4 : Surmonter sa peur du noir
(21.10) partiels dans genre trois mois & j'ai rien foutu nickel
T'ES MON AMOUREUX TOI (-Clare)
...
Quand Francisco demandait à ses potes de venir chez lui, c'était toujours un événement. Non seulement parce que ça n'arrivait jamais, mais aussi parce qu'il avait toujours des restes de bouffe que sa mère lui envoyait chaque semaine par colis. Et si une personne sur cette terre avait eu le don de cuisiner comme une déesse, c'était bien sa mère.
Aussi, chaque fois qu'ils se retrouvaient dans le minuscule deux pièces, ils s'affalaient tous sur le clic-clac -déplié à moitié, la pièce était trop petite pour le laisser en entier ET pour y caler une table à manger- et bouffaient des tapas et autres mets espagnols en essayant de limiter les dégâts sur la couette. Peut-être que si Fran ne les invitait jamais chez lui c'était pour éviter de changer ses draps à chaque fois, en fin de compte.
-Ch'est vraiment trop bon, dit Arthur entre deux bouchées d'un sandwich au chorizo.
-J'ai envoyé une photo de vous en train de vous gaver à ma mère et elle m'a répondu 'MDR ils sont fun tes cops'. Je sais plus où me mettre, dit Fran.
Justin se mit à rire avant d'enfourner une cuillère de salade de pâtes dans sa bouche. C'était tout simplement délicieux, et il ne put s'empêcher de se dire qu'il aurait bien aimé savoir cuisiner comme ça, lui aussi. Parce qu'à part du riz cramé et des pommes de terre surgelées, il ne savait pas faire grand chose.
-Ta mère est vraiment une déesse, dit Louise en fermant les yeux.
-J'approuve, dit Noam en passant un bras autour des épaules de sa copine.
Depuis quelques jours, tout était revenu à la normale entre eux. Ils essayaient d'aller de l'avant, et ils avaient compris qu'il fallait traverser tout cela ensemble. Depuis qu'ils s'étaient réconciliés, ils n'allaient plus nulle part sans l'autre. Arthur les avait même croisés aux toilettes ensemble, traumatisme dont il ne pourrait plus jamais se défaire.
Le groupe était enfin au complet, chose qui n'était pas arrivée depuis le début de l'année. Francisco l'hôte de la journée remplissait son rôle à merveille, Noam et Louise -qui ne formaient plus qu'un- étaient à moitié allongés l'un sur l'autre, Arthur mangeait comme un ogre et Audrey, la 'débile' du groupe -ne vous méprenez pas, c'est très affectif- était assise par terre, calée contre le lit.
-D'ailleurs, il fallait que je vous montre un truc, dit Francisco en se levant. Enfin, deux trucs, pour être précis.
Il fouilla dans le tiroir de sa commode et leur tendit un papier avant d'aller sur le balcon et de revenir les bras chargés.
-Oh mon dieu ! s'exclama Louise, attendrie. Ce sont des...
-Des chattes ? compléta Audrey en arquant un sourcil.
Justin leva les yeux au ciel, amusé.
-Junkie a mis bas à quatre petits cette semaine. Un gamin de l'immeuble m'en a déjà pris deux, et je voulais vous les proposer avant d'envoyer les autres je-ne-sais-comment à ma mère.
Junkie était le chat de Francisco. À son arrivée en France il y a déjà trois ans, il se sentait un peu seul dans son appartement et n'arrivait pas très bien à se faire des amis à cause de ses difficultés à s'exprimer en français. Et un soir, alors qu'il regardait paisiblement Netflix dans son canapé, il avait entendu miauler sur le balcon. Il avait alors trouvé un petit chat tout noir avec un œil en moins. Après une visite chez le vétérinaire, Fran avait compris qu'il n'avait pas de maître et avait pris cela comme un coup du destin. Il ne s'était jamais senti aussi seul et voilà qu'un chat débarquait de nulle part, comme ça ! Impossible que ça soit par hasard.
