Le commencement - En proie au doute (partie 2/2)

L'heure suivante, il n'avait toujours pas bougé. Seule la chaleur était partie. Et tant dis que la trace des larmes restait gravée sur ses joues, il restait figé, son regard fixant la porte entrebâillée menant à l'extérieur. Si son corps était immobile, son esprit, lui, tournait au quart de tour.

Il hésitait. Sortir, il voulait sortir. Son attirance pour l'extérieur était bien au delà de toute autre chose, alors même qu'il n'en ressentait que du rejet quelques heures plus tôt. À vrai dire, le rejet était toujours présent mais si plus tôt il pouvait échapper à cette douleur en restant ici, maintenant qu'elle était continuellement établie même son refuge ne lui apportait aucun réconfort.

Un pas après l'autre, il avança, atteignant la porte rapidement alors même que ses mouvements n'étaient que lenteur. Brisant ce cycle, il empoigna la porte et l'ouvrit d'un mouvement brusque et ample, déposant ainsi son pied nu sur le sol caillouteux pour la première fois depuis longtemps. Une certaine fraîcheur traversa ses membres d'un frisson. Le froid pénètra alors rapidement son corps, sans pour autant l'arrêter. En effet, après un simple souffle, il reprit sa marche.

Peu de bruits étaient perceptibles, il n'y avait d'ailleurs pas plus de villageois dans les rues. Il poursuivait sa découverte des lieux en se dirigeant vers la zone dédiée à l'éducation. Le mot découverte n'est pas anodin, en effet, ses souvenirs étaient flous mais bien différents. Était-ce le ciel qui faisait paraître le village si déprimant ? Où étaient passés les villageois souriant, discutant joyeusement au coin des rues ? Où se cachaient les petits oisillons sifflotant leur douce mélodie ? Les rires des enfants ?

Il s'arrêta brusquement dans ces réflexions en arrivant face à deux jeunes. Ils discutaient entre eux, rentrant sans doute des cours, sans faire attention à qui pouvait se trouver sur leur chemin. Alors que le regard de l'un d'eux avait légèrement dérivé de son compagnon, son souffle se coupa. Il tira la manche de son camarade, et lorsque celui-ci compris, ils s'éloignèrent vite. S'ils détournèrent rapidement les yeux, leur regard resta gravé dans l'esprit de notre héros. Ce regard, il ne le connaissait que trop bien.

Après avoir échoué à nouer le contact, il parti à la recherche d'autres villageois. Échouant encore et encore à ne serait ce qu'avoir une réponse. Frustré, il essaya un grand nombre de fois jusqu'au moment de l'abandon. Ça ne marcherait pas.

Que s'était-il passé pour que les choses changent autant, s'était-il dit au début. Puis, au fur et à mesure, son avis changea. Le problème était autre.
À vrai dire, en y repensant, se souvenait-il clairement d'un seul moment aussi beau qu'il avait pu le décrire ? Les oiseaux chantant et les visages souriant ne ressemblaient que trop à des clichés de vie campagnarde parfaite trouvés dans les histoires.

Comment était-ce.. avant ?

Sa relation avec les autres enfants était bonne, il n'avait jamais reçu d'insultes...

...ni le moindre échange de paroles en réalité.

Il n'avait jamais été maltraité non plus évidemment...

...on l'évitait simplement.

Oui, il était chanceux, n'est-ce pas ? Sa douleur n'était originaire que d'une pathologie étrange et inconnue. Rien d'autre n'aurait pu provoquer cela.

Rien.

Il était fils unique, entouré de parents aimants, et vivant dans un village joyeux. Un village joyeux...

...il l'avait vraiment cru.
Il était fils unique, entouré de parents aimants. Des parents aimants...

...un sur deux n'est ce pas déjà beaucoup ? Il était fils unique...

...il avait toujours été le seul enfant de son habitation, c'était donc vrai. C'était vrai, n'est ce pas ?

- ...

