Chapitre XVIII : End of the game

(Démarrez la vidéo , baissez le volume et détendez vous .Bonne lecture)
       

Acte 2🟤: lutte intérieur et les non dits

      
L'amour véritable n'est pas de se regarder l'un l'autre, mais de regarder ensemble dans la même direction.
                Antoine de Saint-Exupéry




Adeola.


    ........Adé, westaf... westaf, m'appelle Kindia, alors que je somnole à moitié sur mon bureau.

Elle dépose quelques dossiers devant moi, un sourire malicieux aux lèvres.
– Dis à ton mari de te laisser dormir la nuit. Vous pouvez rattraper vos activités sportives le weekend, sous-entend-elle en sortant.

Je lui lance un regard amusé.
– Si tu savais...

Cela fait onze jours que je ne dors plus vraiment. Ryan non plus, je crois. Mais est-ce parce qu'il ne dort pas que je ne le fais pas ? Ou bien est-ce l'inverse ? Même quand la fatigue me prend, je finis toujours par me réveiller au bout de deux ou trois heures, comme si mon corps refusait de s'abandonner complètement. Le weekend est mon seul salut, quand je rattrape un peu de sommeil, mais même là, ce n'est jamais suffisant.

Cette nuit, il s'est encore levé pour s'installer sur le canapé près de la grande vitre dans notre chambre. Mais comment pourrais-je dormir sereinement alors qu'il est là, à quelques mètres, plongé dans ses pensées, si loin de moi ? Une part de moi se sent pourtant en sécurité dans cette pièce, entourée par la présence de Ryan. Mais une autre part... panique. Toujours.

Au bureau, ma fatigue commence à se faire remarquer. Il y a même des rumeurs qui circulent, prétendant que j'essaie d'avoir un enfant. Si essayer d'avoir un enfant nous prive de sommeil chaque nuit, je plains vraiment les couples qui traversent cela.

– Adé ! m'interpelle TBG.

Je lève les yeux de mon ordinateur.
– Oui, boss ?
– La directrice de Skin-Hair vient d'arriver. Suis-moi.

Je me lève, ajuste ma robe, attrape mon Mac, et le suis vers la salle de réunion où nous attendent la directrice et un représentant de la marque de soins capillaires. Chaque projet est une opportunité pour nous de placer des produits soigneusement sélectionnés.

– Tu tiens le coup ? me demande TBG juste avant d'ouvrir la porte.
Je hoche la tête, même si lui aussi commence à remarquer les signes de ma fatigue.

Une fois la réunion terminée, je rentre un peu plus tôt aujourd'hui. Mon article attend d'être rédigé, mais l'inspiration me fuit.

La lumière dorée du soleil déclinant éclaire encore la rue lorsque j'insère ma voiture dans l'allée de la propriété.

Je dépose mon sac au salon et suis immédiatement accueillie par Minou, qui se frotte affectueusement contre mes jambes. Je la prends dans mes bras, caressant doucement son pelage soyeux, et nous nous dirigeons ensemble vers la cuisine. Son bol au sol est déjà garni de quelques friandises qu'elle attend impatiemment. Toujours blottie contre moi, je l'emmène dans la chambre de René.

Je frappe doucement contre la porte. Aucune réponse.
J'attends une seconde et frappe de nouveau. Toujours rien.
Finalement, je pousse la porte, mais la pièce est vide. Ses affaires sont encore là, elle a dû sortir.

Je referme doucement la porte et monte à l'étage supérieur, là où se trouve notre chambre. Une fois à l'intérieur, je pose mon sac et retire mes chaussures près du lit. Je m'assieds un instant sur le bord du lit, un long bâillement m'échappant. Mes yeux parcourent la chambre, luxueuse, impeccablement rangée, chaque détail calculé au millimètre près, reflet de la personnalité de Ryan.

Je me lève, tire légèrement les rideaux pour laisser passer quelques derniers rayons de soleil. La lumière dorée illumine doucement la pièce, créant des ombres apaisantes. La vue est magnifique depuis ici, le jardin parfaitement entretenu, la piscine étincelante sous les dernières lueurs du jour
.La vue sur le jardin et la piscin est une véritable carte postale.

Je m'allonge finalement sur le canapé face à la baie vitrée, contemplant ce panorama. Il me reste encore quelques heures avant de commencer à préparer le dîner. C'est si rare à présent que je sois seule à la maison... Peut-être pourrais-je me reposer un peu avant de m'y mettre.


