Chapitre 26 - Il faut qu'on parle

Point de vue d'Izuku


Le temps passe rapidement, sans que nous ne le voyions filer. Il ne faut pas bien longtemps à la matinée pour s'achever, laissant l'après-midi démarrer après un repas composé de simples sandwichs. Nous décidons de rester un moment loin des attractions à sensation afin de laisser le temps à nos estomacs de digérer. Même si, en vérité, nous ne nous sommes pas approchés de l'un d'eux depuis notre tour au sein de la maison hantée. Heureusement, j'ai pu me remettre assez rapidement de cette expérience, bien trop perturbé par l'attitude de Katsuki pour demeurer focalisé là-dessus. Depuis que nous ne sommes plus que tous les deux, il agit d'une façon étonnamment prévenante à mon égard. Je veux dire, il n'a pas cessé de me charrier pour autant mais... C'est comme si le fossé entre nous s'était soudainement refermé, nous permettant de nous rapprocher comme nous l'étions ce fameux jour où je l'ai embrassé.

Cette sensation devrait me plaire, me réchauffer le cœur. Cependant... Quelque chose ne va pas. C'est trop...soudain. Je ne comprends pas cette manière d'agir de la part de mon ami d'enfance, alors que je le dégoûtais quelques jours plus tôt. Nous ne nous sommes même pas expliqués à ce sujet. C'est comme s'il avait brusquement décidé de se comporter comme si tout cela n'était jamais arrivé. Et, pour être honnête, cela me met quelque peu mal à l'aise. Nous nous adressons parfois la parole, mais jamais pour parler de nous, pour nous ouvrir véritablement. Même si je sais que ce n'est pas son genre, cette façon de faire venant de Katsuki me paraît fausse, au fur et à mesure du temps qui passe. Non pas que je préfère que nous demeurions en froid, bien sûr ! Mais ne serait-ce pas mieux qu'il me révèle ce qu'il a sur le cœur, avant que nous ne poursuivions notre aventure au sein de ce parc ? Parce que je me doute bien que pour passer de son comportement précédent à celui-ci, il a dû se retrouver en proie à une période de réflexion. Même inconsciente. Je n'ose cependant pas initier la moindre discussion à ce sujet. Une part de moi a tout de même peur de mettre fin à cette ambiance entre nous en m'y risquant. Alors, pour le moment, je me contente de cheminer à ses côtés, décidant avec lui de nos prochaines activités.

... Peut-être le fossé s'est-il agrandit, tout compte fait. Bien trop pour qu'il ne se fatigue à me mépriser, à exprimer combien je le répugne. Et que la seule façon pour qu'il me tolère de nouveau est que nous nous comportions comme de presque inconnus.

Voilà, c'est ainsi que je ressens les choses. Comme si nous nous connaissions à peine. Comme si je suivais au sein de ce parc un garçon dont je ne sais quasiment rien. Ces pensées tournent dans mon esprit, se répétant encore et encore tandis que le temps passe et que nous enchaînons plusieurs manèges dans lesquels ma joie, sincère pour commencer, se fait de plus en plus incertaine. Forcée. Quel a pu être le but de nos amis ? Voulaient-ils que l'on profite d'un temps à deux pour se retrouver, se réconcilier ? Malgré les apparences, j'ai l'impression que c'est plutôt raté. Bientôt, je n'ai plus qu'une hâte : celle de terminer la journée et de rentrer chez moi.

Nous sortons du bateau pirate, dans lequel j'ai bien cru que j'allais m'envoler tant mon corps se soulevait à chaque fois que l'extrémité à laquelle nous nous trouvions montait, lorsque je décide de vérifier l'heure qu'il est, amenant mon sac devant moi pour l'ouvrir et en sortir mon téléphone. Je vois alors qu'il sera seize heures dans quelques minutes et que j'ai trois messages non-lus de la part de Shouto.


