9 : Aller à l'opéra
(3.01) mon birthday wsh
JOYEUX ANNIVERSAIRE. (-Clare)
...
Depuis une semaine, Justin vivait sur pilote automatique. Il ne mangeait plus. Il ne dormait plus. Il ne se reconnaissait plus, aussi.
Heureusement, ses amis avaient réapparu dans sa vie et ne l'avaient plus lâché d'une semelle. La baston dans les rues parisiennes avaient au moins eu pour effet de se rendre aux oreilles de cette commère d'Audrey, qui l'avait aussitôt appelé pour s'excuser de ne pas lui avoir dit avant qu'elle s'était rendue compte des réelles intentions d'Arthur envers Clare. Justin lui avait aussitôt dit de ne pas s'en faire, qu'il n'était pas fâché. De toute façon, sa tristesse prenait toute la place ; il n'avait plus un pour cent d'énergie à consacrer à la rancœur. Et puis, même s'il s'en était beaucoup plaint cette semaine, il savait qu'il n'aurait pas tenu le choc sans ses amis à ses côtés.
Le lundi soir, Marion lui avait fait la surprise de venir le voir devant son école avec des croissants -des croissants Franprix, mais c'est déjà ça-. Ils n'ont pas reparlé une seule fois du froid qui s'était installé entre eux ces derniers temps et ont simplement écouté du rap à fond en marchant et dansant à moitié dans les rues de la ville. Le mardi, Fran l'avait invité chez lui pour l'aider à perfectionner sa technique au bowling sur la Wii. Ils avaient alors constaté avec surprise que lorsqu'il était de bonne humeur, Justin était limite capable de devenir champion du monde. Mercredi soir, Louise et Audrey avaient insisté pour le kidnapper dans les boutiques de fringues et lui avaient payé une chemise et une paire de baskets qu'ils avaient déjà repéré ensemble pendant les soldes. Elles n'ont pas arrêté d'enchaîner blague sur blague pour le mettre de bonne humeur, et Audrey a même fini par s'introduire derrière la caisse d'un magasin pour dire 'le petit Justin a perdu ses parents, je répète : le petit Justin attend ses parents à l'accueil'. Bon, ils s'étaient aussitôt fait virer de la boutique, mais ils avaient bien rigolé. Le jeudi, les gars du groupe avaient réussi à se mettre d'accord pour qu'ils se retrouvent dans le garage d'Owen. Coup de chance : sa belle-mère n'était pas là et ils n'avaient même pas eu besoin de mettre le son trop fort pour la faire chier.
Et puis voilà, on était déjà vendredi.
-Tu stresses ?
Justin ne se retourna pas, trop occupé à essayer de nouer comme il pouvait son nœud papillon.
-Nooooon, pas du tout, c'est vrai que je suis super détendu ! dit-il de façon ironique en continuant de se bagarrer avec son nœud.
-Bouge pas, je vais t'aider, dit alors Noam en le rejoignant, tout sourire.
C'était son idée, d'inviter Clare à l'opéra pour se faire pardonner. Et puis, c'était son anniversaire. Justin espérait que cet argument aller également pencher dans la balance.
-Elle ne va pas te briser le cœur le soir de ton anniversaire, t'en fais pas, dit gentiment Noam en lui attachant parfaitement son nœud papillon en moins de deux secondes.
Justin le fixa, les yeux écarquillés.
-À ce moment précis je te déteste de tout mon être, lâcha-il en le pointant du doigt. Ça fait vingt minutes que je galère et tu viens m'aider seulement maintenant ?
Noam éclata de rire en s'asseyant au bord du lit avec un haussement d'épaules. Justin, quand à lui, se plaça devant son miroir en pied et fixa son reflet. Ce soir n'était certainement pas un soir comme les autres, et il avait vu les choses en grand. Il avait bien profité du fait que sa mère lui avait proposé de choisir le cadeau de son choix pour ses vingt-trois ans, surtout. Quelle ne fut pas la surprise de sa génitrice quand il a débarqué le lendemain matin en lui demandant deux places pour aller l'opéra, seule idée qu'il avait trouvé pour faire retomber Clare raide amoureuse de lui.
