8 : Casser des gueules
(27.12) aïe
. (-Clare)
...
Le problème quand on fait de la merde avec tout le monde c'est que quand on se rend compte que justement, on a fait de la merde, plus personne n'est là pour nous soutenir.
Jusqu'à ce qu'on prenne conscience qu'on a fait réellement n'importe quoi, on est habité d'une colère brûlante et dévorante qui nous consume et nous tient debout. Elle nous aide à nous lever le matin, elle nous pousse à nous endormir le soir, elle occupe nos pensées la journée et elle nous donne les outils nécessaires pour la journée suivante. Seulement, une fois que cette colère disparaît, il ne nous reste plus rien.
-Viens là, dit Justin en écartant les bras.
Amsterdam le regarde quelques secondes du pouf sur lequel il est installé depuis plus d'une demi-heure, puis recommence à se lécher la patte sans lui accorder plus d'attention. Visiblement, même son chat a décidé de ne plus venir vers lui.
Justin pousse un profond soupir qui résonne jusque dans son cœur vide, puis il embrasse sa chambre du regard avant de se forcer à fermer les yeux, déçu de lui-même. Sa piaule est une vraie porcherie : des paquets de gâteaux déjà entamés traînent au bout de son lit, des vêtements sales jonchent le bureau et son ordinateur posé sur ses genoux diffuse un vieil épisode de One Piece qu'il ne regarde même pas. Des vieux papiers cadeaux et des emballages en carton traînent également par terre, lui rappelant à quel point son Noël était merdique.
Sa mère avait préparé quatre plateaux de fruits de mer alors même qu'elle savait très bien qu'ils ne seraient que trois. Pourtant, elle a continué d'espérer jusqu'à la dernière seconde qu'Elo se pointe, ce qui n'est évidemment pas arrivé. Le repas était sinistre et personne n'a dit quoi que ce soit, jusqu'à ce que Justin annonce qu'il allait aller se coucher. Sa mère a alors insisté pour qu'il ouvre ses cadeaux et il l'a remerciée avec tout l'entrain qu'il avait encore en stock lorsqu'il a aperçu le hoodie Lacoste qu'il voulait s'acheter depuis des mois. Il a même tenté un vague sourire à son père, qui l'a simplement regardé sans aucune expression en fumant sa pipe à table. Il n'avait pas fumé depuis la naissance d'Elo, et ce fut la goutte de trop pour Justin qui monta s'enfermer dans sa chambre sans en sortir pendant deux jours.
Et dire que l'année d'avant ils étaient tous à Bali en train de manger de la bûche glacée sur la plage.
À part un GIF de renne qui fume de la beuh de la part d'Owen, une sorte de carte musicale kitsch avec des découpages d'Ariana Grande -qui d'autre que Charles pouvait-être capable d'une telle chose ?- et d'un SMS d'Élias, il n'avait rien eu de plus. Ah, si, un texto d'Audrey qui lui demandait d'acheter du sopalin. Visiblement, elle s'était trompée de destinataire et Justin ne s'était jamais senti aussi seul.
Il avait hésité comme un idiot au-dessus de son clavier s'il devait envoyer un message à Clare. Finalement, alors qu'il allait se raviser au bout de vingt minutes sans taper une lettre, le bitmoji de sa copine avait apparu comme par magie dans la discussion Snapchat. Il avait alors attendu quelques secondes ; un battement de cœur, deux battements de cœur, trois battements de cœur. Puis Clare avait disparu de la conversation et n'avait même pas ouvert le pauvre 'joyeux noël' de Justin qu'il avait envoyé ensuite.
Voilà comment maintenant il se retrouvait à manger des Oreos sur son lit en regardant des animés un vingt-sept décembre, tout en se morfondant en pensant qu'il est censé fêter le nouvel An chez Arthur dans moins de quatre jours et qu'il ne sait même pas s'il est toujours invité.
Amsterdam se décide finalement à le rejoindre sur le lit et lui fait une caresse avant de se blottir contre lui, puis de lécher les doigts du brun qui sont encore tâchés de crème à la vanille.
-C'est bon les Oreos, hein ? blague pauvrement Justin en gardant son chaton contre lui.
