J'étais en retard pour mon rendez-vous. Comme à mon habitude, j'avais mis mon téléphone en mode avion pour ne pas subir des remarques sur mon manque de ponctualité. Je marchais en direction du café Luna, c'était préférable pour mon amie Aurora. Son université n'était pas loin et moi, non seulement j'habitais à coté et de plus je n'avais pas cours l'après-midi.

Durant mon trajet, j'observais tous ce qui était autour de moi. Surtout en cette saison, le soleil était de retour, les arbres avaient retrouvé leur feuillage. J'aimais beaucoup cette période, un mélange entre la chaleur et l'humidité. On ne s'en rend pas compte, mais l'inspiration passe souvent par l'observation et c'était mon cas.

Ah, enfin le dernier examen! Je peine encore à le réaliser, c'est passé tellement vite !

Je devais réaliser une collection femme sur le thème de mon choix. J'ai choisi le thème sur la petite robe noire: Comment peut-elle être réinventée tout en restant un classique? Une pièce indispensable dans la garde de robe d'une femme.

Je voulais absolument me démarquer et mettre la féminité et la diversité en valeur. J'avais de nombreuses idées en tête et ce projet allait me permettre de leur donner vie. Passionnée, je compte bien prouver aux membres du jurys et à mon entourage que j'ai bien ma place dans ce milieu.

Cela fait des mois que je travaille sur cette collection. J'ai d'abord commencé par rassembler mes idées et discuter avec mes professeurs pour que tout soit parfait. J'ai mis beaucoup d'effort, de passion et d'énergie pour en arriver là et le résultat s'annonce épique.

J'étais tellement concentrée que je ne me permettais aucun loisir, que ce soit prendre l'air ou voir une amie. C'était la dernière ligne droite, là où mon avenir allait se jouer! L'enjeu était tellement important et ça, malheureusement personne ne le comprenait.

À force d'être enfermée chez moi ou de sortir juste pour le strict nécessaire, Aurora m'avait beaucoup harcelé par sms pour me voir et me sermonner. Car d'après elle, il fallait aussi que je me vide l'esprit.

Aurora et moi sommes amies depuis le collège, on s'est toutes les deux vues grandir. Quand ça n'allait pas fort avec ma mère, je comptais beaucoup sur elle.

Cela ne fait même pas cinq minutes que je suis dehors et l'air printanier me fais déjà du bien. Aurora n'a peut-être pas tort après tout, me vider l'esprit me soulage. Le fait de ne plus ressentir cette pression m'apaise un peu, c'est agréable.

Toujours dans mes pensées, j'arrive au café où je suppose qu'Aurora m'attends.

- Kaelen!

À l'entente de mon prénom je me retournais et vis mon amie Aurora, elle était belle avec ses cheveux frisés et son teint mate. La place qu'elle avait choisie, était un endroit éclairé. Je pouvais apercevoir son sourire et déceler son agacement dans sa façon de me regarder.

Je m'avance en sa direction toute souriante, je n'ai même pas le temps de la saluer que les remarques fusent déjà.

- Sérieux, l'heure c'est l'heure ! Dit-elle agacée avant d'ajouter. N'oublie pas que je suis en pause.

- Je voulais être sûre ...

- Que tu sois là ! nous répondîmes à l'unisson en ricanant.

- Tu me le fais à chaque fois, mais bon, fais un effort la prochaine fois, Fit-elle d'une mine boudeuse.

- Oui oui, désolé, tu sais ce que c'est. J'étais prise par mon projet et je n'ai pas vu le temps passer. 

- C'est bien pour ça que je t'ai harcelé, pour que tu sortes de ta tanière. Et je ne pense pas être la seule d'ailleurs...

- Haha, oui c'est vrai mon père et mon frère étaient aussi très insistants. Maintenant que je suis sortie. Vous allez enfin arrêter de m'harceler ? En plus, c'est pour la bonne cause. Dis-je en pensant à mon examen.

- Ne m'en parle pas. Toi c'est ton projet, moi c'est mon année entière qui me stresse! Qui m'a poussé à faire traductrice.. Dit-elle en soupirant.

Aurora est en dernière année de LEA anglais chinois. Elle avait choisi comme option la traduction pour travailler dans des cabinets juridiques.

- Courage, c'est notre dernière année, le plus dure est encore à venir.

- C'est vrai, bon assez parlez d'études. On n'est pas là pour ça ! Dit-elle en sirotant son thé glacé.

Nous sommes restées au café à discuter pendant deux heures. Je pense qu'on aurait pu faire plus si elle n'avait pas cours juste après. Comme à notre habitude on aurait continué chez moi à regarder nos séries ou nous aurions passé notre après-midi à faire du shopping.

Je l'ai raccompagné jusqu'à son université et j'ai fait le chemin à pied jusqu'à chez moi.

De retour à la maison, je n'ai pas perdue de temps et je me suis remise au travail. D'autres idées me sont venues sur le chemin. J'ai pris quelques photos pour améliorer ma présentation. Et dans la semaine, je compte faire du repérage dans les magasins pour voir ce qu'il propose en matière de robe noire.

C'est vraiment un projet qui me tient à cœur. On possède toutes une robe noire, mais ce n'est pas forcement notre pièce fétiche. On peut vite la délaisser car elle nous semble trop sobre. Il était donc logique pour moi, de créer ma propre version de la petite robe noire, et montrer qu'elle peut changer avec le temps. Que ce soit par la coupe, la matière ou la manière dont on l'accessoirise.