Il avait choisi l'opéra car Clare lui avait confié une fois en regardant un film qu'elle avait toujours rêvé de faire de la danse classique, mais qu'elle n'avait jamais osé se lancer et que maintenant 'il était trop tard'. Justin avait gardé ça dans un coin de sa tête en lui promettant qu'un jour, il l'emmènerait voir un ballet incroyable dans un bel opéra.
Voilà comment le vendredi trois janvier il allait se retrouver à regarder une version dansée et chantée de la célèbre Traviata de Verdi dans le mythique Opéra Garnier. Qu'est-ce qu'il n'était pas prêt à faire pour Clare, bon sang.
-Imagine qu'elle ne vient pas, dit alors Justin en se tournant vers son ami.
Noam secoua la tête, sûr de lui.
-Elle va venir.
Il y eut un léger silence, puis Noam ajouta :
-Elle a intérêt à venir. Une femme qui refuse tous les efforts que tu fais pour elle, c'est que ce n'était pas la bonne, point barre. Compris ?
-Compris.
-Et si toutefois elle ne vient pas -ce qui ne va pas arriver, je te le promets-, tu m'appelles et je viens te chercher tout de suite. Tu restes pas tout seul là-bas.
-Ok.
Justin n'était plus capable de faire des phrases complètes tant il était stressé. Il n'avait jamais été d'un naturel anxieux et cela lui faisait bizarre d'être aussi peu sûr de lui. Mais s'il était aussi terrifié de ce qui allait arriver, c'est parce qu'il savait très bien que cette soirée était décisive. Soit ça passe, soit ça casse.
Et pour le coup, il préférerait que ça passe.
-Je te dépose ? proposa alors Noam en se levant pour lui asséner une petite tape dans le dos.
Justin avait envie de refuser son offre mais il avait encore plus peur du moment où il se retrouverait seul, alors il finit par accepter. Pourtant, malgré les encouragements de Noam tout au long du trajet, il était au bord de la crise d'apoplexie quand son pote se gara devant l'Opéra.
-Je dois filer si je ne veux pas avoir à payer le parking, dit-il en le regardant dans les yeux, sa main tenant fermement son épaule.
Justin hocha la tête, blanc comme un linge.
-On dirait que tu vas gerber mec, plaisanta alors Noam pour détendre l'atmosphère. Évite de lui vomir dessus si tu veux dormir dans son lit ce soir.
Justin esquissa un sourire, mais c'était vraiment pour le rassurer. Au fond, il avait envie de s'enfuir à toutes jambes et que tout redevienne comme avant sans le moindre effort. Pourquoi avait-il aussi peur de revoir Clare, bordel ?
Parce que tu as peur qu'elle te dise qu'elle ne t'aime plus, pensa-il. Tu as peur qu'elle te laisse tomber pour Arthur ou un autre.
-J'y vais, annonça-il contre toute attente en prenant une grande inspiration pour se donner du courage.
-Tu vas gérer, ok ? Sois toi-même. Et oublie pas de l'embrasser à la première occasion, ajouta Noam avec un sourire qui se voulait rassurant.
Justin tenta de lui rendre son sourire mais vu l'air inquiet qui prit place sur le visage de Noam, il ne dut pas trop y arriver. Puis, il quitta la voiture et claqua la portière avant de marcher jusqu'à l'Opéra sans un regard en arrière pour ne pas être tenté de faire demi-tour -il s'en sentait capable, oupsi.
Quand il osa enfin se détourner, la Nissan bleue marine était en train de tourner au coin de la rue. Les mains enfoncées dans les poches pour éviter de se ronger les ongles, il regarda autour de lui. Il était adossé à la balustrade en pierre magnifique située devant l'opéra, les pieds vissés aux pavés comme si sa vie en dépendait. Il sentait presque son sang bouillonner dans ses veines, et il avait l'impression que ses membres n'avaient jamais été aussi lourds. Il regardait sans arrêt sa montre, toutes les deux secondes environ.
Dix-neuf heures quarante. Dix-neuf heures cinquante. Dix-neuf heures cinquante-cinq.
Puis vingt heures, et même vingt-heures dix.
Le spectacle commençait à vingt heures.
-Vous venez pour le spectacle ? demanda un homme en costard avec une oreillette en s'approchant de lui à grand pas.
-Oui, mais...