Quant au nom, il ne lui en avait pas donné pendant deux mois, et il avait rencontré Justin, Arthur et Noam à ce moment-là. Ils avaient choisi le nom ensemble lors de l'une de leurs rares soirées dans l'appartement, juste après avoir partagé un vieux joint refilé par le frère d'Arthur. Ils ne devaient pas avoir l'esprit très clair, visiblement.
Francisco ouvrit les bras et les laissa s'échapper. L'un d'eux fuit aussitôt dans la cuisine tandis que l'autre les rejoignit directement sur le lit. Il renifla le sandwich d'Arthur, puis alla se caler contre la cuisse de Justin tout naturellement.
-Il est adorable, dit alors le brun en le caressant.
Le chaton se mit à ronronner, signe qu'il appréciait.
-Il est où, le ptit rebelle ? dit Louise. Je veux bien l'autre, moi. Celui-là est déjà pris visiblement, ajouta-elle avec un sourire en coin.
Justin continuait de le caresser, attendri. Il avait toujours voulu un animal de compagnie mais ses parents n'avaient jamais été d'accords. Mais il avait vingt ans maintenant, et il était temps qu'il prenne des décisions tout seul. Et puis, il pourrait se contenter de laisser le chaton dans sa chambre ou de le cacher chez Clare.
Le cacher chez Clare ! pensa-il comme une illumination.
-Je le garde, dit-il en lui grattouillant le ventre.
-Tu vas l'appeler comment ? demanda Francisco, visiblement fier de son idée de les avoir montrés à ses amis.
-Vous proposez quoi ?
Aussitôt la question posée, aussitôt regrettée. Ses amis se mirent à crier des noms plus ridicules les uns que les autres.
-Croquette !
-Ça fait chien, ça ! Pourquoi pas kiki tant que t'y es ?
-T'as qu'à l'appeler Marie-Jeanne, comme marijuana !
-Moi j'aime bien croquette.
Justin grimaça, puis s'exclama d'une voix forte :
-Okéééé, merci de vos propositions mais je vais me débrouiller tout seul.
-Moi je trouvais que Croquette c'était vraiment cool, bouda alors Audrey en croisant les bras.
-Mon dieu Audrey, va apprendre tes tables de multiplication au lieu de jouer au 'qui débite le plus de conneries en une minute', rétorqua Justin en roulant des yeux.
La blonde lui tira la langue avant de lui balancer une assiette remplie de sauce pimentée, qui s'étala inévitablement à moitié sur le pull de Justin et à moitié sur le lit.
Décidément, le lit n'était pas resté propre bien longtemps.
...
-Justin ?
Et merde, articula-il silencieusement.
Il avait pris toutes les précautions possibles et imaginables pour ne pas faire trop de bruit et cacher le chat dans sa chambre sans encombre. Il avait commencé par enlever ses chaussures avant d'entrer, par rentrer la clé tout doucement dans la serrure et par ouvrir la porte dans un cliquetis discret. Et pourtant, il s'était fait cramer. Pas très doué, le Juju.
-Je suis là, deux minutes ! s'écria-il en refermant la porte à toute vitesse.
-Je viens te dire bonjour, dit alors sa mère dont les pas sonores se rapprochaient.
-Non, non, je suis, euh... Je suis nu ! improvisa-il en se précipitant dans l'escalier.
-Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? rétorqua sa mère d'une voix forte en débarquant dans l'entrée.
Justin monta les marches cinq par cinq et manqua de se déboîter la cheville par deux fois mais ne s'arrêta pas avant d'avoir claqué la porte de sa chambre. Il libéra alors le chat dans sa piaule et referma la fenêtre, que sa mère avait sûrement du ouvrir pour aérer en son absence.
-Tu restes calme, hein ? murmura-il.
Heureusement, le chaton s'était déjà installé sur son lit et avait posé la tête sur un coussin, sage comme une image. Justin ne s'en fit pas plus et retourna dans l'entrée, où sa mère était restée plantée, les poings sur les hanches.
-Alors comme ça tu sors tout nu dehors, maintenant ? dit-elle en fronçant les sourcils.
