Chapitre 16 - A la dérive dans une rivière arc-en-ciel (1ère partie)

Je termine sans aucun mal le hamburger qui, cinq petites minutes plus tôt, trônait juste devant moi, sur le plateau posé sur la table que je partage avec Eijirou et Mina. Ses derniers morceaux atterrissent dans mon gosier encore insatisfait, grognant dans l'espoir que je lui fournisse davantage de nutriments. Je décide donc de m'attaquer à mes frites, y allant lentement pour bien laisser à mon estomac le temps d'emmagasiner la nourriture.

Nous sommes Mercredi midi. Deux jours sont passés depuis que j'ai eu cette discussion avec Eijirou, chez moi, au cours de laquelle je lui ai parlé de mon attirance pour Izuku et de la façon dont je me suis comporté à son égard, de manière totalement injuste. Depuis, le garçon aux taches de rousseur m'évite. Il ne s'approche plus de moi, fait en sorte de ne pas croiser mon regard - certainement pour ne pas me laisser voir cette pointe de tristesse que j'ai pu y déceler malgré tout - et s'éloigne même lorsque c'est moi qui m'approche de lui. Quant à Shouto, lui, il me considère d'un mauvais œil, me lance des regards noirs lorsqu'il me surprend à lorgner en direction de mon ami d'enfance. Et je ne vous cache pas que cela a le don de me mettre hors de moi. Non mais pour qui il se prend, double-face ? Ca le regarde, ce qui se passe entre le nerd et moi ? Il veut que je lui colle mon poing dans la tronche, pour que son côté droit se teinte de jolies couleurs pour aller avec le gauche ?

Je sais. Je sais que je suis dans le tort. Que ce serait à lui de m'en foutre une plutôt que l'inverse, au vu de la façon dont j'ai pu traiter son ami, du chagrin que j'ai pu causer chez lui. Mais que voulez-vous, je n'ai jamais été d'un naturel patient ou conciliant et ce n'est certainement pas envers ce type que je vais commencer. D'autant que lui et Izuku semblent s'être rapprochés ; depuis Lundi, lorsque Shouto est revenu en cours, ils ne se lâchent plus, sont toujours ensemble, bien plus qu'ils ne l'étaient auparavant. Cela ne fait que deux jours, certes (trois, si l'on compte cette matinée), mais c'est suffisant pour me faire grincer des dents et me donner envie de retourner l'intégralité de la salle de classe. Mais je me contiens. Parce qu'au fond, je n'ai que ce que je mérite. Et que je ne peux décemment pas aborder Izuku comme si de rien n'était, sans être capable de m'excuser au préalable. Si son chien de garde me laisse l'approcher, qui plus est. Eijirou me dit d'être patient, de ne pas laisser ma conduite se faire dicter par mes ressentis qu'il sait explosifs. Mais c'est difficile. Surtout quand mon esprit se retrouve submergé par le visage du garçon faisant battre mon cœur sans le moindre instant de répit.

Lorsque mon ami aux cheveux rouges est parti de chez moi, Dimanche, il m'a demandé l'autorisation de parler de la situation dans laquelle je me trouve à Mina, me déclarant qu'elle serait sûrement en mesure de me venir en aide. Je l'y ai autorisé, mis en confiance par le fait qu'elle ne soit pas exclusivement attirée par les garçons, sachant alors qu'elle ne me jugerait pas là-dessus, à l'image d'Eijirou. C'est ainsi que celle-ci est venue me trouver, Lundi matin, ravie par ma 'sortie de placard', mais aussi peinée par la situation entre Izuku et moi. Elle m'a amené un peu à part au cours de la pause pour que nous en parlions - chose que j'ai malgré tout faite avec une certaine difficulté - et pour me proposer de m'emmener, ce Mercredi, dans un lieu où je pourrais 'en parler librement sans aucune crainte de me faire juger ou rejeter avec d'autres personnes qu'elle connait et qui ont déjà vécu la même chose, et que cela pourrait m'aider à me sentir un peu plus à l'aise quant à ma sexualité'. J'ai d'abord refusé, lui rappelant que le but n'était pas que l'entièreté de la région soit au courant, et que j'avais déjà eu bien assez de mal à aller chercher de l'aide chez des personnes de mon entourage alors me livrer à des individus que je ne connais ni d'Eve, ni d'Adam ? Non merci. Elle m'a cependant rétorqué que l'aide n'en serait que plus efficace, et que cela me permettrait de pouvoir me livrer sans retenue puisqu'il s'agit des 'personnes les plus bienveillantes qu'elle connaisse' et que ce serait 'trop cool que je fasse leur connaissance'. J'ai alors soupiré, comprenant qu'il n'y avait pas moyen de la faire changer d'avis, et ai fini par accepter en me disant que si je m'y sentais trop mal à l'aise, j'aurais toujours la possibilité de me barrer.

