Chapitre VIII

Guenièvre a 14 ans et Yvain en a 9

Guenièvre se demandait si elle avait déjà vécu pire semaine. Déjà, son petit frère était malade, ce qui l'inquiétait à chaque fois. Comme toujours, de mauvais souvenirs revenaient emplir sa mémoire, la faisant pleurer, parfois. Ensuite, ce même petit frère avait découvert dans sa chambre un lionceau noir, et surtout doté d'ailes. Ils l'avaient montré à leurs parents, qui avaient réagi comme s'ils savaient ce que ça signifiait. Et maintenant, ils allaient devoir partir en Orcanie. Ils allaient encore devoir trouver tous les moyens possibles pour ne pas s'ennuyer pendant les réunions infiniment longues de leurs parents. Mais, au moins, Guenièvre et Yvain auraient l'occasion de montrer leur lion à tout le monde. Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, le frère de Guenièvre avait choisi d'appeler son lionceau Kayan. Elle ne savait pas d'où lui venait cette idée, mais elle avait décidé de ne pas protester.

- J'aime bien ta robe, avait annoncé Yvain en entrant dans la chambre de sa sœur.

Les compliments. Encore une preuve qu'il n'allait pas bien. Guenièvre attrapa sa couronne sur sa table de nuit pour cacher son tremblement soudain. Sa couronne se résumait à un fin bandeau d'argent qu'elle ajusta dans ses cheveux. C'était vrai que sa robe était jolie, simple mais jolie. Elle était blanche et ne possédait aucun détail sans importance. Elle avait toujours aimé le blanc. Sa mère lui avait expliqué que c'était la couleur de la pureté, de la bonté, et qu'elle ne lui correspondait donc pas. Guenièvre avait été vexée par ces paroles, mais elle s'y était habituée depuis longtemps.

- Oui, je la trouve belle aussi, confirma la jeune princesse.

Elle se tourna vers son frère. Il portait une tunique noire et un pantalon de même couleur. Ce n'était pas dans ses habitudes de porter du noir, mais elle comprit qu'il voulait être assorti à son lionceau. Kayan était caché derrière lui, visiblement intimidé par Guenièvre.

- J'ai mal au ventre, soupira Yvain en s'asseyant sur le lit.

- Je... bafouilla Guenièvre. T'inquiète pas, petit frère, ça va aller. Tu ne seras pas malade très longtemps. Je suis sure que ça ira mieux dans quelques jours.

Elle rajusta sa coiffure pour masquer son inquiétude. À chaque fois que son frère se plaignait d'avoir mal, elle prenait peur mais restait toujours près de lui. Elle était tellement effrayée à l'idée de le perdre qu'elle ne supportait pas de le voir si malade.

- Hé ho ! s'écria Séli en ouvrant brusquement la porte. Vous vous magnez, ou quoi ?!

- On arrive, Mère, grommela Guenièvre.

Séli repartit avec un juron, preuve qu'elle était de mauvaise humeur ce matin là. Quelques secondes plus tard, le prince et la princesse de Carmélide rejoignirent leurs parents dans la carriole. Pendant tout le trajet, les deux enfants durent supporter les disputes de leurs parents. Heureusement pour lui, Yvain finit par s'endormir sur l'épaule de sa sœur. Celle-ci resta éveillée par la haine contre ses parents pendant tout le trajet.

Guenièvre se précipita hors de la charrette quand ils arrivèrent enfin en Orcanie. Yvain la suivit, encore somnolant. Séli et Léodagan cessèrent enfin de se disputer, pour aller crier sur le Roi Loth. Celui-ci arriva, accompagné de sa femme et de Calogrenant, qui était arrivé quelques heures avant eux. Galessin les suivait, accompagné de quatre enfants de deux à treize ans. Il tenait dans ses bras une petit fille à la tignasse noire et tenait par la main un garçon d'environ huit ans aux cheveux bruns et aux grands yeux pétillants. Derrière eux avançaient un garçon de douze ans et une fille de treize ans. Ses boucles blondes cachaient les yeux du garçon et ses yeux verts passaient d'une personne à l'autre. Un sourire espiègle au coin des lèvres, il échangea un regard avec la fille à coté de lui. Ses boucles brun foncé descendaient en cascade sur ses épaules et ses yeux lançaient des éclairs. Elle semblait bien moins enjouée que les autres enfants, et Guenièvre la comprenait.