Et dire que dans une semaine c'était son anniversaire. À ce rythme-là, il allait sûrement finir par manger une pizza tout seul dans son lit le soir de ses vingt-trois ans. Pas totalement ce dont il rêvait, pour être honnête.
Finalement, Amster' file de nouveau sur le petit pouf dès qu'il n'a plus une miette du gâteau sucré à récupérer et Justin se retrouve de nouveau seul sur son grand lit. Vide, il attrape son téléphone et fait un tour sur Snapchat.
Il n'a reçu que quelques snaps de flammes inutiles provenant de personnes à qui il ne parle presque jamais, principalement des filles du lycée qui continuent de lui envoyer leur gueule enduite de makeup prise dans leur miroir tous les matins. Il ne sait même pas pourquoi il continue de leur envoyer des snaps tous les jours, puisque ce ne sont même plus ses amies. Est-ce qu'elles ont été ses amies un jour, déjà ?
Ensuite, il fait défiler les stories. Il en a un paquet à regarder et il ne prend jamais la peine les regarder, alors autant perdre son temps là-dessus maintenant.
La première est une photo de Fran et Audrey qui tirent la langue à l'objectif, et la photo semble dater de la semaine dernière. Justin passe.
La deuxième c'est Marion qui écrit 'ma vocation : oreiller' au-dessus de sa sœur endormie sur son épaule. Justin passe.
Quant à la troisième, Justin tique en voyant qu'il s'agit d'une story d'Arthur. Il ne publie jamais rien sur son compte, d'habitude.
C'est une courte vidéo avec des lumières de toutes les couleurs pendant laquelle on le voit brandir une bouteille de bière devant l'objectif en criant. Puis, la caméra se détourne et laisse place à un plan mal cadré sur une Clare qui sourit de toutes ses dents, vêtue d'une robe verte sapin que Justin lui avait offert cet été. Il reste bloqué quelques instants sur le visage de la blonde, qui paraît totalement heureuse et détendue. Il s'en serait réjoui si elle n'était pas heureuse et détendue avec Arthur.
Le cœur de Justin fait un piqué dans sa poitrine.
Bien sûr qu'il allait sauter sur l'occasion. Cet enfoiré n'en loupe pas une dès qu'il s'agit de Clare.
Ni une ni deux, Justin est debout. Il sait que c'est une mauvaise idée, que ce n'est pas le moment et qu'il va probablement se faire refouler mais il a trop mal pour laisser couler. Il va aller à cette foutue soirée et régler les choses avec Clare. Et s'il peut s'occuper du cas Arthur au passage, il ne va certainement pas s'en priver.
Il décide de mettre de la musique pour se mettre dans l'ambiance et prend une douche rapide sous les paroles punk de The Clash. C'est la première fois depuis des jours que Justin arrive à avoir le cœur léger et à ne pas laisser tourbillonner un million de pensées négatives dans son esprit. Une fois douché, il entreprend d'enfiler une chemise blanche fraîchement repassée par sa mère qu'il passe par dessus un jean. Puis, une fois ses Converse aux pieds, il attrape une serviette pour se sécher vite fait les cheveux.
-Oh, tu te douches juste, dit soudain une voix derrière lui.
Il se retourne et tombe nez à nez avec sa mère, qui le regarde avec une main sur le cœur de l'entrée de sa chambre.
-Bah, oui.
Elle regarde son fils jeter la serviette sur son lit puis enfiler ses Converse sans rien dire, une main sur le chambranle défraîchi de la chambre.
-Tu vas quelque part ? demande-elle alors.
-Ouais. Une soirée.
Elle acquiesce en silence, comme elle le fait depuis des années ; ça fait bien longtemps qu'elle ne l'empêche plus de quoi que ce soit, même s'il ne la prévient pas à l'avance.
-On devrait repeindre ta chambre, qu'est-ce ce que tu en penses ? demande-elle innocemment en passant son doigt sur la peinture qui craquelle sous son doigt.
Justin, assis au bord du lit, relève la tête pour la regarder. Elle a l'air infiniment fatiguée, comme si à force elle n'arrivait même plus à être triste.
-Tu sais que ce n'est pas un coup de peinture qui va me faire rester, maman, dit-il doucement.
Toujours à quelques mètres de lui, elle se détourne enfin vers son fils, un air nostalgique sur le visage.
