Chapitre 13 - C'est pas toi que je déteste, c'est moi
Après être passé chez moi chercher quelques affaires pour la nuit, puis avoir aidé Inko à préparer le repas, nous nous installons tous à table afin de déguster celui-ci. Un curry. Mon préféré. Cela mêlé aux talents de cuisinière de la mère d'Izuku, ce repas aurait dû être comme un petit passage par le paradis pour moi. Il n'aurait manqué qu'un seul élément pour que le tout soit parfait : un maximum d'épices, de quoi faire cracher du feu à quelqu'un à la moindre petite bouchée. Le curry d'Inko, aussi loin que je m'en souvienne, a toujours été aussi doux que sa personnalité. Personnalité dont a hérité son fils, tout aussi rayonnant et chaleureux qu'un rayon de Soleil à l'apparence humaine.
Mais le goût du curry n'est pas la raison pour laquelle je ne parviens pas à pleinement profiter du dîner - non, il n'en demeure pas moins exquis. La présence de Shouto, me demanderez-vous ? Non plus, même si tel aurait très bien pu être le cas. Cependant, mon évasion mentale est due à tout autre chose. Ce même rayon de Soleil dont j'ai fait mention un peu plus tôt qui mange actuellement le contenu de son assiette tout en discutant joyeusement avec les autres personnes à table - hormis moi qui demeure silencieux, me contentant de lui jeter de petits regards par à-coups, entre deux bouchées de curry.
Lors de mon passage aux toilettes, un peu plus tôt, j'ai effectué quelques recherches à l'aide de mon téléphone afin d'aller me renseigner sur ce que pouvait bien être un binder, dans le simple but de comprendre à quel genre de maux mon ami d'enfance fait face. Peut-être aurais-je dû m'abstenir ? Peut-être cela ne me regarde-t-il pas, et que je me retrouve à fouiner dans l'intimité d'Izuku ? Possiblement. Et une part de moi s'en veut d'avoir surpris cette conversation qui ne me regardait ni de près ni de loin. Une autre, en revanche, ne comprend pas pourquoi, alors que nous nous partagions tout lorsque nous étions enfants, il semble aujourd'hui posséder des secrets dont je ne connais absolument rien. Je suppose que tel ne serait pas le cas si je n'avais pas instauré cette distance entre nous dès l'entrée au collège, par peur de mes sentiments, par fierté et refus de les accepter ou même les considérer. Mais ce n'est pas comme si je pouvais faire machine arrière.
« Katsuki, tout va bien ? » m'interpelle soudainement la voix d'Inko.
Je lève la tête pour constater que je suis devenu le centre de l'attention de la table, entre les deux Midoriya qui m'observent d'une mine inquiète, ainsi que Shouto de son air perpétuellement indéchiffrable. Mon regard se pose sur chacun d'entre eux, un peu confus.
« Euh, ouais, ça va... marmonné-je en réponse.
- Tu es sûr ? Tu fixes ton assiette depuis avant. Tu n'aimes pas ?
- Si, si ! J'suis juste un peu ailleurs, c'est tout. »
Et pour la rassurer, je reprends une fourchette de curry que je m'enfourne directement dans la bouche. Cela semble fonctionner puisqu'elle hoche lentement la tête, un petit sourire aux lèvres, avant de revenir à son propre repas. Shouto en fait de même - sans le hochement de tête, ni le sourire, bien entendu - mais Izuku, lui, ne suit pas le mouvement et continue de me scruter plusieurs secondes d'un air soucieux. Je décide de faire de mon mieux pour l'ignorer, ne sachant pas vraiment que faire d'autre, jusqu'à ce que je ne perçoive plus le poids de ses iris sur moi.
Donc. Le binder.
De ce que j'ai pu lire, il s'agit d'un vêtement servant à bander la poitrine, généralement pour se dissimuler les seins. L'on peut également s'en servir en cas de chirurgie, afin de limiter les mouvements et ainsi accélérer la récupération. Les articles que j'ai vus parlaient aussi de dysphorie de genre, de personnes transgenres binaires ou non, et de transidentité. J'ai déjà entendu parler de ces termes, par le passé. Je crois que Mina en a fait mention, un jour. Mais je ne sais pas exactement ce qu'ils signifient ou impliquent. Et sur le moment, je n'ai pas effectué d'autres recherches à ce sujet, pour ne pas rester des heures enfermées dans les toilettes.
Dans tous les cas, je n'arrive pas à comprendre pourquoi Izuku devrait en porter. Il n'a pas subi d'intervention chirurgicale, dernièrement ; il aurait été absent au lycée durant plusieurs jours, et nous en aurions entendu parler. Quant aux seins ? Il n'en a pas. Je veux dire, je serais au courant si tel était le cas, non ? J'ai grandi avec lui, je l'ai vu entamer sa puberté. Et puis...un garçon peut-il avoir des seins ? Samedi dernier, cette bosse étrange que j'ai pu remarquer au niveau de son torse... Est-ce que c'était... ?
