Juste...

La nuit est calme. J'aime imaginer Cyril dans notre lit, un livre entre les mains et notre petit chien Tokyo sur les genoux. Ou plutôt en boule sur mon oreiller à mettre ses poils noirs un peu partout.
Je tourne sur mon fauteuil et observe le faux-plafond de mon bureau. J'ai accepté de prendre la garde de nuit de Francine, ma collègue, qui devait veiller auprès de son fils malade. Je comprends facilement son besoin d’être auprès de son petit garçon de sept ans. Une grippe à cet âge n'est jamais drôle. À n'importe lequel d'ailleurs.
Je vérifie une nouvelle fois l'heure sur mon portable. 22H48. Plus que quelques heures et je pourrais enfin rejoindre mon homme.
Thomas frappe à la porte ouverte de mon bureau, habillé de sa veste cirée de fonctionnaire de police.

— Il est tôt pour prendre la poudre d'escampette, plaisanté-je.

Il ne m'offre aucun sourire en réponse et garde son air dur des mauvais jours.

— J'ai reçu un appel de l’hôpital Sainte-Anne. Il y a eu une agression.

Il n'a pas besoin de m'en dire plus que je me lève pour enfiler ma veste à mon tour.

— Merde. Personne n'a appelé le commissariat ?

— De ce qu'on m'a expliqué, un jeune couple aurait retrouvé un homme qui s'était fait tabassé. Ils ont préféré appeler les secours avant la police, m'apprend-t-il. L’hôpital nous a rappelés par la suite.

— Logique dans un sens. Du coup, il y a déjà du monde sur place ?

— L’équipe de Brauvus. C'est arrivé dans le quartier où ils patrouillaient pour tapage.

Un frisson parcourt ma nuque.
Ce n'est qu'une bête coïncidence.
Nous saluons nos collègues qui restent sur place pour la nuit et montons dans un véhicule de police. Je décide d'appeler Cyril pour le prévenir de mon possible retard. Mais ça sonne dans le vide. Je prends tout de même la peine de lui envoyer un message. Thomas me jette un rapide coup d’œil et sourit.

— Ton homme doit sûrement dormir à cette heure-là.

J'ai encore ce mauvais pressentiment, mais passe outre selon son conseil. Encore un réflexe de mon travail de toujours trop m'inquièter.
J'acquiesce et range mon portable dans ma poche et l'observe se concentrer sur la route.
D'abord un collègue, puis devenu un ami avec le temps, Thomas n'a jamais jugé cette partie de ma vie. À vrai dire, je n'ai pas vraiment eu le choix de le nier, le jour où Cyril m'a appelé et que nos deux visages sont apparus sur mon écran juste en dessous de son nom de contact. Amour de ma vie. Rien de très subtile là-dedans. Thomas a souri et m'a proposé un repas pour se présenter mutuellement les personnes qui partageaient nos vies. Yon et Cyril se sont de suite bien entendus. La jeune coréenne a adoré partager des anecdotes sur leurs élèves et les ragots de leurs écoles respectives.

Nous arrivons devant l’hôpital et Thomas se gare près de l'entrée, laissant tout de même le passage aux véhicules des urgences.
Dans le hall, tout le monde se retourne vers nous. Nos tenues bleu nuit ne passent pas inaperçues auprès du corps médical.

— Bonsoir messieurs, nous salue poliment une infirmière à l’accueil.

L'odeur de désinfectant me pique le nez. Je n'ai jamais vraiment apprécié l'odeur aseptisée des hôpitaux, mais pour mon travail de l’instant, je le supporterai.

— Bonsoir. L'homme qui est arrivé ce soir par les urgences pour une agression, vous avez son nom et son numéro de chambre ? l'interroge mon ami.

— Oui, attendez un petit instant...

Elle vérifie dans la base de données et se mordille la lèvre nerveusement. Thomas me donne un coup de coude pour m’empêcher de la fixer trop longtemps. Encore un débordement de ma manie à observer les gens.

— Alors... Quatrième étage, chambre numéro 47, Cyril Thévenet.