-Rentrez tout de suite, le spectacle va commencer dans quelques instants. Nous n'attendons plus que vous, ajouta-il avec un grand sourire.
-Ma copine n'est pas encore là.
Le gars lui adressa un sourire désolé en lui tapotant l'épaule gentiment, l'air de dire 'elle ne viendra pas'.
-Désolé, vieux, dit-il gentiment en grimaçant pour tenter de lui montrer qu'il était désolé pour lui.
Le cœur de Justin se brisa dans sa cage thoracique. Littéralement. Il sentait chaque morceau lui transpercer les os, les poumons, la peau. Et pour finir, son cœur finissait sur le trottoir, complètement ravagé.
-Alors, vous rentrez ? demanda-il en reprenant son ton professionnel.
Justin hésita. Il pouvait tout aussi bien attendre Clare ici comme un con et être encore plus déçu en constatant qu'elle ne viendrait bel et bien pas, appeler Noam pour le ramener illico presto chez lui pour tenter de sauver son anniversaire et foutre en l'air trois cent balles, ou aller seul à ce foutu spectacle. Finalement, l'option qui lui paraissait la moins nulle semblait être la troisième.
Justin sortit son billet de sa poche de manteau et le tendit au vigile, qui lui adressa un nouveau sourire désolé en bipant son billet.
-À gauche en bas des marches, quatrième rangée, les sièges en bout de rangée. Ça aurait été bête de gâcher de si belles places, ajouta-il d'une voix empreinte de pitié que Justin fit semblant de ne pas remarquer.
Le brun se contenta d'un hochement de tête pour toute réponse et suivit les indications données par l'employé. Il eut un pincement au cœur en passant devant un stand de vente de roses rouges à l'entrée, se disant qu'il en aurait sûrement acheté une pour Clare.
Si elle était venue.
C'était le pire scénario possible, pourtant Justin essayait de garder la face. Pour l'instant il ne réalisait pas bien ce que cette absence signifiait, et était comme anesthésié. Pourtant, il savait qu'en quittant cette salle, il allait passer les pires instants de sa vie. Parce qu'en ne venant pas ce soir Clare avait pris sa décision, et Justin était assez futé pour comprendre cela. Ça n'empêchait pas que ça lui faisait un mal de chien.
On lui donna un prospectus avec le programme du spectacle lorsqu'il pénétra dans la salle et adressa un pauvre sourire nul et forcé à tous les employés qu'il croisa avant de se faufiler jusqu'à son siège. Dans son malheur, il avait la chance d'être en bout de rangée et de ne pas avoir à faire déplacer tous les gens déjà installés.
Il s'assit sur son siège en tentant de trouver une position confortable, serré dans son costume. Il ne rêvait que d'une chose : se foutre en pyjama et oublier cette soirée catastrophique -en se bourrant la gueule et en enchaînant sur une nuit de douze heures, de préférence.
-Mesdames et messieurs : bienvenue dans le mythique Opéra Garnier de la ville de Paris, déclara soudainement un chauffeur de salle, monté sur scène devant le grand rideau rouge. L'histoire de notre magnifique Opéra et notamment la réalisation du plafond par le grand Chagall se trouve dans le livret que nous vous avons remis à l'entrée. Nous vous faisons la prière d'éteindre vos téléphones portables pour ne pas perturber nos artistes. Sur ce, toute l'équipe de l'Opéra Garnier vous souhaite une fantastique soirée.
Les applaudissements fusèrent dans la salle, mais Justin n'entendait que des bruits sourds. Il était trop accaparé par la vue de son fond d'écran -une photo de Clare lui lui léchait la joue pendant leurs vacances dans le Sud de la France en août- qui restait désespérément vide en dehors de notifications Snapchat -sûrement ses amis qui lui souhaitaient bonne chance pour ce soir.
Pas un message de Clare, pas une explication, pas un 'désolé j'ai eu un empêchement'. Rien.
D'un seul coup, les lumières s'éteignirent toutes en même temps et Justin verrouilla son téléphone précipitamment après l'avoir mis en mode avion. Bien enfoncé dans son siège, il regarda le mythique rideau rouge sang s'ouvrir lentement sous les yeux émerveillés de tous les spectateurs.
