K-girl


      ''Bonjour Mélyne PZ87. Nous tenons à vous informer que vous avez été choisie pour être la K-girl. Veillez à respecter les consignes de sécurité ainsi que vos obligations. Respectueusement votre, le Ministère des Affaires Internes.''

Je lâchai la lettre. Je ne pouvais y croire. Je vérifiai la date : 28/04/2056. C'était aujourd'hui. Je relus mes identifiants. C'était bien moi. Je persistai tout de même à croire qu'il y avait une erreur, quelque part, peut-être évidente, là, juste sous mon nez ! Je tournai et retournai l'enveloppe et la lettre. Tout était bon. Le sceau du ministère semblait être un vrai. Alors cela voulait dire que... Non... Non ! Je ravalai mes larmes. Je suffoquai. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Peut-être pouvais-je demander un changement ? C'était trop tard. Aujourd'hui, comme moi, les gens apprenaient qui était la K-girl. Une sorte de main glacée glissa sur mon crâne. Mon cœur battait jusque dans mes oreilles. Alors... Tout était fini... ?

''Ma chérie, Prépare-toi ! Nous partons bientôt !, cria ma mère.

-Je. J'arrive !''

      La voiture roulait sans bruit. J'étais perdue dans mes pensées. Ma mère avait bien tenté d'engager une conversation, mais je n'avais pas répondu. Elle se lança alors dans une tirade sur ce jour si particulier qu'est celui de la K-girl.

''J'attends ce jour avec tant d'impatience ! Cinq ans, c'est long ! Je n'en peux plus ! Je veux dire... Je ne me sens jamais aussi bien qu'à la fin de cette journée ! Comme si tous mes problèmes accumulés disparaissaient d'un coup ! Tu n'es pas excitée ma chérie ?

-Oh, si si...'', dis-je avec un enthousiasme fou.

Ma mère arrêta la voiture : nous étions arrivées.

''Bonne journée ma puce ! A ce soir !''

Elle déposa un bisou sur ma joue et je sortis.

''Je t'aime !'', me dit-elle en ouvrant la fenêtre.

      La cour était déjà remplie d'élèves, toutes des filles. La plupart en groupes, parfois assises sur les bancs près des arbres, parfois debout. Je cherchai mes amies des yeux, puis me dirigeai vers elles.

''Hâte de découvrir qui est la K-girl !, entendis-je en arrivant.

-Salut, lançai-je sans conviction.

-Oh salut Mélyne !, me dit Julia. Tu as une idée de qui sera la K-girl ? Je parie que ce sera Elodie. Non, elle est trop bavarde. Justine alors.

-Non, franchement non, dis-je après quelques secondes de fausse réflexion.

-Imagine que ce soit l'une d'entre nous ! Je n'ose même pas y penser !

-Ouais, t'as raison, vaut mieux pas y penser. Ce serait horrible.''

La sonnerie coupa court à notre discussion.

      ''Chères jeunes filles, commença notre professeur, comme vous le savez, aujourd'hui, c'est le jour de la K-girl, un jour essentiel au bon fonctionnement de notre société. Notre système éducatif vise à faire de chacune d'entre vous la K-girl parfaite. Ainsi, nous tâchons de garantir votre pureté, tant de cœur que d'âme et de corps, votre innocence, pour faire de vous des filles idéales. Car, sans cela, le but de cette journée ne serait pas atteint. Vous êtes, normalement, comparables à des agneaux. Peut-être que l'une d'entre vous a été choisie pour être la K-girl de cette année. Si tel est le cas, vous savez comment vous comporter. C'est un honneur rare, car vous porteriez le bonheur de notre nation. Je pense que vous devez être assez fébriles. Cependant, si je le comprends, je vous rappelle que la cérémonie se tiendra ce soir, et que nous avons beaucoup à faire.''

      La journée passa trop vite et fut longue à la fois. J'essayai, en vain, de retenir le temps, savourant chaque seconde, mais rien n'y fit : la sonnerie du dernier cours tonna comme la hache du bourreau s'abattant sur mon cou. Pour une fois je traînai pour sortir de l'école. Arrivée au portail, je pris une grande inspiration. La danse allait commencer. Tout le monde se dirigeait vers la place centrale et la grande rue pour y attendre la K-girl, moi. Pour ma part, j'allai au siège du Ministère des Affaires Internes, situé à l'autre extrémité de la grande rue, la peur nouant mon ventre.