[ Pour information : je n'étais absolument pas au courant qu'Eijirou et Mina comptaient intentionnellement vous perdre, Katsuki et toi. ]

[ Mon frère m'a appelé. Celui dont je n'avais plus de nouvelles depuis 5 ans. Il m'a demandé si on pouvait se capter, cette semaine. Je te raconterai plus en détails ce soir. ]

[ J'espère que tout se passe bien. ]


C'est avec un léger sourire que je lui réponds rapidement, relevant sans cesse la tête tandis que je tape mon message afin de ne pas me retrouver à foncer dans quelqu'un parmi les personnes évoluant tout autour de nous.


[ C'est super cool ! :D Et t'en fais pas, tout va bien de mon côté ! ^^ ]


J'espère qu'il en va de même pour lui et qu'il ne se sent pas trop laissé à l'écart, avec ce duo avec lequel il se trouve. Personnellement, je ne tiens pas à lui faire part de mon malaise grandissant. Pas maintenant. Je ne veux pas qu'il se mette à s'inquiéter. Parce qu'au fond, je n'ai pas menti : malgré cette sensation, on ne peut pas dire que les choses se passent mal.

Dans tous les cas, je suis ravi qu'il ait pu avoir des nouvelles de son frère aussi rapidement ! S'il pouvait l'accueillir chez lui, pour lui assurer d'avoir un endroit stable où vivre, ce serait encore mieux ! Non pas que je ressente la hâte de me débarrasser de lui, en aucun cas. Mais cela ne doit pas être des plus faciles, pour lui, de se retrouver dans une situation aussi bancale. Sans compter le fait que nous mentons tous deux à nos camarades de classe quant à la raison de sa présence chez moi et que, chaque jour qui passe, je stresse d'autant plus quant à l'idée qu'il remarque, d'une manière ou d'une autre, les protubérances présentes au niveau de mon torse. Je m'estime véritablement chanceux que tel n'ait pas encore été le cas.

Je range mon téléphone, réarrange mon sac, et accélère quelque peu le pas pour rattraper Katsuki qui se trouve à quelques pas devant moi. Il me lance un regard en coin lorsque je reviens à sa hauteur avant de s'adresser à moi.


« Des nouvelles des deux idiots ? me demande-t-il, faisant certainement référence à Mina et Eijirou.

- Ah, non, c'était Shouto. Il me disait qu'il était pas au courant pour mmh... La 'séparation' de notre groupe. Et qu'il espérait que ça se passait bien de notre côté. »


Inutile de lui parler du reste. Il n'est pas au courant de ce qu'il se passe au sein de la famille Todoroki, à l'image de nos autres camarades. Je suis sûrement le seul de notre classe ayant eu vent des ennuis de mon ami aux cheveux bicolores. Et encore, avec mes doutes quant à cette potentielle violence à son égard, je doute savoir tout de ce qui a pu s'y dérouler.


« Double-Face, hein... marmonne Katsuki en reportant ses iris devant lui. Paraît qu'il vit chez toi, en ce moment ?

- Mhm, oui.

- J'ai l'impression qu'vous vous êtes pas mal rapprochés, dernièrement. »


Il marque une pause et je me mets à le jauger à mon tour. Le ton de sa dernière phrase semblait assez incertain. La manière dont il se mordille les lèvres me fait penser qu'il n'a pas tout dit à ce sujet. Et, effectivement, après quelques secondes, il reprend la parole tout en amenant une main à sa nuque qu'il se met à frotter lentement.


« Vous êtes... J'veux dire... Tu ressens des trucs, pour lui ? »


Mon cœur loupe un battement à cette question. Un battement d'appréhension. Je n'aime pas le terrain sur lequel cette discussion pourrait nous mener. La dernière fois que nous avons mentionné une quelconque attraction romantique, les choses se sont mal terminées. Et même si je ne ressens rien de la sorte pour Shouto, une boule de stress grandit tout de même en moi tandis que je déglutis, le visage baissé vers le sol afin d'éviter le moindre contact visuel avec mon ami d'enfance.


« Pourquoi tu...me demandes ça ?

