Chapitre 1 - Premier mensonge

Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été un garçon. Jamais les mots « être une fille » n'a eu de sens, me concernant. Et je pense que ma mère l'a compris bien assez tôt, tandis que cela coulait de source pour moi. Elle a toujours eu l'œil, me concernant, et m'a témoigné de son soutien de manière tacite, de sorte à ce que je puisse me sentir le plus à l'aise possible. Quand je le réalise, aujourd'hui, je me dis que beaucoup n'auraient pas eu cette chance, et je lui en suis reconnaissant. Bien sûr, en grandissant, nous avons fini par en discuter, afin de bien poser les choses, les expliquer. Je n'avais jamais été aussi stressé de ma vie. Malgré son support, j'avais peur. Peur de quoi, exactement ? Je ne sais pas trop. Peut-être qu'elle réalise ce que cela impliquait, et qu'elle ne revienne sur sa décision ? Quelque chose du genre ? Heureusement, mes craintes se retrouvèrent infondées, car elle sut se montrer des plus compréhensibles. Je lui ai expliqué mon ressenti, mon malaise lorsque quelqu'un s'adressait à moi en empruntant des adjectifs féminins, mon incompréhension lorsque l'on me corrigeait parce que je m'exprimais au masculin. Et elle, elle a souri. Elle a souri, et m'a déclaré s'en être douté. Je lui ai demandé si elle était déçue, et elle m'a regardé comme si je m'étais exprimé dans une langue étrangère. Surprise, elle a demandé pourquoi elle devrait être déçue, ce à quoi j'ai répondu que je n'en savais rien, que j'étais la seule personne de mon école primaire à agir de la sorte, à ne pas me sentir bien par rapport à comment les gens pouvaient me percevoir.

Elle a alors rétorqué qu'il était possible que je sois transgenre.

Sur le coup, je n'ai pas compris. Je ne connaissais pas ce mot, j'ignorais ce qu'il impliquait. Etait-ce bon, mauvais ? Bien sûr, elle ne m'a pas laissé dans l'interrogation, et m'a tout expliqué : elle m'a dit que les personnes transgenres ne se reconnaissaient pas dans le genre qu'on leur avait donné à la naissance, que ce n'était pas une maladie, ni quelque chose d'anormal. Je pouvais être qui je voulais être, et les autres n'avaient pas à décider de cela pour moi. Que je sois une fille, un garçon, ou autre, elle m'accepterait toujours, et me soutiendrait de toutes ses forces.

Ce jour-là, j'ai pleuré. Je n'avais jamais autant serré ma mère dans mes bras.

Deux années plus tard, je suis rentré au collège. A l'aide de ma génitrice, j'ai suivi les démarches nécessaires pour demander à pouvoir porter un uniforme « de garçon », plutôt que celui qui aurait dû m'être attitré. Nous avons également demandé à ce que, sur les listes, mon prénom de naissance, à la consonnance trop féminine, soit remplacé par Izuku ; celui que j'utilisais depuis un moment maintenant lorsque je me présentais, qui me collait beaucoup mieux. Bien que plutôt réticent pour commencer, ne comprenant pas à quel point cela pouvait être important pour moi, le personnel a cependant fini par accepter, quelques jours avant la date fatidique de la rentrée. Vous n'imaginez même pas le poids qui s'est enlevé de ma poitrine, à ce moment-là.

