Chapitre 24 - Changement d'attitude
La file pour accéder à la maison hantée n'est pas bien longue ; en quelques minutes, nous nous retrouvons, Katsuki et moi, installés dans un petit wagonnet conçu pour deux personnes. Mon ami d'enfance ne paraît pas le moins du monde impressionné alors que, de mon côté, l'entièreté de mon corps se retrouve crispé, tendu, comme un élastique prêt à céder. Une femme entièrement vêtue d'une longue cape noire et dont le visage est camouflé par un masque vient vérifier que nos barres de sécurité sont bien installées et me débarrasse de mon sac, m'indiquant que je pourrai venir le récupérer à la sortie de l'attraction.
Si j'y survie, pensé-je tandis que cette dernière s'active et que l'employée nous souhaite d'une voix rauque de passer un excellent voyage. Je déglutis, le cœur en chamade, la respiration instable, les mains tenant la barre face à moi comme si ma vie en dépendait. Comment le blond fait-il pour conserver son calme, agir comme si nous nous apprêtions à faire un tour en carrousel ? Et qu'est-ce qui m'a pris de proposer cet endroit comme prochain manège ? Nous nous engouffrons dans un tunnel caché derrière d'épais rideaux noirs, à la lueur tamisée nous permettant au moins de distinguer nos alentours. J'avoue être un tant soit peu rassuré par cette absence d'obscurité totale, et permets à mes muscles de se détendre à cette constatation. Katsuki me lance parfois de petits regards amusés en coin, guettant mes réactions, attendant certainement que je me retrouve surpris par un élément ou un autre. Pour le moment, nous avançons lentement sur les rails face à nous, observés par d'étranges portraits dignes de ceux que l'on pouvait retrouver du temps de la Renaissance. Entre eux se situent des armures portant chacune une lance, gardiennes de ces lieux, que l'on pourrait s'attendre à voir s'animer d'un moment à l'autre. Mais elles demeurent immobiles, fidèles à leur poste et nous passons face à elles, sans le moindre accroc.
Jusqu'à ce que notre wagon ne se mette à freiner, par à-coups, comme si quelque chose dans la mécanique de l'attraction déraillait. Je me remets à serrer la barre que j'avais délicatement relâchée, fixant les alentours à l'affût du moindre problème.
« Tu croyais franchement qu'ça allait rester aussi calme tout le long ? ricane Katsuki à côté de moi.
- J-j'ai espéré que ce soit le cas... »
Ces mots prononcés, notre véhicule finit totalement à l'arrêt et, soudainement, la faible lueur n'est plus, nous plongeant dans les ténèbres les plus totales et me faisant pousser une petite exclamation de surprise. Quelque chose va surgir. Quelque chose va surgir et je risque de ne pas du tout aimer cela. Et connaissant mon ami d'enfance, il serait capable de s'allier aux forces maléfiques nous guettant dans l'ombre pour me terrifier parce que je sais que cela l'amuserait et qu'il en serait totalement capable ! Et, justement, son ricanement se fait plus grave, plus vocal et ce simple son suffit à ce qu'une multitude de frissons viennent me parcourir l'échine.
« K-Kacchan !! »
Il ne répond pas à ma protestation et se contente de s'arrêter pour se mettre à rire de manière plus franche ce qui change mes frissons en une douce et agréable chaleur, faisant s'envoler une myriade de papillon au sein de mon estomac. Le rire de Katsuki a toujours été une véritable bénédiction pour les oreilles, et il est si rare de l'entendre que l'on peut le qualifier de miracle sans la moindre exagération.
« Suite à un léger souci technique, l'attraction se trouve actuellement à l'arrêt, retentit une voix. Merci de ne pas vous lever de vo-votre siège et de de-demeurer pati— »
La voix en question a déraillé, comme si l'électricité sautait, menaçait de totalement se couper d'un instant à l'autre, nous laissant sans le moindre contact possible avec l'extérieur. Seigneur, à quel point faut-il être malchanceux pour qu'une telle chose arrive alors que l'on se trouve dans une attraction où il est impossible de voir quoi que ce soit où que l'on pose le regard ? Et dire que mon téléphone est dans mon sac... Si je l'avais gardé avec moi, j'aurais pu me servir de sa lampe de poche pour éclairer les environs.