Et c'est pourquoi je me trouve là, à manger avec eux au milieu de ce fast-food bondé par le rush de midi, avant que nous ne partions retrouver les amis de Mina - qu'Eijirou connait aussi, si j'ai bien compris. Je ne peux cependant m'empêcher de ruminer en me demandant sur quoi je vais tomber, et s'il est trop tard pour décommander et rentrer chez moi. Les iris dorées de ma camarade me scrutent tandis qu'elle mange tranquillement son repas, un grand sourire sur le visage.


« Nerveux ? finit-elle par demander.

- Nan. Pourquoi j'serais nerveux ?

- Parce qu'Eiji l'était, la première fois que je l'y ai traîné ! Il avait peur de faire mauvaise impression !

- Tête d'ortie, faire mauvaise impression ? me moqué-je en portant mon attention sur l'intéressé. C'est plutôt moi que ça devrait inquiéter.

- Hé, j'y peux rien ! Avec la façon dont Mina me l'a apporté, j'avais peur de me retrouver à l'écart, de pas savoir quoi dire et d'avoir l'air bizarre ! rétorque Eijirou.

- Mais au final, ils l'ont tous adoré ! » renchérit Mina.


Cette dernière ne m'a pas vraiment expliqué où elle comptait m'emmener. Sur le moment, j'ai cru qu'elle me faisait le coup du 'Oh, t'es gay ?! Mais c'est trop bien, j'ai un autre ami qui est gay, lui aussi, je suis sûre que vous vous entendrez bien !' mais elle m'a vite fait comprendre que jamais elle ne s'abaisserait à de telles absurdité et qu'il s'agissait de quelque chose de bien différent, sans m'en dire davantage. Mais avec la façon dont ils en parlent, je m'imagine l'endroit en question comme une sorte de squatte, où chacun se traiterait comme des membres d'une même famille ? Cela m'évoque quelque chose dans ce genre-là, en tout cas.


Après avoir terminé de manger, nous sommes partis en direction de l'endroit en question. Il ne se trouvait qu'à une petite dizaine de minutes du fast-food, alors nous y sommes rapidement arrivés. Patientant devant la porte du lieu que quelqu'un nous ouvre après que Mina ait sonné, je lis la petite plaquette accrochée au mur aux côtés de la sonnette. Il s'agit d'un simple rectangle en PVC affublé d'arcs-en-ciel en habillant le contour et dont au centre se trouve l'inscription 'PRISME - Centre LGBT+'. Je plisse les yeux mais n'ai pas le temps de le considérer davantage puisqu'un son retentit soudainement, nous indiquant que nous pouvons entrer et c'est alors sans attendre que notre amie pousse la porte, nous faisant signe de la suivre. Je jette un regard à Eijirou qui se contente de m'adresser un sourire encourageant.


« Après toi ! » me lance-t-il.


J'obtempère et pénètre dans le petit couloir se dressant face à moi, à la suite de Mina.


« Centre LGBT+ ? lui demandé-je.

- Yup !

- Et c'est censé être quoi ?

- Bah... Un endroit où se retrouvent les personnes LGBT+ ! Pour discuter, demander de l'aide, des informations, ce genre de choses !

- Nan mais... Merci, Sherlock, j'aurais jamais deviné ! répliqué-je en levant les yeux au ciel, commençant à monter les marches d'un escalier.

- Ecoute, tu demandes, je te réponds !