-Je sais Justin, je sais, dit-elle d'un ton las. Mais je peux au moins essayer.
Il esquisse un sourire en se levant pour la rejoindre au moment où elle ajoute :
-De toute façon, je n'ai pas envie de repeindre. J'aime bien le bleu marine. Ça me rappelle quand tu étais petit.
Justin ne peut s'empêcher de sentir son cœur se serrer dans sa main. Pour sa mère aussi, cette situation est abominable. Mais comme toujours, elle est là pour lui.
-Pourquoi est-ce que tu ne pars pas ? murmure Justin, maintenant face à elle.
Laure le regarde dans les yeux et ne lui dit pas, mais elle l'imagine quand il était encore tout petit. Elle le voit minuscule et tout fripé, avec ses mains de lilliputien et ses sourires qui lui mangeaient la moitié du visage. Puis elle regarde le grand jeune homme qui se tient face à elle, et elle comprend qu'elle ne l'a pas vu assez grandir.
Lentement, elle pose une main sur sa joue et répond :
-Parce qu'il m'aime.
C'est tout. Pas un mot de plus. Pas besoin de dire de qui il s'agit, Justin le sait aussi bien qu'elle.
-On ne traite pas les gens qu'on aime de cette façon, réplique Justin, en colère. Il ne te regarde plus, il te critique en permanence et il ne te soutient dans aucun projet.
-Il fait des efforts pour s'améliorer, tu le sais bien.
Ils parlent tous les deux à voix basse alors qu'ils savent que le père de famille n'est pas là. Même absent, il exerce toujours un pouvoir immense sur eux et ils détestent cela aussi fort l'un que l'autre.
-Je voudrais que ça soit suffisant, dit alors Justin avec les yeux brillants.
Il sait qu'il ne va pas pleurer, certainement pas devant sa mère. Justin ne pleure devant personne, jamais.
Sauf Clare.
-Je... Je vais devoir y aller, dit-il en se souvenant de sa mission. J'ai un tas de choses à régler.
-Tu vas à une fête pour régler des choses ? dit sa mère avec un vague sourire en se reculant contre la rampe d'escalier.
-Crois-moi j'aimerais n'avoir rien à régler.
Sa mère penche la tête en souriant avant de s'exclamer avec un geste de main :
-Allez file ! Et ne rentre pas trop tôt s'il te plaît. Il faut que je discute avec ton père quand il sera rentré.
Justin lit dans le regard de sa mère que dire cette phrase rend les choses plus réelles pour elle, et que ça lui fait mal. Elle avait toujours détesté les conflits, et encore plus les disputes familiales. Alors les discussion de couple, elle ne connaissait pas trop.
-Ça va bien se passer, dit Justin pour tenter de la rassurer.
-Mais oui.
Ils sont aussi peu convaincants l'un que l'autre, pourtant ils font semblant de ne pas le remarquer et Justin disparaît dans l'entrée.
-Sois sage, lui murmure sa mère à l'oreille avant qu'il ne quitte la maison.
Une fois dehors, Justin remonte sa veste jusqu'au menton pour ne pas avoir froid. Décembre est particulièrement froid, et l'hiver il ne l'apprécie que lorsqu'il neige. Or, là, il fait seulement nuit à dix-sept heures et il n'y a pas l'ombre d'un flocon.
Alors qu'il descend les quelques marches du perron, il est aveuglé par des phares devant le portail.
Évidemment, il fallait que je sorte au moment où papa arrive ! pense-il en avalant difficilement sa salive.
Comme paralysé au milieu de l'allée de graviers, il regarde son père claquer sa portière puis descendre de la voiture d'un air agacé. Lorsqu'il aperçoit son fils dehors sa mâchoire se contracte et il fait mine de ne pas l'avoir vu jusqu'au dernier moment, comme lui montrer qu'il ne mérite pas son attention.
-Qu'est-ce que tu fiches dehors à cette heure-ci, toi ? lâche-il en arrivant à sa hauteur.
Justin croise les bras et le toise de façon menaçante, chose bien plus facile maintenant qu'il mesure un bon mètre quatre vingt.
-Je sors, répond Justin le plus froidement possible.