-Désolé, c'était une excuse nulle, je... dit-il en se creusant la tête.
Il regarda désespérément autour de lui à la recherche d'une idée, et son regard s'accrocha au petit sapin odorant que son père accrochait à son tableau de bord et qu'il avait du oublier d'emporter en partant.
-C'était ton cadeau de Noël ! s'exclama-il alors, fier de son idée. J'allais pas te spoiler tout de suite, quand même.
-Noël, déjà ? C'est bien la première fois que tu es plus organisé que moi, dit-elle avec un sourire en le serrant contre lui. Tiens, viens dans la cuisine et raconte-moi ta vie, un peu !
Justin esquissa un grand sourire et la suivit jusque dans la cuisine, où flottait une bonne odeur de pain d'épice. En automne, sa mère en faisait toutes les semaines pour les manger en famille au goûter le dimanche. Justin n'avait jamais aimé ça, mais il se forçait à chaque fois à manger sa part pour faire plaisir à sa mère. Il n'avait jamais voulu la contrarier en lui avouant qu'il n'aimait pas ça. Cependant, même si le goût ne lui plaisait pas, il adorait l'odeur.
Justin raconta ses dernières sorties entre amis et lui parla de Noam et de son bébé qui allait déjà bientôt arriver, et du courage de celui-ci d'en avoir enfin parlé à tous ses amis.
-Et tes cours, alors ? demanda soudainement sa mère, en train de saupoudrer les pains d'épices de sucre glace -sa petite touche personnelle.
-Euh, plutôt cool.
-Mais encore ?
Justin bredouilla quelques mythos sur un prof qui ne parlait pas assez fort dans l'amphi et sur la propreté des toilettes avant de poser des questions à sa mère sur son travail pour changer de sujet. En réalité, ça faisait déjà une semaine qu'il n'était pas allé en cours. Il avait remplacé un collègue au McDo qui était parti en urgence aux Pays-Bas pour voir son frère malade, et il avait bossé dix heures par jour de huit heures du matin jusqu'à dix-huit heures. Pas une minute pour aller en cours, donc. Mais après tout, si même lui n'en avait plus rien à faire, qui pouvait bien s'en soucier ?
Sûrement sa mère, mais Justin chassa cette pensée en un battement de cil et essaya de se concentrer sur autre chose que la boule grandissante dans sa gorge, parce que décevoir sa mère était son pire cauchemar.
Tout le monde, mais pas elle.
...
-Non mais je rêve, tu comptes m'accompagner à toutes mes soirées maintenant ?! râla Elo, les bras croisés sur sa poitrine.
Malgré son trench coat vert sapin qui lui donnait l'air d'une daronne, malgré son trait épais d'eye-liner qui soulignaient ses yeux en amande et malgré ses bottines en cuir noir avec de hauts talons à ses pieds, elle semblait toute petite. Peut-être que Justin ne la laisserait jamais vraiment grandir, de toute façon. Elle était sa petite sœur et il n'espérait pas que cela change de sitôt.
-Tu m'accompagnes toujours, rectifia-t-il. C'est un de mes potes qui organise la soirée, je te ferais dire.
-Arthur est aussi mon pote, dit-elle d'un air de défi en le foudroyant de son regard noir.
-Et depuis quand madame ? rétorqua-t-il d'un air sarcastique en arquant un sourcil. Aux dernières nouvelles c'était un 'abruti fini avec une paire de couilles de la taille de mon compte en banque'. Tes mots, pas les miens, ajouta-il en levant les deux mains en l'air comme pour prouver son innocence.
Elo poussa un soupir sonore, réprimant malgré tout un sourire. Justin la connaissait vraiment par terre.
-Tu m'emmerdes, lâcha-elle. J'ai déjà demandé à Léo de passer me chercher, et il est en chemin.
-Il n'aura qu'à me déposer.
-Mais bien sûr, répliqua-elle d'un air tout sauf ravi en levant les yeux au ciel.
