Chapitre 21 - Direction le parc!
Lorsque Shouto revient, le souper est passé depuis une bonne heure déjà. Il m'a prévenu un peu avant celui-ci que sa sœur tenait à manger avec lui et s'est excusé de me tenir au courant aussi tard, ne s'attendant pas à cette invitation.
Il est dans les environs de vingt heures trente quand mon ami passe la porte du salon où je me trouve déjà, sur le canapé, occupé à jouer à Animal Crossing sur ma Nintendo DS. Je l'ai entendu arriver dans le couloir après avoir frappé, s'excusant encore auprès de ma mère qui lui a assuré qu'elle ne lui en voulait pas. C'est après l'avoir remerciée qu'il me rejoint alors que je viens d'échapper in-extremis à une horde d'abeilles furieuse après que j'aie fait tomber leur ruche en secouant l'un des arbres du village. Je mets mon jeu en pause en fermant la console et me tourne vers Shouto qui, effectivement, s'est débarrassé de son bandage, laissant la marque de sa brûlure à la vue de tous. La plaie affiche désormais une couleur brunâtre plutôt que rouge, signe que la cicatrisation avance à bon rythme même si certains endroits demeurent encore rosés. Je remarque qu'il a légèrement ramené ses cheveux en avant, cherchant probablement à camoufler au mieux sa plaie maintenant que le pansement n'est plus là pour remplir ce rôle. Je me doute qu'il ne doit pas se sentir très à l'aise à l'idée de se retrouver à soudainement exposer une blessure de cette taille.
Je me décale quelque peu, l'invitant à me rejoindre sur le canapé. C'est sans un mot qu'il y prend place, portant une main à sa brûlure pour l'effleurer dans un long soupir attristé qui a pour effet de me fendre le cœur.
« Pas très beau à voir, hein...
- Je l'ai vue dans un pire état, tu sais, tenté-je de le rassurer. Et puis, ça ne me choque pas. Je veux dire, avec ou sans tu restes toi.
- Merci, Izuku, c'est gentil. Mais tu aurais vu le regard de certaines personnes, dans le resto où m'a amené Fuyumi... Je ne sais pas si c'était du dégoût ou de la curiosité malsaine... Ou un mélange des deux... Mais ça m'a mis...vraiment mal à l'aise. Je ne suis pas sûr de vouloir vivre ça en classe, demain. »
J'imagine que cela n'a pas dû être très plaisant à vivre, effectivement. Avec mon anxiété et mes angoisses permanentes, il m'arrive d'avoir l'impression que les iris des autres sont braquées sur moi, m'examinant, perçant mon âme, cherchant la moindre faille, la moindre faiblesse. Dans ce genre de situation, il n'y a qu'une pensée qui traverse mon esprit, qui me hante, me fait trembler. 'Ils savent. Ils voient à travers moi. Et ils me jugent.'
La différence étant que, dans le cas de Shouto, ils scrutent quelque chose de concret. Quelque chose de visible à l'œil nu, qui attire le regard. Je me mordille la lèvre, compatissant envers mon ami, et vient poser une main contre son épaule dans un geste qui se veut encourageant.
« T'en fais pas pour ça ! T'as entendu Ochako, non ? Elle empêchera qui que ce soit de te mettre mal à l'aise ! Et moi aussi, d'ailleurs !
- Vous n'êtes pas obligés, vous savez...
- On le fait pas par obligation, on le fait parce que t'es notre ami et que c'est normal de s'entraider lorsque l'un d'entre nous en a besoin ! »
Il s'autorise enfin à m'adresser un sourire ainsi qu'un regard en coin. Il retira ses phalanges de devant sa brûlure pour laisser son corps se détendre tandis qu'il laisse son dos basculer en arrière pour rencontrer le dossier du canapé. Il me semble quelque peu soulagé, même s'il m'est d'avis qu'il en faudra davantage pour qu'il se retrouve totalement à l'aise avec cette cicatrice ornant désormais son visage.
« Tu veux monter ? lui proposé-je alors en reprenant ma console afin de la rouvrir et d'aller sauvegarder ma progression - je ne tiens pas à recevoir la visite de Resetti, non merci !
- Pourquoi pas, oui. »
Une fois mon action effectuée, je ferme pour de bon ma Nintendo DS et me lève du canapé, suivi par mon ami. Nous croisons ma mère dans le couloir, qui se rend à son tour dans le salon et lui souhaitons la bonne nuit, qu'elle nous rend dans son habituel sourire bienveillant. Et puis, nous montons dans ma chambre, où est déjà entreposé le futon dans lequel dort Shouto depuis la veille.