-Tiens donc, ironise son père en le dépassant d'un coup d'épaule sans lui adresser un regard. J'espère que tu vas tellement te bourrer la gueule que tu ne retrouveras plus le chemin de la maison, tiens.
Justin se tourne vers lui, encaissant difficilement le coup.
-Je te conseille d'être plus sympa que ça avec maman sinon je t'assure qu'elle va vite se barrer, rétorque le brun en fusillant le dos de son père du regard.
Celui-ci s'immobilise aussitôt, sa main suspendue vers la poignée. Puis, lentement, il se tourne vers Justin avec un air mauvais et lui crache :
-Je savais que j'aurais dû te foutre dans un foyer de la DDASS pendant qu'il en était encore temps.
-En effet, t'aurais dû, réplique Justin sans se démonter. Bonne soirée.
Puis il claque le portillon sans rien ajouter et s'enfonce dans la nuit, mains dans les poches.
...
Écouteurs plantés dans les oreilles qui crachent du rock à fond, Justin regarde la story d'Arthur en boucle. Il essaye de se calmer, d'être détendu et posé mais il n'y arrive pas. Cette scénette avec son père l'a remis en colère, malgré tous les efforts qu'il avait fait ces derniers jours pour calmer cette bulle sombre qui enflait au fond de lui.
Justin sait qu'une fois devant Clare, il risque d'exploser en sanglots. Après tout, ça fait des jours et des jours qu'il souffre en silence dans sa chambre sans s'autoriser à verser une seule larme pour se punir d'avoir été aussi con avec tout le monde. Voilà pourquoi il se force à écouter de la musique entraînante pour essayer de plaquer un sourire sur son visage, car il sait qu'une fête n'est pas l'endroit idéal pour se mettre à chialer.
À cette heure-ci, le métro parisien est presque vide et il arrive facilement à remonter les quais. Chaque fois qu'il passe devant un sans-abri -ça lui arrive trois fois pour être exact- il lui dépose une pièce, le cœur serré. C'est Elo qui fait ça depuis qu'elle est toute petite, toujours révoltée par les inégalités. Quand elle avait sept ans, elle achetait un pain au chocolat à la boulangerie avec l'argent de ses parents tous les mercredis et le donnait au SDF qui dormait derrière la boutique. Quand il a été retrouvé mort déshydraté sur le pavé, Elo avait été inconsolable. Personne n'en a parlé dans les journaux locaux, ça aurait fait trop mauvaise impression pour la ville. Non, le sans-abri avait crevé de soif dans la rue et tout le monde continuait sa petite vie tranquille. Seule Elo pleurait jour et nuit pour ce monsieur qui lui avait, fut un temps, offert le seul objet qu'il possédait : un collier de perles qu'il avait gardé de son ex-femme. Mais ça, elle ne l'avait dit qu'à Justin.
La gorge nouée, il glissa une pièce dans le chapeau du dernier sans-abri du métro, qui dormait dans les marches qui mènent à la sortie, dans le coin le plus sale -sûrement pour passer inaperçu. C'était une femme, visiblement une immigrée, avec un bébé minuscule qui le regardait avec ses grands yeux noirs, inconfortablement calé sur la poitrine de sa mère et enveloppé dans un minuscule tissu malgré le temps hivernal. Le brun manqua de vomir devant tant d'injustice et vida son porte-monnaie dans le chapeau avant de s'éloigner à grands pas, le cœur brûlant.
Parce que c'était aussi ça, la vie. Des gens qui dorment dehors, et qui crèvent sans que personne ne soit là pour les pleurer. Est-ce que pour Justin aussi, personne n'allait se rendre compte de sa disparition ?
Pas étonnant avec la façon dont j'ai traité tout le monde, pensa-il douloureusement.
Ce soir, il était décidé : il fallait réparer tout le bordel qu'il avait causé.
Il ne mit pas longtemps à trouver l'adresse qu'il avait repéré sur la carte Snapchat grâce à Arthur, qui avait gentiment activé sa localisation -il ne saurait comment le remercier, d'ailleurs. Il ne connaissait pas l'endroit et tout ce qu'il espérait c'est que c'était une grosse soirée et que personne ne remarquerait qu'il s'était incrusté.