C'est la sensation douce et inattendue de quelque chose qui effleure ma peau qui me fait sursauter. Mon cœur s'emballe, une montée de panique me saisit pendant quelques secondes. Puis, je réalise qu'il s'agit simplement de la couverture glissant de mes pieds. Je lève les yeux, et à travers la pénombre, je distingue Ryan, debout près de moi, son regard fixé sur moi avec cette intensité qui me rend toujours nerveuse.

– Désolée, souffle-je, la voix encore tremblante. Je faisais un mauvais rêve.

– Ce n'est rien, repose-toi, murmure-t-il, son ton aussi calme que distant.

Sans un mot de plus, il s'éloigne vers la salle de bain. Je reste là, encore un peu désorientée, puis je me lève lentement, à la recherche de mon téléphone. C'est là que je remarque que mon sac et mes chaussures ne sont plus où je les avais laissés. Il les a rangés, probablement. Tout est toujours impeccablement ordonné autour de lui, même lorsque je me laisse aller à l'éparpillement.

Je m'approche du dressing. J'entends l'eau couler. Le dressing et la salle de bain ne sont séparés que par une large vitre coulissante, à peine opaque. La silhouette de Ryan est visible à travers la vapeur qui s'élève. Je décide qu'il serait mieux de revenir chercher mon téléphone plus tard et descends au salon.

Sur l'horloge décorative, il est 22h07. J'ai dormi presque toute la soirée. Ryan doit être rentré depuis des heures déjà. Je me dirige vers la cuisine avec l'intention de préparer quelque chose à manger, mais je m'arrête net en voyant deux casseroles fumantes posées sur l'îlot central. L'une contient du riz encore chaud, l'autre, une sauce crème parfumée au poisson. L'odeur embaume la pièce, si alléchante qu'elle fait gronder mon estomac.

Je fais un détour par la chambre de René, mais elle est toujours vide. René n'est pas encore rentrée... Alors c'est...

– Tu ne mets pas la table ? résonne sa voix grave depuis les escaliers.
– Euh... c'est toi qui as... ?

– Oui, répond-il simplement.

Il ne semble pas attendre de réponse supplémentaire avant de sortir deux assiettes qu'il dépose sur la table. Je prends deux fourchettes et des serviettes, cherchant à participer. Ryan nous sert sans un mot et commence à manger aussitôt. Je reste un instant devant mon assiette, hésitante, perplexe face à cette situation inhabituelle.

– Tu n'aimes pas ? me demande-t-il, ses yeux se posant sur moi avec une curiosité .

Je secoue la tête rapidement, trop vite peut-être, car son regard s'assombrit légèrement.

– Non, non... ce n'est pas ça... J'aime... C'est juste que... c'est moi qui devrais cuisiner, et je me suis endormie.

Un léger rire lui échappe, surprenant dans sa rareté. Il pose sa main sur ma tête et la caresse doucement, un geste familier qui, comme à chaque fois, me fait rougir. Mon cœur rate un battement sous l'effet de cette proximité embarrassante.

– Mange, dit-il doucement. Personne n'est obligé de cuisiner pour l'autre. Tu étais fatiguée, tu le feras demain.

Il retire sa main, mais l'empreinte de son contact semble brûler ma peau. Je tente de me concentrer sur mon assiette, mais je me sens étrangement vulnérable sous son regard, même lorsqu'il ne me regarde pas directement.

Après le dîner, je range la table pendant qu'il s'occupe de la vaisselle. Le silence entre nous est presque apaisant, interrompu seulement par le cliquetis des assiettes et le bruit de l'eau qui coule. Mais soudain, des bruits de talons résonnent dans le salon. Ryan soupire profondément, levant les yeux au ciel, clairement agacé avant même de voir de qui il s'agit.

La silhouette de René entre dans la cuisine, sa coupe impeccable et son sourire habituel aux lèvres.

– Salut, les enfants, lance-t-elle joyeusement.

Je suis la seule à répondre, offrant un sourire poli en retour. Elle me demande comment je vais, puis se lance immédiatement dans le récit détaillé de sa journée, sans prêter attention à l'agacement visible sur le visage de Ryan. Entre eux, il y a toujours cette tension, cette guerre psychologique silencieuse qui ne dit pas son nom, mais qui plane dans l'air à chaque fois qu'ils se croisent. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi.