      J'entrai. Un homme se présentant comme le ministre m'attendait. Je lui tendis la lettre. Il y jeta un coup d'œil et me fit signe de le suivre. Nous arrivâmes dans une petite pièce avec une chaise, un miroir, une robe blanche et de la peinture, blanche également. Le ministre se mit face à la porte et me dit, tandis que je me préparai :

''Ma chère Mélyne PZ87, vous allez devenir la K-girl. Grâce à vous, notre nation se portera bien pendant les cinq années à venir. Vous êtes, en quelque sorte, la personne la plus importante du pays. Notre stabilité et notre union tient grâce à vous. Je comprends que vous ressentiez une certaine appréhension, mais quelle célébrité n'en a pas ressenti avant de rencontrer son public ? Quelqu'un n'a-t-il jamais été un peu stressé avant d'accomplir sa destinée ? Même les plus grands hommes ont eu un peu peur avant d'entrer dans l'Histoire.''

Il se retourna alors. J'avais enfilé la robe et couvert mon corps de peinture.

''Vous êtes parfaite. Allons-y.''

      Il m'accompagna jusqu'à l'entrée. Ouvrit les portes. La clameur de la foule, comme un coup de massue, m'accueillit, me cueillit. Je sortis seule. Je marchai d'un pas lent et régulier, le regard droit, braqué sur la place, au loin devant moi. La foule m'entourait, derrière des barrières. Je tâchai de respirer calmement, sans grand succès.

      ''Salope ! Crève, enflure ! Tu ne mérites pas de vire connasse ! Va te faire enculer !''

Les insultes fusaient, comme les déchets, la nourriture avariée, les pierres. La haine des gens s'abattait sur moi, tâchait ma pureté, me blessait. Pour créer une société sans violence, il fallait que cette violence sorte, soit dirigée vers un bouc émissaire, la K-girl, sacrifiée pour un monde idéal. Je chutai une première fois sous l'impact d'un caillou à l'arrière de mon crâne. Je me relevai avec une grimace de douleur et continuai ma marche.

*****

      ''La voilà enfin !'', me dis-je en voyant la K-girl. Je préparai un pavé dans ma main droite.

''C'est de ta faute ! A cause de toi que j'ai de mauvaises notes ! A cause de toi que les profs me détestent ! Prends ça, sale merde !''

Et je lançai mon projectile, qui l'atteint en plein front. Elle trébucha et tomba. Une satisfaction immense, presque une jouissance, m'envahit alors. J'étais débarrassée de mes problèmes.

*****

      J'entendis la voix de Julia. Je me tournai un peu vers elle et reçu un pavé. Je m'écroulai à nouveau. Je repris ma marche. J'avais à présent aussi mal à l'intérieur qu'à l'extérieur. Je me sentais profondément trahie, même si je savais qu'elle ne m'avait pas reconnue. J'étais presque arrivée à la place. Mon calvaire prendrait bientôt fin, plus que quelques dizaines de mètres, un dernier effort et...

''Je te déteste ! Tu es la honte de la nation ! Tous les problèmes viennent de toi ! Tu empêches mon bonheur ! Tu ne mérites pas de vivre !'', hurla une voix que je reconnaîtrais entre milles. Je tombai à genoux, les larmes coulant sur mes joues, mêlées à mon sang. Un malaise si profond, une nausée si forte, me déchirant les entrailles... Ma mère... Même ma mère...

     Je me redressai pourtant, tremblante, brisée. Je portai à présent toute la haine du pays, comme une immense croix. J'arrivai enfin sur la place, où un bûcher avec un poteau avait été monté. Je m'y dirigeai, dans un silence soudain. Là, le ministre me rejoint, un flambeau à la main. Il m'attacha sur le poteau, d'où j'étais visible de tous. Il prononça les paroles rituelles, que j'entendis comme à travers un voile, reprises en chœur par la foule.

''Voici la K-girl, voici nos problèmes. Par ces flammes purificatrices, brûleront nos péchés. Par la fumée, ils s'envoleront et disparaîtront. Et enfin, nous serons heureux et libres.''

Il baissa le bras sous les hourras de la foule. Les flammes se répandirent, la fumée entra dans mes poumons, je toussai, suffoquai...

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