Juste un livre
J'inspire un grand coup. Un sourire étire mes lèvres.
Le parc de mon enfance, il m'a manqué. J'y venais souvent avec mes parents et mon petit frère quand nous étions petits. C'était l'un des rares moments où lui et moi ne nous disputions pas et jouions ensemble. On riait sous le regard protecteur de notre mère, pendant que notre père nous poussait sur la balançoire ou nous poursuivait en courant. Je n'étais pas venue ici depuis si longtemps... Alors, lorsque l'envie de sortir prendre l'air m'a prise, j'ai marché dans la ville et mes pas m'ont portée jusqu'ici. Le toboggan a été retiré du parc malheureusement, mais sinon, rien n'a changé.
Je balaye le paysage du regard et trouve un banc où je m'assied.
L'air est doux, c'est agréable. Une faible brise fait soulever mes cheveux châtains et je la laisse caresser doucement mon visage. Je souris de bien-être et dépose enfin mon sac à côté de moi. Je l'ouvre et en sort un livre. Un magnifique ouvrage à l'allure ancienne: les pages légèrement jaunies, et la couverture uniquement munie d'un titre, sans illustration, "Notre merveilleuse rencontre".
Sachant que j'aime énormément les livres romantiques, ma mère me l'a offert pour mon anniversaire. Elle-même l'avait lu quand elle avait la vingtaine, comme moi, et peu après, elle avait rencontré mon père. C'est pour cela qu'elle l'appelle « le livre de l'amour ».
J'ouvre délicatement mon bouquin là où je l'avais interrompu, et commence à lire.
« Je voulais le rencontrer à nouveau. Mais je n'avais aucune de ses coordonnées. Je n'avais pas son numéro, ni son adresse,... Je ne savais rien de lui. Pas même son nom. Mais je le sentais au fond de moi: il fallait que je le revois. C'était presque devenu vital pour moi. »
Je suis tout de suite absorbée par l'histoire. Je ne suis plus dans ce monde dans lequel je suis née, je suis dans celui que je lis. Malgré tout, je ne peux m'empêcher de me demander ce que ça ferait de ressentir cela. Lorsque je lis, j'arrive à ressentir la peur des personnages, leur tristesse, mais je ne sais jamais si je ressens « correctement » l'amour. Je ne suis malheureusement jamais tombée amoureuse. Est-ce pour cela que j'aime autant les romans d'amour? Je n'en sais rien. J'en lis depuis mon adolescence et à chaque fois, je me suis demandé ce que cela ferait, d'avoir ces papillons dans le ventre, de penser sans cesse à une seule et unique personne, de ressentir comme un besoin vital le fait de le ou la revoir. À chaque fois.
« Il me fallait donc miser sur le destin pour le revoir. Et malheureusement, on ne peut pas le provoquer. Mais au fond, pourquoi pas? »
Forcer le destin? Vouloir aller jusqu'à faire cela pour revoir l'être aimé...
-Hem... Excusez-moi...
Je lève la tête. Un jeune homme brun me regarde. Il a de merveilleux yeux verts.
-Est-ce que je pourrais m'installer sur le banc? Avec vous? ajoute-t-il timidement.
Je me rends compte que je le regarde avec la bouche ouverte et je cligne des yeux.
-Oh euh... Oui, je vous en prie.
Je me pousse un peu sur le côté et dépose mon sac à mes pieds. Il s'installe à ma gauche et me sourit amicalement.
-Alors, qu'est-ce qui vous amène ici? me demande-t-il.
-Je n'en sais rien. Je voulais me promener, et il semblerait que mes pas m'aient portée jusqu'ici. (Je regarde mes pieds, intimidée par cet inconnu.) Et vous?
Il appuie son dos contre le banc en regardant le ciel, comme s'il réfléchissais. Je me surpris à admirer son profil qui, il faut bien l'avouer, étant plutôt séduisant. Je pose mon menton dans ma paume, un sourire sur le visage. Il tourne finalement la tête vers moi et je me redresse, les joues rouges de timidité à l'idée qu'il m'ait vu le contempler.
-Je pense que c'est comme vous. Ce sont mes pas qui m'ont guidé jusqu'à ce banc.
Je déglutit péniblement et détourne le regard.
Nous discutons longtemps. Plus il me parle, et plus j'ai l'impression de le connaître. Tout m'est familier chez cet homme.
Ces yeux verts dans lesquels brille un éclat moqueur, ce sourire à tomber, cet humour un peu débile mais tellement drôle.
Et plus nous discutons, plus je me sens... tomber amoureuse? En tout cas, je suis bien avec lui. Je me sens à l'aise, alors que d'habitude, je ne le suis qu'avec ma famille ou des personnes que je fréquente depuis un certain temps, et encore. Mais avec lui, c'est différent. Il me fait rire, connaît pleins de chanteurs et d'humoristes,... Plein de choses en général. Nous avons beaucoup de choses en commun, je sens le rythme de mon cœur s'accélérer à cette constatation.
Après un long moment qui me paraît trop court, nous nous rendons compte qu'il fait presque noir. Je sens un vent glacé et éternue. Un sourire amusé sur le visage, il me tend un mouchoir. Puis, il enlève sa veste et me la dépose délicatement sur les épaules. Je le regarde, timide, et certainement les joues rouges. Je finis par me lever, à regret.
-Eh bien, je crois que je vais rentrer. Il est tard.
-Bien sûr, en tout cas, ce fut un vrai plaisir de discuter avec vous mademoiselle.
Je prends mon sac et recule doucement, un sourire sur les lèvres. Je me tourne le plus lentement possible.
-Euh, mademoiselle!
Je me retourne d'un coup. Il se tient à côté du banc, un main dans la poche et mon livre dans l'autre.
-Vous oubliez ça.
Je m'avance vers lui. Il tient mon livre comme si c'était la chose la plus précieuse du monde.
-De quoi parle-t-il?
-Oh, c'est... C'est une histoire d'amour.
Il me le tend d'une manière attentionnée, et nos mains se frôlent légèrement. Ce contact est électrique, et j'ai soudain très envie de le prolonger. Je serre mon livre contre ma poitrine.
-Merci beaucoup.
-Les livres sont des objet précieux, vous savez.
-Oh, euh, oui. Bien sûr. Enfin, on peut en racheter, vous savez. En un sens, c'est juste un livre.
Il me lance un regard énigmatique.
-Il n'y a rien qui soit « juste un livre », mademoiselle.
Je baisse timidement le regard sur mon livre.
-Oh, et en fait, dis-je, quel est votre...
Je relève la tête. Mais il n'est déjà plus là.
-...prénom.
Je range distraitement mon livre dans mon sac et rentre chez moi. Je comprends désormais l'héroïne de mon roman. Vouloir à tout prix revoir un inconnu, même sans rien savoir de lui, pas même son prénom...
Une fois devant l'immeuble, je prends l'ascenseur jusqu'au quatrième étage et insère les clés dans la serrure. Je rentre dans l'appartement, vais me changer et me met au lit. J'allume ma lampe de chevet et prend mon livre. Quelque chose sur la couverture attire mon regard. Je hoquette. Là où auparavant il n'y avait qu'un titre, il y a désormais une image. Plus précisément, l'image d'un homme aux yeux verts et au sourire moqueur.
L'homme dont l'héroïne est tombée folle amoureuse.
L'homme que j'ai rencontré au parc tout à l'heure.
Finalement, ce n'est peut-être pas "juste un livre"...
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