Finalement, je trouve une excuse pour m'éclipser et les laisser seuls dans la cuisine, m'offrant ainsi un moment de répit loin de cette étrange tension entre eux. Leur hostilités subtiles déjà en train de reprendre le dessus.



Ryan.





La tête entre les mains, je fixe l'écran de mon téléphone. Je viens de recevoir un appel de mon père. Il veut me voir ce soir. D'habitude, quand il demande ça, c'est pour parler affaires ou me donner des instructions. Mais cette fois, il y a quelque chose de différent dans sa voix, une nuance que je n'arrive pas à ignorer.

Ma mère, qui campe chez moi depuis douze jours déjà, et lui qui exige ma présence... Le cocktail est beaucoup trop beau pour être parfait. Je le sens, je suis dans de beaux draps.

Je peine déjà à trouver le sommeil  et avec toutes les responsabilités qui m'attendent au bureau, ce n'est vraiment pas le bon moment pour affronter un nouveau problème familial.

La porte de mon bureau s'ouvre sur ma secrétaire. Elle entre sans frapper, comme à son habitude, et dépose des dossiers sur mon bureau en ajoutant à son geste son petit numéro habituel. Ses mouvements sont lents, calculés, ses lèvres tirant un sourire tandis qu'elle bombe légèrement la poitrine.

Ça fait des années qu'elle me fait ce cinéma. Des années qu'elle s'évertue à exhiber ses courbes à un homme qui n'a clairement rien à faire d'elle. Même si je devais céder à toutes les tentations que je croise, jamais je ne mettrais dans mon lit quelqu'un qui pourrait me casser les pieds à chaque seconde .

Et après, elles diront que les hommes sont misogynes... Ce combat-là n'est clairement pas le mien. Elle sort finalement, et mon frère entre aussitôt, affichant son éternel sourire.

Les sourires m'agacent ces temps-ci.

Il vient me voir tous les jours maintenant. "Pour se nourrir de ma détresse", dit-il en plaisantant.

— Alors, monsieur le Vice-Président, comment vous sentez-vous aujourd'hui ? lance-t-il d'un ton moqueur, jouant au journaliste. Envisagez-vous de vous jeter d'un pont ou comptez-vous plutôt vous laisser submerger par les joies conjugales ?

Il prend un stylo qu'il pointe vers moi, mimant un micro comme s'il faisait une interview.. Je lève les yeux au ciel.

— Fous-moi la paix, Lyan, grogné-je.

Son rire éclate dans la pièce, rempli de satisfaction. Je réalise à quel point ma situation est devenue une source de divertissement quotidien pour lui.

— Allez, dis-moi, t'as réussi à dormir cette nuit ?

— À moitié.

Il soupire, adoptant un ton plus sérieux.

— Ton problème commence à devenir inquiétant. C'est quoi ? T'as peur qu'elle te saute dessus, c'est pour ça que tu dors pas ?

Je le fixe un moment, mais je reste silencieux. Ce n'est pas que j'ai peur qu'Adeola me saute dessus, c'est plutôt l'inverse. Le fait qu'elle me prenne pour un espèce d'obsédé sexuel me met hors de moi. Mais comment pourrais-je en parler à mon frère ? Même si on se confie beaucoup, il y a des limites.

— Papa veut que je passe à la maison ce soir, lui dis-je.

Il applaudit, sarcastique..

— Maman a fini son enquête. Ton procès s'ouvre ce soir.

— Littéralement ?

— Littéralement. Tu vas te faire démonter. T'as de la chance, mon procès à moi a eu lieu après deux semaines.

Un petit rire m'échappe malgré moi. Ça ne devrait pas, mais l'absurdité de la situation me dépasse.

— Qu'est-ce que t'avais fait à l'époque ? lui demandé-je.

— Secret professionnel, répond-il sans hésiter.

— Allez, raconte. Je dois me préparer psychologiquement pour ce procès.

Lyan, malgré sa façade moqueuse, a toujours eu cette faiblesse pour moi. Il ferait tout pour m'aider, même dévoiler ses propres erreurs.

— J'ai trompé ma femme, avoue-t-il amèrement. C'est pas glorieux, mais on était en plein divorce et... j'ai cédé.

Je reste silencieux, surpris par sa franchise.

— Sérieux ? C'était avant que tu viennes chez moi ou après ? Pourquoi tu m'en as jamais parlé ?