Dans les classes où j'ai pu être, personne n'a jamais su que j'avais été assigné fille, à la naissance. Même les personnes qui me sont proches. Même pas Katsuki, alors qu'il est celui que je connais depuis le plus longtemps. Il a simplement fait preuve d'une légère confusion, lors de notre première journée en tant que collégiens, en voyant l'uniforme dont je m'étais vêtu. Il avait haussé un sourcil, me demandant d'un air intrigué ;

« Attends, t'étais pas une fille, Deku ? »

Je m'étais contenté de secouer la tête, un sourire nerveux plaqué sur le visage, auquel il avait répondu par un haussement d'épaule, avant d'ajouter, un air narquois sur le visage ;

« Bah heureusement que j'suis pas tombé amoureux de toi. T'imagines, ça aurait voulu dire que j'suis pd ! »

Cette remarque, en revanche, m'avait fait rire jaune. Déjà, à cause du terme insultant qui avait été employé. Ensuite, parce que je ne voyais pas ce qu'il y avait de mal à tomber amoureux de quelqu'un du même genre que nous. Et finalement car, de mon côté, j'avais toujours ressenti ce petit quelque chose, à l'égard du blond. A l'époque, j'ignorais si je pouvais qualifier cette attirance d'amour, ou de simple admiration.

Mais aujourd'hui, j'en suis convaincu : cela fait une bonne dizaine d'années que je suis éperdument amoureux de ce garçon, sans savoir ce qui peut m'attirer chez lui.

S'agissait-il de sa chevelure cendrée qui semblait constamment décoiffée, comme s'il venait de sortir du lit ? De ses iris rouge sang perçant la personne sur laquelle ils se posaient ? De son corps svelte à l'agilité féline, et aux muscles parfaitement dessinés ? Ou bien cela résultait-il de sa personnalité explosive, de sa manière d'entreprendre les choses, de sa manie de toujours dire ce qu'il pense ? Je l'ignore. J'ignore purement et simplement ce qui me plaît chez cet être qui, pourtant, n'a pas l'air de m'apprécier plus que cela, et avec qui je n'aurai probablement jamais aucune chance.

*

« Deku ! Deku, tu m'écoutes ? »

Je cligne des yeux, sortant de mes pensées, pour porter mon attention sur la voix venant de m'interpeler. Il faut quelques secondes à mon cerveau pour recevoir l'information, et identifier la jeune fille se trouvant à côté de ma table : une jolie brune de petite taille arborant un léger sourire faisant ressortir ses pommettes rebondies. Ses yeux noisette me fixent avec insistance, tandis qu'elle semble en attente d'une réponse de ma part. Par rapport à quoi ? Je ne sais pas. Je ne l'ai même pas vue arriver, trop plongé dans mes réflexions quant à mon amour pour mon ami d'enfance. Pourquoi est-ce que je me prends encore la tête avec ça ?

« Excuse-moi, Ochako, tu disais ? »

J'esquisse à mon tour un sourire, maladroit, un peu gêné de la faire se répéter. Malgré le fait qu'elle soit habituée à cela avec moi, elle pousse un petit soupir, amenant ses poings contre ses hanches. Son corps se courbe légèrement vers l'avant, faisant subitement s'approcher son visage du mien, me faisant me reculer, par réflexe. Les commissures de ses lèvres ne restent pas longtemps abaissées, cependant, ramenant bien rapidement son air enjoué.

« Je disais : est-ce que ça te dit de venir avec nous, à la piscine, Samedi ?

- Vous ? »

Est-ce vraiment le point le plus important, ici ? Savoir de qui elle sera accompagnée ? En tout cas, c'est la première question m'ayant traversé l'esprit. Ma camarade réfléchit un instant, et énumère plusieurs noms en comptant sur ses doigts.

« Oui, y'aura Tsuyu, Shouto, Eijirou et Kaminari. »

Que des personnes avec lesquelles je m'entends bien ! Bon, il est vrai, mes relations avec les autres élèves de la classe sont toutes plutôt amicales. Nous sommes tous plus ou moins soudés, malgré nos caractères parfois divergeant. Quand j'y pense, il n'y a que Katsuki qui se tient quelque peu en retrait par rapport à ce groupe : je sais qu'il entretient une certaine amitié avec Eijirou, mais pour le reste, je ne l'ai jamais vraiment vu s'intéresser à qui que ce soit, parmi nos camarades. Il est plutôt du genre solitaire, depuis le collège, s'étant renfrogné au fil des années. Mais je ne lui en tiens pas rigueur. Je sais que cela doit à voir avec son égo, avec lequel il nourrit un certain complexe.

