Chapitre XVII: Ta femme
(Démarrez la vidéo, baissez le volume et détendez vous. Bonne lecture)
Acte 2🟤: lutte intérieur et les non dits
Life is what happens to us while we are making other plans.
Allen Saunders
Ryan.
Debout près de la porte, je l'observe s'allonger machinalement. Cela me ramène à notre nuit de noces froide, distante, comme chaque interaction entre nous depuis.
Je prends une profonde inspiration avant de m'avancer vers le lit.
Elle s'est allongée tout au bord, malgré l'immensité de ce lit qui pourrait accueillir six personnes de sa carrure. Un seul mouvement brusque, et elle retrouverait au sol. Les mains dans les poches de mon pyjama, je la dévisage, scrutant chaque détail. Son corps est immobile, figé comme une statue.
Notre relation n'est pas idéale, loin de là, mais voir qu'elle est toujours effrayée à l'idée de se retrouver seule avec moi me pince légèrement. Ce n'est pas une douleur franche, mais une gêne ou une culpabilité sourde que je refoule aussitôt.
Elle a pourtant pris ses marques ses temps ci , joue à la perfection le rôle de l'épouse lors des dîners et événements mondains. Elle a appris à sourire, à répondre sans trembler, à porter ce masque d'assurance. Mais tout cela s'effondre lorsque nous sommes seuls. Je deviens d'une certaine manière, je suis son prédateur, et elle... une proie.
Un sourire, fin et mesquin, m'échappe à cette pensée.
Je finis par soupirer, éteignant la lampe de chevet avant de m'allonger à mon tour sous la couverture. Un léger sursaut trahit son faux sommeil.
– Éteins ta lampe. Je n'est pas les mains baladeuses dans mon sommeil.
Elle obéit, éteignant la lumière sans un mot. Je lui tourne le dos. Le sommeil ne me vient que dans l'obscurité totale, mais ce soir, je sais que l'obscurité ne suffira pas.
Les pensées se bousculent dans ma tête. Les événements de la soirée défilent : mon passage chez Alice, qui a dégénéré, la visite surprise de ma mère, et cette alliance... ce foutu anneau qui semble me serrer le doigt comme un étau.
D'un geste irrité, je retire la bague et la pose bruyamment sur la table de chevet.
«Putain de métal», criant je au fond de moi
Je reste éveillé, les yeux ouverts, jusqu'aux premières lueurs du matin. C'est à ce moment-là que je sens son poids quitter le lit. Elle s'est levée, emportant son oreiller avec elle, et quitte la chambre.
Elle n'a pas dormi une seule seconde. Moi non plus. Et ça m'agace.
Lorsque le jour est complètement levé, je me résigne à me lever. Une douche froide, comme d'habitude pour éloigner la fatigue. Je m'habille d'un costume impeccable, sans cravate ; c'est un lundi, après tout.
Je récupère mon alliance sur la table de chevet, la glisse à mon doigt, et enfile, par-dessus, mon masque d'époux parfait, dissimulant soigneusement les pensées qui me rongent et classant mentalement mes priorités de la journée.
Je dois régler cette histoire de dispute, et mon frère doit sûrement en savoir quelque chose.
Je descends rapidement les marches, traversant le salon d'un pas pressé, quand j'entends la voix de ma mère m'interpeller depuis la cuisine. Je m'arrête net et fais demi-tour.
Elle est assise sur l'un des tabourets, une tasse à la main.
– Bonjour, maman, dis-je avec le peu de politesse qu'il me reste.
– Bonjour, mon garçon. Je croyais ne plus mériter tes salutations matinales.
– Je ne suis pas fâché, tu es aussi chez toi ici.
Elle me sourit, un sourire rempli d'ironie. Elle ne croit évidemment pas un seul mot de ce que je viens de dire.
– Pourquoi t'es si pressé ? demande-t-elle d'un air curieux.
– J'ai une urgence au bureau.