Une fois devant l'immeuble, le premier gros problème de cette soirée catastrophique lui tomba dessus : il n'avait pas le code pour entrer.
Bravo champion.
Il attendit quelques instants de voir si un voisin entrait dans l'immeuble pour se glisser avec lui ni vu ni connu, mais rien à faire : il était vingt-deux-heures et tout le monde était déjà rentré chez soi. Finalement, il se résolut à envoyer un message à Clare.
just1.plc : salut... est-ce qu'on peut se parler ?
Il constata avec étonnement qu'elle lui répondit dans la seconde, visiblement sur son portable.
clarefoncé : c'est pas vraiment le moment, là.
Le brun décida de jouer les innocents quelques secondes, histoire de ne pas faire le gars qui la flique.
just1.plc : pourquoi ?
clarefoncé : je suis de sortie.
Clair net et précis, avec en bonus un point sec à la fin. Ni emoji cœur ni smiley rigolo, juste des mots essentiels qui ne traduisaient aucune affection à son égard. Justin détesta ce sentiment qui gonflait dans sa poitrine.
just1.plc : en fait, je suis en bas de l'immeuble.
clarefoncé : ?
Justin ne put s'empêcher de sourire en imaginant Clare froncer les sourcils, exactement comme à chaque fois qu'elle ne comprenait pas ce qu'il se passait. Elle devait avoir un pli juste à côté du sourcil gauche et la lèvre supérieure gonflée, comme d'habitude. Il aurait pu payer un million de dollars -qu'il n'avait pas- simplement pour voir sa bouille à cet instant.
just1 : tu peux m'ouvrir ?
Il se mangea un sale 'Lu' -pas le biscuit- et attendit quelques minutes, mais rien ne se passa.
Nickel, elle a décidé de me laisser dehors, pensa-il avec le cœur lourd.
Justin patienta encore quelques minutes de plus, puis se décida à faire demi-tour en constatant que la porte ne s'était toujours pas ouverte devant lui comme par magie. Les mains dans les poches, il baissa les yeux sur ses vieilles Converse en essayant de ne pas être trop dégoûté. Après tout, il aurait du s'y attendre : il avait agi avec elle comme le pire des idiots. Elle ne devait pas avoir envie de l'avoir dans les pattes ce soir.
Il avait fait à peine deux pas dans la rue qu'il entendit une voix derrière lui. Il se retourna, plein d'espoir... Et tomba sur Arthur, qui était en train de lui tenir la porte.
Le cœur de Justin dégringola dans ses chaussures mais il ne le montra pas et rejoint son ami dans l'entrée.
-Salut, lâcha Justin en plantant face à lui.
Arthur le fixa sans répondre, visiblement énervé comme jamais. Justin soutint son regard quelques instants, puis haussa les épaules en se décourageant et s'apprêta à le dépasser pour entrer. Il ne fit même pas un pas car Arthur le retint aussitôt en le repoussant d'une main puissante sur son torse et claqua la porte derrière eux.
- À quoi tu joues ? râla Justin en se passant une main dans les cheveux. Clare m'attend, mec.
Bon, en vrai, il n'en était pas très sûr ; mais il avait envie d'y croire, vraiment.
-Je crois pas, non, répliqua Arthur avec un regard noir. Mais pourquoi t'es là, déjà ?
Son 'ami' était tout sauf chaleureux. À vrai dire, à cet instant, on aurait cru qu'il le détestait de tout son être.
-Ma copine m'attend, alors t'es bien gentil mais tu... commença Justin en se dirigeant vers la porte.
Arthur lui barra de nouveau le chemin et le poussa légèrement en arrière, ce qui fit limite trébucher Justin sur le trottoir.
-Mais c'est quoi ton problème, à la fin ? lâcha Justin, de plus en plus énervé.
-Mon problème ? Tu me demandes ce que c'est mon problème ? répéta Arthur en écarquillant les yeux avec un rire sans joie. C'est toi mon problème, putain !
Justin s'immobilisa aussitôt avec l'impression de s'être pris un gros coup en pleine gueule.
-Mec, je sais que j'ai été nul avec vous. Et je suis désolé de pas être venu pour régler les choses avec toi, je te jure que je vais me reprendre mais là il faut vraiment que... commença Justin en essayant de nouveau d'avancer.
