Chapitre 1: Lucie

- Lucie...

  Je sentais ma tête tanguer. J'ai fermé mes yeux, tentant de reprendre peu à peu mes esprits. Une migraine fulgurante me saisit tout de même. J'ai péniblement tenté de me calmer en massant doucement mes tempes.

- Lucie ! Est-ce que tu m'écoutes ?

  J'ai ouvert mes yeux avec difficulté, puis je me suis tournée vers mon amie qui me dévisageait sur le siège voisin. Un fort bourdonnement restait gravé au plus profond de mes oreilles, alors que je commençais de nouveau à percevoir le brouhaha du bus.

- Non, désolée Alya. J'ai eu une petite baisse d'attention.

  Je m'attendais à ce qu'elle me réprimande avec ses iris noisette, mais je fus surprise par le contraire. Ses doux yeux semblaient être comme remplis de compassion et de réconfort. Elle était pourtant toujours là pour faire gentiment la morale lorsque je n'étais pas attentive quant il le fallait. Ou encore, comme ces derniers temps où parfois je m'assoupissais en cours. Mais je savais qu'elle faisait ça pour mon bien. Pourtant, en cet instant, on ne voyait qu'une tendre inquiétude à mon égard, et j'en ai un peu souri.

- Tu devrais aller voir un médecin, souffla-t-elle. Voilà plus d'une semaine que tu es victime de somnolence. Tu viens même de finir collée aujourd'hui, car tu t'es endormie en plein cours. Tout ça ne te ressemble pas, et tu commences sérieusement à m'inquiéter.

- C'est promis, je vais voir ça ce soir avec mes parents.

- Enfin une réponse sensée venant de ta part ! approuva mon amie.

  Elle se tourna sur son siège dans ma direction, faisant virvolter ses jolies boucles rousses. Une de ses mèches lui barra le visage et elle souffla dessus, un peu exaspérée, pour l'enlever comme un jeune enfant. J'observais ses moindres gestes avec amusement, guettant tous ses moindre mouvements avant qu'elle ne m'offre un sourire réconfortant. Elle me prit ensuite doucement dans ses bras, et j'en ai profité pour me détendre un peu, me laissant doucement bercé par son accolade.

- Reprenons là où tu t'étais arrêtée, répondis-je lorsque j'ai fini par m'écarter. Que disais-tu ?

  Elle me plaqua son téléphone devant la figure, que je devinais ouvert sur un article de presse.

- Je vais avoir du mal à lire d'aussi près Alya.

- Oups ! Pardon, s'excusa-t-elle en reculant l'écran afin que je puisse le prendre dans mes propres mains.

  J'ai commencé à lire les premières lignes une fois en possession  de l'article, pour connaître la raison de l'humeur bien joyeuse de ma meilleure amie. Mais je me suis bien vite arrêtée en prenant connaissance du sujet.

- Encore un vulgaire bout de papier sur le drame du mois dernier. Que veux-tu que je fasse de ça?

- C'est bien loin d'être un vulgaire bout de papier! affirma-t-elle avec conviction en gesticulant sur son siège. C'est une véritable enquête sur la Nuit Éternelle. C'est une preuve que la mort de ces enfants possède une origine surnaturelle, comme je le défends depuis le début.

  La Nuit Éternelle.

  Depuis bientôt un mois, ce nom est devenu récurent dans les discussions de la vie de tous les jours, ainsi qu'une habitude dans les journaux et les réseaux sociaux. Un bien doux euphémisme pour définir une véritable tragédie, devenue une véritable banalité.

  Pour moi, cela correspond davantage à une absurdité. Sûrement une épidémie encore inconnue ayant emportée les personnes aux défenses immunitaires les plus faibles. Quels pourraient être les raisons du décès mystérieux adolescents, et principalement d'enfants dans tout le pays ? Mais pour Alya, comme pour de nombreuses personnes malheureusement, l'hypothèse du complot ou du surnaturel avait pris le dessus. Comme chaque fois que l'être humain ne parvenait pas à expliquer la situation.