La vérité. J'ai l'impression que mon cœur va imploser. Je ne perçois qu'un sifflement à la place de la voix de Thomas. C'est Cyril. Mon Cyril.

Je ne remercie pas l'infirmière et cours jusqu'à l’ascenseur sans attendre mon coéquipier. Je bouscule au passage un médecin pour me rendre rapidement dans une cabine. Engouffré dans le petit espace confiné, je sens un poids tomber au fond de mon estomac. Je suis obligé de poser mes mains sur mes genoux pour ne pas m'effondrer.
En restant précisément ce soir au commissariat, je ne pensais pas avoir à subir ce stress intense. Cyril vient de se faire agresser et je n'ai plus le droit de suivre l'affaire pour une question d’éthique. Putain d'ironie. Je retire rageusement ma veste, abandonnant ma fonction pour ce soir et quitte l'ascenseur à peine les portes en fer ouvertes.

La chambre quarante et une à ma droite, donc la quarante-sept n'est pas loin. Je cours jusqu'au fond du couloir pour sa chambre et un médecin m'interpelle en me disant que l'heure des visites est largement dépassée. Je ne prête pas attention à lui et ouvre à la volée la porte devant laquelle je viens d'arriver. Une infirmière sursaute avec une aiguille dans la main, prête à piquer la poche de perfusion.

— Oh mon dieu ! On n'a pas idée d'ouvrir les portes comme ça ! s'énerve-t-elle.

— Pourquoi ses proches n'ont pas été prévenu ?! éructé-je.

Elle marmonne quelque chose en vérifiant sa feuille de soins. Puis elle observe plus en détail ma tenue.

— Vous êtes de la police ?

J'ai envie de l'insulter devant son air si détaché et le ton froid qu'elle emploie. Cyril est dans un lit d’hôpital, bordel !
Mais heureusement pour nous, Thomas me rejoint enfin et pose sa main sur mon épaule pour m'obliger à me détendre un peu.

— Oui, acquiesce-t-il à ma place. Et mon collègue est le fiancé de Cyril Thévenet.

La femme semble vouloir répliquer, mais se tait et demande à mon ami de bien vouloir la suivre pour parler avec le médecin en charge de son dossier. Il lui demande de l'attendre une petite seconde et presse mon bras avec sa main.

— Donne-moi ton portable. Je vais appeler vos parents.

Je lui tends l'appareil et il quitte la pièce en fermant doucement la porte. Je n'ai pas eu le courage de lui dire que c'était inutile.
Cyril avait coupé les ponts avec sa famille après l'annonce de notre emménagement ensemble et qu'ils avaient extrêmement mal pris. Vu qu'ils supposaient que son homosexualité ou ''découverte du plaisir de la chair avec un homme'' n'était qu'une phase qui se faisait bien longue. Et je n'ai jamais eu le courage de l'avouer aux miens.

Je pose ma veste sur le fauteuil dans un coin de la pièce et le rapproche du lit pour m'effondrer dessus. Je l'observe et constate les dégâts sur son corps.
Sa nuque est rendue rouge par des marques évidentes de strangulation. On a manqué de lui briser le cou. Son visage est couvert d'hématomes, tous plus gros les uns que les autres. Son arcade sourcilière est recousue proprement -oeuvre du corps hospitalier- et sa lèvre supérieure est éclatée. On s'est défoulé purement et simplement sur lui. Mon cœur bat vite et me fait mal. Je me pince fort les lèvres et touche du bout des doigts la paume de sa main froide.

— Mon amour...

Il ne m'offre aucune réaction, si ce n'est une faible pression de ses doigts autour de ma main. Il est au moins conscient du monde qui l'entoure. Tandis que le mien s'effondre. Les larmes coulent le long de mes joues. Les bleus s'étendent sur ses bras. Je pose ma main libre sur sa cuisse. Je sens une matière solide, comme du plâtre. Je n'ose pas imaginer l'état de sa jambe.
Mes doigts partent dans ses cheveux blonds et je relève les mèches collées sur son front pour y déposer un baiser.

— Je suis désolé...