-Merci, petite sœur. Je savais que je pouvais compter sur toi, dit-il en lui donnant un petit coup de poing dans l'épaule.
-Aïe ! Gros con ! s'exclama-elle en répliquant avec une grande claque derrière la tête, qui était bien plus forte que le coup initial.
-T'es tarée ou quoi ? Je t'ai frappée beaucoup moins fort ! se défendit Justin en se frottant la tête.
-C'est toi, le taré ! dit-elle avec un regard noir qui en aurait tenu plus d'un à distance. Je me suis fait vacciner hier imbécile, j'ai un gros pansement à l'épaule et j'ai encore mal alors t'as pas intérêt à... OH PUTAIN DE SA MÈRE DE DIEU TU M'EXPLIQUES POURQUOI TON CALEÇON EST EN TRAIN D'AVANCER VERS NOUS ?!
Face aux cris de sa sœur, Justin sursauta si fort qu'il manqua de se payer sa table de chevet. Heureusement, il se rattrapa avec sa main gauche et observa le short rouge qui avançait en zigzaguant.
-Tranquille, c'est juste Amster', dit-il en libérant le chat.
Il envoya valser le bout de tissu dans sa chambre sans s'en préoccuper et prit le chaton sur ses genoux, qui se mit aussitôt à ronronner.
-Amster' ? répéta Elo, les yeux écarquillés.
-Oui, Amsterdam. Je trouvais que ça faisais un peu Casa De Papel, tu vois. Stylé, non ?
Elo n'eut même pas la force de pousser un soupir et se laissa tomber sur la chaise la plus proche, toujours sans cligner des yeux. Elle avait l'air vidée.
-J'en reviens pas, dit-elle tout bas. Tu caches un chat dans ta chambre ? Mais depuis quand ?! s'exclama-elle.
-Arrête de gueuler ! se défendit-il en accompagnant sa phrase d'un mouvement de main insistant pour mieux marquer sa demande. Et je le cache pas : je le garde secret, nuance. Et ça fait que quatre jours.
-Moi qui me demandais d'où venais cette affreuse odeur de pisse sur ton tapis, j'ai maintenant la confirmation que tu ne t'es pas joint à une secte qui fait ses besoin sur un tapis en guise de rite de passage.
Justin lui adressa un regard sévère tandis qu'Elo retenait un rire. Puis, la brune se leva et alla jusqu'à la porte sans même toucher au chat.
-Si maman le trouve, t'es foutu. Genre, vraiment foutu.
-Quoi, tu l'aimes pas ? demanda Justin.
-J'ai pas dit ça, dit-elle en se mordant la lèvre. Disons plutôt que son existence ne m'enchante pas particulièrement.
-Pourtant regarde sa petite bouille ! dit Justin d'une voix d'enfant en écrasant les joues du chat entre ses doigts.
Amsterdam, aussi sage que d'habitude, se laissa totalement faire et se contenta de dévisager Elo de ses petits yeux bleus.
-Ok, il est mignon, concéda la brune en passant une mèche de cheveux derrière ton oreille. Mais ça veut pas dire que je valide ! ajouta-elle pour contrer le sourire satisfait de son abruti de frère.
-C'est ça, c'est ça, dit Justin. T'as entendu loulou ? Elo t'adore, c'est ta maman ! Bah oui loulou ! C'est ta maman ! dit-il d'une voix complètement gaga en parlant à son chat.
-T'as vraiment un pet au casque, commenta Elo comme si elle le jugeait avec toute la force qu'elle possédait.
Pile à cet instant, la sonnette retentit et Elo poussa de nombreux jurons en dévalant l'escalier du genre 'putain tu m'as mise en retard' ou 'putain tu m'énerves' ou encore 'putain de putain'. très axé sur le 'putain', en fait.