Je me rappelle encore ma première idée, je voulais mettre en avant un tissu africain mais de façon moderne.

J'ai réalisé la figurine d'une robe. Elle comporte une encolure carrée, des manches longues jusqu'au poignet, une fente au niveau de la cuisse et du wax pour l'ourlet. C'était la première fois que j'ai réalisé une robe en velours. J'étais si contente du résultat que je l'ai nommé Hwasa.

Pour la robe Hwasa, j'ai été mon propre modèle, j'ai pris mes mesures seules. J'avais déjà utilisé le velours pour une ancienne création et je me souviens encore du calvaire que c'était, mais c'est un risque que j'étais prête à relever. Plus je me familiarise avec ce tissu et moins j'aurai de difficulté pour la suite. C'est un tissu qui demande beaucoup d'attention et de temps.

Je suis bien contente d'avoir commencé mon projet en avance, à deux semaines de la date butoir, il ne me reste plus qu'un modèle à créer.

Bon ça s'est fait. J'avais fini de terminer la figurine du modèle Flora, j'en suis tellement fière. C'est le clou du spectacle, ma plus belle création.

Pendant que je rangeais mes croquis dans le tiroir,  je composais le numéro de papa que je connaissais par cœur. Afin de lui raconter ma journée et lui confirmer notre rendez-vous habituel du vendredi.

- Mon trésor, je pensais que tu m'avais oublié.

- Moi ? Jamais papa, mais tu sais j'étais...

- En train de préparer ta collection. Je sais ma puce,  je t'embête. Je sais que tu travailles énormément pour ton projet de fin d'année, et je suis d'ailleurs très fière de toi. Ta ténacité m'épate, penses juste un peu plus à toi. Tu sais comme je te le dis toujours, la clé c'est...

- L'équilibre, oui je sais papa.

- Mm tu dis le savoir mais ton attitude démontre le contraire, bon aller raconte, où je dois te tirer les vers du nez ?

- Mais non j'y venais papa. Alors,  j'ai enfin eu la correction de mon devoir sur l'évolution des tissus africain. Et tu sais, la tenue avec le velours et le wax, mon professeur de stylisme à trouver mon idée super originale du coup ...

Et comme tous les soirs je lui racontais ma journée. C'était mon moment préféré. Depuis qu'il ne vit plus avec nous,  on ne se voit plus aussi souvent qu'avant, mais d'une certaine manière cette situation nous a rapproché. Avant, je ne profitais pas autant de sa présence. On ne se parlait pas vraiment à part pour les banalités habituelles. Nous n'avions jamais de conversation profonde sur nos rêves, nos passions, sur son passé. Et au-delà de son rôle de père, je ne connaissais rien de lui, j'ai pu découvrir grâce à nos échanges une nouvelle facette de papa.

Avant il était toujours sur les nerfs, s'emportait facilement, souriait rarement. Je suppose que c'était à cause de maman, qui peut lui en vouloir ? Elle me rend également très irritable.

Je ne sais même pas comment il a fait pour la supporter aussi longtemps, c'est vrai que c'est ma mère mais elle ne le mérite clairement pas. Heureusement qu'il s'en ait rendu compte avant qu'il ne soit trop tard.

Papa m'a toujours encouragé dans tout ce que j'entreprenais contrairement à ma mère.

- Non K, ne t'en fais pas je serais là. 

- Tu as dit ça aussi les deux dernières fois, jamais deux sans trois tu connais l'adage, dis-je résignée en m'asseyant sur mon lit.

- Je sais, mais ce rendez-vous était très important, et la fois d'avant je négociais le contrat pour la nouvelle série de voiture, que je vais commencer à commercialiser le trimestre prochain.

- Hum, Dis-je vaguement en fixant mon mur violet. me sentant désintéressé il changea de sujet.

-  Bon ça suffit.  On ne va pas parler que de boulot!  Allez,  pour me faire pardonner comme prévu je viens te chercher devant ton école, dernier cours à 16h00 comme toujours je suppose ?

J'acquiesça, le sourire aux lèvres.

-  Nous irons ensuite manger dans ton restaurant préféré et .... Roulement de tambour.

- ET ! ? Dis-je impatiente.

-  Je t'emmène à Disneyland tout le Week-end ! Tes frères nous rejoindrons là-bas directement.

- YES!  un Week-end à Disney, M'exclamais-je en bondissant du lit. Oh papa,  merci c'est génial ! tu t'es souvenu que je voulais y aller.

Et soudain, la réalité me frappa.

- Mais papa je ne peux pas passer tout un week-end à Disney ! répondis-je en me rendant compte que j'avais dit ça en criant.

- Tais-toi K, je ne veux rien entendre. Équilibre je te dis. Il te reste deux semaines, en tant que chef d'entreprise tu peux me faire confiance, je vais organiser ton temps afin que tu puisses atteindre tes objectifs, tout en t'amusant tu verras !

- À TABLEEE !

J'entendis la voix perçante de ma mère du salon qui mis un terme à notre conversation.

Je sortis en trombe de ma chambre en pensant à toutes les choses que je devais faire pour vivre en paix dans cette maison.

Maman était capable de péter un plomb si je ne faisais pas mes tâches de la journée, j'espérais ne rien avoir oublié.

Hors de question que je lui donne la moindre occasion de gâcher mon week-end!