« Au fait, ça s'est bien passé, avec ta sœur ? demandé-je en m'asseyant en tailleur sur le lit.
- Plutôt, oui, répond-il en prenant place face à moi. Apparemment, mon père fulmine depuis que je suis parti.
- Aïe, c'était à prévoir... Mais ça va, pour elle ? Vu qu'elle vit encore avec lui...
- Il fait comme si elle n'était pas là, donc elle s'en sort. Il lui a demandé de me convaincre de revenir, par contre. Il peut toujours rêver. »
Je repense à la discussion que j'ai eue plus tôt avec ma mère. Nos soupçons quant à l'origine de la plaie de mon ami. Ma tête s'abaisse lentement tandis que je réfléchis au fait de l'interroger ou non à ce sujet. Mais au fond, que m'apporterait le fait de le savoir ? Si elle vient bel et bien de son père, eh bien... De toute façon, il ne vit plus sous son toit, pas vrai ? Et si tel n'est pas le cas... J'aurai l'air idiot de m'être monté la tête à ce sujet.
« Elle compte commencer à chercher un appartement dès que j'aurai trouvé un endroit stable pour vivre. Et à ce moment-là, cet enfoiré se retrouvera complétement seul. C'est tout ce qu'il mérite. » ajoute Shouto, m'interrompant dans mes pensées.
... Si tel n'est pas le cas, je me demande bien ce qui peut le pousser à autant haïr son père. Ce qui peut animer cet éclat de pure rage dans ses iris lorsqu'il parle de lui.
« Il est si horrible que ça... ? osé-je demander en me mordant l'intérieur de la joue, regrettant déjà ma question.
- Mmh, il... Il ne pense qu'à lui. Qu'à son image, son prestige. Tu sais, il est né avec une cuillère en argent dans la bouche. Et il tient absolument à ce que cette cuillère se transmette, au sein de la famille. Il est obsédé par la réussite. Et crois-moi, il a sa propre définition de ce qu'est la réussite. Et quoi de mieux pour s'assurer de l'atteindre que de chercher à contrôler son entourage. »
Ah, je vois à peu près le genre, oui. Et je peux m'imaginer à quel point la vie à ses côtés est insupportable avec la manière de parler de Shouto qui se fait plus sombre au fil des phrases.
« C'est pour ça que mon frère Natsuo est parti s'installer loin d'ici, une fois qu'il est devenu indépendant. Pour ne plus entendre parler de lui. Il s'est moins acharné sur Fuyumi parce qu'il considère qu'être une femme est déjà un échec en soi puisqu'elle ne pourra pas transmettre son nom de famille. Tout ce qu'il attend d'elle, c'est qu'elle se trouve un 'bon époux'. Et moi... Hah, moi aussi, je suis un échec. Et heureux de l'être. »
Je comprends soudainement la haine que peut vouer mon camarade à son géniteur. Même sans l'avoir jamais rencontré je sens une émotion des plus désagréables bouillir en moi, une colère sourde me prendre aux tripes. Moi qui pensais que ce genre de personnes n'existait que dans les œuvres de fiction !
« J'ai aussi un autre frère, mais je ne sais pas ce qu'il devient. Ca fait... Plus de cinq ans que je n'ai plus de nouvelles de lui ? Mais ce soir, Fuyumi m'a avoué qu'ils se parlaient, parfois. Et elle va voir s'il y a moyen qu'il m'héberge, le temps que j'aie de quoi vivre de mes propres moyens.
- Ce serait super ! En plus, ça te permettrait de le retrouver !
- Oui, enfin, comme dit, je ne sais pas du tout ce qu'il devient. Je veux m'assurer qu'il n'a pas chopé du caractère de mon père entre temps. Ca m'étonnerait, Fuyumi m'a assuré que non, mais je veux quand même le constater de moi-même.
- Mhm, c'est compréhensible. »
Je ne lui demande pas s'il n'est pas possible pour lui d'aller s'installer chez sa mère. S'il n'en fait pas mention, c'est que ce n'est pas le cas. Elle vit peut-être trop loin pour qu'il puisse s'y rendre ? Ou peut-être que sa relation avec elle n'est pas propice à ce qu'une colocation à ses côtés soit possible ? Mais j'espère vraiment que les choses se passeront bien avec son frère, et qu'il pourra s'installer chez lui le temps qu'il faudra. Dans tous les cas, en attendant, il est le bienvenu ici !
« On verra bien. Ma sœur me tiendra au courant. »
Il hausse les épaules et se relève pour aller sur son futon, soulevant l'oreiller pour prendre le pyjama se trouvant en-dessous de celui-ci. Il le place par-dessus son épaule, se dirige vers la porte de la chambre et me lance un rapide regard.