Justin embrassa rapidement le chaton, vérifia que la fenêtre était bien fermée -ça serait bête qu'il se sauve déjà- et attrapa son blouson qui traînait en boule près de son lit -il avait toujours été d'un naturel très soigné, cela va de soi. Ensuite, il fit un dernier au revoir à Amsterdam avant de se glisser hors de sa chambre et de rejoindre Elo en bas. Il passa rapidement par le salon pour saluer sa mère, qui semblait être surprise qu'ils sortent encore. Justin pensa alors qu'elle allait passer une soirée de plus toute seule alors que son mari était au travail, pendant qu'eux s'amuseraient sans même une pensée pour elle. Cette pensée manqua de lui briser le cœur, aussi il ne s'attarda pas et lui murmura un 'je t'aime' à l'oreille avant de rejoindre Elo dans la voiture de Léo.
Bien évidemment, sa peste de sœur avait pris la place à l'avant et il se retrouva coincé sur la minuscule banquette arrière, entouré d'une odeur écœurante de nuggets et de boîtes de mouchoirs -à se demander ce qu'il fout dans sa bagnole, celui-là.
-Salut, ça va ? demanda Léo en lui souriant dans le rétroviseur.
-Très bien et toi ? demanda Justin.
-Super.
Justin n'avait pas assez de courage pour continuer à échanger des banalités, aussi il fit mine de se concentrer sur le paysage et laissa Elo meubler la conversation. Il les écouta distraitement parler du stage de Léo, mais la brune changea vite de sujet. Visiblement, elle n'avait toujours pas de stage et cela semblait la stresser au plus haut point. Ensuite, ils se mirent à discuter de la vieille coloc' de Léo et quand Justin entendit le mot 'liste de courses' il décida de décrocher complètement de la conversation. Il avait juste hâte d'arriver là-bas et de boire un shot ou deux pour se vider la tête avec ses amis.
Une fois garés, Justin ne perdit pas une minute et quitta la voiture rapidement. Il n'attendit pas les tourtereaux pour passer le portillon et entrer dans la maison sans frapper. Il avait à peine fait deux pas que Fran passa un bras autour de ses épaules, visiblement un peu éméché.
-Coucou Jujuuuuu ! s'exclama-il en faisant tanguer son verre.
-Coucou Fran, répondit Justin, mort de rire. Tu devrais poser ça avant d'arroser quelqu'un sans faire exprès.
-T'as lu le papier que j'vous ai donné hier ? demanda-il alors sans aucun lien avec sa question précédente.
-Pas tellement, avoua Justin en essayant tant bien que mal de le stabiliser.
-Bah mon Erasmus se finit à la fin de l'année, dit-il alors, à moitié pompette. Je rentre en Espagne en juillet, youhou ! ajouta-il d'un air sarcastique.
Justin eut l'impression de se prendre une grosse claque en pleine gueule.
Quoi ?
-Tu rentres en Espagne ? répéta-il, sous le choc.
Pendant un instant, il fut trop surpris pour penser à soutenir Fran qui renversa les trois quarts de son verre sur le parquet. Justin fronça les sourcils et lui prit le gobelet des mains, histoire d'arrêter les dégâts.
-J'ai envie de vomir, dit alors Francisco sans répondre à la question que Justin venait de lui poser.
-Et merde, jura Justin en regardant autour de lui à la recherche d'un récipient.
Ses yeux se posèrent sur une fille qui discutait avec deux copines non loin de là et il lui prit son verre des mains sans demander avant le fourrer dans les mains de son ami.
-Vise bien s'il te plaît, demanda-il alors d'une voix presque implorante.
Déjà qu'il allait devoir essuyer le liquide qu'il avait renversé, alors s'il pouvait éviter de jouer l'agent d'entretien avec le vomi ça l'arrangeait bien.
Francisco se mit alors à vomir dans le verre tandis que Justin lui frottait le dos en grimaçant. Les gens autour d'eux avaient tous reculé et certains affichaient une moue profondément dégoûtée, qui poussa Justin à lâcher un 'désolé' sonore tant il était mal à l'aise. Finalement, quand Francisco eut réussi par un miracle sans nom à vomir à peu près dans le verre, Justin balança le gobelet dans le sac poubelle le plus proche et l'entraîna dans une chambre.