— C'est pas le genre de truc facile à raconter, m'avoue-t-il. C'était avant, et je regrette encore aujourd'hui, même si elle m'a pardonné.

— C'est pour ça que tu vas plus en boîte de nuit ? deviné-je.

— Ouais, exactement. Chaque fois que j'y pense à y aller , j'ai l'impression de lui rappeler que je l'ai trompée là-bas.Ça me rend malade.

Ses mots sont pleins de regret, mais moi, je suis encore trop perdu pour vraiment comprendre la portée de ses sentiments.

— T'inquiète pas, ajoute-t-il pour me rassurer. Papa t'adore. Il va y aller doucement avec toi.

— J'en suis pas si sûr. Je suis celui qu'il rêve parfois de balancer par la fenêtre.

— Parce qu'on t'adore, Gaara.

— Arrête avec ce surnom.

— Gaara du désert, rigole-t-il en s'esclaffant. C'est toi le boss, mon gars !

Je lève les yeux, exaspéré par ses blagues, et me tourne vers la baie vitrée. La lumière du jour commence à baisser. Et moi, je suis foutu, et je n'ai aucune idée de ce qu'il attend de moi ce soir.

— Si tu veux du réconfort après ton procès, je peux amener mes gosses, ajoute Lyan en se redressant. Dimitry, l'emmerdeur, ou Dani, le pyromane... Choisis.

— Va au diable, toi et tes gosses.

— Trop tard, t'as choisi ! Ewia, la reine des caprices, te console si besoin. Appelle-moi si tu veux que je te la livre .

— Fous le camp, Lyan, et laisse-moi tranquille.

Lyan éclate de rire encore une fois avant de quitter la pièce, me laissant seul avec mes pensées, et ce rendez-vous familial qui s'annonce déjà comme un désastre.







Je monte lentement les marches du salon pour rejoindre mon père dans son bureau, comme me l'a indiqué la gouvernante. La dernière fois que je suis venu ici, c'était il y a quelques mois, avec Adeola, pour célébrer la nouvelle année. Ce souvenir me paraît lointain, comme si le temps avait creusé un fossé entre ce moment de paix apparente et l'inquiétude qui pèse aujourd'hui.

Je fais pivoter doucement la poignée, prenant soin de ne pas faire de bruit. Il faut une certaine précision pour réussir cette manœuvre sans éveiller l'attention. Mon frère et moi avions découvert ce truc quand nous étions enfants, essayant de nous faufiler dans des réunions d'adultes. À l'époque, on voulait tellement être reconnus pour ce qu'on pensait valoir.

Mon père est assis de dos dans son grand fauteuil en cuir. Amané Longuti, dans toute sa splendeur. Il respire l'autorité, même sans me regarder. Quand je m'avance dans la pièce, il tourne enfin la tête vers moi et me fait signe de m'asseoir face à lui. Je m'exécute sans un mot.

Lyan avait raison. Cette ambiance a un goût de procès.

— Comment tu vas, fils ? me demande-t-il d'une voix calme, presque trop calme.

— Je vais bien, dis-je, sans laisser transparaître la moindre émotion.

— Et ta femme ?

— Elle va bien aussi.

Je perçois son soupir, à peine audible, mais lourd de sens. Sur la table basse entre nous trône une bouteille en cristal remplie d'un liquide translucide, probablement du vin de palme, son péché mignon.
Il nous laissait déjà en boire avant même que nous n'ayons dix ans, une tradition qu'il ne semble pas vouloir abandonner le faisant boire à tous les gamins d'a peine dix ans . Il verse la boisson dans deux verres et me tend l'un d'eux. Je prends une gorgée. C'est toujours aussi sucré, avec cette note familière de nostalgie qui me rappelle ces soirées d'enfance.

Je lève les yeux et croise son regard. Il me fixe, comme s'il attendait quelque chose, comme si le liquide dans mon verre était empoisonné et qu'il attendait de voir si je m'effondrerais. Le silence est lourd. Mon père sait manier le silence comme une arme, un art qu'il m'a inculqué. Parfois, un silence en dit plus que mille mots.

Je ne cède pas à son regard. Le fixer en retour est la meilleure manière de lui tenir tête.

— Quel âge auras-tu dans une semaine ? me demande-t-il enfin.
Je réfléchis un instant. Les anniversaires sont devenus une formalité depuis longtemps.
— Trente-deux ans, réponds-je calmement.

