Chapitre VI
Guenièvre a 14 ans et Yvain en a 9
- J'en ai rien à foutre ! Vous faites ce qu'on vous dit et point barre ! s'écria Léodagan.
- Mais je vous dis que je peux pas ! J'ai rendez-vous avec des copines ce soir ! se plaignit Guenièvre.
- Mais vous allez la fermer ?! cria Séli.
La seule personne qui ne criait pas, c'était le prince Yvain. Il soupirait et jouait avec sa cuillère sans dire un mot. Assis à coté de sa sœur, il n'osait regarder personne, de peur de se faire hurler dessus. Caché derrière ses boucles noires, il était malade. Sinon, il aurait peut-être pu participer au débat. Car lui non plus, il ne voulait pas y aller. Pour tout vous expliquer : le Roi Loth avait fait une erreur diplomatique donc le Roi Léodagan et la Reine Séli devaient se rendre en Orcanie. Mais personne ne pouvait s'occuper du prince et de la princesse. Guenièvre aurait pu, elle avait largement l'âge de s'occuper seule de son frère, mais indisposée par sa crise d'ado, elle avait refusé assez violemment. Yvain n'aurait pas été ravis non plus, d'ailleurs, puisqu'une guerre permanente avait lieu entre lui et sa sœur aînée. Ils n'avaient pas grand-chose en commun, mais quand il s'agissait de faire des conneries, on n'avait jamais vu meilleur duo.
Mais là, c'était différent, Yvain était malade. Et quand il avait tellement mal au ventre qu'il ne parvenait pas à dormir, il venait se réfugier dans la chambre de Guenièvre. Et, contrairement à d'habitude, elle le laissait squatter. Le jeune prince appréciait ces moments, où sa sœur lui faisait des câlins pour calmer les pleurs que lui causait la douleur.
Le prince de Carmélide écoutait attentivement ce qui se disait. C'était un exemple parfait d'une scène de la crise d'ado de Guenièvre. Alors « je veux pas y aller ! », « Et il faut que j'aille voir mes copines ! », « Et c'est pas juste ! », « Les autres filles elles peuvent faire ce qu'elles veulent ! ». Et à chaque fois, c'était la même chose. Mais aujourd'hui, elle avait une bonne raison de se plaindre : elle ne voulait pas aller en Orcanie.
- Je m'en fous ! Je veux pas y aller ! hurla Guenièvre.
- Mais en vous demande pas votre avis ! cria Léodagan en tapant du poing sur la table.
- Alors pourquoi vous nous en parlez maintenant ? demanda la princesse.
- Mais pour vous prévenir ! Merde, là !
Guenièvre se leva, faisant valser sa chaise, qui tomba derrière elle. La princesse partit à grand pas de la salle à manger en claquant la porte. Séli soupira et son regard se posa sur son fils. Il avait arrêté de jouer avec sa nourriture et était maintenant affalé sur la table, la tête entre les mains.
- Qu'est-ce qu'il a, lui ? demanda nonchalamment Léodagan.
- Il est malade depuis une semaine, répondit Séli. Me dites pas que aviez rien remarqué !
- Ben non, j'ai rien vu, moi. Et du coup, il fait la gueule, c'est ça ?
- Mère, je peux partir ? demanda Yvain.
Il fut pris d'une quinte de toux et n'entendit pas la réponse de Séli. Il leva la tête vers ses parents et, d'après leur expression, la réponse était positive. Il se leva et sortit, calmement, contrairement à sa sœur. Il hésita à rejoindre Guenièvre dans sa chambre, mais conclut qu'elle voulait être seule et s'énerver sans qu'on la voit. Yvain se dirigea donc à pas lents vers sa chambre. Il s'allongea sur son lit et remonta sa couette jusqu'à son nez. Il savait qu'il ne parviendrait pas à dormir : son mal de ventre était insupportable ce jour là. Cependant, il ne voulait pas bouger. C'était bien, de rester là, sans rien faire. Il porta son attention sur le plafond, qui n'avait absolument rien d'intéressant. Mais il n'avait rien d'autre à faire que de le regarder. Yvain ne regrettait pas d'être sorti de table, il ne mangeait que très peu depuis le début de sa maladie. D'ailleurs, celle-ci n'avait presque rien de grave, mais était totalement insupportable. Jamais quelque chose d'aussi horrible n'était arrivé au jeune prince. Et pourtant, il en avait vécu, des choses : il était tombé dans un des escaliers du château à quatre ans, s'était fait mordre par un chien de guerre à sept ans, se faisait régulièrement taper par sa sœur aînée...et la liste était longue. Yvain était suivi en permanence par une chose qu'on appelle couramment la poisse. Des fois, quand il n'était pas bien réveillé, il croyait apercevoir une ombre étrange qui le suivait partout. Et surtout quand il était triste, ce qui arrivait souvent, car le prince de Carmélide était un enfant très solitaire et isolé. Il n'était pas taillé pour se battre et ses parents se demandaient souvent ce qu'ils allaient faire de lui s'il refusait de porter les armes.