  De quoi alimenter les légendes urbaines pour encore un petit bout de temps grâce à ce mystère.

  Mais pour moi, la science expliquerait le phénomène. Si ce n'est pas maintenant, ce serait plus tard, dans quelques années sûrement. On se rendrait compte à ce moment là de la banalité de ces moments et de la déception qu'est en réalité ce mystère. Triste de le dire de cette façon, mais aucun adulte ne fût recensé comme victime de cette nuit funèbre, alors l'hypothèse d'une faiblesse immunitaire des plus jeunes est pour moi plus que probable.

- Mais regarde, insista pourtant mon amie en me pointant de nouveau l'écran. De nombreux enfants de la famille des victimes parlent de mystérieux rêves, et...

- Et c'est démontré que c'est suite au choc de la perte soudaine et inexpliquée d'un proche. Le cerveau cherche juste à expliquer une chose qu'il ne peut comprendre avec un délire collectif.

Toujours plus dans l'extravagance, jamais dans le rationnel avec Alya.

- Mais ça ne peut pas être une si grande coïncidence Lucie. Avoue pour une fois que ta chère science ne peut pas expliquer tout ça.

- Un simple choc post-traumatique, concluai-je bien trop froidement à mon goût.

J'étais allée un peu fort avec mon amie, et je le regrettais déjà en voyant sa gentille mine attristée.

- Je suis désolée Alya, j'ai parlé de manière bien trop énervée pour si peu. Je te demande pardon.

- Tu es toute excusée, me répondit-elle en m'offrant un de ses charmants sourires.

Le bus s'arrêta à un feu rouge quelques instants, avant de se diriger vers l'arrêt un peu plus loin.

- Tu devrais te préparer à descendre, me prévint gentiment ma meilleure amie.

J'ai hoché la tête comme réponse, puis une fois que j'avais revêtu ma veste, je me suis levée pour quitter le bus en laissant un au revoir à Alya.

J'ai commencé à m'éloigner de l'arrêt de bus pas à pas, en marchant parmi les quelques passants sur le trottoir. J'ai refermé jusqu'au maximum ma veste pour m'y réfugier d'avantage du vent frais du début d'Octobre. Quelques unes de mes courtes mèches blondes étaient plaquées contre mon visage par les courants d'air glacé, me cachant un peu la vue et me faisant marcher sur les premières feuilles mortes de la saison.

Lorsque je fus enfin chez moi, je pris mon courage à deux mains pour parler à mon père sans tarder de ma colle. Je pouvais lire sur son visage la déception que la nouvelle lui procurait. Pourtant il m'afficha ce même sourire qu'Alya, avant de me proposer également de consulter un médecin.

Je réussis à lui décrocher un petit sourire. C'était déjà ça. Je n'aimais pas faire de la peine ou me fâcher avec quelqu'un. Encore moins lorsqu'il s'agissait de ma famille.

Je sortis du salon où je me trouvais , pour me réfugier un moment dans le jardin. J'adorais celui-ci. Je me suis assise sous le grand magnolia qui se trouvait en son centre, et j'ai contemplé le ciel et les nuages, pensive.

Mon entourage avait raison. J'étais étrange ces derniers temps. Souvent fatiguée, la tête à rêvasser. J'étais ailleurs. J'étais dans mon monde.

Celui où je n'étais pas aussi malchanceuse et maladroite. Celui où je faisais preuve de courage comme Alya. Je n'avais pas réellement eu l'occasion de montrer de quoi j'étais capable, et je le regrettais.

Je secouais ma tête pour y chasser cette idée. Je ne devais pas penser de cette manière. Je devais me concentrer sur des choses positives. Il fallait que je prenne un peu plus confiance en moi et en mes capacités. J'en étais capable, je le savais. Je ne suis pas entièrement noire. Je suis grise. Et il faut que je tente de me rapprocher de ce gris clair que j'affectionne tellement.

Une légère brise fraiche de début d'automne soufflait dehors. Elle semblait me bercer, et je finis par m'assoupir, me plongeant pour la première fois dans ce monde que je ne savais expliquer au moyen de ma science si chère.

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