Il courait, ignorant les pluies qui tombaient férocement des cieux comme pour appuyer le côté morne de son environnement.

Quand avait-il commencé à se voiler la face ?

Sa tenue légère ne le protégeant simplement pas du froid ambiant, un certain tremblement commença à envahir ses membres.

Quand avait-il commencé à ignorer tout cela ? Comment en était-il arrivé à ce point ?

Ses pieds nus désormais plus égratignés que jamais, commençaient à le faire souffrir, une douleur pourtant si ignorable.

Ces belles histoires n'avaient-elle jamais été que son imagination ? Il avait embelli son quotidien inconsciemment pour le supporter. Pourtant, il n'avait rien d'insupportable en apparence. C'était simplement une grande solitude ponctuée de regard accusateur. Oui, accusateur. C'était la rancoeur que contenait ce regard. Ce regard qu'il retrouvait en chacun à une exception près.

Ses vêtements trempés de toute part, le souffle haletant, il s'arrêta, arrivé à destination. Son père était assis en tailleur, regardant on-ne-sait-où comme toujours, ignorant la pluie tout autant que son fils. Ce dernier empoigna son vêtement au niveau du dos, il pensa à nouveau aux traces humides se trouvant désormais mélangées aux autres.

Une exception, sa mère. Il n'avait jamais vu qu'elle lui adressant un sourire, dénué du moindre regard de reproche. Ce sourire, elle le conservait en permanence mais comme lui ne regardait son père que de derrière, elle ne montrait ces faiblesses que lorsque son fils lui tournait le dos.

Ses larmes, désormais indiscernables parmis les eaux naturels, n'avaient pas disparu de la mémoire de son fils. Alors même, qu'il n'avait jamais reçu le moindre mot de son père, ni osé lui adresser la parole. Il se sentait à cet instant la force de le faire.

-...

Le son des pas ayant attiré l'attention de l'homme, il positionna son regard vers le nouvel arrivant. Père et fils échangèrent pour la première fois depuis longtemps un long regard, ni fugace ni caché. Il allait s'exprimer face à sa plus grande peur.

De face... c'était sans doute la part la plus difficile pour lui. Il n'avait toujours fait qu'espérer, alors qu'il regardait de l'arrière, que son père se retourne. Mais aujourd'hui, c'était lui qui lui avait forcé la main. Aujourd'hui, il pouvait être honnête envers lui-même et transmettre ses émotions.

-...

Pourtant...

-... Père... je sais... tu ne dois pas aimé ce terme, n'est ce pas ? Préfères-tu que je te vouvoie ? ...Après tout, je n'ai pas l'habitude... Je ne suis peut-être pas assez formel pour toi... enfin ce n'est pas si grave finalement... ça ne changera rien n'est ce pas ? ...ce n'est pas comme si les choses pouvaient empirer... tu me détestes ? Pourquoi ai-je pris ce ton, ce n'est même pas une question... désolé je m'égare... à vrai dire je ne devrais pas m'excuser... n'est ce pas toi qui devrait le faire ? ...je veux dire, tu peux me faire pleurer... de même que les cieux et recouvrir ce village de larmes.. si tu penses que cela t'es bénéfique... rend malheureux autant de gens que tu veux... mais tu n'as pas le droit de rendre Maman triste. ...je ne te demande pas d'être un bon père tu sais... ni même un bon mari, ce n'est pas toujours facile... mais ne fait pas ça. Ne fais juste pas ça... tu l'aimes n'est ce pas ? Ce n'est pas pour moi bien sûr... c'est juste qu'on ne rend pas triste les gens qu'on aime pas vrai ? ... raaah je ne suis pas doué pour m'exprimer.. je m'excuse pour ça.. j'aurai aimé avoir plus d'expérience sociale aussi tu sais... garde juste en tête ce que je t'ai dit... si je l'ai remarqué ...c'est que cela n'est pas rien... ah aussi, tu devrais rentrer, si tu restes dans le froid.. tu vas attrapés un mauvais truc... Maman ne sera pas contente si tu tombes malade...

