Chapitre XXXII: Le Diamant

( démarrez la vidéo , quand ce sera le moment et laissez vous mène)

Acte 3 : Vers l'inattendue......



Les émotions changent comme les saisons ; elles nous transforment, nous renversent et nous redéfinissent sans que nous le réalisions.
Victor Hugo











Adeola.

Allongée sur le lit de la cabine, j'essaie de me plonger dans le deuxième tome de Devil Son, une main plongeant distraitement dans un sachet de chips. Ici, loin des regards, je peux laisser mes émotions déferler librement sans craindre qu'elles soient captées par Ryan. Il me  serait impossible de lire ce genre de roman en sa présence sans que mon visage me trahisse.

Mais la tranquillité est éphémère. La porte de la cabine s'ouvre brusquement, me faisant sursauter. Je lève les yeux. Ryan est là, son ombre se découpant dans la lumière tamisée du couloir. Il reste un instant immobile, puis incline légèrement la tête en direction de mes jambes, étendues sur presque tout le lit. Un simple geste, suffisant pour qu'un soupir m'échappe. Je me roule lentement contre la paroi près de l'hublot, laissant à contre-cœur une place à ses côtés.

Ryan ne tarde pas à s'effondrer sur le lit, son poids faisant grincer les ressorts. Son parfum familier  , un mélange de cèdre et de musc envahit l'espace exigu, troublant un peu plus mon esprit.

– Darling, qu'est-ce que tu fais ? murmure-t-il d'une voix basse et traînante, presque nonchalante.

Je lève mon livre sans un mot, espérant qu'il comprenne le message : laisse-moi tranquille. Pourtant, l'ombre d'un sourire tente de se frayer un chemin sur mes lèvres, mais je le ravale aussitôt. Il n'a pas besoin de savoir qu'il me déstabilise si facilement.

Le silence s'installe. Intriguée, je tourne la tête vers lui, et nos regards se croisent. Ses yeux sombres semblent danser avec une lueur de malice. Mon cœur rate un battement, et je détourne les yeux aussitôt, sentant mes joues chauffer. Un éclat de rire grave et sincère s'échappe de sa gorge, et malgré moi, je me surprends à apprécier la sonorité.

– Lis ton livre, souffle-t-il finalement, amusé.

Ifé avait raison. Ce type sait exactement ce qu'il fait. Et c'est ça le problème. Pas que je déteste... non. Ce que je déteste, c'est d'apprécier. Cette reconnaissance muette de ses efforts me met hors de moi.

Mais pourquoi maintenant ? Après presque un an de bonjour et de comment tu vas, voilà qu'il se met à flirter ?
Je devrais me méfier. Ce genre de jeu n'a rien d'innocent. Il veut juste passer du bon temps. Peut-être qu'il abandonnera dans deux ou trois semaines s'il n'obtient pas ce qu'il veut.
Alors calme-toi, Adeola. Respire. Et surtout, arrête d'essayer de lui jeter des coups d'œil furtifs.

Un craquement soudain me tire de mes pensées. Je me retourne et découvre Ryan en train de piocher dans mon sachet de chips, l'air parfaitement à l'aise. Il incline le sachet vers moi, son expression presque angélique.

– Je partage toujours tout avec toi, darling. Et toi, tu ne veux pas partager ? lance-t-il, amusé.

Je reprends le sachet en fronçant légèrement les sourcils.

– J'en ai besoin pour supporter mentalement le voyage, et j'étais en train de lire, répliqué-je, la voix un peu plus acérée que prévu.

– D'accord, si tu le dis, répond-il en haussant les épaules, un sourire en coin.

Il se glisse alors sous la couverture, ajuste son oreiller, et s'allonge sur le ventre. La lumière tamisée éclaire son dos tandis qu'il s'installe, détendu comme s'il était chez lui.

– Bonne nuit, darling, murmure-t-il avant de fermer les yeux.

Je le regarde un instant, déconcertée, avant de soupirer. Il a ce don insupportable de m'envahir sans effort. Je me recentre sur mon livre, espérant qu'il suffira à occuper mon esprit troublé. Mais le parfum de Ryan, la chaleur de sa présence, et ce maudit sourire persistent en arrière-plan, refusant de s'effacer..