Je mens.Je ne veux simplement pas rater l'arrivée de ton autre fils.
– Une urgence au point de ne pas déjeuner avec nous ?
Je jette un coup d'œil à Adeola, qui dépose un plat sur la table en évitant soigneusement mon regard. Elle a des cernes sous les yeux.
– Oui, maman, je dois vraiment y aller.
J'ai à peine fait un pas qu'elle attrape le bout de ma veste. Je me tourne vers elle.
– Ce n'est pas parce qu'on est fâché contre sa femme qu'on ne mange pas sa cuisine. Tu t'assois et tu déjeunes.
Son ton est sans appel, autoritaire. Me voilà coincé. Je jette un nouveau regard à Adeola, toujours de dos, puis je m'assois finalement à côté de ma mère, qui me sourit avec son air angélique.
Je prie intérieurement pour qu'elle quitte la maison au plus vite aujourd'hui.
D'un geste presque mécanique, Adeola pose ma tasse de café devant moi, suivie du lait, du sucre, et enfin de mon assiette : deux gaufres, quelques fraises , des myrtilles , deux croissants et du sirop d'érable. Elle dépose une serviette avec les couverts à côté. Sans un mot, elle s'accroupit ensuite pour servir son chat, qui miaule avec impatience.
Elle finit par se préparer son propre petit-déjeuner et s'installe à un tabouret, à bonne distance de moi. Le silence règne, seulement interrompu par le cliquetis des couverts.
Elle se lève enfin et sort de la cuisine. Je saisis l'occasion pour m'éclipser aussi.
– J'y vais, maman, dis-je en sortant.
– Ne rentre pas tard, me lance-t-elle, ses yeux me suivant jusqu'à la porte.
Je joue le jeu, monte rapidement à l'étage, compte jusqu'à dix, puis redescends aussitôt. En hâte, je traverse la maison vers le garage.
Si elle veut nourrir des commérages dans la famille, je crois que je lui ai donné suffisamment de matière pour ce matin. Je monte dans ma voiture, fais lever la grille et démarre.
Cela fait une éternité que j'attends mon jumeau. L'horloge égrène les minutes avec une lenteur exaspérante, chaque tic-tac résonnant dans le silence de la pièce. Enfin, la porte s'ouvre et il apparaît, avec ce sourire insouciant que j'ai appris à mépriser dans mes mauvais jours.
– Tu es en retard, dis-je, la voix lourde de reproche
– Désolé, Monsieur le Vice-Président. C'est toi qui es toujours à l'heure, plaisante-t-il, son éternelle bonne humeur rayonnant dans la pièce comme une lumière que je trouve presque insupportable ce matin.
Mon regard noir le foudroie depuis le canapé sentant la matière en dessous de moi . Quelle idée d'un canapé bleu marine !
Il se contente de hausser les épaules, un sourire accroché à ses lèvres comme s'il n'avait jamais rien à se reprocher.
– Quoi ? J'ai mis quoi, une heure ? Je te rappelle que j'ai dû déposer Dimitry à l'école. C'est quoi le problème ?
Je me redresse, sentant la tension parcourir mon corps, la mâchoire crispée. Les souvenirs de la veille tournent en boucle dans ma tête, épuisant ce qu'il me reste de patience.
– T'as vu maman ces derniers jours ?
Son sourire s'efface légèrement . Il s'assied en face de moi, son regard se perdant un instant dans ses pensées , comme s'il sondait la question avant de répondre.
– Ouais... Elle est passée chez moi. Solaya avait une grippe, et tu sais comment elle est quand elle est malade... Mais pourquoi tu me demandes ça ? Qu'est-ce qu'elle t'a fait ?
Je passe une main sur mon visage, tentant d'effacer l'irritation qui monte, mais sans succès. Le poids des nuits sans sommeil, les tensions qui s'accumulent, tout me semble trop lourd ce matin.