« Je peux aller prendre ma douche ?
- Oui, bien sûr, fais comme chez toi !
- Merci. Je fais vite. »
Il ouvre la porte, s'apprête à partir pour la salle de bain et je me souviens des messages que Mina m'a envoyé, plus tôt. Ah, oui, je devais lui en parler ! Cela m'était presque sorti de la tête ! Et me connaissant, si j'attends qu'il revienne, mon attention se sera portée sur autre chose et j'aurai de nouveau oublié !
« Ah, euh, Shouto ! Ca te dirait de venir au parc d'attraction avec Mina, Eijirou et moi, ce week-end ?
- Hein ? demande-t-il en se tournant une fois de plus vers moi, demeurant pensif un petit instant avant d'acquiescer. Pourquoi pas, oui.
- Cool ! Je vais dire à Mina que c'est ok, alors ! Elle va être contente ! »
Il opine une fois encore, puis quitte la chambre pour de bon tandis que je me saisis de mon téléphone pour confirmer la venue de Shouto à mon amie. Il faudra que je pense à lui ramener trois mille yens pour rembourser le prix du billet en plus, aussi, même si elle m'a dit qu'elle le prenait en charge. J'économisais pour m'acheter la figurine d'All Might censée sortir d'ici deux mois mais... Mais je pourrai toujours l'acheter plus tard, même si cela blesse mon cœur de fan. Passer du temps avec mes amis est bien plus important !
Avant même que je ne le réalise, nous sommes Samedi. Je n'ai pas vu ce Vendredi passer. Au cours de celui-ci, j'ai fait mention de cette sortie à Ochako qui n'a pas...exactement eu la réaction à laquelle je m'attendais ? Celle-ci s'est contentée de me souhaiter de passer un bon moment tandis que son visage s'est fait traverser par une lueur amusée. Connaissant la brune, elle aurait d'ordinaire été du genre à se retrouver attristée de ne pas venir - ah, n'allez pas croire que je lui en ai parlé pour la faire se sentir mal ! C'est seulement que je n'avais aucune raison de ne pas lui dire - mais cette fois-ci... Cela n'a pas semblé être le cas. Pas le moins du monde. Tant mieux, d'un certain côté. J'ai également essayé de rendre son argent à Mina mais, bien entendu, elle l'a refusé en me répétant qu'il s'agissait d'une invitation et que je n'avais pas à la payer pour quoi que ce soit. Cependant, après lui avoir fait part de mon malaise quant à la faire payer une telle somme, nous nous sommes mis d'accord pour que je m'occupe du repas en contrepartie.
Ainsi, nous y voilà, Shouto et moi : il est un peu après dix heures du matin et nous nous trouvons dans le bus nous amenant auprès du parc, assis côte à côte. Tandis qu'il regarde le paysage défiler par la fenêtre, je m'occupe de compter le nombre d'arrêts qu'il nous reste avant d'arriver en gardant mes iris fixées sur le schéma de la ligne, de peur de louper l'endroit auquel nous devons descendre.
Et puis, après une vingtaine de minutes de trajet, nous arrivons enfin. Il est encore tôt mais, comme nous sommes Samedi, le monde afflue déjà, se pressant à l'entrée du parc. Heureusement que nous ne sommes pas en période de vacances, la foule aurait alors été invivable. Mon ami et moi descendons du bus et nous dirigeons à notre tour en direction des guichets. Mina m'a dit qu'elle nous attendrait avec Eijirou non-loin de là ; comme c'est elle qui a les billets, il faut de toute façon que l'on se retrouve à l'extérieur. C'est mieux ainsi et puis, avec des préventes, nous aurons moins de temps à patienter !
« Shouto ! Izuku ! Les mecs ! »
Tiens, quand on parle du loup ! Je me tourne en direction de la voix nous hélant pour voir Eijirou nous faire de grands gestes, nous invitant à le rejoindre. Je lance un coup d'œil à Shouto, nous échangeons un sourire et nous mettons à trottiner dans sa direction. Je peux voir mon amie à la chevelure décolorée à ses côtés !
Et...
Et je m'arrête.
Mes jambes ne font pas un pas de plus.
Mon cœur loupe un battement, se couvre d'appréhension.
Le bicolore, quelques pas devant moi, s'est lui aussi stoppé dans sa course.
Ses poings se sont serrés.
Nous avons probablement remarqué la même personne.
Nous avons tous deux vu Katsuki qui se tient là lui aussi, aux côtés de Mina, les bras croisés, nous perçant du regard d'une expression indéchiffrable.
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