Je me glisse hors de la couverture, frissonnant légèrement sous l'air froid de la chambre, et me dirige vers les toilettes en tâtonnant dans l'obscurité. Les épiceries américaines, il faut le reconnaître, savent ce que signifie le rapport qualité-prix. Pour tout ce que j'ai acheté  chips, barres chocolatées, jus de fruits . Je n'ai même pas fini les cent dollars. Je me suis retrouvée à rendre la monnaie à Ryan une fois arrivés à l'hôtel.

Une fois dans la salle de bain, je vide ma vessie et remonte mon bas de jogging avant de me contempler un instant dans le miroir. Mes cheveux en bataille, mes cernes naissantes, tout dans mon reflet me rappelle que Morphée tarde encore à me prendre dans ses bras. Soupirant, je retourne dans la chambre.

L'air glacé des altitudes me mord la peau à travers le tissu léger de mon jogging. Pas question de souffrir toute la nuit. De retour dans la chambre, je branche la couverture chauffante et me glisse à nouveau sous celle-ci, profitant de la chaleur réconfortante qui commence à s'infiltrer. Je réajuste soigneusement la couverture sur Ryan, étendu paisiblement à mes côtés. Il dort d'un sommeil si profond que je pourrais en être jalouse. Moi, en revanche, Morphée semble avoir décidé de me faire languir ce soir.

Mon regard vagabonde malgré moi sur son profil, d'abord attiré par sa nuque où ses cheveux sont parfaitement coiffés, comme si chaque mèche avait été placée là par un sculpteur méticuleux.

Ce n'est pas correct, je le sais, mais après tout, il me dévisage sans gêne depuis plusieurs jours, alors ; Pourquoi ne pourrais-je pas me permettre un petit coup d'œil ?

Mon regard glisse le long de son col, qui révèle juste assez de peau pour éveiller ma curiosité. Ses épaules larges tendent le tissu de son t-shirt gris, et ses bras, bien que recouverts, laissent deviner une musculature soigneusement entretenue. L'ourlet du t-shirt dévoile la peau sombre de son avant-bras, une nuance d'ébène qui rappelle la mienne, et sa main repose sous l'oreiller, détendue. L'autre, visible, attire mon attention avec un détail précis : une bague. Son bijou symbolique.

Mon regard suit ses doigts, descend le long des veines qui serpentent sous sa peau jusqu'à son autre bras. Là, quelque chose me frappe. Des traces d'encre vertes émergent sous le tissu. Intriguée, je m'étire pour en voir davantage, mais l'angle ne me suffit pas. Je me redresse alors lentement, prenant soin de ne pas faire de bruit. Les motifs deviennent plus clairs : des lignes géométriques, des formes complexes, et... une boussole. Une petite étoile au centre, avec les lettres N et S gravées aux points opposés.

Mon esprit vagabonde. Une carte sur son bras ? Une boussole ? Rassurez-moi, ce n'est pas une carte au trésor ou un délire de pirate...

Frustrée par ma position, j'étire mon cou, mais la lumière tamisée m'empêche de tout voir. Sans réfléchir, je me redresse lentement, m'appuyant légèrement sur mes genoux pour examiner de plus près. Ses tatouages deviennent plus clairs sous mon regard scrutateur : des lignes nettes et des points qui semblent former une constellation unique sur sa peau. Fascinée, je m'étire un peu plus au-dessus de lui pour capter chaque détail, mais soudain, son bras bouge.

La panique me fige. Je me rabats immédiatement sous la couverture, ma respiration saccadée trahissant l'adrénaline qui coule dans mes veines. Je reste immobile, priant qu'il ne se réveille pas. Après un moment, son souffle reprend un rythme régulier, et je réalise qu'il a simplement changé de position pour masser sa nuque.

Je retiens un soupir de soulagement sous la couverture . Évitons de nous faire prendre, Adeola, me dis-je pour me calmer. Mais une pensée persistante refuse de me quitter. J'aurais bien aimé me rincer l'œil un peu plus...














Ryan .






