🌸 Eclosion 🌸

   Tout ce que je voulais, c'était qu'elle soit heureuse.

   C'était mon unique souhait, ma seule motivation.

   Ma raison de vivre, même si c'était fataliste.

   Et je n'y étais pas parvenue. Ce but avait disparu. La réussite s'était envolée, volatilisée.

   Maintenant, elle ne ressent plus rien, elle ne vit plus.

   J'ai essayé de la faire rire, de la faire pleurer, et bien plus encore. Mais jamais elle n'a réagi.

   Je veux qu'elle revive.

   C'est là ma nouvelle motivation.

***

   — Anna, tu t'ennuies ?

   Cela fait bien une trentaine de minutes qu'elle regarde le mur sans broncher.

   — Peut-être, je sais pas trop.
   — Comment ça ?

   Je ne la comprends même plus. Avant, on s'entendait tellement bien que souvent, on disait les mêmes choses en parlant. Nos discussions étaient passionnées, pleines de vies et des rêves d'enfants que nous espérions réaliser un jour.

   Mais comme on peut facilement s'en douter, ce n'est plus le cas. Un fossé s'est creusé entre nous. Au début, je pensais que c'était à cause de la rupture d'Anna et de l'autre dont je ne connais pas le nom. En fait, je suppose maintenant que cela remonte à bien plus longtemps, quand nous avons commencé à emprunter des chemins différents, que ce soit au niveau des études ou de la vie sociale. Le sentier qui nous réunissait s'est petit à petit divisé en deux.

   Ou l'autre solution, c'est juste que je me prends trop la tête et qu'elle est encore sous le choc.

   Au choix.

   Mais j'aimerais beaucoup que ce soit la deuxième option et que tout soit réparable.

   — Tu veux aller quelque part, Anna ?
   — C'est-à-dire ?
   — Il y a quelque chose qui te ferait plaisir ? insisté-je.
   — Plaisir…? souffle-t-elle pour elle-même.

   Elle baisse le regard du mur quelques instants.

   — Je ne sais pas vraiment.
   — On est en plein mois de mars, les prunus sont en fleurs. On pourrait sortir…
   — Oui…
   — Bon, mets ton manteau. On sort de cet appart' qui pue le renfermé.
   — OK.

   Je lui lance un regard un peu méprisant, bien malgré moi.

   — C'est tout ce que tu trouves à répondre ?
   — Oui.
   — Anna ! m'écrié-je.
   — Quoi ? réplique-t-elle sur la défensive.
   — Je ne sais pas ce qu'il t'arrive en ce moment, mais arrête de prendre cet air blasé ! On m'a appelé trois fois ce matin pour expliquer l'incident d'hier, tu ne peux pas rester les bras croisés ! Sachant que c'est toi qui l'a frappé sans une once de pitié, comme si tu ne ressentais plus rien ! Tu n'as plus aucun sens des responsabilités ! Tu ne peux pas oublier ! Alors au lieu de réprimer tes émotions…
   — Je ne me bats pas contre ce qui n'existe pas, Matt. C'est comme brasser de l'air, ça ne sert à rien, réplique-t-elle.
   — Tu ne vas pas me faire croire que tu ne ressens plus rien ? C'est impossible !
   — Faut croire que si.

   Je vais peut-être réussir à l'agacer, lui prouver que si, elle peut toujours ressentir des émotions, qu'elles soient positives ou négatives.

   — Arrête de te convaincre que ce que tu fais a toujours une explication juste, me reproche-t-elle. Je sais que je peux t'énerver, mais je ne le fais pas exprès. Ce n'est pas par bonté de cœur.

   Elle l'a dit d'une manière si détendue et calme que j'en reste sans voix. Elle m'a percé à jour d'un coup, et d'une justesse sans pareille.

   — Mais si tu le veux vraiment, sortons. Tu as une idée ?

   Je me permets quelques secondes de réflexion. Il faut quelque chose qui lui plaise, et en rapport avec la saison pour que ça ait vraiment un impact dans nos souvenirs. Le lien se fait donc rapidement. Il faut des fleurs.

