☆ Chapitre 10 ☆
*Estella*
Depuis notre dispute et réconciliation, trois jours plus tôt, Blanche et moi ne nous étions plus vraiment parlé, à part quelques mots basiques ou consignes de la vie courante. Nous avions sans doute toutes les deux besoin de calme et de solitude, mais même si quelque part, cela me faisait du bien, je ne pouvais éviter de me sentir blessée par cette attitude.
C'est pourquoi je ne pus cacher ma surprise en la voyant apparaître devant moi, alors que je revenais des cuisines, où j'avais rapporté le plateau qui m'avait servi à transporter le thé pour Madame Selanne. Tandis qu'elle marchait avec assurance, je me fis une fois de plus la réflexion qu'elle était très belle. Ses cheveux clairs, qu'elle avait récemment coupés irrégulièrement au dessus des épaules, contre l'avis de ses parents (et même, pour ainsi dire, dans leur dos) auréolaient son visage fin, lui donnant l'allure d'un ange. Ses yeux bleu pâle semblaient fatigués, et étaient soulignés de profondes cernes mais cela n'altérait pas sa beauté, bien au contraire. Elle n'en paraissait que plus humaine. Son teint laiteux et ses lèvres roses contrastaient avec le noir de ses cils, et la couleur vermeille de sa robe faisait ressortir la pâleur de ses longues mains fines aux ongles rongés. Elle semblait nerveuse, ou agacée, je n'aurais su le dire, mais, comme toujours, elle restait impassible et maîtresse d'elle-même. Son regard agité croisa le mien, et je crus déceler un soupçon de culpabilité. Cela me fut confirmé lorsqu'elle m'interpella, en arrivant à ma hauteur.
― Estella! J'ai... Quelques petites choses à te communiquer.
Puis, ajoutant plus bas:
― Je suis désolée de t'avoir pareillement ignorée, ces derniers jours. Mais j'avais vraiment besoin de temps. Il me fallait réfléchir... À toute cette histoire. Tu comprends?
Je lui assurai que tout était pour le mieux, puis elle se remit à marcher, et je la suivis.
― Tu as peut-être entendu certaines rumeurs, parmi les domestiques, comme quoi nous allons bientôt recevoir la visite de personnes importantes, et de grande qualité, poursuivit Blanche avec une grimace.
J'acquiesçai. Comment ne pas être au courant? Même le plus insignifiant des valets de chambre en aurait entendu parler. La nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre: Les deux fils d'une riche famille, peut-être même plus fortunée que les Selanne eux-mêmes, allaient arriver dans la semaine pour une visite ou je ne savais quoi. Je l'avais entendu dire par l'une des cuisinières, qui le tenait elle-même d'une femme de ménage, qui l'avait appris d'un écuyer, et cetera.
Blanche me le confirma:
― Il s'agit de Maurice et Édouard Arrial. Je suis promise à Maurice, l'aîné.
Elle vérifia que personne ne nous écoutait et me glissa:
― C'est un imbécile. Je ne peux pas le supporter, et encore moins m'imaginer avec lui. Mais c'est ainsi. Il a 19 ans, et son frère 16. Avec Édouard, par contre, on a toujours été amis. Je serai ravie de te le présenter! Je suis sûre que tu l'aimeras bien!
J'acquiesçai, même si j'en doutais un peu. Je n'avais jamais été très à l'aise avec les personnes riches, dont la fortune, je l'estimais, leur montait trop souvent à la tête. Pourtant, Blanche était la preuve vivante qu'ils n'étaient pas tous ainsi.
― Bref, tout ça pour te dire, continua-t-elle, que tu devras être encore plus efficace que d'habitude. Il te faudra nous servir tous à table, t'occuper de leur chambres, et d'eux, dans la mesure du possible. Tu seras bien évidemment épaulée par d'autres filles, mais je sais que je peux compter sur toi.
Je souris, touchée par sa confiance, puis me rembrunis en comprenant que mes heures de libre seraient décidément bien réduites.
― Cela te convient-il? s'enquit Blanche. Parce que sinon, je peux tenter de demander à quelqu'un d'autre...
― Non, non, tout va bien! m'exclamai-je. Pas de problème, ne t'inquiète pas. Je m'en chargerai.
Il s'agira tout simplement de me montrer à la hauteur de cette tâche.
― Quand arrivent-ils? repris-je.
Blanche répondit, l'air un peu tendu:
― Dans deux jours... Je dois t'avouer que je ne me réjouis pas. J'espérais ne pas revoir la tête de mon cher promis avant un certain temps. La dernière fois, il n'a cessé de me traiter comme un objet lui appartenant.
Elle grimaça, et une immense compassion m'envahit. Même si j'étais pauvre et que je vivais bien loin du luxe de la maison des Selanne, il y avait tout de même certains avantages à ma condition, comme par exemple celui de choisir la personne qui partagerait ma vie.
― Veux-tu que je prépare les chambres tout de suite? demandai-je, revenant à mes affaires.
― Volontiers, fit Blanche. Désolée de te surcharger de travail...
― Ce n'est rien! J'y vais.
Une fois arrivée dans la chambre que m'avait indiquée Blanche - une pièce spacieuse et claire décorée avec goût -, je commençai à préparer le nécessaire pour accueillir un invité de marque. Cette chambre allait être celle de Maurice, le promis de Blanche et il fallait qu'elle soit parfaite. Son promis... Sans que je sache pourquoi, ce mot déclencha en moi une pointe d'agacement. Tout le monde devrait pouvoir aimer et épouser qui il veut, et pas uniquement la personne choisie pour lui par des parents pas même soucieux du bien-être de leur enfant. Et il est certain que les Selanne ont choisi ce garçon pour la seule raison que son union avec leur fille leur rapporterait encore plus d'argent qu'ils n'en avaient déjà.
Je songeais à ce que Blanche m'avait dit en m'abordant, avant que nous ne commencions à parler des invités. Elle ne m'en voulait pas. Elle avait juste eu besoin d'un peu de temps.
Ces pensées me rassurèrent un peu, et ce fut à ce moment que je compris qu'en effet, je m'étais inquiétée. J'avais eu peur que la complicité que nous avions peu à peu développée disparaisse à cause de cette stupide histoire. Mais tout allait bien, rien n'avait changé entre Blanche et moi.
Du moins je le croyais...
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