- D'accord, et si tu m'expliquais la partie que j'comprends pas, maintenant ? »


Elle pousse un petit soupir, s'arrête au cours de notre ascension et fait volte-face afin de se tourner vers moi, se penchant dangereusement, au point qu'elle semble être sur le point de tomber et de dévaler les marches, nous entraînant Eijirou et moi dans sa chute. Ses mains, accrochées aux rambardes, empêchent cependant une telle catastrophe d'arriver.


« L G B T, récite-t-elle en prenant bien soin de marquer une pause entre chaque lettre. Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Et le symbole plus, c'est parce qu'il existe d'autres variantes, ce qui permet d'englober toutes les personnes possédant un genre ou une identité sexuelle n'étant pas cis, ou hétéro. »


Son regard reste planté un petit instant sur moi tandis qu'un silence s'installe entre nous, comme si elle attendait un signe de ma part lui assurant que j'ai enfin saisi. Mais de mon côté, je reste bloqué sur un terme en particulier qui a, sur le moment, capté mon attention au détriment du reste. Transgenres. Mes recherches de Samedi soir sur les binders me reviennent. Je n'ai pas pensé à les approfondir, depuis, trop focalisé sur les évènements s'étant déroulés depuis. Mais serai-je en mesure d'en apprendre davantage, ici ? Je me pince les lèvres, plonge mes iris rubis dans celles de mon amie.


« C'est quoi, exactement, 'transgenre' ? »


Visiblement prise au dépourvu, ses yeux papillonnent tandis qu'elle fait revenir son corps en arrière afin de ne plus se retrouver aussi dangereusement penché vers l'avant. Elle me jauge du regard un petit instant, se demandant probablement d'où me vient cette interrogation. Puis elle se met à arborer un air amusé, secouant lentement la tête de gauche à droite.


« Tu vis dans une grotte, Katsuki ?

- J'me suis jamais intéressé à c'genre de choses ! me défends-je, indigné.

- Ca se voit ! » répond-elle dans un petit rire avant de se retourner pour se remettre à monter.


Pestant intérieurement quant à l'absence de réponses de sa part, je la suis le temps des quelques marches restantes.


« Une personne transgenre, c'est quelqu'un qui ne se reconnaît pas dans le genre qu'on lui a assigné à la naissance. » me dit Eijirou, dans mon dos.


Je tourne la tête vers lui, brièvement, considérant sa réponse.

Quelqu'un qui ne se reconnaît pas dans le genre qu'on lui a assigné à la naissance...

J'avoue avoir du mal à me figurer l'idée.

Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir car nous arrivons à destination : une nouvelle porte contre laquelle Mina frappe, puis ouvre sans attendre la moindre réponse, nous invitant à entrer.

Nous nous retrouvons dans une sorte de grand local au sein duquel sont déjà regroupées plusieurs personnes, tout autour d'une table au centre de la pièce sur laquelle sont disposés tout un assortiment de gâteaux, de fruits et de boissons. Sur le côté se trouve un canapé ayant visiblement traversé les âges au vu des déchirures le parcourant çà et là. A ses côtés trône un petit réfrigérateur ainsi que des présentoirs offrant accès à une multitude de dépliants traitant de choses diverses que je ne parviens pas à détailler de là où je suis. Puis, au fond de la pièce, il y a un bureau se noyant sous une montagne de cahiers, classeurs et autre paperasse qui semble en ordre et organisés. Le lieu est bien éclairé, et les quelques personnes s'y trouvant nous adressent un sourire chaleureux à notre entrée, lui procurant un certain aspect accueillant parvenant à me mettre en confiance de moitié.


« Salut, Mina ! la hèle une femme à la chevelure platine bouclée en lui faisant un geste de la main. Tu nous amènes des nouveaux ?

- Yo ! Un seul, en fait ! Eijirou est déjà venu ! Mais je crois que t'étais pas là, ce jour-là. »


Elle me désigne d'un geste de la main alors que je reste là, sur place, les mains enfouies dans les poches de mon jean.


« Je vous présente Katsuki ! Et pour ceux qui l'auraient pas encore vu, Eijirou ! » ajoute-t-elle.