Je ferme les yeux, préférant ne plus le voir dans cet état et quitte la chambre pour m'effondrer une fois dans le couloir. Cyril, l'homme le plus doux de l'univers, s'est fait agressé dans notre quartier. Dans un endroit qui devait être sûr. Notre chez-nous. Un endroit où l'on voulait vivre et élever des enfants. J'ai l'impression que je n'aurai plus jamais le droit à tout ça.
J'entends des pas au travers de mes sanglots et Thomas s'accroupit face à moi. Il me prend dans ses bras. Je pleure contre lui sans parvenir à m’arrêter.
Thomas m'aide à me mettre debout et m'accompagne jusqu'à un siège. Sa main ne quitte pas mon dos.

— Ses parents n'ont pas répondu, m'apprend-t-il.

— Ça m’étonne même pas.

— Les tiens arrivent dans une petite demi-heure.

Je m'essuie les joues et il appelle en coup de vent sa petite-amie pour lui dire ce qu'il est arrivé. Puis il reprend sa place à côté de moi et me tend un mouchoir avec un petit clin d’œil. Je le remercie.

— Le médecin t'a dit ce qu'il s'est passé ?

— T'as envie de savoir ?

— Oui, affirmé-je en jetant le mouchoir usagé à la poubelle.

— Il n'y aura que Cyril qui pourra confirmer, mais apparemment, et avec les blessures, il suppose qu'ils étaient plusieurs. Au moins trois.

Cyril est passé sous leurs coups et leur rage violente. Je ne préfère pas penser que ce soit pour sa sexualité. Il n'y aucune preuve de ça, malgré le fait que je possède un énorme doute. Puis une autre incertitude prend place. Une autre forme de violence inhumaine.

— Ils l'ont pas...

Thomas réfute grandement.

— Non. Aucune trace de ce genre.

Un poids se retire de mon estomac. Je n'aurai pas supporter qu'il vive avec ça en plus.
Je reprends ma place à côté de lui et attends patiemment un signe de mes proches. Le réveil de Cyril ou la venue de mes parents.

Mes géniteurs sont les premiers à se manifester. Thomas me souhaite malgré tout une bonne fin de soirée et retourne travailler pour me laisser avec eux. Ma mère presse le pas pour pouvoir me prendre dans ses bras.

— Mon chéri... Tu vas bien ?

Elle inspecte mon visage sous toutes les coutures.

— Je vais bien, la rassuré-je. C'est Cyril qui a été blessé.

— Ton ami n'a eu que ce qu'il mérite, crache mon géniteur. Quelle idée il a eu à sortir en pleine nuit ?! Il sait que les tafioles dans son genre ont plus de chance de se faire frapper !

Je devrais me taire et encaisser ce qu'il jure. Mais je n'en ai aucune envie. Pas avec la manière qu'il a de parler de mon compagnon allongé sur un lit et dans un état critique.

— Cyril est mon fiancé.

— Pardon ?

— Cyril est mon fiancé, répété-je. Et on se marie dans six mois.

Ma mère me relâche et mon père ricane nerveusement. Il semble prendre mon annonce à la plaisanterie et non comme une véritable confession.

— Tu te moques de moi, j'espère ?

— Pas du tout. On vit ensemble depuis plus de trois ans maintenant et notre relation ne date pas d'hier non plus. Pour tout te dire, ça fait sept ans.

Mon père marmonne quelque chose en se frottant les yeux. Puis il m'offre son plus beau regard accusateur. 

— Tu dois le quitter. Et rapidement.

— Non. J'ai trente-quatre ans, Papa. Je gère ma vie comme je l'entends et je vis avec qui je veux. Je ne te dois plus rien.

— Très bien. Fais l'imbécile à vouloir être différent et prouver que tu vaux plus que les autres si ça te chante. Mais ne compte pas sur moi pour t'aider dans cette affaire. Tu es tout seul maintenant. Et ne comptez pas non plus sur moi pour vous défendre lors du procès. Si sa plainte donne au moins suite.

Mon paternel me tourne le dos et je serre les poings. Ma mère l’appelle puis se retourne vers moi, resserrant son manteau entre ses bras.