J'ouvre doucement les paupières. Ma vision, d'abord floue, s'ajuste peu à peu à la lumière du jour filtrant à travers le hublot. Les rayons matinaux baignent la cabine d'une lueur douce et dorée. Devant moi, les nuages s'étirent en vagues cotonneuses, un océan suspendu dans le ciel. Sur ma gauche, elle est là, allongée sous la couverture chauffante, son corps délicatement recroquevillé, le dos tourné vers moi. Je devine qu'elle s'est endormie après avoir observé ce paysage céleste.

Je détourne mon regard pour examiner notre petit espace. Un sachet de bonbons gélifiés gît, ouvert, sur l'oreiller. Une bouteille d'eau trône à côté. Je la saisis, prends une gorgée fraîche et me glisse hors des draps avec précaution. Elle ne bouge pas, et je me félicite intérieurement d'avoir été assez discret.

L'envie de me soulager me pousse à sortir de la cabine..

— Bonjour, monsieur, me salue une hôtesse de l'air impeccablement vêtue, son sourire professionnel éclairant son visage.

— Bonjour, dis-je, distrait, sans ralentir mon pas.

Dans les toilettes exiguës, je me soulage avant de me passer de l'eau sur le visage. Le contact de la fraîcheur contre ma peau me réveille pleinement. Je brosse rapidement mes dents, effaçant les traces du sommeil, et retourne à mon siège.

Assis, la tête contre le dossier, je fixe un moment l'écran éteint devant moi. Mes pensées dérivent jusqu'à elle, derrière la porte de la cabine. Ce voyage, bien que court, porte un goût plaisant , presque étrange. Je fais signe à l'hôtesse.

— Combien d'heures restent-ils ? demandé-je.

— Environ trois heures, monsieur, répond-elle après avoir vérifié sa montre.

— Bien, merci.

Elle me propose un repas, et je décline d'un signe de tête. Pendant qu'elle s'éloigne, je remarque le sac de courses d'Adeola posé sur le siège face à moi. Avec un sourire en coin, je l'ouvre, en tirant un sachet de chips et sa couverture de secours. Cette femme aurait de quoi survivre des jours entiers ici. Je m'enveloppe dans sa seconde couverture et lance un épisode de Snowfall sur l'écran devant moi.

Quelques instants plus tard, elle sort de la cabine, ses traits encore marqués par le sommeil. Ses cheveux, légèrement en désordre, tombent en mèches élégantes autour de son visage.

— Salut, dit-elle, son ton à mi-chemin entre la fatigue et l'agacement.

Ses yeux me demandent clairement de libérer le chemin.

— Enjambe-moi, répliqué-je, un sourire taquin aux lèvres.

Elle plisse les yeux, hésitant, sûrement en train d'évaluer si je prépare un de mes coups. Finalement, elle obtempère. Je sens son hésitation, mais je reste immobile, les yeux rivés à l'écran, comme si sa présence ne me troublait pas. Elle finit par passer, et je devine son froncement de sourcils lorsqu'elle remarque mon inertie.

Patience, darling, pensé-je en esquissant un sourire discret. Si elle croit que mes intentions s'éteindront ici, elle se trompe. Mais pas ici, pas maintenant. Une fois chez nous, je prendrai tout mon temps.

La suite du vol se déroule dans le silence confortable qui caractérise souvent notre vie de couple : chacun absorbé par ses affaires.

   




Je déverrouille la porte d'entrée et un soupir de soulagement s'échappe de ses lèvres, elle se précipite sur le canapé, s'affalant avec une aisance presque enfantine. Sa satisfaction est visible, et je ne peux m'empêcher de ressentir un curieux mélange d'amusement .

Je fais passer nos valises à l'intérieur, montant directement les déposer dans le dressing. Une note mentale : je m'occuperai de défaire tout cela ce soir, lors d'une session nocturne de lessive. De retour au rez-de-chaussée, je prends ma mallette, et au même moment, elle sort de la cuisine avec un sac poubelle en main.

— Je fais un saut à la joaillerie, je reviens, dis-je simplement en me dirigeant vers la porte.

Elle hoche la tête.

Je me gare dans la ruelle derrière la joaillerie familiale. La petite enseigne , discrète mais élégante, projette une lueur dorée dans la petite pénombre .Passant la porte arrière , un employé en costume m'accueille avec respect.

— Bonsoir, monsieur.

— Bonsoir. Le maître est là ?

— Oui, ils sont dans la salle exclusive.