- Comme ça. »


Je l'entends soupirer, puis profondément inhaler. Mes muscles se crispent.


« C'est juste que... J'ai pas été... Cool avec toi, et... Et lui, il a l'air d'avoir été là pour t'réconforter alors... Ca m'étonnerait pas qu'ce soit le cas, disons. »


... Hein ?

J'ai du mal à saisir. Shouto a été là pour moi, donc ça aurait dû permettre à des sentiments pour lui de s'éveiller ? Ah, si les choses étaient aussi simples...

En même temps, si l'on devait tomber amoureux de toutes les personnes cherchant un jour à nous réconforter... Pfiou, l'on ne s'en sortirait pas !

En tout cas, je suis surpris de l'entendre admettre qu'il n'a pas été 'cool avec moi', même si c'est peut-être quelque peu léger comme terme. Enfin, je suppose que c'est déjà quelque chose d'assez exceptionnel pour Katsuki d'admettre ses torts.

... Je suis bien trop souple vis-à-vis de lui. Lui qui a été si odieux envers moi, qui a piétiné mes sentiments, en a fait de la charpie. Lui à qui je serais pourtant encore capable d'offrir mon cœur meurtri, blessé. Alors qu'il ne le mérite certainement pas.


« C'est juste un ami, soufflé-je en relevant la tête sans pour autant décoller mes pupilles du sol.

- D'accord. Cool. »


Cool ?

Qu'est-ce qu'il veut dire par 'cool' ? Qu'est-ce que cela aurait changé, pour lui, si j'avais finalement jeté mon dévolu sur Shouto ? Mon organe vital, confus, commence à battre furieusement dans ma poitrine, pompant le sang au travers de mon corps d'une violence fulgurante.

J'ignore ce que je ressens, à ce moment. C'est quelque chose de purement désagréable. De la colère ? De la frustration ? De l'incompréhension ? J'essaye de ne pas tirer de conclusions forgées par mon esprit allant souvent bien trop loin dans ses réflexions. Mais même de cette façon, rien de plausible ne me vient. Seules des hypothèses qui ne tiennent pas debout, qui n'ont aucun sens.


« Pourquoi 'cool' ? Au contraire, ça te permettrait de t'assurer que mes sentiments pour toi sont de l'histoire ancienne, non ? demandé-je dans un rire nerveux, la voix tremblante.

- Quoi, t'en pinces encore pour moi malgré tout ? » répond-il en prenant soin de totalement éviter mes propres questionnements.


Ma bouche demeure close, mes lèvres serrées. Je ne peux le nier. Cependant, la dernière fois que j'ai affirmé une telle chose à Katsuki...

Pourquoi m'interroge-t-il de la sorte, dans un premier lieu, alors que nous sommes censés passer un bon moment ?

Mon corps se fait de plus en plus faible à cause des différentes sensations le traversant et, bientôt, je dévie de la foule pour aller m'asseoir sur un banc libre, au bord du chemin, avant que mes jambes ne décident de me lâcher. Le blond me suit, se pose à mes côtés. Il n'insiste pas, doit sentir que le sujet est délicat. Ma gorge s'est nouée. Je n'aurai pas la force de subir un nouveau rejet de sa part.


« Vu ton silence, j'suppose que oui. T'as vraiment aucun instinct de préservation, Deku.

- ...

- Mais pour le coup, c'est peut-être pas si mal.

- ... Kacchan. Je... Je comprends rien de ce que t'essayes de me dire depuis avant... T'es...super bizarre, aujourd'hui. T'as accepté de venir alors que tu savais sûrement que je serais là. Tu agis comme si...rien ne s'était passé. Au début, je me suis dit que c'était mieux comme ça mais... Mais petit à petit, je me rends compte que quelque chose ne va pas. C'est pas...naturel. C'est pas toi. Tu as toujours été du genre à dire ce que tu pensais, non ? Alors... Alors, s'il te plaît, parle-moi clairement. Parce que vraiment, je suis perdu. » finis-je par lui avouer, mes iris allant à la rencontre des siennes.