- Ah ouais, vous avez ramené toute la clique, en fait ? ironisa Léodagan en désignant les quatre enfants.

- C'est pas tous les vôtres, quand même ? demanda Séli.

- Non, répondit Loth. Juste les deux là.

Il désigna le petit de huit ans et le bébé. Il semblait gêné par le petit garçon, comme s'il regrettait de l'avoir pour fils. Guenièvre trouva ça horrible, et elle ne put s'empêcher de se demander si leurs parents pensaient la même chose de son frère et elle.

- Bon, on y va ou on se tape les politesses ? dit Séli.

Anna, la Reine d'Orcanie, hocha la tête en signe d'approbation. Ses cheveux noirs cachant une partie de son visage, elle fusilla toutes les personnes présentes du regard. Les adultes partirent, laissant les cinq enfants restants seuls. Loth avait emmené sa fille au château, histoire de ne pas la laisser faire n'importe quoi.

- Bon, je suppose que c'est moi qui vais devoir me taper les présentations, soupira la plus âgée des Orcaniens. Le blondinet, c'est Adan, le gosse d'un soldat d'ici. Le petit, c'est Gauvain, prince d'Orcanie. Et moi, c'est Béatrix, aussi une fille de soldat.

- Moi, en fait, expliqua Adan, je suis pas vraiment Orcanien. Mon père était soldat en Aquitaine, mais il est venu ici parce que des gens ont tué maman, et il m'a emmené avec lui, vu que ces gens veulent me tuer aussi.

- Tu leur expliquera ça une autre fois, Adan, dit Béatrix devant la mine déconfite de la princesse de Carmélide.

- D'accord, dit timidement Guenièvre avant de les présenter, elle et son frère.

- Béa, faut y aller si on veut avoir des infos, rappela Adan.

Yvain et Guenièvre échangèrent un regard. Le jeune prince toussa et sa sœur prit sa main dans la sienne, un peu malgré elle. Cependant, il ne la lâcha pas. Le regard de la princesse de Carmélide se posa pour le petit garçon qui se cachait derrière Béatrix. Alors c'était lui, le prince Gauvain ? Il semblait beaucoup plus jeune qu'Yvain, alors qu'ils n'avaient qu'un an d'écart.

Béatrix eut un mouvement de recul en apercevant le lion de compagnie d'Yvain, caché derrière son propriétaire. Elle s'apprêtait à dégainer son épée quand elle se rendit compte qu'elle n'en avait pas. Elle avait vu les soldats le faire tant de fois qu'elle gardait ce réflexe, alors qu'elle n'avait jamais tenu une épée de toute sa vie.

- C'est quoi ce truc ? s'écria-t-elle en désignant Kayan.

Guenièvre lui expliqua rapidement la situation. Sans demander leur avis aux héritiers de Carmélide, Béatrix, Adan et Gauvain partirent en courant vers le château. Yvain et sa sœur n'eurent d'autre choix que de les suivre. Elle ne comprenait pas ce qu'ils avaient l'intention de faire, mais elle comprit que ce n'était pas la première fois qu'ils allaient « Avoir des infos », comme l'avait dit Adan.

Les cinq enfants se dirigèrent vers une pièce dans laquelle se déroulait la réunion, d'après Béatrix. Celle-ci colla son oreille contre la porte, bientôt imitée par les autres. Les voix de Léodagan, Séli, Calogrenant, Loth et Anna se faisaient entendre dans la pièce. Béatrix fit signe aux autres de se taire et d'écouter.

- La prophétie a commencé, je vous dis ! s'exclama Léodagan. Écoutez-moi un peu, au lieu de vous foutre ma gueule !

- C'est impossible, dit Loth. Votre fils ne peut pas être concerné par la prophétie. Il n'a pas la force d'accomplir une telle chose.