-...

Qu'avait-il dit ? Pour un enfant ayant ignoré la vérité pendant si longtemps, il en était ridiculement proche. Mais même ainsi, ces paroles étaient assez étrange. Était-ce de l'incrédulité que son regard transmettait par la suite ? Ce qu'en a pensé son père, il ne le saura jamais car il se détourna immédiatement, rentrant directement dans son chez soi qu'il affectionnait tant. Il l'aimait pour son côté réconfortant et sans douleur.

Désormais qu'il avait pris conscience de son origine, la douleur ne disparaîtra peut-être plus. Mais même alors, il y rentrera car c'est en ce lieu qu'elle se trouve. S'il ne peut être heureux autant que les autres le soit. Cela avait été son raisonnement.

S'il avait fui l'école, c'était en espérant que son départ améliorerait leur quotidien. Mais il n'en était rien. Pourquoi était-ce le cas ? Le village était devenu ainsi après sa désastreuse naissance.

Son père avait dû reprendre le flambeau après avoir été forcé de tuer son propre père. C'était une question de circonstance après avoir dû allé aussi loin, et d'après la réaction de sa femme, il ne pouvait laisser l'enfant mourir. Il ne pouvait laisser quiconque tuer cet enfant après avoir été poussé à cette extrême. Il n'avait que chercher à sauver sa femme, pas son enfant, ni à provoquer la mort de l'être qu'il aimait sans doute le plus au monde après celle qu'il avait sauvé.

Alors, il a dû reprendre les rênes, et être ferme, empêchant quiconque de suivre la coutume. Il ne voulait pas le faire. Ne souhaitait pas que les choses se passent ainsi. De ce fait, il se renferma, étant plus dur à chaque instant. On pouvait déterminer l'évolution du village à partir de la dépression de son chef. Si le point de départ était la naissance de son fils s’était forcément sa faute. Il le croyait fermement, comme les villageois. Ils se le persuadaient tous. Mais cela, ne restait qu’une excuse quand bien même, ils l’ignoraient, le fusillaient du regard ou ne le voyaient plus, cela ne changerait rien.

Ainsi rien n’avait changé avec le temps, car personne n’avait pu faire une croix sur ce mensonge. Le choix de notre héros de les laisser vivre en paix, n’avait donc pas aboutit. S’il ne pouvait être lui-même heureux, s’ils ne pouvaient l'être non plus. Je ferai en sorte qu’elle le soit, fût sa conclusion. Sa mère devrait conserver ce sourire. C’est de là que provenaient ces paroles. Elles ne demandaient pas de changement, ne contenaient ni rage ni tristesse ou jugement. Elles ne souhaitaient que conserver la chaleur qui les guidait.

***

Il n'était pas revenu. Il n'avait pas écouté les paroles de son fils après tout. C'était une claire déception qui envahissait l'esprit du jeune garçon jusqu'au moment où il le vit. Il n'était pas rentré, mais était tout de même très proche. Toujours dans la même position qu'auparavant, il se trouvait à l'abri de la pluie sous le toit dépassant des murs. Il n'avait peut être pas fait l'oreille si sourde que ça finalement. Cela failli arracher un sourire à l'enfant, avant que la peur de son retour refasse surface.

Il avait ignoré la douleur pendant un temps, mais la peur qui résonnait en écho de celle-ci le pétrifier par moment. Qu'était cette peur ? Au fond, il ne savait pas ce qu'elle représentait, il avait au moins arrêter de se voiler la face sur sa provenance. Il n'avait pas été capable d'établir jusqu'à maintenant une conclusion claire. Mais cette fois, il avait fait son choix, celui de se résigner. Sa mère était la seule à lui apporter de la joie, alors tout irait bien tant qu'elle même aller bien. Quand bien même, il avait su comprendre bien des choses pour son âge, il avait été incapable de comprendre un élément essentiel. Le bonheur de cette mère ne passe que par celui de son enfant.

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