Yvain se retourna dans son lit. Et quand il vit ce qui dormait tranquillement sur son oreiller, il eut tellement peur qu'il se mit à bouger dans tous les sens. En tentant de s'enfuir, il se prit les pieds dans sa couverture et s'étala de tous son long sur le sol de sa chambre. La créature s'approcha de lui et mit son visage devant celui du prince. Celui-ci sursauta et recula jusqu'à son lit. Après s'être assuré que l'étrange bête ne bougerait pas, il prit un peu de temps pour l'observer.
Elle ressemblait de vue à un lionceau. Mais il était d'un noir surnaturel, comme s'il s'était roulé dans du charbon. Ses yeux turquoise fixaient Yvain. Mais il ne le regardait pas comme s'il s'apprêtait à le manger, non, on aurait dit qu'il mourrait d'envie de lui faire un câlin. Mais il aurait beaucoup moins inquiété le garçon si ce n'était qu'un simple lionceau. Le problème, c'était que des ailes d'une cinquantaine de centimètres étaient plantée dans son dos. Elles battaient joyeusement, tout comme la queue du jeune lion.
- Mais c'est quoi ce délire ? s'exclama Yvain.
Le lionceau s'approcha prudemment de lui. Le prince eut un mouvement de recul, mais finit par se calmer. L'animal lui présenta le dessus de sa tête, attendant une caresse. Yvain approcha doucement sa main et caressa la créature entre les oreilles en serrant les dents. Le lionceau leva la tête vers lui et de minuscules flammes s'échappèrent de ses yeux turquoises. Il sauta joyeusement et battit des ailes. Il parvint à s'élever à un ou deux mètres du sol puis retomba. Yvain le rattrapa de justesse avant qu'il ne tombe sur les pierres froides. Nullement surpris, le lion noire sauta sur la poitrine du jeune prince et lui lécha affectueusement le visage. La garçon rit et caressa le dos du lionceau en tentant de le calmer.
Mais ce moment ne dura pas longtemps, la porte s'ouvrit et quand Guenièvre apparut, le petit animal se cacha sous le lit avec un gémissement. Quand il se montra de nouveau, plus méfiant qu'avec Yvain, la princesse retint un cri.
- Mais c'est quoi ce truc ?! s'écria-t-elle.
- Ben un lion, répondit simplement Yvain.
- D'où ça sort ?!
- Bonne question. Il squattait mon oreiller.
- Mais les lions n'ont pas d'ailes, Yvain !
- Ben lui, si. On devrait pas le montrer aux parents ?
- Moi, j'y retourne pas, je te préviens !
- Mais père a dit qu'il y avait des gens de nos âges, en Orcanie. Le prince a un an de moins que moi ! Je vois pas pourquoi tu tiens tant à pas y aller.
- Ouais, mais d'après Mère, vous êtes aussi cons l'un que l'autre.
- Je m'en fiche, parce que je suis plus grand que lui ! Et puis moi non plus, je veux pas y aller.
Leur conversation prit fin quand le lionceau sauta dans les bras d'Yvain en foudroyant Guenièvre du regard. Il dévisagea la princesse, échangeant de temps en temps un regard avec le prince. Guenièvre n'osait plus faire le moindre mouvement, de peur de se faire attaquer par le nouvel animal de son frère.
- Bon, il lui faut un nom, annonça-t-elle. T'as une idée ?
- Il s'appellera Kayan, répondit Yvain.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est joli.
Des fois, il fallait l'avouer, Guenièvre avait du mal à croire que c'était son frère, le futur Roi de Carmélide.
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