– Elle a campé chez moi cette nuit . J'espère que tu n'as rien ?.
Il lève les sourcils, l'air surpris, avant de soupirer.
Il mime une fermeture invisible sur ses lèvres, un geste enfantin qui aurait pu m'amuser autrefois, mais aujourd'hui, il me laisse de marbre. Je continue de le fixer, mes yeux perçant les siens avec insistance.
– Même pas à ta femme ?
– Même pas à l'élue de mon cœur.
Il est un mur de silence d'habitude , sauf si la situation devient vraiment critique. Pourtant, quelque chose dans son regard me dit que cette situation pourrait bien se transformer en un champ de mines.
– Elle s'est imposée avec une histoire comme quoi je me serais disputé avec Adeola, dis-je, la voix plus basse, trahissant une légère fatigue.
– Oh, alors elle s'en mêle enfin... Je me disais bien qu'elle était trop calme ces derniers mois, lance-t-il en soupirant, croisant les bras.
– T'étais au courant ?une lueur de suspicion dans le regard.
– C'était évident, lâche-t-il en croisant les bras. Elle a probablement ressenti vos faux-semblants. Elle pense que vous vous disputez. Un conseil : arrête de jouer à ce jeu débile et regarde ta femme, sinon elle va finir par vous griller. Si ce n'est pas déjà fait.
Je serre les dents, son ton me tape sur les nerfs, mais il n'a peut-être pas tort. Maman a toujours eu cette façon de déceler ce qui se cache sous les apparences. Mais je ne peux pas m'empêcher de me tendre à ces mots.
– Arrête de dire n'importe quoi et explique-toi.
– Ce que je veux dire, c'est que maman est très intuitive. Et elle se trompe rarement, affirme-t-il, cette fois plus sérieux, ses yeux brillant d'une lueur d'inquiétude.
Je me redresse complètement, me plaçant face à lui. C'est rare qu'il prenne ce ton. Quand il le fait, ça veut dire que les choses sont plus graves qu'il n'y paraît.
– Tu te souviens quand Solaya et moi voulions divorcer ? me demande-t-il, son regard s'assombrissant à la simple évocation de cette période.
– Ouais, je m'en rappelle. C'était après la naissance de Dimitry, non ?
Il hoche la tête, les yeux baissés un instant.
– C'est maman qui nous a aidés à résoudre nos problèmes. Toi, à cette époque, t'étais trop occupé avec Émy... Désolé.
Le nom d'Emilliana fait vibrer une corde sensible en moi, et je ressens ce pincement familier. Mais je le repousse rapidement.
– Non, c'est rien, réponds-je en faisant signe de continuer.
– Elle a débarqué chez nous un beau matin, sans prévenir, et je te jure que tu n'es pas prêt pour ce qui t'attend avec elle. Prépare-toi, parce qu'elle ne va pas lâcher tant qu'elle n'aura pas ce qu'elle veut. Tu vas avoir droit au plus grand conseil matrimonial que cette terre ait jamais porté ... et crois-moi, elle ne lâchera pas tant qu'elle ne sera pas convaincue du « il vécu heureux et eut beaucoup enfants »
Je soupire longuement, fermant les yeux un instant, tentant de calmer le flot de pensées qui s'agitent dans mon esprit Mes mains glissent sur mon visage, essuyant l'irritation qui grandit en moi. Le silence de la pièce semble devenir lourd, pesant, comme une couverture invisible qui m'étouffe.
– Je devrais remercier le ciel qu'elle s'en aille aujourd'hui, murmuré-je dans un souffle, plus pour moi-même que pour lui.
Mon frère se lève soudain, étirant ses bras au-dessus de sa tête, son sourire de nouveau présent.
– Allez, viens, je te paye un petit-déjeuner. On ne sait jamais, il ne faudrait pas que tu meures de faim avant le début des hostilités, plaisante-t-il, visiblement amusé.