Soudain, le silence de la salle fut troublé par un 'pardon, pardon'. La personne murmurait mais le silence était si assourdissant qu'on entendait qu'elle. Le brun jeta un regard en arrière pour regarder qui était cet élément perturbateur et son cœur s'arrêta de battre en voyant Clare marcher vers lui à grands pas, pliée en deux pour ne pas gâcher la vue de tous ceux derrière eux.
Elle était tout simplement fabuleuse mais Justin ne put s'empêcher de la voir comme si c'était la première fois. Le temps de quelques secondes elle avait de nouveau sept ans, deux petites tresses décoiffées qui se balancent sur ses épaules et son rire cristallin qui résonne dans tout le couloir, provenant de la chambre d'Elo.
Puis Justin cligna des yeux lorsque la blonde se laissa tomber sur le siège à côté de lui, essoufflée. Il eut le souffle coupé en constatant qu'elle n'avait jamais été aussi belle. Ses cheveux blonds étaient naturels et complètement détachés en dehors d'une pince qui les tenaient en arrière et de deux mèches ondulées laissées sur le devant. Sa bouche était relevée d'un rouge à lèvres rouge pétant qui cassait le côté sage de sa robe noire près du corps. Et, comme par magie, la première musique commença et il eut l'impression de se retrouver dans l'un de ses rêves.
À cet instant, Justin retomba follement, totalement, complètement amoureux d'elle.
-Pardon pour le retard, je suis venue en métro et un lourdingue m'a suivie dans tout Paris ; bref, c'était la galère, conclut-elle en s'approchant tout près de lui pour ne pas parler trop fort et déranger les autres.
Son souffle chaud s'échoua sur la lèvre inférieure de Justin et il n'arrive même plus à respirer. Prononcer le moindre mot lui est impossible. Et si l'idée absurde de la toucher lui venait à l'esprit, il ne serait même pas capable de bouger d'un millimètre tant il est paralysé par leur proximité.
-J'ai loupé quoi ? murmura-elle alors en se laissant aller dans son siège.
-Rien.
Prononcer ces quatre lettres lui fait presque mal tant il a la bouche sèche. Le soulagement a remplacé toute la déception qu'il avait ressenti quelques dizaines de minutes avant, et son cœur engourdi recommence à battre dans sa poitrine.
Elle est venue. Clare est venue. Elle est là, tout près de moi.
Justin n'y croyait pas. Il ne voyait même pas l'opéra défiler tant il est occupé à regarder Clare du coin de l'œil. Son anniversaire était en train de se métamorphoser en un rêve inespéré. Parfois il osait frôler sa cuisse avec sa main, parfois le bout de leurs doigts se touchaient. Pourtant, ils ne se rejoignaient jamais et ils faisaient tous les deux semblants d'être très concentrés sur la musique.
Quand la musique la plus célèbre de la Traviata passa, l'émotion du moment tire les larmes à Clare. Heureusement, elle a pensé à mettre du mascara waterproof et son maquillage ne bouge pas d'un cil -c'est le cas de le dire. Néanmoins, Justin est convaincu qu'elle ne serait pas moins jolie avec du noir sur les joues.
À la fin du spectacle, au bout de trois longues heures passées en un claquement de doigts, un tonnerre d'applaudissements résonne dans la salle. Puis, les gens se lèvent un à un et Justin et Clare font de même.
-On va marcher un peu ? proposa Justin en enfilant sa veste.
Clare acquiesce. Si elle a semblé comblée tout au long de la soirée, une étincelle s'est désormais éteinte dans ses yeux.
Et bam, le stress de Justin remonte en flèche.
Quand ils passent devant l'employé de tout à l'heure, il leur adresse un sourire bien plus appuyé aux autres clients et envoie même un clin d'œil à Justin. Celui-ci lui rend son sourire et il n'a même plus besoin de se forcer, cette fois.
-Ça t'a plu ?
C'est la première phrase complète qu'il sort depuis le début de la soirée. Il a eu le temps de se remettre de ses émotions pendant les trois heures de chant et de danse endiablées, pour le coup.
-C'était incroyable, répondit Clare en marchant à côté de lui, les mains dans les poches de son trench-coat marron.
-'La première fois que quelqu'un voit un opéra, très souvent, il réagit d'une façon très forte : ou il adore ou il déteste. S'il adore il adorera toujours ; et dans le cas contraire peut-être qu'il apprendra à l'apprécier, mais ça ne deviendra jamais une véritable passion.'