— Et combien de temps es-tu marié ?

— Bientôt un an.

— Qu'est-ce que tu reproches à ta femme ? demande-t-il, les yeux rivés sur moi.

— Rien.

Il pose son verre avec lenteur sur la table, sans jamais me quitter du regard.

— J'admets avoir choisi cette femme sans te consulter, dit-il en penchant légèrement la tête. Mais je l'ai fait parce qu'elle vient d'une bonne famille, avec une éducation solide. Au-delà des accords financiers, elle avait tout ce qu'il fallait pour être une bonne épouse. Alors dis-moi, qu'est-ce que tu lui reproches ?

— Rien, répété-je, cette fois en détournant les yeux.

Un long soupir s'échappe de sa poitrine.

— Je ne sais pas où j'ai échoué, mais j'aimerais corriger ça. Avant d'être ton épouse, Bola est ma filleule. Je la considère comme Lala, Solaya, ou même Ewia. Alors, si tu comptes rester bloqué dans le passé, avec une femme morte il y a six ans, reste-y. Mais ne la fais pas souffrir inutilement.

— Ce n'est pas ce que tu crois... essayé-je de me défendre, ma voix presque imperceptible.

— Et qu'est-ce que je dois croire, Ryan ? Que tu ne poursuis plus l'ombre d'une femme qui n'est même plus poussière à cette heure ? Elle n'est même plus poussière.

Je tente de répondre, mais il lève la main pour m'interrompre.

— Répudie-la si tu veux. Ousmane et moi trouverons un moyen de préserver notre accord. Répudie-la, et appelle-moi. Je viendrai la chercher moi-même.

Je prends ma tête entre mes mains, glissant mes doigts sur mon visage comme pour effacer ce poids qui m'écrase. Pourquoi est-ce si difficile pour eux de comprendre que ce n'est pas à propos d'Emilliana ? Elle n'a rien à voir avec tout ça.

— Si je ne veux pas... que dois-je faire ? demandé-je finalement après un long silence.

— Tu es bien trop grand pour que je t'apprenne ces choses-là, répond-il, un brin d'amertume dans la voix.

Il termine son verre d'un trait, signe qu'il n'a plus rien à ajouter. Je reste encore un moment, le silence retombe, pesant. Je consulte ma montre. 21h10. Il est temps de partir.

Je me lève, lui murmure un « bonsoir » auquel il ne répond pas, et je quitte son bureau. Je descends les escaliers, adresse un bonsoir rapide aux domestiques que je croise, puis monte dans ma voiture. Le moteur gronde, et je démarre, laissant derrière moi ce poids qui ne cesse de me suivre.





En pleine circulation, mon téléphone vibre à plusieurs reprises. C'est mon frère. Je jette un coup d'œil à l'écran et décline l'appel. Il insiste, mais je l'ignore. Mon esprit est ailleurs, en train de digérer la conversation avec mon père. Finalement, il abandonne.

Quand j'arrive chez moi, je suis toujours tendu. Je gare la voiture, coupe le moteur, et reste un moment derrière le volant, le regard perdu dans le vide.

Qu'est-ce qu'ils veulent tous de moi ?
Il m'impose de me marié
Après que je suis libres de divorcer
Putain ! tous le monde voit le piège

Je serre les mains sur le volant, une vague de frustration monte en moi. Déjà, j'avais prévu de mettre fin à ce mariage après cinq ans. Peut-être que ça arrivera juste plus tôt.

Je finis par sortir du véhicule et traverse le jardin. L'air est frais, chargé de l'odeur de la terre humide et des plantes que j'ai plantées moi-même, un de mes rares moments d'apaisement. Je m'arrête au milieu du jardin, ferme les yeux un instant. J'ai besoin de vider mon esprit.

Je ne sais pas combien de temps je reste là, immobile dans la nuit. Finalement, je rentre. La maison est silencieuse. Je me dirige vers la cuisine, ouvre le frigo et prends une bière. Mon dîner est posé sur l'îlot central, soigneusement recouvert d'une serviette. Je pose une main sur l'assiette ; elle est encore chaude.

Elle a dû attendre.

Je m'assois à contrecœur pour manger. Après tout, elle a pris la peine de préparer ce repas pour moi.

Les couverts cliquettent doucement dans le silence de la maison tandis que je termine mon assiette. Une fois le repas fini, je range tout, comme par habitude. Puis, je vérifie les portes avant de monter à l'étage.