-Mais j'en ai rien à foutre que tu sois pas là pour moi, c'est bien ça la couille ! s'écria Arthur en le poussant encore plus fort que juste avant.
Justin manqua une nouvelle fois de tomber, et cette fois il en avait marre d'être aussi gentil.
-Alors c'est quoi la couille ? demanda-il, les poings serrés.
Arthur posa une main sur son front comme s'il cherchait à atténuer une douleur à la tête, puis poussa un soupir agacé avant de répliquer :
-Tu ne pouvais pas rester sagement chez toi, pas vrai ? Une soirée seul avec Clare, c'est trop te demander ?!
Le cœur de Justin arrêta de battre. Littéralement.
-Tu te fiches de moi ? dit-il tout bas.
Arthur le fixa avec un air sincèrement désolé pendant quelques secondes, air désolé qui fut instantanément remplacé par une colère sourde.
-Tu m'as piqué ma copine, lâcha alors Arthur entre ses dents avec une rancœur non dissimulé. J'étais avec elle, et tu me l'as prise.
Justin le dévisagea, bouche-bée, avant de rétorquer :
-On dirait que tu parles d'un objet, putain.
-Tu fermes ta gueule et tu me laisses finir, le coupa sèchement Arthur. Je t'ai fait quoi pour que tu me fasses ça, hein ? Je t'ai fait quoi ?!
Justin était tellement sous le choc qu'il ne savait même pas quoi répondre. Qu'était-il censé répondre à un enragé qui était en train de clamer haut et fort qu'on lui avait 'volé' sa copine dont il parlait comme sa propriété ?
-T'étais plus avec elle, répondit Justin le plus calmement possible en croisant les bras.
-Mais tu savais que c'était encore ambigu entre nous, tu le savais, ajouta-il en pointant un index accusateur sur lui. Tu le savais et t'en as rien eu à foutre. Tu l'as draguée, et tu l'a manipulée pour qu'elle ne me laisse pas de deuxième chance.
-N'importe quoi, rétorqua Justin, sincèrement blessé qu'Arthur puisse penser ça de lui. Elle avait vraiment tourné la page, et elle est tombée amoureuse de moi.
-Peut-être au début, lâcha Arthur en secouant la tête avec un sourire sinistre. Mais maintenant, t'as vu ce qu'il en est ? Tu lui parles mal. Tu t'introduis dans son appartement sans son accord. Tu la rends malheureuse.
-Je ne me suis pas 'introduit', corrige sèchement Justin pour éviter d'avoir à se concentrer sur la dernière partie de la phrase qu'il vient de se manger salement.
-Interprète cette connerie comme tu veux : j'en ai rien à battre, dit sèchement Arthur pour couper court à toute discussion inutile sur le sujet. Tout ce que je veux c'est que tu me rendes Clare.
-'Que je te rende Clare ?' s'exclama Justin, une main sur le cœur pour l'empêcher de se briser entre ses doigts face aux mots de celui qu'il considérait comme l'un de ses plus proches amis. Mais tu t'entends parler, putain ?!
Arthur se mit à faire les cent pas, puis dit doucement :
-Tu as vu toi-même dans quel état tu la mets. Ça fait combien de temps que tu ne l'as pas vue sourire en ta présence, hein ?
Non seulement Justin avait mal parce que ce qu'il disait était vrai, mais il avait encore plus mal parce que c'était ce connard qui était en train de le lui balancer à la gueule. Mais le pire, c'est qu'il ne cherchait pas à lui ouvrir les yeux, non ; il cherchait à le blesser.
-Laisse tomber, ok ? Elle sera mieux sans toi. Fais le pour elle. Pour son bonheur.
Il n'existait pas assez de synonyme de 'trahison' dans la langue française pour exprimer ce que ressentait Justin. Le brun releva la tête vers celui en qui il avait confiance, celui qu'il aimait comme son frère, et lâcha sombrement :
-T'as aucun ordre à me donner, espèce d'enfoiré.
Justin regarda Arthur serrer les poings, presque comme s'il se retenait de le frapper. Seulement, dans l'histoire, Justin n'était pas très sûr de savoir si c'était réellement son interlocuteur qui allait frapper le premier.
