☆ Chapitre 7 ☆
*Estella*
― Il le lui a donc pris, souffla Blanche.
― Il voulait peut-être garder un peu d'elle avec lui, suggérai-je.
― Ou simplement lui enlever une chose à laquelle elle tenait... Pour se venger, en quelque sorte, compléta Blanche.
― Oui, bien sûr... C'est bien possible, admis-je.
Soudain, nous entendîmes distinctement la voix de Madame Selanne.
― BLAAAAAAAAAAAANCHE? Viens par ici, veux-tu?
― Je reviens tout de suite, fit Blanche. Attends-moi pour continuer !
Je lui fit signe que j'étais d'accord, puis elle disparut dans l'encadrement de la porte.
Je me levai, et commençai à faire les cent pas dans la chambre de Blanche. Je ressassais les informations que nous venions de découvrir. Ma mère. Elle avait connu Monsieur Selanne. Cela paraissait tellement extravagant ! Et impossible, je devais bien l'avouer... Comment...? Comment était-ce possible ?!
Pourtant, à bien y réfléchir, cela éclaircissait beaucoup de choses: l'étrange haine de Monsieur Selanne envers moi, par exemple.
Même si je ne parvenais toujours pas à m'expliquer le fait qu'il m'ait engagée, s'il me détestait à ce point-là. Et pourquoi il avait soudainement changé d'avis et tenté de me faire renvoyer.
Tout à coup, je ressentis le besoin étrange de savoir. Je devais connaître la vérité.
Non, pensai-je. Non, ne regarde pas ce journal. Tu as promis à Blanche... Qu'est-ce que ça change de l'attendre encore deux minutes?
Et puis je compris. Je souhaitais être seule pour pouvoir assimiler comme je voudrais les informations que je trouverais dans ce document. Je ne pouvais pas supporter l'idée que Blanche me voie dans un état de faiblesse, voire de choc si les révélations étaient trop affreuses.
Et j'avais ce mauvais pressentiment, cet énorme doute, cette hypothèse qui s'était installée dans ma tête et que je ne parvenais pas à faire sortir de mon esprit: Et si... Et si toute cette affaire était liée à la mort de ma mère?
Mes mains tremblaient lorsque je me baissai pour attraper le journal. Je l'ouvris à la page où nous nous en étions arrêtées, Blanche et moi, et continuai la lecture.
Le mercredi 16 août 1865
Ah, ça me met en rage d'imaginer Victoire au bras de cet imbécile! Comment a-t-elle pu le préférer à moi? Il n'est même pas d'une classe sociale convenable et n'a pas un sou. S'il avait eu un gramme d'amour pour elle, il me l'aurait laissée. Et quel culot, tout de même, de la part de cette petite garce! Me laisser tomber comme ça, sans raison valable! Me tromper avec ce paysan! Ils ne s'en sortiront pas comme ça, ni l'un ni l'autre. Je le leur ferai payer...
[...]
Le lundi 1er janvier 1883
Hier soir encore, je suis allé espionner Victoire. Elle fêtait le nouvel an avec LUI. Et SA famille. Je me suis imaginé à SA place, et je l'aurais volontiers tué. Je me suis ensuite rendu chez mon ami Jacques pour la fête. Sa jeune cousine, Marguerite, était présente. Il a tenté, de manière peu subtile, de m'inciter à lui faire la cour, et j'ai décidé d'accepter. Ces derniers temps, j'ai beaucoup réfléchi au sujet de ma descendance et, comme il m'est impossible d'être avec Victoire, je dois bien trouver un moyen. Cette Marguerite semble douce et insignifiante, elle fera une très bonne petite femme.
[...]
Le dimanche 31 août 1883
Aujourd'hui, jour prétendument heureux de LEUR mariage. Et aussi du notre, à Marguerite et à moi. Pur acte de provocation de ma part. C'est sans doute ridiculement puéril, mais j'y tenais. ...Bon, je dois y aller ma future épouse (Pff...) m'appelle.
[...]
Le samedi 22 novembre 1884
Près d'un an que nous tentions d'avoir un enfant, Marguerite et moi, sans résultat. Enfin... Jusqu'à maintenant. Marguerite est enceinte depuis trois mois, nous a décrété le médecin. Mais après cela, elle ne pourra plus avoir d'enfants. Espérons que ce soit un garçon. Ou je devrais me remarier plus tard, et cela risquerait de poser tout un tas de problèmes...