J'hoche la tête, inspirant profondément avant de me diriger vers les escaliers. Cet immeuble, qui abrite la joaillerie familiale, est bien plus qu'un simple lieu de commerce : c'est un sanctuaire. Sous ses fondations, profondément ancrée dans l'histoire de notre famille, se trouve la plus grande salle des coffres que nous possédons, un héritage façonné par des générations de labeur et de tradition.

Cette salle a été construite à une époque où Johannesburg brillait encore du titre de « ville de l'or ». À cette époque, de nombreux marchands y cachaient leurs trésors, mais la plupart de ces lieux ont été saisis lorsque le gouvernement a voulu mettre fin aux trafics qui proliféraient dans l'ombre. Notre salle, cependant, est différente. Ici, tout ce qui repose dans ces coffres nous appartient, sans ambiguïté ni compromis. Chaque diamant a été extrait, taillé et conservé dans le respect des lois et de nos traditions.
Je descends les marches qui mènent au sous-sol, où l'air devient plus frais, presque solennel. À l'entrée, je passe ma carte d'accès sur une serrure électronique. Un bip sonore résonne, suivi du déclic métallique de la porte qui s'ouvre lentement, dévoilant la première salle.

La lumière tamisée éclaire des sculptures et des pièces d'orfèvrerie exposées avec une précision presque muséale. Chaque œuvre, taillée avec soin, raconte une partie de notre histoire : des bagues anciennes offertes pour des alliances, des colliers qui ornaient les femmes de notre lignée , et des pierres brutes, témoins de notre lien direct avec les entrailles de la terre. Le parfum subtil du bois ancien et de la cire d'abeille flotte dans l'air, ajoutant une dimension chaleureuse à l'atmosphère presque sacrée.
Je traverse cette pièce avec respect, conscient de chaque détail qui m'entoure.

Tout ici respire l'héritage et le savoir-faire de ma famille. Au fond, une deuxième porte se dresse. Je l'ouvre avec précaution, la referme derrière moi, puis frappe deux fois sur une porte blindée imposante.
La porte s'ouvre automatiquement, libérant une vague de chaleur. Cette chaleur familière n'est pas désagréable : c'est le signe que le maître artisan est à l'œuvre. L'air est chargé d'une odeur métallique .

À l'intérieur, Lwazi, mon cousin, m'a ouvert. Il est à la fois apprenti et futur forgeron de la famille, destiné à perpétuer ce savoir unique que seuls les Longuti possèdent encore. Même si son héritage paraît moins impressionnant que le mien, il reste un rouage essentiellement de notre essence même. On se fait  un shek rapide et familier. Il me fait un geste de tête pour attirer mon attention sur l'attroupement au fond de la pièce.

   Là-bas, près des tables de travail où les outils scintillent sous la lumière, se tiennent trois figures imposantes : mon père, le sien, et notre oncle Thema.

Ces trois hommes, lorsqu'ils se tiennent ensemble, incarnent le pouvoir et l'autorité de la famille. Leur simple présence peut suffire à plier n'importe quelle situation à leur volonté. Ils discutent à voix basse, leurs silhouettes projetant des ombres longues sur le sol. Ce sont eux qui, d'un simple geste, pourraient faire de ta vie un enfer ou une bénédiction.

— Il sont pas ouf aujourd'hui, me murmure t'il

Je m'approche avec respect, ajustant instinctivement ma posture .

Molo, tata. Molo, katata Thema, Ayanda, saluai-je avec respect en effectuant une légère inclinaison.

Je tends la mallette à mon père, qui l'ouvre pour en vérifier le contenu.

— T'as ramené ses malédictions. Combien cette fois ? demande-t-il sans détourner les yeux des pierres brillantes.

— vingt huit , toutes gravées. J'ai vérifié.

Mon père appelle toujours les diamants des "malédictions". Inutile de chercher à comprendre son raisonnement. Amané est Amané.

— Au moins, on peut compter sur toi comme coursier, ricane Ayanda en jetant un regard en biais à Thema.