-Besoin d'aide ?
Justin manqua de se déboîter le cou lorsqu'il tourna la tête, à cause de Francisco qui s'appuyait sur lui de toutes ses forces.
-Je dis pas non, dit-il sans même apercevoir son interlocuteur.
Justin aperçut seulement des cheveux blonds se poster à sa gauche et soudain, Fran lui parut beaucoup plus léger. Après un effort surhumain, ils arrivèrent à le caler sur le lit. Justin tira la couette de toutes ses forces pour la passer par-dessus son ami, et l'enroula dedans pour l'empêcher de tomber du lit -bourré, il en était tout à fait capable.
-Il faudrait peut-être dire à ton pote d'arrêter d'aller à la salle ; je viens de me déboîter l'épaule, dit alors la fille à côté de lui en se frottant le cou.
Malgré la semi-obscurité, Justin reconnut enfin Amanda, celle qui s'était incrustée à leur soirée au bar il y a quelques temps et avait qui il avait bu de l'eau de vie l'autre soir. Ce n'était pas une rencontre désagréable, seulement une rencontre impromptue.
-Ah, Amanda, dit-il alors.
-Hé ouais. D'ailleurs, tu me dois un verre puisque le dernier a servi de ramasse-vomi.
La blonde avait relevé ses cheveux en deux petits chignons sur les côtés de sa tête, et ses bonnes joues étaient encadrés par d'immenses créoles dorées. Si elle ne portait pas un short aussi court avec son haut transparent de haut en bas, on n'aurait pas pu lui donner plus de quinze ans.
-Ça marche, dit alors Justin.
La jeune femme arbora alors un sourire satisfait et ils quittèrent la chambre ensemble, non sans établir que Fran allait bien. Justin prit la peine de déposer une bassine à côté de lui au cas où, et vérifia qu'il s'était bel et bien endormi. Heureusement, celui-ci dormait à poings fermés. Un sentiment de culpabilité envahit alors Justin et il se fit la promesse d'offrir un seul verre à Amanda puis de revenir ici.
En retournant de le salon, ils croisèrent Arthur qui était appuyé le dos contre la rampe d'escalier, les yeux sur son portable. Il était tout sourire, comme si la discussion qu'il avait le rendait tout heureux.
-Il a l'air de s'amuser, glissa Amanda à l'oreille de Justin avec un léger sourire.
Celui-ci haussa les épaules et se contenta de donner un petit coup dans l'épaule d'Arthur pour le saluer en passant.
Une fois dans la cuisine, Justin demanda :
-T'étais en train de boire quoi ?
-Je sais plus trop, avoua la blonde en jouant avec une mèche de cheveux. Surprends-moi.
Justin soutint son regard un instant, puis fronça les sourcils avant de se détourner vers les bouteilles entassées sur le comptoir. Cette fille était en train de lui faire du charme, et il n'était pas totalement sûr d'être à l'aise avec le concept. D'autant plus que Clare lui avait bien fait comprendre qu'elle n'aimait pas Amanda.
Un verre et puis c'est tout, se répéta Justin.
Il choisit deux bouteilles au hasard et les mélangea dans un fond de verre avant d'ajouter de l'Ice Tea.
-J'espère que ça sera assez fort pour toi, dit-il avec un sourire en lui tendant son verre.
-On n'a qu'à dire que s'il est trop faible tu m'en paieras un autre un de ces jours. Tu sais, pour te faire pardonner, dit-elle devant l'air perplexe de Justin avant de boire le verre cul sec comme s'il s'agissait de dix centilitres d'eau.
Justin arqua un sourcil, étonné. Décidément, cette fille tenait bien l'alcool. Dans un sens c'était assez effrayant de se dire qu'en buvant le même nombre de verres qu'elle, elle serait toujours aussi lucide tandis que tous les autres seraient à genoux.
-Même pas un sursaut ; une vraie polonaise dans l'âme, remarqua-il en applaudissant alors qu'elle reposait le verre sur le comptoir.
