Chapitre 16: Lucky
Je la voyais fixer l'horizon, les jambes dans le vide. Cela faisait déjà plusieurs fois que je cherchais à lui parler.
Toutes ces allusions que les autres faisaient. Ces références que je ne pouvais comprendre. Je voulais savoir cette vérité, et c'était la mieux placée pour m'y aider.
Les autres m'avaient prévenue qu'elle ne désirait sûrement pas en parler. De peine, ou de peur, les deux pouvaient être une raison à son futur silence, mais c'était également celle de son isolement permanent. Pourtant je devais savoir. Je devais voir ce qu'ils avaient vu, ce qu'ils avaient traversé et ce qu'ils avaient vécu, mais par dessus tout, ce qui les terrifiait. Je devais le ressentir, vivre leurs souvenirs.
Il s'était forcément passé un événement. Un événement grave, voire mortel.
Trop d'incohérences étaient observables pour que rien ne soit arrivé. Leurs airs plus que graves, les rares fois où ils évoquent le passé. Le nombre de rêveurs que nous étions. Ils avaient dit que des nouveaux arrivaient régulièrement, sauf depuis les annonces des épreuves; mais également qu'ils étaient une vingtaine à avoir émergé la première fois. Pourtant, nous n'étions pas beaucoup plus nombreux. Peut-être trois ou quatre de plus. Alors où étaient passés les autres?
Il y avait bien une très grande partie de notre «lieu de réveil», ou plutôt de l'habitacle comme ils l'appellent, qui était encore inconnue. Mais cela paraissait étrange qu'ils se soient en allés là-bas sans laisser la moindre de trace.
Non. C'était tout bonnement improbable.
Et la découverte des armes? Il faut être en danger et en ressentir l'utilité pour les utiliser sans entraînement. Alors où était ce danger? Comment l'ont-ils découvert?
Des événements les avaient choqués, traumatisés, dissipés. Je voulais savoir, du plus profond de mon être, ce qui les tourmentait à ce point.
Je me suis avancée vers la jolie petite fille blonde. Son uniforme blanc et rouge était doucement traversé par le vent. Ses cheveux flottaient au rythme de la brise, et ces yeux fixaient éternellement l'horizon. Elle ne détourna pas du moindre centimètre son regard, lorsque je me suis accoudée à la rambarde du balcon, juste à ses côtés.
-Que veux-tu, la nouvelle? dit-elle d'une voix semblable à un soupir.
-Je cherche à comprendre ce qui s'est passé avant mon arrivée, plus précisément ce qui vous terrifie, toi et les autres.
Elle lâcha un léger rictus, avant de finalement tourner la tête dans ma direction.
-Tu es bien ignorante pour me demander ça. Sais-tu seulement ce que tu veux tant savoir?
-Sais-tu seulement que je ne suis pas voyante? Comment veux-tu que je sache quelque chose que j'ignore? C'est totalement absurde.
Elle ferma ses yeux verts magnifiques, et prit une profonde inspiration. Elle semblait chercher à saisir un peu de courage. Elle avait pourtant bien l'air sûr d'elle lorsqu'elle parlait la petite.
-Très bien. Je vais te montrer. Mais je te préviens, tu es responsable de ce que tu vois. Tu l'as choisi de ton propre chef et personne ne t'a incitée à le faire. Alors ne cherche même pas à faire des reproches à qui que ce soit après ça. Tu ne sais pas ce que c'est que de se battre pour sa vie. Tu ne connais pas la véritable sensation de danger, ni même le sens l'exact, la définition du mot survie. Si ton désir est toujours celui de savoir, alors je t'aiderai. Mais tu auras pour toujours ces images en boucle dans ta tête lorsque tu fermeras les yeux, comme incrustées au plus profond ta mémoire.
On pouvait discerner le sérieux indéniable contenu dans sa voix légèrement tremblante. Ses mots résonnaient dans mes oreilles, tentant de me dissuader de mes propres choix. Ils semblaient pointer du doigts le choix controversé que je désirais faire. Pourtant...
Je ne savais pas si c'était par curiosité au par folie, mais je restais campée sur mes idées. J'étais ferme avec mes choix, et je me sentais prête à les assumer pleinement sous cette identité. Je n'aurais sûrement jamais réussi à certifier ce choix en tant que Lucie; mais en tant que Lucky, la situation était bien différente sur de nombreux points.
-Je veux connaître cette vérité que vous me cachez tous.
Elle se tourna sur elle même, faisant passer ses jambes de l'autre côté de la rambarde, et soulevant légèrement les nombreux plis de sa jupe. Elle était tellement gracieuse dans le moindre de ses mouvements que c'en était presque hypnotisant.
-Puisque c'est ce que tu désires réellement, et bien soit.
Je me sentis envahie d'un fort sentiment de curiosité face à ce qui m'attendait à présent. Ce sentiment envahissait mes veines et m'enivrait.
-La prochaine nuit, lorsque tu immergeras, rejoins-moi en salle de réveil. C'est celle où tu t'es réveillée la seconde nuit, et qui est d'un blanc immaculé. Je t'y retrouverai et je te montrerai ce que tu désires tant savoir.
Je fus étonnée. Pourquoi ne voulait-elle pas aujourd'hui? Pourquoi diable fallait-il encore attendre?
-Pourquoi attendre demain? finis-je par demander, persuadée de n'obtenir aucune réponse, alors qu'elle commençait à quitter le balcon.
Pourtant, contre tout attente, la jeune fille d'une dizaine d'années prit la peine de m'éclairer sur la question.
-Si tu ne cherchais pas à savoir des choses qui ne te concernent pas, tu te souviendrais sûrement que nous allons commencer notre entraînement dans peu de temps. De plus, il faut que j'en parle au reste du groupe. Si l'un d'eux est assez fou pour vouloir revivre ce moment, peut-être découvrirait-il un élément auquel nous avions pas prêté attention la première fois.
Puis elle s'en alla sans demander son reste, un regard rempli d'une profonde tristesse.
L'attente jusqu'à demain soir allait être longue. Car la curiosité ne cessait de me ronger et me dévorer intérieurement, depuis que Prophétie avait accepté ma requête. Ce désir de savoir en était presque insoutenable.
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