Thema, dans sa maîtrise habituelle, lui lance un regard noir avant de détourner les yeux vers des documents qu'il tient en main. Il est le frère cadet de mon père, le plus proche de lui en âge et en complicité, mais aussi son exact opposé. Je ne l'ai jamais vu s'énerver ni même hausser le ton. Contrairement aux tempêtes d'émotions qui traversent Amané plusieurs fois par jour. C'est à même se demander comment il a fait pour régner sur l'empire des Longuti pendant autant année, Thema a dû lui être d'une grande aide .

— J'y vais, dis-je pour écourter l'entrevue .

Mieux vaut fuir avant de devenir leur prochain sujet de débat

— Tu évites ton père, fils ? remarque Amané avec un sourire narquois.

Je lui rends un sourire calme, bien que je sente l'ironie derrière ses mots.

— Je viens juste de rentrer de voyage avec ma femme. On est fatigués.

Son sourire s'élargit légèrement, mais son regard reste perçant.

— J'espère que tu n'as pas trop réfléchi durant ce voyage, rétorque-t-il, sa voix teintée d'ironie

Je rétorque avec désinvolture :

— Joyeux Pâques, lançai-je, désireux de clore la discussion, avant de tourner les talons..

Quand je ressors enfin de l'immeuble, la nuit semble plus sombre qu'à mon arrivée. La lueur blafarde d'un lampadaire éclaire ma voiture, garée seule dans la ruelle. Je prends une grande inspiration avant d'ouvrir la portière et de m'installer derrière le volant.

****démarrez la vidéo



Je roule en silence. Arrêté à un feu rouge, mon regard se perd par la vitre pour faire passer ces maudites cinquante secondes. Sur ma droite, je remarque une fleuriste en train de rassembler son étalage. L'image me fait penser à Émy. Cela fait un moment que je ne lui ai pas rendu visite

Un klaxon retentit derrière moi, me tirant de mes pensées. J'appuie sur l'accélérateur, mais une impulsion me fait faire demi-tour. Je me gare devant la boutique.

— Bonsoir, monsieur, me salue la fleuriste avec un sourire espiègle. Un rendez-vous galant vous attend ?

Sans attendre ma réponse, elle disparaît dans sa boutique. Elle doit avoir l'habitude de ces clients pressés, prêts à tout pour impressionner quelqu'un. Je la suis à l'intérieur, observant l'endroit baigné d'une lumière chaude et tamisée, l'air embaumé d'un mélange de jasmin et de roses fanées.

— Une préférence florale ? demande-t-elle en nouant son tablier derrière son dos.

— Oui. Des tulipes. Mais sans roses.

Elle hoche la tête, approuve d'un sourire et s'affaire derrière son comptoir. Pendant qu'elle compose le bouquet, je laisse mes yeux vagabonder. Son atelier est une explosion de couleurs et de parfums. Les fleurs, impeccablement arrangées, remplissent l'espace d'un parfum doux et naturel, presque apaisant. Vendre des fleurs naturelles en pleine ville est un pari risqué, mais vu son emplacement stratégique, elle doit s'en sortir.

— C'est prêt, monsieur, m'annonce-t-elle en tendant un bouquet délicatement enveloppé.

— Combien ? demandé-je en sortant mon portefeuille.

— Trois cents rands, s'il vous plaît.

Je lui tends les billets, récupère le bouquet et sors de la boutique. Alors que la porte se referme derrière moi, sa voix s'élève doucement :

— Merci pour le pourboire !

Elle a ajouté plus de blanc que les autres couleurs. Je remonte dans ma voiture, pose le bouquet sur le siège passager et prends la direction du cimetière.

Il fait nuit noire, mais je reconnais sans hésitation l'emplacement exact de sa tombe. J'ai arpenté ces lieux trop souvent pour me laisser intimider par l'obscurité. Le froid mordant de l'air nocturne me saisit, mais je n'y prête pas attention. Je dépose le bouquet devant la pierre tombale et reste silencieux un instant, les mains dans les poches..

Un sourire involontaire étire mes lèvres.

— Tu sais, Émy, j'ai décidé de ranger ma vie. Profiter du présent, comme tu me l'avais appris. Même si le présent sans toi, c'est loin d'être ce que j'imaginais
Ma voix résonne faiblement dans la nuit. Je respire profondément, un souffle qui semble emporter une part de ce poids que je porte depuis des années.