Ah, et puis il y a également Minoru que j'ai un peu de mal à cerner, et qui n'est que peu apprécié de la gente féminine de la classe, mais ce n'est pas pour autant qu'il se trouve à part.

« Je serais ravi de venir ! déclaré-je.

- C'est vrai ? Génial ! Je les préviendrai quant à ta présence, dans ce cas ! »

Passer un peu de temps avec mes amis me fera du bien. Bien sûr, je déplore l'absence du blond hantant mes pensées, mais je ne pouvais décemment pas m'attendre à ce qu'il se joigne à nous, pas vrai ?

Cependant, un éclair de lucidité me renvoie à la dure réalité. En vérité, je ne pourrai pas les accompagner. Le poids présent au niveau de ma poitrine, pressée par mon binder, me rappelle que je ne peux pas pratiquer ce genre d'activité. Pas en compagnie de mes camarades. Pas si je veux m'assurer qu'ils continueront de me traiter comme un garçon. Une autre solution serait de m'y rendre, mais de ne pas me baigner ? Non, ils ne l'accepteraient pas, et je finirais probablement à l'eau, d'une manière ou d'une autre.

Maudite poitrine. Maudits codes qui nous dictent chaque jour qu'un homme ne peut pas avoir de seins. Maudite culpabilité qui me donne l'impression de mentir sur toute la ligne à mes amis, alors que tel n'est pas le cas.

J'ai la poisse.

« Je serais ravi de venir, répété-je. Mais malheureusement, j'ai déjà un truc prévu, Samedi. »

Bon, je l'avoue, ça c'est un mensonge. Mais que pouvais-je dire d'autre ? Je ne peux pas exposer ma véritable raison. Cela reviendrait à faire mon coming-out. Or, je ne m'en sens pas capable. Surtout pas.

La mine d'Ochako perd de son enthousiasme. Les mains sur ses hanches viennent se poser, à plat, sur mon bureau.

« Tu as quoi de prévu ? »

Je sais très bien que sous l'aspect innocent de cette question, elle me demande en réalité si je ne peux pas décaler cette chose en question, ou bien les rejoindre après. Je la connais assez pour ça.

Désolé, Ochako.

« Je dois aider ma mère.

- Tu ne peux pas nous rejoindre après ? »

Qu'est-ce que je vous disais.

« Je ne pense pas, ça risque de prendre toute l'après-midi. Mais je ferai en sorte de venir une prochaine fois ! »

Le jour où vous serez au courant pour moi.

Ou bien, celui où je me serai débarrassé de ces seins.

La brune se redresse, visiblement déçue. Mais à son air, je peux deviner qu'elle ne m'en veut pas, et qu'elle comprend. Qu'est-ce que je me sens mal, de devoir lui mentir de la sorte.

« C'est dommage. Mais ok, je comprends. »

Sitôt dit, la sonnerie marquant la fin de notre interclasse retentit, et elle me fait signe de la main avant de regagner sa place, tandis que notre professeur revient dans la salle, annonçant la reprise des cours. Nous reprenons tous nos affaires en silence.

Le regard rivé vers le tableau, je dévie celui-ci vers la personne assise devant moi lorsque je l'aperçois se mouvoir dans ma direction : Katsuki s'est retourné de moitié, me jetant un regard au coin. Que me vaut cette soudaine attention de sa part ?

Haussant un sourcil, il me jauge un moment, avant de finalement prendre la parole, murmurant afin de ne pas se faire réprimander par Monsieur Aizawa.

« T'as rien du tout de prévu, Samedi, sale nerd. »

Je me raidis en constatant qu'il ne s'agit pas d'une question de sa part, mais bel et bien d'une affirmation.

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