Lux
Lux a toujours été la plus belle. À mes yeux. Elle avait ces manières délicates et inattendues que seul un regard attentif et épieur pouvait capter. Je passais des heures entières en cours à détailler ses chevilles fines, ses genoux pointus et ses épaules douces courbées au-dessus de ses cahiers. Ma moyenne n'a jamais été aussi basse durant toute ma scolarité, que lors de ces deux années qui marquent la frontière entre le collège et le lycée, puisque mon attention était entièrement tournée vers cette ensorcelante créature. Lux.
Non, ce n'était pas LA plus belle fille de l'établissement, ni même de la classe. Je suppose que d'autres entraient plus facilement dans les canons grossiers de ce que la télé et le cinéma nous apprenaient à considérer comme des beautés classiques.
Lux était un peu trop maigrichonne, ses tâches de rousseur et ses cheveux brun sombre bouclés en anglaises n'en faisaient pas une idole moderne. Pas plus que ses fesses plates, ses hanches encore étroites et sa poitrine menue. Elle avait les traits droits, mais enfantins de l'adolescente qui tarde à tourner la page sur son enfance alors que les autres resplendissaient déjà de la plénitude juvénile et passagère de la puberté.
Pourtant,il y a avait ce je-ne-sais-quoi dans ses yeux aux couleurs indéfinissables, qui transperçait l'apparente surface de la réalité, comme si elle pouvait percevoir à travers la vie elle-même, quelque chose de plus lointain que la vacuité confuse de la jeunesse dans laquelle pataugeaient tous ses camarades. Moi y compris.
Parfois,elle remarquait mes longues contemplations dans sa direction et elle m'observait en silence, sans gêne ni sourire. Nos regards se croisaient et se quittaient dès que je ne pouvais plus soutenir le sien. Je m'empourprais et faisais mine de replonger dans une attention factice à l'égard des monologues de nos professeurs ;mais je sentais toujours ses yeux rivés sur moi. Je m'imaginais alors qu'un espoir pouvait naître, que si Lux daignait m'accorder la moindre marque de sollicitude alors, peut-être...
Je n'osais même pas formuler une pensée rationnelle. Comment, moi,garçon transparent et insignifiant, pouvais-je envisager d'un jour marcher vers elle, pour lui demander de sortir avec moi. Je ne savais même pas ce qu'il se cachait derrière ce verbe si pressant : «sortir avec une fille ». Je supposais que des mains se cherchaient dans l'obscurité d'une salle de cinéma, que des lèvres se trouvaient après de longs moments de tendresse hésitante et que quelque chose d'immortel naissait dans le souffle ténu de promesses insondables.
Lorsque les autres garçons de la classe se vantaient d'être « sortis »avec des filles, dont la plupart nous étaient inconnues d'ailleurs,il était souvent question de salive, de langues et de doigts glissés sous les élastiques de leurs sous-vêtements.
Je me souviens encore du dégoût éprouvé lorsque mon aveuglement borné fût balayé par le cours de science de la vie : les humains ne faisaient pas l'amour ; ils copulaient comme n'importe quel autre mammifère. Le coït me fût brièvement révélé par des planches anatomiques en coupe et des gloussements de collégiens hilares qui singeaient frénétiquement le peu que la pornographie ordinaire avait pu leur apprendre du désir charnel.
Lux,l'œil torve, ne laissait aucune émotion transparaître à la vue de ces apprentissages théoriques et obscènes. Elle griffonnait sur ses pages, comme toujours, l'air absorbé par des rêveries que nul ne saurait déchiffrer.
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