Les inconnus nous saluent, puis certains repartent dans leurs discussions sans nous accorder davantage de leur attention. Deux d'entre eux - celle s'étant adressée à Mina à notre arrivée ainsi qu'un homme aux cheveux noirs ébouriffés possédant deux anneaux perçant le côté droit de sa lèvre inférieure, un autre à son arcade sourcilière gauche et dont le corps semble recouvert de tatouages aux couleurs monochromes - restent un petit temps à nous observer, mon ami et moi. Et puis, un garçon d'approximativement notre âge - peut-être légèrement plus âgé - se lève de sa place. Il donne l'impression de sortir du lit, avec sa chevelure violacée désordonnée, son expression fatiguée et les cernes traînant sous ses yeux lavande. Il offre une rapide accolade amicale à Mina, puis se décale d'un pas pour nous avoir tous les trois dans son champ de vision.


« Salut, Mina, Eijirou. Vous allez bien depuis Vendredi ?

- Ouais, un peu fatigués par les cours, mais à part ça, tout va bien !

- Et encore... Toi, tu les comprends, les cours... soupire mon meilleur ami en se frottant la nuque.

- Nan, ça, c'est ce que je fais croire. » lui répond notre camarade dans un petit rire enfantin.


Il est vrai que ces deux-là ne possèdent pas exactement ce que l'on pourrait appeler de 'bonnes moyennes'. Ils brillent davantage par leurs compétences sportives et artistiques que pour ce qui est de retenir une leçon par cœur. Et de mon côté, c'est davantage en arts que je rencontre quelques difficultés : je n'ai pas la patience nécessaire à la création de quoi que ce soit. Mais comme je retiens rapidement les choses et que je suis doué en sport, c'est le seul domaine faisant légèrement baisser ma moyenne.

Le garçon dont je ne connais pas encore le nom cherche à les rassurer et à les encourager, leur confie que pour lui aussi, cette période est un peu compliquée au niveau des cours, puis il se tourne finalement vers moi et je peux voir ses prunelles me parcourir de haut en bas, puis de bas en haut, comme s'il me scannait mentalement.


« Et donc, toi, c'est Katsuki, c'est ça ?

- Ouais.

- Mina m'a parlé de toi. Elle m'a prévenu que tu serais là, aujourd'hui. Paraît que tu as quelques soucis. »


D'ordinaire, je serais du genre à me mettre sur la défensive en répliquant que cela ne le regarde pas et à nier mes problèmes mais sentir les regards de mes deux amis sur moi m'encourage à prendre sur moi. Personne n'est là pour attaquer mon égo ou me juger. Je dois garder ces éléments dans un coin de ma tête. Je hoche brièvement la tête, n'empêchant cependant pas mes iris de dévier sur le côté. Cela ne doit pas lui échapper, puisqu'immédiatement, il me répète ce que je sais déjà :


« T'en fais pas, je suis pas là pour te juger. Personne ne l'est.

- Je sais.

- Tu veux qu'on aille parler de tout ça dans la pièce à côté ? Comme ça, on sera que tous les quatre, et personne d'autre pourra entendre. Après, si tu veux qu'on soit que tous les deux, on peut aussi. »


D'un petit geste de la tête, il m'indique une porte dans un coin de la salle, non-loin du bureau, qui doit certainement mener à la 'pièce d'à côté'. Ma langue se délierait probablement plus facilement si toutes ces personnes ne se situaient pas dans les parages. Mais est-ce que la présence de Mina et Eijirou me dérangerait ? Je ne sais pas trop. Dans le doute, je me contente de hausser les épaules et de hocher la tête puis lui emboîte le pas lorsqu'il part en direction de la porte en question. Constatant que mes camarades hésitent à nous suivre, je m'arrête au bout de deux enjambées et me tourne vers eux pour les apostropher.


« Bon, bah vous venez ? »


L'inconnu aux cernes attrape la poignée de la porte, l'abaisse, mais avant de l'ouvrir, il me regarde de nouveau pour finalement se présenter.


« Ah, au fait, moi c'est Hitoshi. Je suis bénévole, ici. En général, j'aide les personnes comme toi qui se sentent un peu perdus, ou qui sont en questionnement. Enfin, quand je suis en mesure d'aider, en tout cas. »


J'opine une fois encore, marmonnant un petit « Mmh, enchanté ».

Puis, tous les quatre, nous entrons avec lui dans cette salle annexe, dans laquelle je m'apprête à apprendre plus de choses que ce que je n'imagine.

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