-De toute façon j'ai pas besoin que tu la quittes, elle va le faire avant toi.
Justin est à deux doigts de lui sauter dessus. Ses doigts fourmillaient de partout et il a tellement chaud qu'il est obligé d'ouvrir la fermeture éclair de son manteau. Arthur s'approcha de lui, tout près, si près qu'il sentit presque son souffle sur son nez. Ça le répugna, mais il ne voulut pas s'écarter. Pas question d'être faible devant ce connard.
-Je suis son premier amour, Ju'. Le premier qu'elle a aimé, qui l'a vraiment embrassé, le premier qui a dormi avec elle, le premier. Et tu ne pourras jamais rien faire contre ça.
Ces mots n'ont rien d'innocent. Ils viennent frapper Justin en plein cœur et envoient valser ses angoisses de tous les côtés. Il a mal, tellement mal qu'il ne sait plus comment réagir.
Alors il empoigna Arthur par le col et le plaqua contre le mur derrière lui. Lui qui n'avait jamais eu de force de sa vie, on dirait que l'adrénaline lui faisait faire n'importe quoi.
-Vas-y, frappe-moi, dit Arthur en ricanant. Je serais toujours aussi beau avec un coquard.
-Pas sûr que tu seras 'toujours aussi beau' avec le nez pété, par contre, rage Justin en le plaquant un peu plus fort contre le mur.
-Tu t'énerves parce que tu sais que j'ai raison. Tu sais depuis le début qu'elle m'aime encore.
Le fait qu'il murmure ne change absolument rien. En fait, Justin sent sa colère enfler en lui encore plus vite.
-Tu mériterais que je te coupe les couilles mais déjà que t'en as pas beaucoup ; ça serait trop dommage qu'elles disparaissent complètement, rétorqua Justin en le cognant contre le mur avant de se reculer.
Arthur le fusilla du regard en se frottant la tête. Visiblement il a eu mal, cette fois.
-T'es qu'un sale type Justin, lui cracha le brun d'un air mauvais. Un sale type qui fuit la réalité, en plus, ajouta-il. Ça fait des mois que je tchat avec elle sur Instagram, des mois entiers que je vais à toutes les soirées où elle est et qu'on s'isole tous les deux, des mois que je la vois derrière ton dos ; et t'as jamais rien remarqué.
Ce gars était un poison. Chaque mot qu'il prononçait s'infiltrait sous la peau de Justin et s'y incrustait, si profondément qu'il ne savait pas s'il arriverait un jour à les oublier. Si profondément qu'il se demandait même s'il ne ferait pas mieux de le tuer tout de suite, histoire qu'on en finisse.
-Alors, tu penses réellement qu'elle t'aime encore, maintenant ?
C'est la phrase de trop.
Justin n'attendit pas une seconde de plus avant de se jeter sur Arthur et de le plaquer de nouveau au mur avant de lui foutre une droite bien placée en plein sur la joue. Il se recula, essoufflé, et regarda Arthur se tenir la mâchoire, qui tombait désormais de façon sinistre d'un côté plus que de l'autre.
Puis, Arthur se jeta à son tour sur Justin et les coups plurent de tous les côtés. Des voix retentissaient autour d'eux, des passants essayaient même de les séparer mais aucun n'y prêtait attention. Ils ne pensaient qu'à se blesser, qu'à se faire du mal. Ils mettaient dans leurs poings tout ce qu'ils n'avaient pas eu le temps de se dire.
Justin eut le temps de se prendre un gros coup de pied dans le tibia et une droite sous l'œil quand un homme arriva enfin à les séparer. Il n'avait plus de souffle et appuya ses mains sur ses genoux en regardant Arthur cracher par terre, les dents rougies par le sang qu'il avait dans la bouche. Puis, après s'être fusillés mutuellement du regard pendant quelques instants supplémentaires, il se détourna.
Et derrière le type qui l'avait empêché de tuer Arthur, il aperçut Clare. Clare, qui avait les larmes aux yeux. Clare qui n'arrivait même pas à soutenir son regard. Clare qui transpirait la déception. Clare qui doutait de ses sentiments. À cet instant, Justin comprend qu'Arthur avait raison.
Il est en train de rendre Clare malheureuse.
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