- Vous voulez vraiment vous prendre une tarte dans la gueule ?!

- Vous croyez que votre fils, il a la force d'être le héros de la prophétie ? ajouta Séli.

- Hé, attendez, dit Calogrenant. Personne n'a dit que ça concernait forcément un garçon. Chacun de vous deux a une fille et un fils.

- Jeanne est trop jeune, soupira Anna.

- C'est pour ça que ça peut pas commencer maintenant ! s'exclama Loth. Il faut attendre que Gauvain grandisse, comme ça on pourra savoir si c'est lui le héros, et s'il ne l'est pas, on attend que Jeanne soit grande et elle pourra accomplir la prophétie.

- Et Guenièvre, vous pensez que ça pourrait être elle ? demanda Calogrenant.

- C'est possible... murmura Léodagan. Mais c'est forcément Yvain : il a découvert un Lion de l'Ombre pas plus tard qu'hier.

- Quoi ?! s'écrièrent les autres, sauf Séli.

- Quand je vous disais que c'était lui le héros, j'avais raison.

Béatrix et Adan se regardèrent, puis se tournèrent vers Gauvain, qui palissait dangereusement. Guenièvre se demanda ce qui lui arrivait, mais elle n'eut pas le temps de poser la question que Béatrix emmenait tout le monde dans sa chambre. Elle fit s'asseoir le prince d'Orcanie sur le lit, et il se mit à pleurer. Adan passa un bras autour des épaules du petit garçon pour tenter de le rassurer, mais rien n'y faisait.

- Qu'est-ce qu'il a ? demanda finalement Guenièvre.

- En fait, le Roi et la Reine voudraient pouvoir être fiers de Gauvain, mais il a huit ans, ce qui est assez handicapant pour quelqu'un qui aimerait être courageux, expliqua Béatrix. Du coup, il espérait être le héros d'une prophétie dont tout le monde parle en ce moment, et qui concernerait le garçon ou la fille soit du Roi d'Orcanie, soit du Roi de Carmélide. Et vu que c'est devenu évident que c'était ton frère le héros, ben il a compris qu'il allait devoir attendre un peu avant de devenir quelqu'un de courageux.

Pendant qu'elle écoutait les explications de la jeune fille, Guenièvre remarqua la tendresse avec laquelle Adan serrait Gauvain dans ses bras. C'était vrai que le jeune prince semblait assez fragile, et surtout un peu... spécial. Peut-être pas dans le mauvais sens, mais la princesse de Carmélide avait l'impression qu'il n'était pas comme les autres enfants de son âge. Un peu comme Yvain, en fait.

- Faut pas pleurer, dit Yvain en s'asseyant sur le lit, à coté de Gauvain. Moi, j'ai pas envie d'être un héros. Ça a l'air drôlement compliqué.

- Mais... mais moi je veux que Père et Mère soient fiers de moi, sanglota Gauvain.

Yvain attrapa Kayan et le posa doucement sur les genoux du prince d'Orcanie. Celui-ci eut un mouvement de recul mais ne cria pas. Le lionceau ailé le regarda. Ses grands yeux turquoises le fixaient l'air de dire « je veux un câlin ». Gauvain caressa doucement la tête de Kayan, et le jeune lion se mit à ronronner. Le prince sourit.

- Bon, si la prophétie concerne soit un Orcanien, soit un Carmé... comment on dit ? demanda Béatrix.

- On dit pas, répondit Guenièvre

- Donc, la prophétie concerne soit quelqu'un d'Orcanie, soit quelqu'un de Carmélide. Et si ton frère est le héros, alors tu es impliquée dedans. Nous, avec Adan et Gauvain, on nous a réunis parce que normalement, la prophétie aurait dû nous concerner tous les trois.

- Mais... et s'il y avait deux héros à la prophétie ? proposa Adan.

Les trois plus âgés se tournèrent automatiquement vers Yvain et Gauvain, qui jouaient maintenant avec Kayan en riant aux éclats. Guenièvre et Béatrix échangèrent un regard. Adan, lui, se contenta de commenter :

- Holala... je crois qu'on est pas rendus, les filles. 

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