Ah, mais Katsuki doit encore avoir le sien sur lui ! Je tourne la tête du côté où il se trouve, sans toutefois parvenir à le discerner, et murmure à son attention, comme si j'avais peur que quelqu'un, tapi dans le noir, nous localise au simple son de ma voix et en profite pour nous sauter dessus.
« Dis... Ce serait peut-être plus confortable pour nous d'attendre avec un peu de lumière, non ?
- Mmh ? Pourquoi, t'as peur ? demande-t-il, à voix haute.
- Hein ? N-non, bien sûr que non ! C'est juste que... »
Je m'arrête au beau milieu de ma phrase, le souffle coupé, tandis que deux petites lueurs rougeoyantes se mettent à briller dans l'obscurité, du côté de mon ami d'enfance qui émet un petit son interrogatif face à elles. Ce n'est pas exactement le type de lumière que je cherchais. Elles ressemblent à deux yeux qui seraient là, occupées à nous fixer. La chaleur parcourant mon corps s'évanouit sans demander son reste, se fait remplacer par un nouveau frisson. Je n'aime pas ça. Pas du tout.
D'autres lueurs du même acabit s'allument, petit à petit, du côté de Katsuki comme du mien. Elles sont bientôt assez nombreuses pour que nous parvenions à discerner d'où elles proviennent : des casques de ces armures, représentant effectivement deux iris brillantes d'une couleur ensanglantée. Mon corps se paralyse à cette vue digne d'un cauchemar et je crois que la barre de sécurité doit maintenant faire partie intégrante de mes membres tant je m'accroche à elle.
« La vache ! » siffle Katsuki, visiblement impressionné, mais pas apeuré pour un sou.
C'est alors qu'un éclair fait apparaître de façon claire le couloir durant quelques secondes, suivi d'un puissant coup de tonnerre me faisant sursauter alors que je ne peux retenir un petit cri et que je me recroqueville sur moi-même, intimidé.
Le flash m'a fait instantanément regretter de ne pas être resté emprisonné dans l'obscurité : les tableaux disposés aux murs, du peu que l'on ait pu les apercevoir de nouveau, n'ont plus rien à voir avec ce qu'ils étaient à notre entrée. Les yeux des portraits ont été remplacés par de grosses taches noires dégoulinantes le long de leurs joues, comme si une malédiction leur avait été lancée et qu'ils s'étaient mis à en pleurer leurs âmes noircies. Leurs bouches se trouvent dans le même état, sans cette impression de débordement, ne dévoilant qu'une sorte de trou noir béant prêts à nous aspirer dans un épouvantable néant. L'on pourrait presque s'attendre à les entendre hurler de désespoir.
Un second éclair illumine de nouveau le couloir et, cette fois-ci, ce sont les armures qui bougent : le bras tenant leurs lances pivote, les faisant se pointer en notre direction ce qui m'arrache un nouveau cri et, cette fois-ci, même Katsuki ne peut s'empêcher une exclamation, bien moins aigue cependant, et davantage surprise qu'effrayée. Bon sang, si je m'étais attendu à cela ! Un rire rauque résonne depuis les haut-parleurs et notre wagonnet repart d'un coup, à vive allure, tandis que la faible lueur du début de l'attraction de rallume, nous permettant de voir à mon plus grand malheur les lances ne se trouvant qu'à quelques centimètres de nous, pointant en direction de nos jugulaires.
Je ne sais pas ce que cette attraction pouvait nous réserver de plus, cependant.