Étrangement, je ne me sens pas triste ce soir. Aucun torrent de douleur. Juste une sérénité inattendue.
Est-ce que j'ai enfin fait mon deuil ?

— Pas que je ne veuille plus de toi dans ma vie, mais... tu n'es plus là. Tu ne cours plus jusqu'à moi pour te jeter dans mes bras les matins. Tu ne m'accueilles plus le soir. Et ça en fait beaucoup de matins et de soirs sans toi, Émy.

Je lève les yeux vers le ciel constellé d'étoiles. L'air est glacial, mais apaisant.

— J'ai envie d'avancer maintenant. Je sais que je dis ça souvent, mais cette fois, c'est différent. J'ai envie...

Je m'interromps, surpris par mes propres mots. Un rire léger m'échappe, presque fragile

— J'ai décidé de prendre soin de ma femme. Adeola ne méritait pas ce que j'étais. Elle mérite mieux. Je veux savoir qui elle est vraiment. Tu n'as rien à craindre, vous êtes si différentes. Je ne pourrais jamais te voir en elle. Elle est douce, taciturne. Et, crois-le ou non, je suis certain qu'elle cache un côté bien plus... épicé.

Des souvenirs d'Adeola me traversent : ses playlists envoûtantes, ses perles qui scintillent sur sa peau, ses rares expressions d'audace qu'elle dissimule derrière sa réserve. Et cette image d'elle, sur ce balcon, dans cette robe qui appelait presque à être retirée...

— Tu imagines ? Elle porte des perles, lit des livres aux titres improbables et écoute des chansons qui ne devraient pas être aussi sexy. Summer Walker, H.E.R, SZA... Tout ça, c'est Adeola.

Je m'arrête, conscient d'avoir trop parlé.

— Bref, je vais bien, Émy. Je dors mieux maintenant. Et j'ai arrêté de boire pour trouver le sommeil...

Un éclat de rire me secoue alors que je repense à ma mère et son pasteur, organisant des veillées pour "prier pour mon salut". Lyan filmait tout, bien sûr

— J'ai aussi arrêté Alice. Je sais que c'est ignoble, et sur le moment, je n'avais aucune excuse. Mais j'ai arrêté. Ni toi, ni Adeola ne méritiez ça.

Ma litanie est interrompue par Un faisceau lumineux. Une torche.

Merde, le gardien...

Je me retourne lentement, haussant un sourcil pour bien lui montrer que c'est moi. Le vieux gardien s'approche, sa silhouette se découpant dans l'obscurité, ses bottes craquant sur les graviers et parfois sur les pierres tombales.

— Eh bien, moi qui croyais avoir affaire à un pilleur de tombes, lance-t-il d'un ton moqueur. J'aurais jamais pensé que c'était quelqu'un qui préfère dormir dedans que les piller.

Il esquisse ce sourire narquois qui lui est propre, celui qui dévoile à moitié une rangée de dents abîmées. Je soupire profondément. Ce soir, il m'insupporte encore plus que d'habitude.

— On pourrait pas avoir un peu d'intimité ici ? grogné-je en haussant le ton.

Le vieil homme jette un coup d'œil autour de lui, balayant les tombes du regard, avant de revenir vers moi avec ce même sourire en coin.

— Intimité ? Y a pas plus intime qu'un cimetière, gamin.

— Sérieusement, laissez-moi tranquille.

Il éclate d'un rire rauque, qui résonne bizarrement dans l'atmosphère froide. D'un geste brusque, il braque à nouveau sa lampe torche sur moi, m'aveuglant un instant.

— T'as fait des progrès, on dirait, lance-t-il en regardant ma tenue. T'es pas en noir aujourd'hui. Allez, montre-moi ça.

Il attrape ma main gauche sans prévenir et scrute rapidement mon alliance avant de hocher la tête, satisfait. Puis, sans même lever les yeux, il se met à ricaner pour lui-même. Je sens mon irritation monter en flèche.

— Vous ne deviez pas respecter mon intimité ? je réplique sèchement.

Le vieil homme ne répond pas. Il sort une boîte de cigarettes de sa poche, dépose sa torche contre mon torse, me forçant à la saisir avant qu'elle ne tombe au sol. Je fixe ses gestes lents et méthodiques alors qu'il allume tranquillement sa cigarette, comme si le temps lui appartenait.