J'ouvre la porte de la chambre doucement, même si je sais qu'elle ne dort pas. Elle est allongée sur le lit, tournée sur le côté, une couverture couvrant à moitié son corps. Je la devine éveillée, mais elle ne bouge pas, comme à son habitude.

Je m'assois sur le bord du lit, retirant mes chaussures et ma veste avec des gestes lents, presque mécaniques. Je lui tourne le dos, respirant profondément avant de me retourner pour lui faire face. Son chat est là, blotti contre elle, ses yeux brillants dans la pénombre, me fixant comme s'il avait le droit exclusif à sa compagnie.

Ce fichu chat...

Je souris malgré moi. Toujours à profiter des moments quand je ne suis pas là .

— Tu peux aller dormir dans ta chambre ce soir, si tu veux, dis-je, sans vraiment attendre de réponse. Après tout, ça ne servira plus à rien maintenant.

Elle ne réagit pas, ne montre aucun signe de m'avoir entendu.

— ...Je sais que tu ne dors pas, darling, ajoutai-je, une pointe d'ironie dans la voix.

Elle bouge légèrement, surpris par l'usage de ce surnom que je n'emploie que lorsqu'on est en public. Jamais en privé.
Ce soir, je l'utilise presque par m'amuser , comme pour voir si cela la réveillerait de son silence. Elle ouvre finalement les yeux, allume la veilleuse à côté d'elle, et me regarde.

— Pourquoi... René ? murmure-t-elle.

— Tu n'as plus à t'en faire, on a été grillé. Ou du moins, je crois, dis-je en haussant les épaules.

Elle baisse les yeux vers son chat, qui s'étire nonchalamment contre elle, inconscient de la tension qui règne dans la pièce.

— Est-ce que c'est moi ? souffle-t-elle, à peine audible.

— Ça n'a rien à voir avec toi, la rassurai-je. Mon père m'a grillé, et on peut même mettre fin à ce mariage.

Je laisse ces mots flotter dans l'air, observant sa réaction. Elle reste silencieuse, ses mains caressant doucement le pelage de son chat. Pas de cri de joie, pas de larmes, pas même un soupir de soulagement.

— Ça veut dire que je vais retourner à Lagos ? demande-t-elle d'une voix lourde.

Je passe une main sur mon visage, fatigué. Elle n'a posé aucune autre question. Pas de "comment", ni de "pourquoi". Juste : Vais-je retourner à Lagos ? Qu'est-ce qu'elle fuit vraiment dans ce pays ?

Je me retiens de répondre trop vite. Un goût amer monte dans ma gorge.

— Tu pourrais rester à Johannesburg pour ton travail si tu veux, répondis-je après un moment. Je t'avais promis que tu ne manquerais de rien.

— C'est vrai, murmure-t-elle, la voix absente.

Elle reprend ses caresses sur son chat, comme si tout cela n'était qu'une conversation banale.

Pourquoi elle ne réagit jamais ?Cette question me brûle ,Peut-être que c'est le dernier soir où j'aurai l'occasion de poser cette question qui me trotte dans la tête depuis un moment.

— Pourquoi tu ne dis jamais rien ? lui demandai-je, la voix basse.

Elle leva les yeux vers moi, visiblement perdue.

— Pourquoi tu ne donnes jamais d'avis, ni positif ni négatif ? Tu ne réclames jamais rien, tu te contentes juste d'encaisser chaque nouvelle...

Un silence s'installe, lourd et pesant. Je me sens idiot d'avoir posé cette question, mais elle m'étouffe depuis trop longtemps.

— Parce que je n'ai rien pour moi, répond-elle enfin. Et je n'ai pas la force de réclamer quelque chose qui ne m'appartient pas.

Je fronce les sourcils, déconcerté par ses mots. Qui lui a mis une idée pareille en tête ?

— Comment sont les personnes qui réclament, alors ? lui demandai-je, soudain curieux.

Elle lève les yeux vers moi, et me fixa un moment avant de répondre :

— Ce sont des personnes comme toi, m

Ses paroles me frappent. Comme moi ?

Je trouvais étrange sa manière de penser. Tandis qu'elle caressait machinalement ce chat maléfique qui se blottissait sur ses cuisses, je restai pensif m'interrrogant .

— Tu peux réclamer des choses si tu les veux vraiment, fini je par dire . Il n'y a pas de différence entre toi et moi.