   — Quel jour sommes-nous ? demandé-je.
   — Le vingt-six mars, seize heures environ, répond Anna après avoir jeté un rapide coup d'œil au calendrier accroché au mur.
   — Hum…

  Je plisse les yeux. Je me vois mal l'accompagner dans un bois pour voir si éventuellement quelques jonquilles ont survécu. Ça ne la toucherait pas assez.

   — Je sais que tu as une idée derrière la tête, à quoi tu penses ? m'interrompt-elle.
   — Tu sais où on peut voir des fleurs ?
   — Ça dépend si tu veux les voir sur le sol ou dans les arbres.
   — C'est-à-dire ? insisté-je.

   Elle me dévisage.

   — Ben, tu veux voir des tulipes ou des fleurs de cerisiers ?
   — C'est toi qui choisis. Je veux te faire plaisir, pas te forcer.
   — Hum… Bah laisse-moi conduire alors, ordonne Anna l'air songeur.

   Je reste dubitatif suite à cette demande — qui n'en est pas une d'ailleurs. Que décide-t-elle de faire au final ? Où va-t-elle nous conduire ?

   Nous nous préparons pour sortir et elle ferme la porte derrière moi. Je reste un instant sur le palier, à dévisager l'endroit où se tenait l'homme battu, et c'est le cas de le dire, à plate couture par Anna. Je me sens mal à l'aise. Je me dépêche de faire quelques petits pas supplémentaires pour m'éloigner de ce lieu hostile.

   En quelques minutes, nous arrivons à la voiture d'Anna. C'est une vieille Modus grise sans trop de charisme avec des égratignures ici et là. Malgré tout, et même s'il s'agit d'une voiture, elle dégage un air rassurant. Je souris : si ce véhicule était une véritable personne, je suis sûr qu'on s'entendrait bien.

   Et Anna me dévisage. Mais bon je commence à avoir l'habitude.

  — Merci pour ce que tu tentes de faire pour moi, déclare soudainement Anna, une fois dans la voiture.
   — C'est honnête ?

   Elle me jette un regard furtif.

   — Je ne sais pas encore. Mais je l'espère.

***

   Une grosse heure plus tard, nous arrivons dans un gigantesque parc. Un lac trône en son milieu et sur des sortes de petites plages, des enfants s'amusent et rient aux éclats. Des grands prunus s'élèvent sur les berges, envoyant lorsque le vent s'y prête des pétales roses dans le ciel. En un mot, ce lieu semble… magique.

   Je décide de prendre les choses en main. Il faut qu'Anna passe une soirée inoubliable, qu'elle soit éblouie par tant de vie. Je jette un rapide coup d'œil vers un grand panneau d'affichage. Le tour du lac semble prendre une petite heure, ce qui est tout à fait raisonnable. Et puis on arrivera à temps pour le coucher de soleil, ce sera parfait.
 
   — Tu veux faire le tour du lac, Anna ? lui proposé-je en désignant le panneau en bois.

   Elle regarde ce dernier en plissant les yeux.

   — D'accord.

   Nous prenons donc le chemin en graviers qui contourne l'eau. Au bout de quelques minutes, les arbres nous entourent de plus en plus. Je reconnais des frênes, des bouleaux et peut-être des saules. L'eau du lac reflète les couleurs des arbres en formant des jolies motifs grâce à ses ondulations. Je prends discrètement une photo et en fait part à Anna, qui malgré tout, se retrouve captivée par les mouvements hypnotisants de l'eau. Elle s'arrête même d'avancer un moment, puis reprend sa marche.

   De temps à autre, nous apercevons des petits oiseaux des bois ainsi que des nids. L'air est calme, paisible. C'est exactement l'endroit que je ne recommanderai pas pour le garder à moi tout seul.

   Soudain, mon regard est attiré par une petite tâche bleue.

   — Anna, regarde, chuchoté-je.

   Son regard suit mon doigt pointé sans trop comprendre.

   — C'est un martin pêcheur, il est très rare d'en apercevoir.

   Malgré sa moue habituelle, elle y prête quand même attention et en prend même une photo. Je souris, j'arrive enfin à la distraire. Peut-être qu'elle s'épanouira-t-elle durant cette soirée ?