A la fin de ce premier corridor, ma tension et mon mal-être sont tels que je ne parviens plus à réfléchir de façon rationnelle et que je m'agrippe à mon ami d'enfance, attrapant son bras pour le serrer contre moi alors que je plonge mon visage dans le creux de son épaule dans le but de ne plus avoir à être témoin de ce que le reste du trajet pouvait avoir à nous suggérer. Je ne fais qu'entendre les sons, parfois brutaux me faisant sursauter, parfois stridents à vous en faire hérisser les poils. Et moi, je ne bouge pas, ainsi accroché à Katsuki qui, de son côté, semble passer un moment absolument merveilleux. Il n'a pas l'air de prêter attention à notre position et c'est tant mieux, car je ne pense pas avoir été en mesure de survivre sans posséder quoi que ce soit susceptible de pouvoir me rassurer un minimum. Je ne sais même pas s'il m'a lancé le moindre regard de toute l'attraction.
Et puis, lorsque le wagon s'arrête une seconde fois, et que je peux de nouveau entendre les voix des autres visiteurs attendant leur tour, j'ose relever lentement la tête pour inspecter les environs, m'assurer que c'est bien terminé. C'est l'instant que choisit mon ami pour poser sa main libre sur mon crâne, m'incitant à poser mes iris de petit animal apeuré sur lui. Il me jauge d'un air semi-moqueur, un léger sourire en coin étirant ses lèvres.
« C'est bon, Deku, on est arrivé, t'as plus besoin de t'accrocher à moi comme si t'allais te noyer. »
... Mon activité cérébrale décide de reprendre du service et c'est alors que je me rends compte de la situation dans laquelle je me trouve : ainsi blotti contre le blond, m'agrippant à son bras comme si ma vie en dépendait. Je sens le feu me monter aux joues et me dégage donc immédiatement, atrocement embarrassé, marmonnant mille-et-unes excuses en baissant les yeux. Oh que cela a dû le gêner ! Surtout lorsque nous sommes sortis de la zone 'hantée', nous retrouvant sous les regards des autres personnes ! Je m'attends donc à ce qu'il me réprimande, qu'il décide de s'en aller... Mais il n'en est rien. Il ne fait que ricaner et repousser la barre nous maintenant au fond de nos sièges pour se redresser et sortir du wagon, m'induisant à le rejoindre. Confus, je lui jette un coup d'œil pour constater que... Sur son visage n'apparaît pas la moindre lueur de dégoût ou même de colère. Le simple fait de dormir à mes côtés semblait lui donner la nausée, mais il n'a aucun souci quant au fait que je m'accroche à lui de la sorte ? J'avoue ne pas comprendre de quel genre de logique il s'agit. Enfin, tant mieux s'il ne s'énerve pas ! C'est perturbant, mais tout autant réjouissant ! Bon, il vaut mieux que je ne me repose pas trop sur mes lauriers pour autant : je connais Katsuki, et je sais que le moindre faux pas est vite arrivé, avec lui. Il est difficile à cerner et, même en le connaissant depuis l'enfance, j'avoue encore avoir du mal, parfois.
Je me redresse à mon tour, et sors du petit véhicule pour aller récupérer mon sac et quitter l'attraction en compagnie du blond qui marche à mes côtés, les mains dans les poches, un air satisfait sur le visage. Au final, cette journée s'annonce peut-être encore meilleure que ce à quoi je m'attendais. Je ne sais toujours pas à quoi les autres pouvaient bien penser en décidant de nous laisser rien que tous les deux mais... Je dois bien avouer que l'idée me paraît bien moins intimidante, après ce manège, paradoxalement.
« On va où, après ça ? demande-t-il en scrutant les alentours. Tu veux rester dans les trucs qui secouent ? T'es sûr de tenir le coup ?
- Je...pense qu'un petit tour en tasses tournantes ou au carrousel me suffira, pour le moment... » ris-je doucement.
Nous verrons un peu plus tard, pour la sensation : je pense que, malgré tout, j'ai besoin de me remettre de mes émotions.
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