Clare s'immobilisa aussitôt au milieu de la place pavée, interdite.
-Je rêve ou tu viens de citer Pretty Woman ? s'exclama-elle en lui donnant un coup dans l'épaule.
-En effet, dit Justin en effectuant une petite référence.
-Ne me dis pas que tu as appris ça avant de venir juste pour m'impressionner, demanda-elle d'un air taquin en se remettant à marcher.
-Ça se pourrait. Ça a marché ?
Un sourire naît sur ses lèvres et elle semble déployer tous les efforts du monde pour l'empêcher d'éclore réellement avant de répondre :
-Bof.
Justin, lui, n'arriva pas à retenir son sourire parce qu'il connaît Clare par cœur et qu'il savait parfaitement qu'il vient de marquer des points.
-Est-ce que tu veux qu'on continue de marcher ou... Tu veux qu'on discute de, je sais pas, notre relation, ou un truc comme ça... ? demande Justin, peu sûr de lui.
Il ne sait pas s'il vient de tout gâcher en posant cette question, mais il a besoin que les choses soient claires. Il veut que tout soit réglé avant de pouvoir prendre les lèvres rouges de la blonde en otage, elles qui l'appellent depuis tout à l'heure -ah, les traîtresses !
-On peut marcher en parlant, propose Clare d'une petite voix sans le regarder.
Visiblement, elle est tout aussi mal que lui d'avoir cette discussion.
-J'aurais préféré qu'on parle de ça tout à l'heure, avoue-elle alors en gardant les yeux sur ses chaussures.
Justin remarque au passage qu'elle a enfilé des escarpins noirs qu'il ne connaissait pas. Il est à deux doigts de la complimenter dessus mais se retient alors que la dernière phrase de Clare se répercute encore et encore dans chaque recoin de sa petite tête.
-Pourquoi ?
Elle s'arrête de nouveau de marcher et le regarde dans les yeux, semblant profondément triste. Son regard n'est pas aussi lumineux que d'habitude, quelque chose s'y est éteint.
-Parce que ça va mal se terminer et que je voulais te voir sourire encore un peu, répond-elle finalement tout bas.
Le cœur de Justin fait un piqué dans sa poitrine.
-Pas forcément, tente-il pour essayer de la convaincre.
-Je pense que si.
Le ton est donné, et ce ton ne plaît pas du tout au garçon. Il sent que dans quelques minutes il va finir par se retrouver avec un cœur brûlé de tous les côtés encore plus difficile à anesthésier qu'en début de soirée.
-Je te jure que je veux pas dire ça, murmure Clare alors que sa lève inférieure tremblote dangereusement.
Justin déteste ça, parce qu'il sait que c'est le signal : elle est sur le point de pleurer. Ça signifie qu'elle va avoir mal. Et quand elle a mal il a mal aussi, et il n'est pas sûr d'être prêt à endurer cela.
-Alors ne le dis pas, dit Justin, debout face à elle. On peut faire comme si rien ne s'était passé, et on tourne la page. On dort dans ton lit, on regarde Baby Boom, je te dévore du regard pendant que tu lis tes livres sur les plantes, on regarde les constellations sur ton mur et je t'en dessine même une au marqueur sur le dos comme dans les films romantiques comme tu me l'avais demandé, si tu veux.
Justin est essoufflé d'avoir dit si peu de mots en si peu de temps, et Clare est sous le choc. Elle semble avoir le souffle coupé.
-On repart à zéro. S'il te plaît, implore-il avec les mains tremblantes.
Il a dit ça avec ses tripes, et Clare le sent.
-J'ai peur que ça ne soit pas suffisant, chuchote-elle alors que ses yeux s'emplissent de larmes.
-Alors quoi ?!
Si Clare murmure, Justin crie. Il faut qu'il fasse sortir toute la frustration et toute la peine qui l'habitent sinon il sent qu'il va devenir complètement fou.
-Alors tu m'as fait du mal. Alors t'as fait le con. Alors t'as joué aux idiots avec Arthur.
Elle hésite un instant, puis ajoute d'une voix brisée :
-Alors j'arrive plus à être heureuse avec toi.
