là-dedans même si j'ai essayé de me renseigner comme je pouvais. Si ça arrive, que j'dis une connerie ou quoi, t'as l'autorisation de m'en mettre une. »
Sans répondre, je secoue négativement la tête et laisse un petit rire m'échapper. Moi, lever la main sur qui que ce soit ? Katsuki sait très bien que je n'en suis pas capable. Mais je comprends ce qu'il veut dire par là même si, soyons honnêtes, s'il vient à 'dire une connerie', je serai sûrement plus du genre à le reprendre gentiment et à lui expliquer plutôt qu'à l'engueuler.
Dans tous les cas, les efforts de mon ami d'enfance m'impressionnent et font s'agiter mon cœur encore davantage quant à lui. Je ne le pensais pas capable de se remettre autant en question un jour, de faire preuve d'autant de douceur et de maturité. Ces quelques semaines, il a beaucoup changé mais est tout de même resté similaire, au fond de lui. Je ne sais pas exactement ce qui l'a fait devenir ainsi mais m'est d'avis qu'Eijirou et Mina n'y sont pas pour rien. Il m'a bien révélé avoir appelé son meilleur ami à l'aide au sujet de ses sentiments, après tout. Ou bien a-t-il réalisé de lui-même qu'il ne pouvait avancer de la sorte ?
Peu à peu, l'après-midi touche à sa fin. Après avoir passé le reste de celle-ci à discuter tout en se câlinant, Katsuki et moi nous dirigeons vers mon appartement où ma mère m'attend certainement avec un bon dîner. Sur le trajet, nous nous tenons la main avec plus d'assurance que nous n'en avons jamais eu à l'égard de l'autre. Je crois que notre relation a changé, une fois encore. Que, sans mes peurs pour me ralentir, nous allons pouvoir véritablement évoluer, à la manière d'un couple.
Nous nous arrêtons devant chez moi et je me tourne pour faire face au blond, attrapant au passage sa main libre de la mienne. Puis il se penche légèrement vers moi pour m'embrasser une dernière fois, susurrant contre mes lèvres ces mots auxquels je ne m'attendais pas ;
« A demain, Deku. Je t'aime. »
Submergé de joie, d'amour, et de surprise, je me retrouve d'abord dans l'incapacité de répondre. Je demeure simplement là, bouche bée, les mots bloqués au fond de ma gorge. En me voyant dans un tel état, Katsuki recule de quelques pas dans un rire moqueur, relâchant mes mains par la même occasion. Il observe quelques secondes la statue que je suis devenu et, secouant la tête d'un air amusé, fait volte-face pour repartir en direction de chez lui sans rien ajouter.
C'est à ce moment que mes sens me reviennent et que je prends pleinement conscience des paroles du blond. Pour m'aider à me sortir totalement de ma torpeur, je fais se claquer mes paumes contre mon visage avant de les amener de part et d'autre de ma bouche, en mégaphone, afin que ma voix parvienne à mon ami d'enfance déjà éloigné.
« M-moi aussi, Kacchan, j-je t'aime ! »
Sans s'arrêter, il regarde par-dessus son épaule et m'offre un large sourire. Puis il reporte son attention face à lui tandis que je reste là, devant chez moi, à le regarder jusqu'à ce qu'il ne se trouve plus dans mon champ de vision mais, pour autant, plus que jamais, auprès de mon cœur.
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