-Il en faut beaucoup pour me saouler, rétorqua-elle avec un grand sourire. Et toi, alors ? T'as pas soif ? dit-elle en s'approchant des bouteilles, son air espiègle toujours sur le visage.
-Pas tellement, le coupa aussitôt Justin. En fait, je vais retourner voir Fran. Je veux être sûre qu'il va bien.
Il emporta la bouteille d'Ice Tea avec lui et déguerpit sans rien dire de plus, décidé à retrouver son ami. Après s'être faufilé entre les corps endiablés sur la piste de danse, il rejoignit la chambre de Fran sans un regard en arrière et pénétra à l'intérieur. Il alluma la lampe de chevet et s'assit sur le bord du lit, profondément fatigué.
-Ça va mon pote ? murmura Justin, presque pour lui même.
La bassine à ses pieds était vide, signe que Francisco n'avait pas bougé d'un millimètre depuis qu'il était sorti. Par simple acquis de conscience -et parce qu'il était sacrément parano-, il passa un doigt sous le nez de son ami pour vérifier qu'il respirait encore. Quoi, on sait jamais !
-C'est quoi ton problème, bordel ? résonna une voix derrière la porte.
Justin sursauta, ne s'attendant pas à entendre quelqu'un dans son dos.
-J'ai aucun problème, répondit une autre voix.
Justin fronça les sourcils. On aurait dit...
-Arthur, merde ! Tu parles avec elle depuis le début de la soirée !
... Arthur et Audrey.
Justin, intrigué, se pencha en arrière pour tenter de les apercevoir. Heureusement, il avait mal fermé la porte et il les repérait dans l'entrebâillement de la porte. D'ici, il voyait la moitié du visage d'Arthur et les cheveux courts d'Audrey au-dessus de son sweat, qui était de dos. Celle-ci ne faisait jamais aucun effort vestimentaire, que ça soit pour aller en cours ou pour le Nouvel An. Elle se baladait toujours avec ses hoodies oversize et ses baskets au pied, qu'elle variait parfois avec des Timberland. Dans un sens, ça faisait partie de son charme -quand il n'était pas gâché par son cerveau très peu fonctionnel.
-On fait rien de mal, se défendit alors Arthur.
-Je suis pas sûre que Justin soit du même avis, rétorqua-elle en croisant les bras.
Le brun eut un mouvement de recul et manqua de tomber sur Fran. Sous le choc, il se leva d'un bond et se dirigea vers la porte.
-Du même avis que qui ? intervint alors une autre voix avant même qu'il n'arrive à l'entrée de la chambre.
Il se figea aussitôt, reconnaissant cette voix entre mille. C'était Elo, qui tombait toujours à pic. Toujours prête à le défendre, à se mettre le monde à dos contre lui. Et même si à première vue elle semblait très calme, Justin la connaissait par cœur. Personne n'avait intérêt à lui faire du mal, sinon elle serait la première à aller se battre, parce qu'Elo était comme ça. Elle ne restait pas à l'arrière, elle allait directement au front sans demander l'avis de personne.
-Personne, retentit alors la voix d'Arthur, à mi-chemin entre gêne et colère.
Justin imaginait très bien la situation. Audrey devait s'appliquer à fusiller Arthur du regard avec toute l'intensité possible, Arthur devait avoir envie de l'étrangler en priant qu'elle se taise et Elo devait les regarder tour à tour, l'air concerné par la situation. Les entrailles de Justin se tordaient dans tous les sens, et il avait le souffle court.
Pourquoi est-ce que même lorsqu'il n'était pas là, tout le monde se mêlait de ses affaires ? Quant à cet abruti d'Arthur, ils allaient bientôt avoir une conversation. Une grosse conversation, de préférence.
Après un silence épais, des pas sonores qui s'éloignaient se firent entendre, signe que le groupe se dispersait. Justin retourna auprès de Fran, troublé. Il avait à peine posé ses fesses sur le lit que la porte derrière lui s'ouvrit.
-Ah, t'es là, dit alors Elo en refermant soigneusement la porte derrière elle.