Nous nous observons un moment, immobiles. J'ai l'impression qu'un poids s'est levé de mes épaules, suite à ma déclaration, que mon cœur se fait moins lourd, moins affolé. Au lieu de battre à la vitesse d'un colibri, il se mouve maintenant avec force, cognant contre ma cage thoracique comme s'il tentait de s'en échapper.

Katsuki soupire de nouveau et laisse son dos venir à la rencontre de l'arrière du banc. Ses mains se posent sur ses cuisses, se serrant et se desserrant à plusieurs reprises tandis qu'il semble réfléchir à ses mots. Je demeure concentré sur sa personne, n'accordant pas la moindre attention aux personnes nous entourant, aux odeurs majoritairement sucrées qu'ils transportent avec eux, ni même au bruit alentours tels que les cris provenant de manèges à sensation non loin de là. Non, actuellement, tout ce que je désire, c'est savoir ce qu'il a en tête. Comme il a l'air disposé à parler, autant en profiter.


« Ecoute, Deku, tu... » commence-t-il.


Il s'interrompt, passe ses phalanges entre ses mèches cendrées.


« Tu voudrais pas qu'on aille en parler en privé ? Dans un endroit plus calme ?

- On peut aller à l'un des points de restauration du parc, si tu préfères. Il y aura sûrement moins de monde, là-bas.

- ... Tu rends pas ça facile, Deku. J'voulais dire... Rha, tu sais, un endroit vraiment calme, insiste-t-il visiblement gagné par l'embarras.

- Du genre ? On est dans un parc d'attraction, Kacchan. Il y aura du bruit où qu'on aille.

- Merde, j'arrive pas à croire que tu vas m'faire dire ça. Ok, c'est super nian-nian alors t'as pas intérêt de te foutre de ma gueule. Mais on pourrait aller en parler en face à face dans...dans la putain de grande roue. »


Même si ses derniers mots ne sont que marmonnés, je parviens à les saisir avant qu'ils ne se fassent engloutir par le capharnaüm environnant. J'avoue que je m'attendais à tout sauf à cela. Katsuki et moi, tous les deux, faire un tour de grande roue ? Passer plusieurs minutes dans une cabine étroite de laquelle aucun d'entre nous ne pourra fuir ?

Qu'il se rassure, je n'ai pas exactement envie de rire. Ou si je venais à le faire, ce serait certainement de nervosité. Mes joues se mettent à chauffer malgré moi alors que mon esprit fait défiler tout un tas de scènes clichées pouvant se dérouler dans une telle situation. Seigneur, dans quoi mon ami d'enfance cherche-t-il à m'embarquer ? S'agit-il encore d'un conseil d'Eijirou et Mina ? Je ne vois pas le blond me proposer une telle chose de lui-même. Mais si tel est le cas, avait-t-il prévu que nous finissions par discuter de la sorte ?

Ainsi perdu dans mes pensées, je ne me rends pas tout de suite compte qu'il attend une réponse de ma part. C'est seulement lorsqu'il m'interpelle que je secoue la tête, clignant des yeux pour revenir à moi. Je me racle la gorge, marmonne quelques « Euh... », « Bah... », « Je... » avant d'étirer un petit sourire dénué de toute confiance.


« P-pourquoi pas, oui... ! »


Ma voix s'est faite plus aigue que je ne l'aurais voulue, lui faisant hausser un sourcil. Mais il ne fait pas le moindre commentaire. Il se contente de hocher fébrilement la tête et de se lever de ce banc en ma compagnie.

Et c'est ainsi que nous nous dirigeons tous deux vers ladite Grande Roue, sans un mot ni un regard, aussi assurés que deux oisillons s'apprêtant à s'élancer dans les airs pour la première fois. Mon sang bat rageusement dans mes tempes, rendant ma vue quelque peu trouble – mais rien de trop dérangeant, fort heureusement. Quoi qu'il se passe là-haut, je sens que nous en sortirons en possédant une toute autre relation.

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