J'ai l'impression de me perdre un peu plus au fur et à mesure que j'y réfléchis. Ne pas comprendre quelque chose, surtout lorsque cela concerne Izuku... C'est irritant. J'ai envie de lui demander. D'en avoir le cœur net. De lui faire part de ma frustration quant au fait de me dire qu'il en vient à me cacher des choses. Mais je ne veux pas le mettre mal à l'aise. J'espère simplement qu'il ne s'agit pas de quelque chose de trop lourd qu'il se serait décidé de porter tout seul. Je sais qu'il en serait capable.
Depuis quand me suis-je mis à agir de façon aussi prévenante à l'égard de ce nerd ?
Et puis, pourquoi est-ce que je m'en soucie, dans un premier lieu ?
Mes pensées contraires recommencent à s'agiter, se livrant une véritable bataille sans merci au sein de mon esprit. Fierté contre honnêteté. Rejet contre amour. Je dois me concentrer sur autre chose. J'en ai assez de toujours me ressasser intérieurement les mêmes pensées, d'avoir l'impression d'essayer de me justifier à moi-même quant à mes changements de comportement vis-à-vis d'Izuku. Je décide alors de porter mon attention sur la discussion qui se fait à table, et c'est ce moment que choisit Double-Face pour nous solliciter, le vert et moi, en nous regardant tour à tour.
« -D'ailleurs, vous voudrez bien m'aider à le changer, avant qu'on aille se coucher ?
- De quoi ? demandé-je, n'ayant pas suivi ce qui se disait jusque-là.
- Mon pansement. Je dois nettoyer la plaie, passer de la crème dessus, et remettre un bandage propre.
- On t'aidera, oui, pas de souci ! répond Izuku.
- Ouais, j'ferai en sorte de bander l'intégralité de ton visage pour plus avoir à te voir.
- Kacchan !
- Ca va, j'déconne. »
Je roule des yeux. Même si j'avoue que l'idée est tentante.
En tout cas, cela arrache un mince sourire au bicolore qui secoue la tête, ainsi qu'un petit gloussement à Inko qu'elle tente de réprimer.
Repas terminé, nous sommes remontés dans la chambre d'Izuku après avoir entreposé assiettes et couverts dans le lave-vaisselle. Nous avons joué à la console, à Mario Kart - où j'ai gagné - suivi de Mario Party - où Shouto a gagné. Puis, nous avons enchaîné avec Pandemic, un jeu de société où nous incarnions des scientifiques chargés de trouver un remède contre plusieurs épidémies se répandant à travers le monde, puis de les traiter avant qu'elles n'atteignent un niveau de dangerosité supérieur à sept - où nous avons perdu.
Puis est rapidement venu le moment où nous nous sommes décidés à nous mettre au lit. Izuku et moi avons accompagné Shouto à la salle de bain pour l'aider avec son pansement, comme prévu : sous celui-ci se cache une brûlure plus grande que je ne le pensais, qui s'étend sur tout un quart de son visage, du haut de son front jusqu'à ses discrètes pommettes, ainsi que de sa tempe à l'arête de son nez. A cet endroit, sa peau se teinte de rose, ou de brun clair là où la plaie a commencé à cicatriser. Ce n'est pas très beau à voir, et semble très douloureux. Je n'ose même pas imaginer la sensation qu'il a dû ressentir en se prenant cette eau bouillante dans le visage. Nous le laissons se nettoyer puis appliquer sa crème, et l'assistons lorsqu'il enroule un nouveau bandage autour de la brûlure.
Nous le laissons ensuite se changer et retournons tour à tour, le vert et moi, dans la salle de bain pour nous revêtir de nos pyjamas. Et bon sang, j'aurais dû le voir arriver à des kilomètres que le sien serait à l'effigie d'All Might, le superhéros de notre enfance. Entre son t-shirt où se trouve sa silhouette cernée de l'une de ses citations et son bas où est imprimé des tas de mini-têtes du héros en question... Comment j'ai pu tomber amoureux d'un nerd pareil ? Je suppose que ce côté-là aide à son charme, mais tout de même... Il doit capter mon sourire en coin moqueur à la vue de son pyjama car je le vois directement piquer un fard, ce qui élargi chez moi la fente créée par mes lèvres.
« Bon, on dort où, Double-Face et moi ? J'doute qu'on puisse rentrer à trois dans ton lit, fais-je remarquer.
- Je vais aller vous chercher le futon. Vous devriez pouvoir tenir tous les deux, dedans. » marmonne Izuku, le visage toujours en feu.