— Ton père fait ce qu'il peut pour comprendre, Jeremy. Ce n'est pas simple pour lui.

— Mon compagnon s'est fait agresser en pleine rue. Ce n'est pas simple pour moi non plus.

— Nous n'avions jamais imaginé que Cyril et toi puissiez être... proches de cette manière. Tu le présentais toujours comme ton ami.

— Et pourtant si.

— Tu l'aimes ?

Je hoche vivement la tête. Pense-t-elle que je pourrais épouser un homme sans même l'aimer un minimum ?

— Ça te paraît insensé ?

Elle ne répond rien et se pince les lèvres.

— Tu as passé ton adolescence à nous parler de tes petites-amies. Je n'aurai pas pensé que tu puisses faire ta vie avec un homme.

— Et en quoi il y a une différence du fait qu'il soit un homme ? Je l'aime de la même manière que j'aurai pu aimer une femme. Intensément.

Elle acquiesce faiblement et disparaît dans le couloir en appelant mon père. Je ne m'attendais pas à une autre réaction de leur part.
Je retourne dans la chambre et reprends ma place sur le fauteuil. Je serre doucement les doigts de Cyril. Sa peau est un peu plus chaude, signe qu'il se remet doucement.

Je ne sais pas combien de temps, je passe à ses côtés, attendant qu'il reprenne connaissance, mais dans la nuit, je sens sa main resserrer plus fort la mienne.
Ses paupières s'ouvrent doucement et me laissent voir ses yeux injectés de sang. Il tremble et semble vouloir se raccrocher à mes bras. Je m'allonge avec lui, prenant garde de ne pas appuyer sur ses perfusions et le serre contre moi.

— Chut... Je suis là mon amour...

— Jeremy, j'ai cru que... Qu'ils allaient...

Il tremble plus fort et je dépose un baiser sur son crâne, caressant doucement sa peau pour tenter de l'apaiser.

— Ça va aller... le rassuré-je.

Il secoue la tête et se met à pleurer de longues minutes.

— Tout ce que je voulais, c'était te voir... Je voulais juste te retrouver à ton boulot, te faire une surprise et... Et ils sont arrivés... J'ai essayé de me défendre, mais ils avaient tellement de force. Et leurs mots...

Je suis maintenant empli de rage. Des personnes s'en sont prises à celui que j'aime.

— On ira porter plainte, il y aura un procès et ils seront condamnés pour ce qu'ils t'ont fait.

— Je ne veux pas porter plainte...

Choqué de son aveu, je le tiens moins fort.

— Pourquoi ?

— Je ne me souviens plus de leurs visages.

— Tu as vu l’état dans lequel tu es ? Il faut au moins que tu parles de ce qu'il s'est passé.

— Justement. Je... Je veux juste oublier tout ça. S'il te plaît, Jeremy, ne me force pas à revivre ça... Je veux juste oublier.

J'accepte pour le voir se calmer et il se rapproche davantage. Sa respiration se fait plus lente et il finit par s'endormir dans mes bras. Je repose ma tête sur l'oreiller et le tiens un peu plus. Moi, je n'oublierai pas. Des gens lui ont fait du mal. Des gens viennent de le briser.
Rien ne leur sera pardonné.

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Une agression est en soit une infraction réprimée par le Code Pénal.

Une agression à caractère homophobe est une infraction aggravée entraînant une augmentation des peines encourues.

Il conviendra néanmoins de démontrer le caractère homophobe de l’agression, c’est-à-dire une motivation spéciale de l’auteur des violences.

Démontrée, l'homophobie devient une circonstance aggravante des violences volontaires.
Les violences exercées à l’encontre d’une personne LGBT en raison de son orientation sexuelle consiste une circonstance aggravante dans le Code Pénal.

Mais il est important que les victimes d'homophobie osent rompre la loi du silence et demeurent les agressions dont elles ont pu faire l'objet.  》

Alors s'il vous plaît, ne restez pas muets face à de tels actes. Ils doivent être punis au même titre que n'importe quel acte de violence.

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