Justin a l'impression de recevoir le coup le plus violent de sa vie. Il aurait préféré se faire péter la gueule par Arthur quinze fois plutôt que de subir ça.
-Dis pas ça, dit-il en se passant une main dans les cheveux.
-C'est vrai, Justin ! Tu as agi comme un gros débile avec moi, je me suis sentie bête, agressée et...
-Mais je suis amoureux de toi.
Il essaye de la garder comme il peut en changeant de sujet, parce qu'il ne veut pas entendre à quel point il a pu la blesser. Ça fait trop mal.
-Moi aussi. Mais ça suffit plus.
Clare braque de nouveau son regard sur ses chaussures, des larmes immenses dans ses yeux bleus qui menacent de dévaler ses joues à tout instant.
-C'est vrai que quand j'étais avec Arthur tu lui as demandé de me quitter ? demande-t-elle finalement en relevant le visage vers lui.
Toute la peine du monde se lit dans ses yeux à cet instant. Visiblement, sa rupture douloureuse avec Arthur a laissé une marque indélébile dans son cœur et elle semble se détester pour cela.
-Je ne lui ai pas demandé, dit Justin pour se défendre.
Il sait qu'il a tord. Il sait que c'est un connard. Il le sait.
-Est-ce que tu l'y as incité, alors ? interroge Clare, le cœur au bord des lèvres.
Aucun des mots qui lui viennent ne semblent être le bon, et la question de la blonde reste douloureusement en suspens. Et cette absence de réponse est la pire des réponses.
Clare recule d'un pas, visiblement blessée comme elle n'a jamais été blessée.
-Ne me dis pas que tu faisais partie de cette bande de connards qui lui ont dit que j'étais 'trop jeune' et 'trop immature pour un gars comme lui', répète-elle, les yeux humides.
Justin n'arrive toujours pas à répondre. Sa langue est lourde contre son palais et il se demande s'il ne ferait pas mieux de s'étouffer tout de suite avec.
-Ne me dis pas que tu l'as convaincu d'aller en boîte pour se changer les idées et que tu l'as rapproché de d'autres filles pour qu'il me quitte.
Clare fait semblant que ce sont des questions rhétoriques, mais en réalité ce sont des affirmations. Elle met des mots sur tout ce qui est en train de la détruire, mais ça ne semble pas la soulager. Au contraire, elle a l'air plus fragile que jamais et paraît sur le point de se briser en morceaux sur le trottoir.
-Je ne pensais pas que ça allait te faire autant de mal, murmure alors Justin.
Clare écarquille les yeux comme si elle s'était pris un poignard en plein cœur, et Justin ne s'est jamais autant détesté.
C'est vrai, quand Arthur était avec Clare, il faisait partie des quelques types qui lui ont conseillé de couper net cette relation à base d'arguments idiots. Mais qu'était-il censé faire d'autre ? Il était fou amoureux de cette fille depuis le premier jour, et ça le tuait de la voir au bras de son ami. Et il n'a jamais rien dit de mal sur elle, il se contentait simplement d'appuyer les propos des idiots avec qui ils traînaient à l'époque avant de se rapprocher de Fran et Noam. Mais comme il était à ce moment-là le meilleur ami d'Arthur, c'est lui qui a véritablement fait pencher la balance du côté de la rupture.
-J'en reviens pas, lâche Clare dans un souffle, une main sur le cœur comme pour l'empêcher de tomber directement sur les pavés.
-Je ne l'ai jamais forcé à quoi que ce soit, se défend aussitôt Justin en levant les mains en l'air comme pour attester d'une innocence qui n'existe pas. Je lui suggérais simplement...
-Je ne veux pas entendre la fin de cette phrase, le coupe brutalement Clare. Ni de cette phrase ni d'aucune autre. Plus jamais.
Justin sait que dans quelques instants elle va s'enfuir de Paris et ne plus jamais répondre à ses appels, ni à ses messages, ni à aucune tentative de contact. Clare redeviendrait célibataire et lui aussi. Il serait seul, sans celle qui lui donne une bonne raison de se lever chaque matin. Cette idée lui est tout simplement insupportable.
-Je suis vraiment désolé, dit-il en l'attrapant doucement par le bras. Je n'ai jamais voulu te faire du mal, je te le jure. Je croyais que vous vous sépareriez en douceur, dans le genre 'on reste amis'. Pas dans le genre 'tu me brises le cœur'. Vraiment.