— Si tu veux, gamin, je pourrais te recommander comme gardien de cimetière, dit-il en soufflant un nuage de fumée qui danse dans l'air frais.

— Merci pour l'offre, mais j'ai déjà un travail.

— Et une épouse, ajoute-t-il en ricanant. Il est bientôt vingt heures, et toi, tu rôdes ici alors que t'as signé pour la monogamie avec elle, pas avec ces pierres tombales.

Un regard furtif à mon téléphone confirme ses paroles. Il n'a pas tort, une fois de plus.

— Arrête de rôder ici et va dorloter ta chère et tendre. Elle doit être en train de mijoter de jolis petits plats pour toi.

Son ton moqueur ne m'échappe pas, mais il a raison. Avec les années, je me suis habitué à ses remarques. Au début, il restait pour partager un verre ou deux avec moi, me laissant pleurer en silence. Maintenant, il joue plutôt le rôle de celui qui me chasse, à sa manière brutale mais sincère.

Je jette un dernier regard à la tombe. Mon au revoir silencieux à Émy et bref, mais il contient tout ce que je ressens. Je tends la torche au vieux gardien, un sourire résigné sur les lèvres.

— Mon épouse, elle cuisine super bien, dis-je en mettant mes mains dans mes poches avant de prendre le chemin de la sortie.

— Regarde la chance que t'as, rétorque-t-il en me suivant. Mais si je te revois ici encore une fois, je t'embauche comme assistant à plein temps.

Je me retourne brièvement, un sourire discret sur les lèvres.

— Trouvez-vous une épouse, vous aussi, lancé-je par-dessus mon épaule.

— Qui voudrait épouser un gardien de cimetière ?

— Dites-leur que vous êtes superviseur à temps plein, ça sonne mieux.

— "Superviseur de tombes", hein ? Ça a l'air classe quand tu le dis comme ça.

Il éclate de rire, et malgré moi, je fais de même. Nos éclats de voix résonnent doucement dans le calme lugubre du cimetière. Arrivé à l'entrée, il s'arrête tandis que je continue jusqu'à ma voiture.

— La prochaine fois, promis-je en montant, je vous apporte à manger.

— J'espère que ta prochaine fois, c'est dans un an, sinon je te trouve un deuxième emploi, lance-t-il, toujours moqueur.

Je ris doucement en montant dans ma voiture. En démarrant, mes pensées dérivent naturellement vers Adeola. À un feu rouge, je sors mon téléphone et compose son numéro. Elle répond après deux sonneries.

— Allô ? dit-elle, sa voix douce mais un peu hésitante.

— Tu cuisines tshada ?

Un léger silence, et je devine qu'elle cherche ses mots

— Euh... ou... non... non, je vais m'y mettre.

Un sourire amusé étire mes lèvres.
— Ne le fais pas, je la coupe. Tu aimes manger indien ?

— Hein ?

— Y a un super resto indien que je connais. Je vais rapporter quelque chose.

— D'accord... t'es déjà en route ?

— Oui, je passe au restaurant et je rentre.

— D'accord, répond-elle à nouveau, plus doucement.

Je l'entends hésiter, mais elle finit par raccrocher . Ça me fait sourire, même si ce genre de moments montre qu'on a encore beaucoup de progrès à faire ensemble, s'apprendre l'un l'autre.

Je déteste qu'on me raccroche au nez, mais je n'aime pas raccrocher non plus tous le temps.
Je soupire, appuie sur l'accélérateur et m'élance à travers la circulation, prêt à rentrer chez moi, à elle.




NDA :
Cc mes stars , désolé pour le dimanche. J'étais claqué et j'avais du mal à écrire. Je ne permet rien mais je ferai de mon possible pour vos deux chapitres par semaine .
Je ne peux pas être fauché et aussi en manque d'idée.

Time to talk 🥁🥁🥁🥁 :
Je veux vos commentaires, comment vous trouvez ce chapitre. Ryan et son addiction à Emilliana ? Adeola pourra t'elle avoir sa place dans ce cœur occupé ?

En vrai Ryan est romantique de ouf 😮‍💨😮‍💨

Bonne nuit mes stars et merci au soutien sur TikTok merci

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