[...]
Le mardi 30 juin 1885
C'est une fille... Elle est venue au monde cet après-midi, vers 16h15... Je peux abandonner mes espoirs d'avoir un garçon, en tout cas avec Marguerite. Elle ne me sers plus à rien. La petite Blanche, notre fille, non plus. De toute manière, je n'ai jamais voulu avoir d'enfants. À part peut-être avec Victoire... Non. Je ferai en sorte d'avoir le moins de responsabilités possible à l'égard de cette petite. Je ne veux pas d'elle. Elle m'est inutile.
[...]
Le vendredi 18 septembre 1885
Elle a eu une fille. Née tôt ce matin. Estella, paraît-il. ET ELLE A ENCORE EU ASSEZ D'IMPERTINENCE POUR M'INVITER À SON BAPTÊME!? Comment peut-elle?! Comment ose-t-elle?! Mais... Je viendrai. Je viendrai, et nous verrons qui mène le jeu.
[...]
Le mardi 22 septembre 1885
Elle est morte. Bel et bien morte. Je n'arrive pas à le croire... Je ne pensais pas... Je l'ai menée à l'écart, au baptême de la petite... Je l'ai frappée... Je l'ai poussée dans un étang, et... Elle a succombé. La police croit à un accident. Comment... Et la petite... Non. Cette Estella est la fille qu'elle a eu avec LUI. Victoire méritait son sort...
La suite était illisible, comme si on avait reversé de l'eau dessus, ou... Des larmes...
Une goutte tomba sur le papier abîmé, et je m'aperçus que je pleurais. Comme peut-être Monsieur Selanne, bien des années plus tôt... Non. Cet homme était un monstre. UN MONSTRE! Il avait tué ma mère! Comment pouvait-il encore vivre?
Je sentis le cri monter dans ma gorge. Je le réprimai tant bien que mal, mais il continua à enfler en moi, jusqu'à exploser, tandis que je pleurais toujours. Un cri de douleur, de colère, de frustration... Un cri de rage, pure et profonde.
Recroquevillée dans le lit de Blanche, je pleurais.
*Blanche*
Contrariée, je pris la direction de ma chambre. Ma mère m'avait annoncé la venue prochaine de Maurice, le garçon auquel j'étais promise, et je n'avais aucune envie de voir ce crétin. Je le détestais profondément et je ne parvenais pas à m'imaginer ce que serait ma vie avec lui. J'avais tenté de parlementer avec elle, mais elle n'avait rien voulu entendre. D'ailleurs, ce n'est pas elle qui décide. Même si je parvenais à la convaincre, il y aurait toujours mon père pour m'imposer sa venue.
Soudain, je crus entendre des sanglots.
Perdue dans mes pensées, je ne m'étais pas aperçue que j'étais arrivée devant la porte de ma chambre. Et les pleurs venaient de là.
Estella! pensai-je, inquiète.
J'ouvris la porte.
Elle se trouvait là, allongée sur mon lit, le journal serrée contre elle. De grosses larmes dégoulinaient sur ses joues, et elle semblait malade.
― Estella, que se passe-t-il?
Elle fit un geste en direction du document.
― Tu l'as lu sans moi?
Je sentais la colère monter.
― TU L'AS LU SANS MOI?!
Elle acquiesça piteusement.
Je me sentais triste. Trahie. Mal. En colère.
Je la regardai, pelotonnée, serrant ses bras comme pour se protéger d'un danger invisible. Elle avait besoin d'aide, je devais l'aider, et pourtant... Mon regard ne put s'empêcher de dévier vers ce qu'elle tenait dans sa main. Le journal.
Et ce fut la colère qui prit le dessus. Sans rien dire, je la dévisageai froidement. Parfois, le silence parle mieux que les mots. Puis, je lui arrachai le document. Mes yeux parcoururent quelques pages, et je saisit quelques mots.
Marguerite.
Mariage.
Estella.
Enfant.
Victoire.
Morte.
Blanche.
Inutile.
Je ne veux pas d'elle.
Je ne veux pas d'elle
Pas d'elle.
Pas d'elle...
Je ne veux pas d'elle...
JE NE VEUX PAS D'ELLE.
Toujours sans un mot je tournai les talons et m'enfuis dans le couloir.
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