Le pire c'est vraiment qu'il le pense du plus profond de son être, en plus.
-Mais bien sûr ! le fusille-t-elle du regard en retirant violemment son bras pour rompre tout contact physique entre eux. Tu étais amoureux de moi et tu as niqué ma relation pour que je sois à toi.
Justin ne réplique pas et tente de continuer de la regarder dans les yeux malgré la honte qui lui tombe dessus comme une tonne de brique, mais rien n'y fait. La regarder se briser sous ses yeux, c'est décidément trop pour lui.
-Tu me dégoûtes, achève-elle sombrement avant de s'éloigner.
Il la regarde faire cinq bons mètres avant de réagir et court pour se lui barrer le chemin. Il se jette devant elle et elle se cogne contre son torse. Ce minuscule contact réchauffe le cœur du brun le temps d'une nanoseconde puis disparaît en même temps qu'elle se recule et s'essuie les joues d'un geste brusque pour tenter de lui cacher qu'elle pleure pour de bon, maintenant.
-J'assume, j'ai fait le con avec toi. J'ai influencé Arthur pour me laisser une chance mais je te jure que je ne l'ai jamais forcé à te quitter, et encore moins par dm Insta. Je voulais juste une chance, putain.
Clare cligne des yeux, les joues trempées. Elle a l'air déchirée entre l'envie de l'embrasser et celle de lui foutre une claque monumentale.
-Je voulais juste avoir une chance que tu me remarques. Je t'ai aimée pendant dix ans, Clare, est-ce que tu te rends compte ? Dix putain d'années pendant lesquelles je me suis imaginé un milliard de fois finir avec toi.
-Un milliard ? répète-elle, la voix brisée.
-Et même plus que ça, vraiment. Je suis tombé amoureux de toi dès la première seconde où je t'ai vue avec tes tresses blondes et ta petite robe. Qu'est-ce que tu aurais fait à ma place, hein ?
Elle détourne le regard sur les quelques passants qui les regarde de travers mais ne semble pas leur accorder plus d'attention que ça.
-Je sais pas, murmure-elle pour toute réponse.
-Hé bien moi je te le dis : tu aurais sauté sur l'occasion pour te rapprocher de cette personne, pour apprendre à mieux la connaître. Et même dans mes rêves les plus fous tu ne tombais jamais amoureuse de moi. Jamais.
Il marque une pause et enfonce ses mains dans ses poches en shootant dans un caillou avant de déclarer dégoûté :
-Parce qu'après tout, comment une fille aussi gentille, brillante, généreuse, attentionnée et sexy à mourir pourrait-elle me regarder moi ne serait-ce qu'une seconde ? Je suis qu'un raté qui a redoublé sa deuxième année d'école de commerce et qui taff' au McDo deux fois par semaine pour se payer un appart pour enfin partir de chez ses parents à vingt-trois ans, putain ! Je suis nul, j'ai toujours été nul et je serais probablement toujours nul.
Il reprend son souffle puis plonge ses yeux dans ceux de la blonde pour ajouter :
-Mais avec toi, je me sens moins nul.
Clare continue de pleurer en silence, et c'est bien la première fois que ça lui arrive. D'habitude elle sanglote fort, se mouche et ne peut pas s'empêcher de vouloir parler même si elle sait qu'elle va finir par bégayer à moitié. Mais là, elle se contente d'affronter vaillamment le regard de Justin tandis que ses larmes coulent sur son visage avant de disparaître dans le col de la robe.
-Je sais que j'ai déjà eu ma chance et que je l'ai bousillée comme je bousille toujours tout, dit-il alors. Mais si tu m'en donnes une deuxième, je te promets de ne pas te le faire regretter.
Le temps d'un instant, le doute semble s'installer dans les yeux de Clare. Elle le fixe longuement puis détourne les yeux sur la route illuminée par les décorations de noël sur les réverbères et les phares des voitures qui passent. Elle ne dit rien et continue de pleurer pendant des minutes qui semblent durer des heures.
Puis, lentement, elle se tourne vers Justin et murmure :
-Pardon.
Et elle s'éloigne à grands pas en sanglotant pour de vrai, cette fois.
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