   Quand nous retournons enfin à l'entrée du parc, mes pieds me font mal. Il faut dire que je n'avais pas choisi les meilleures chaussures pour marcher. Nous nous dirigeons instinctivement vers la rive où les enfants commencent à partir et nous nous asseyons dans l'herbe. L'air est frais. Nous contemplons le paysage, emmitouflés dans nos manteaux.

   — Je voudrais une glace, déclare finalement Anna.

   Sur le coup, je suis surpris. Cela fait bien quelques jours qu'elle n'a pas exprimé un désir quelconque. Est-ce que ça veut dire qu'elle va mieux ?

   Je tourne la tête vers la droite où se trouve un petit vendeur de glaces. Ce dernier baille un grand coup et commence à ranger son matériel. Je me lève d'un coup et me précipite vers lui. Anna me suit sans trop comprendre mon agitation.

   — Excusez-moi, c'est encore possible de commander ? je demande au vieux monsieur.
   — Oui, répond-t-il avec enthousiasme, que souhaitez-vous ?
  
   Rassuré, je me tourne vers Anna qui me désigne le parfum nougat sur la carte.

   — Alors, ce sera un cornet vanille et un nougat s'il vous plaît.

   Pendant que le glacier s'affaire, nous nous tournons vers la rive. Le soleil commence rapidement à descendre, reflétant sa jolie couleur orangée sur l'eau. Dans peu de temps, il fera nuit.

   — Et d'un ! s'exclame l'homme en me tendant le cornet d'Anna. Vous êtes venus voir le coucher de soleil ?
   — À la base, c'était plutôt les fleurs, je réponds en jetant un rapide coup d'œil à Anna qui fait mine de rien.
   — Vous avez bien fait, ces prunus en fleurs sont magnifiques. Je ne me lasse pas de les admirer ! Mais si vous avez le temps, restez encore un quart d'heure, vous ne le regretterez pas, nous conseille-t-il.
   — D'accord, approuve Anna.

   Je suis presque certain que c'était son véritable objectif. Mais je dois avouer qu'elle a très bon goût. Les arbres roses rendent le lieu idyllique, et si on rajoute un coucher de soleil sur le lac, ça doit être juste incroyable.

   — Et voilà ! termine le glacier en me tendant ma glace.

   Je le paye et nous retournons sur la petite plage. Je retire alors mes chaussures pour aller tremper un orteil dans l'eau.

   — Elle est bonne ?

   Je me retourne vers Anna qui dévore sa glace. Sortir de l'appartement l'a complètement changée. Elle commence à apprécier l'instant présent.

   — Elle est un peu froide, mais rien de dramatique, je lui souris.

   Elle me rejoint peu de temps après. Silencieux, nous nous tenons côte à côte, les pieds dans l'eau, le regard posé sur les arbres de l'autre côté du lac.

   — Oh regarde ! Un poisson ! s'écrit Anna.

   Elle se tourne vers moi les joues rouges.

   — Pardon…
   — T'inquiète, je ris en passant un bras amical sur ses épaules.

   Elle sourit et ne dit rien de plus. Le soleil, petite boule de lumière vive, nous éblouit. Le ciel se teinte de jaune, d'orange, et même de rose. Les nuages forment des strates blanches dans le ciel, le tout se reflétant par magie sur l'eau paisible du lac, tourmentée de temps à autre avec des petits coups de vents. Le cheveux blonds d'Anna dansent autour de son joli visage, et des pétales de fleurs roses s'envolent dans les airs pour se poser délicatement sur le lac.
  
   C'est juste magique.

   Je me tourne vers Anna pour voir sa réaction. Un ruisseau de larmes coule le long de ses joues. Elle a le regard fixé sur l'horizon, passionnée par ce spectacle céleste et coloré.

   — Comment tu te sens ? je lui demande gentiment.

   Elle rit et me regarde, les yeux pétillants.

   — Vivante… et heureuse. Merci !

   Je la prends dans mes bras pendant qu'elle continue de rire de soulagement.

   Finalement, elle avait retrouvé le contrôle de ses émotions.

   Finalement, j'avais réussi à la faire revivre, à la faire renaître.

   Finalement, en ce beau soir de printemps, j'avais mis des étoiles dans son cœur.





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