Justin haussa une épaule et se concentra sur Fran, qui était en train de remuer. Celui-ci se contenta juste de se retourner, profondément endormi.
-T'avais raison, Arthur est un connard, dit-elle. Je regrette d'être venue, ajouta-elle d'un air dépité en s'asseyant sur le lit à son tour.
Elle s'assied en tailleur malgré sa jupe, laissant découvrir sa culotte. Justin n'y prêta même pas attention, habitué. Entre sa sœur et lui, il n'y avait jamais eu véritablement de pudeur.
-Il est passé où ton mec ? demanda alors Justin.
-Parti. Cathy a crevé sur l'autoroute, il est allé l'aider. Quel bon samaritain, ajouta-elle avec un air attendri mais empli de déception. Mais bon, au moins j'ai eu mon slow sur la musique de Dirty Dancing avant qu'il me laisse tomber, ajouta-elle en retrouvant un peu son sourire.
-Quel bonhomme, blagua Justin avec un sourire en coin.
-Je l'ai menacé de faire une grève du sexe. D'ailleurs, je t'en veux encore d'avoir balancé ça à maman l'autre soir, ajouta-elle.
-Oups, dit-il d'un air tout sauf désolé.
-Hum.
Elo s'allongea en travers du lit en poussant un soupir, et commença à parler quand la lumière s'éteignit brusquement. Elle poussa un petit cri et Justin sentit son cœur s'accélérer, effrayé.
Depuis qu'il était petit, Justin avait une peur maladive du noir complet. Il avait toujours l'impression que quelqu'un était près de lui, qu'on allait lui faire du mal et qu'il ne pourrait absolument pas se défendre. Il détestait être vulnérable, et le noir le faisait sentir totalement sans défense.
-Merde, merde, merde, jura-il entre ses dents.
-Je m'en occupe, t'en fais pas, dit Elo d'un ton qui se voulut rassurant.
La première fois que Justin avait piqué une crise à cause du noir, il avait seulement sept ans. Il était en vacances avec sa famille à l'île de Ré, et sa veilleuse s'était brusquement éteinte sans raison apparente. Il avait pleuré seul dans son lit pendant de longues minutes, n'osant pas demander de l'aide. Puis Elo avait débarqué sur la pointe des pieds, avait laissé la porte entrouverte et s'était glissée dans le lit avec lui. Elle avait toujours tout compris sans même qu'il ait besoin de prononcer un seul mot.
-L'ampoule a grillé, rien de plus, dit-elle. Aïe !
Justin sursauta, prêt à bondir. Il était totalement en panique, d'autant plus qu'il était en terrain inconnu. Il était tétanisé.
-C'est rien, je me suis juste payée le coin de la table de nuit, le rassura Elo. Foutue table de nuit, ajouta-elle entre ses dents. À quoi ça sert, une table de nuit, même
Un bruit de friction se fit entendre, comme si elle frottait à l'endroit douloureux. Puis, elle conclut d'une voix ferme :
-Attends, je vais ouvrir la porte.
Pendant les secondes qui suivirent, on entendit plus que la respiration forte et irrégulière de Justin et les pas de sa sœur sur le parquet. Puis la porte s'ouvrit, et un rai de lumière envahit la chambre. Le brun prit enfin une grande goulée d'air, soulagé. Pourquoi avait-il aussi peur du noir ?
-Pourquoi est-ce que t'as aussi peur du noir ? demanda alors Elo, comme si elle lisait dans ses pensées.
-Parce que les vrais monstres ne se cachent pas sous ton lit, murmura Justin.
Sa sœur inclina la tête, les sourcils froncés.
-Ils sont dans ta tête, acheva le garçon.
Il y eut un épais silence, comme s'ils avaient été tous deux plongés dans le brouillard et que le monde était soudainement réduit à une étendue grise et insonorisée.
-J'crois que je vais vomir, lâcha alors Francisco, qui venait visiblement de se réveiller.
Et moins de deux minutes plus tard, il répandait le contenu entier de son estomac dans la bassine.
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