Sur ces mots, je me levai et me dirigeai vers la salle de bain. J'enlevai mes vêtements et entrai dans la cabine de douche. L'eau chaude enveloppa mon corps, me débarrassant des impuretés accumulées au cours de la journée. Je fermai les yeux.

« Le passé... avec une femme morte depuis six ans... »

Ces mots de mon père résonnent encore en moi

Dans quelques semaines, cela fera six ans.

Six ans que je l'ai laissée monter dans cette voiture à ma place, échangé nos destins.

Six ans qu'elle est morte.
Vingt -neuf ans, c'est ce qu'elle aurait eu cette année.

Six ans que je vis pour deux. Six ans que j'aurais dû monter dans ce HB 0953.

« L'ombre d'une femme qui n'est même plus poussière à l'heure qu'il est... »

C'est tout ce que je refuse d'être, une ombre. Ça lui ferait encore plus mal si j'étais devenu l'ombre de moi-même. Elle a toujours vu le meilleur en moi.

J'ouvris brusquement les yeux en entendant la sonnerie de mon téléphone résonner dans la pièce. Putain, je ne peux même plus être tranquille sous la douche !

J'éteignis le jet d'eau, m'enveloppai dans une serviette et me séchai rapidement. Enfilant mon pyjama, j'entendais encore le téléphone vibrer.

Que celui au bout du fil meure, je m'en fichais.

Devant le miroir, je me brossai les dents, remarquant que depuis près de deux semaines, tout dans cette salle de bain était devenu une paire. Brosse à dents, serviette, shampoing, savons... Tout.

Je finis par sortir , elle était toujours allongée sur le lit, son chat contre elle. Cette fois, elle me faisait face.

— C'était qui au téléphone ? demandai-je en récupérant mon portable sur la table de chevet.

— Je ne sais pas, répondit-elle en caressant doucement son chat.

— Tu n'as même pas regardé le téléphone de ton mari ? plaisantai-je.

C'est la première fois que je vois une femme ne pas être curieuse. Ce degré d'obéissance me choque parfois. Je vérifiai : encore mon frère.
Je le repose en charge avec mécontentement.

— Si tu veux rester ici, va falloir que tu dormes pour de vrai. J'ai du boulot demain, et j'en ai marre de veiller.

Elle ouvrit les yeux, légèrement agacée.

— Tu ne dors pas non plus, répondit-elle d'une voix douce.

Je levai la couverture et m'allongeai à ses côtés.

— Si tu ne dors pas, je n'y arrive pas non plus, répliquai-je en éteignant la lampe de chevet.

Elle fit de même, et nous restâmes là, l'un à côté de l'autre, sans fermer les yeux pendant de longues minutes. Le silence pesait, interrompu par sa voix.

— Je peux te poser une question ? demanda-t-elle finalement, brisant le calme.

— Vas-y, je t'écoute.

— Pourquoi tu n'as jamais... essayé de... de...

Sa phrase se perdit dans un souffle, mais je la complétai pour elle.

— Coucher avec toi ?

Elle acquiesça, à peine audible.

— Tu aurais pu. Mais tu ne l'as jamais fait... Et tu aurais eu le droit... parce que...

Je me tournai vers elle, mes yeux croisant les siens dans l'obscurité.

— Parce que je suis ton mari ? complétai-je encore une fois.

— Oui, murmura-t-elle.

— Est-ce que toi, tu veux coucher avec moi ? rétorquai-je, à mon tour curieux.

Ses yeux s'emplirent de confusion. Je suis certain qu'elle secouait la tête, même si je ne pouvais pas la voir clairement.

— Je n'obtiendrai ni plaisir ni satisfaction en couchant avec une femme qui ne me désire pas en retour. J'aime voir la satisfaction sur le visage de mon partenaire, pas la peur ou la terreur. Alors, tu peux être tranquille.

Je me retournai à nouveau, fixant le plafond où quelques formes flottaient à la lueur diffuse.

— Ou bien... est-ce que tu me désires en secret, darling ? ajoutai-je d'un ton amusé. Avec tes goûts musicaux, ça ne m'étonnerait pas une seconde.

Je sentis qu'elle secouait encore la tête, cette fois vigoureusement. Un léger rire m'échappa.

— Dors, maintenant, conclus-je en fermant les yeux.

C'était la première fois que nous avions une conversation aussi longue.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top