A cette mention, cependant, je peux apercevoir Shouto se raidir du coin de l'œil. A son expression, j'en déduis qu'il n'est pas rassuré à l'idée de partager un espace avec moi pour dormir. Ou en tout cas semble-t-il mal à l'aise. Je sais bien que ce n'est pas vraiment tout rose, entre lui et moi, et cela ne m'enchante pas non plus, mais je ne compte pas l'attaquer pendant la nuit, quand même !
« Ca...te va, Shouto ? demande notre hôte en remarquant lui aussi l'air de son ami.
- Je... Je ne sais pas trop... Ce n'est pas contre toi, Katsuki, mais je serais plus à l'aise à l'idée de dormir seul.
- J'vais pas te bouffer, hein.
- Là n'est pas le problème, soupire-t-il. S'il n'y a pas d'autres alternatives, je ferai avec, bien sûr. Ne va pas non plus te prendre la tête, Izuku. »
Ce dernier, plongé dans ses pensées, hésite un petit instant avant d'hasarder.
« Je peux...te laisser mon lit ? Et je partagerai le futon avec Kacchan. Si ça ne te dérange pas. » ajoute-t-il à mon adresse.
A ces mots, c'est à mon tour de ressentir une vague de panique s'immiscer en moi. Partager le futon avec Izuku ? Lui et moi ? Dormir dans le même espace ? Je ne peux m'empêcher de nous imaginer, tous deux, somnolant dans les bras l'un de l'autre, et...
Seigneur. Si une quelconque déité s'avère exister, quelque part dans notre Univers, elle doit avoir une sacrée dent contre moi. Ou alors, essaye-t-elle de me donner un coup de pouce ? Genre, « Vas-y, Katsuki ! Saute sur cette opportunité pour te rapprocher de lui ! ». Ouais, bah merci mais non merci. J'ai pas besoin de qui ou quoi que ce soit pour me rapprocher de Deku. Je m'en chargerai tout seul, de la manière qui me chante.
Je croise les bras et détourne le regard afin de ne pas rencontrer les prunelles inquisitrices et inquiètes de mon ami d'enfance.
Je sais à quoi il pense. Cet idiot se dit probablement que je vais refuser, dégoûté d'avoir à dormir avec lui, avec la déclaration qu'il a pu me faire. Alors qu'en vérité, je ne peux ressentir, à cet instant, que de la nervosité.
Je ne...peux pas. Je ne peux pas dormir dans le même lit que lui, et me sentir à l'aise. Je ne sais pas quel genre de soucis peut bien avoir Shouto qui l'empêcheraient d'en faire de même, mais ils ne tombent vraiment pas bien.
J'ai vraiment besoin de vous rappeler mon problème de fierté ?
L'irritation que je peux ressentir envers moi-même refait surface. Elle bout dans mes veines, me fait perdre mes moyens. Elle me submerge, s'efforce de renier mes sentiments. Me fait craquer.
Et déblatérer tout un tas de choses que, je le sais, je regretterai plus tard. Des choses que je ne pense pas. Mais qui résonnent avec cette haine de moi.
« Un peu qu'ça m'dérange, finis-je par lancer d'un ton plus dur que je ne l'aurais voulu. J'refuse de me coltiner ce putain de nerd.
- M-même si on...on met le plus de distance possible entre nous ? Et qu'on reste...dos à dos ?
- Même. La simple idée de dormir avec toi me dégoûte, Deku. T'imaginer jubiler comme une gonzesse juste à côté de moi parce que tu dors dans l'même pieu qu'moi ? Ca m'donne la nausée rien que d'y penser.
- Kacchan... Je compte pas-
- Katsuki, nous coupe Shouto. Si ça te gêne tant que ça, je peux prendre sur moi, comme je l'ai dit plus tôt. Je ne comprends simplement pas pourquoi tu t'es proposé de venir, vu le dégoût que tu sembles éprouver vis-à-vis d'Izuku. Pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas de problème avec moi, mais avec lui oui ?
- Laisse tomber, tranché-je. T'as raison, j'sais pas pourquoi j'suis v'nu non plus. »
Je m'arrête là pour ne pas aller plus loin, ne pas sortir quoi que ce soit d'encore plus blessant qui serait susceptible de me faire perdre Izuku à jamais, et me saisis de mon sac avant de quitter la chambre en trombe.
J'entends le vert m'appeler. Ne me retourne pas. Ma mâchoire est tellement serrée que j'ai cette impression que mes dents sont susceptibles de se briser d'un instant à l'autre.
Toujours en pyjama, j'enfile mes chaussures une fois arrivé en bas, et sors de la demeure de mon ami d'enfance. Peu importe, il n'y a personne dehors à cette heure-ci, et ce n'est pas comme si je vivais loin.
C'est seulement une fois dans la rue, cependant, que je laisse de grosses et chaudes larmes de rage dévaler mes joues tandis que je me maudis en silence, n'ayant pour désir, en cet instant précis, que de disparaître de cet espace-temps.
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