Je lève un sourcil , secoue la tête, légèrement amusé malgré moi.
– J'ai déjà déjeuné à la maison ce matin, dis-je, la voix neutre, presque désinvolte.
Il s'arrête, me regardant avec surprise.
– Ça veut dire que...
Je détourne les yeux, soufflant légèrement.
– Oui, elle a cuisiné pour moi... et elle a dormi dans ma chambre... enfin, si on peut appeler ça dormir.
Je l'entends pousser un cri de stupéfaction, ses mains s'agitant comme s'il venait d'apprendre une nouvelle incroyable. Je ne m'en préoccupe pas. C'est loin d'être aussi dramatique qu'il le pense , mais son excès me tire un léger sourire .
Je finis par le laisser dans ses élucubrations joyeuses, alors qu'il me parle du bonheur d'avoir une femme qui sait cuisiner, ses mots flottant dans l'air comme une chanson ridicule , mes pensées dérivent.
Emilliana... Elle, elle ne savait pas cuisiner. Elle prenait des cours en cachette pour me faire la surprise, lorsqu'on serait mariés. C'est sa sœur qui m'a confié ça, le jour de l'enterrement. Je la revois encore, cette métisse , me parlant de Pretoria, de ces allers-retours qu'Emilliana chaque jeudi et mardi, pour apprendre... Mais tout cela n'a plus de sens maintenant.
Une partie de moi ne peut s'empêcher d'imaginer ce qu'aurait été notre vie si elle était encore là, mais ce n'est qu'un rêve mort, comme elle.
Je finis par regagner mon bureau et me plonge dans le travail, tentant de fuir les pensées qui me rongent
Le soir venu, épuisé, je rentre chez moi, espérant un peu de répit. Mais dès que j'aperçois la Berlin noire de ma mère garée dans le garage, mes espoirs s'effondrent. Elle est toujours là.
Dans le salon, elle est assise confortablement, caressant ce chat qui me regarde avec ses yeux perçants, comme s'il percevait la tension qui me traverse. Ou peut-être que je me fais des illusions. Elle m'accueille avec un sourire aimable, un sourire qui m'exaspère autant qu'il m'irrite. Je ne peux même pas soupirer sans qu'elle ne le remarque.
– Bonsoir, maman.
– Bonsoir, mon grand , répond-elle d'un ton chaleureux, comme si tout était normal. Comment s'est passée ta journée ?
– Comme d'habitude, et toi ?
– J'ai regardé des vlogs toute la journée, et ce petit être m'a tenu compagnie, dit-elle en grattant la tête du chat qui ronronne doucement.
– Tu as l'air bien occupée, dis-je sèchement, en tentant de mettre fin à cette conversation inutile.
Sans attendre sa réponse, je me dirige vers les escaliers, espérant enfin avoir un moment de calme.
– Ne traîne pas trop, le dîner sera prêt dans quelques minutes, lance-t-elle derrière moi.
– D'accord, répondis-je d'un ton neutre.
Je m'abstiens de monter et me dirige vers le jardin, les épaules lourdes sous le poids de cette mascarade qui semble sans fin. Une fois dans le jardin, je me dirige vers le tuyau d'arrosage. L'eau qui coule sur les plantes a un effet apaisant, me permettant de vider mon esprit, ne serait-ce que pour quelques minutes.
Alors que je finis d'arroser, Adeola vient me prévenir que le dîner est prêt.
Sans un mot de plus , elle s'éclipse, et je la regarde partir avant de regagner la salle à manger. La table est magnifiquement garnie, le genre de dîner qui aurait pu être parfait dans d'autres circonstances. Je m'assois au bout de la table, loin de ma mère, et elle commence à me servir avec des gestes précis, avant de servir maman et de se servir elle-même.
Le silence règne à table, seulement brisé par les bruits des couverts contre les assiettes. Ce silence est presque suffocant, me laissant divaguer dans mes pensées
– Alors, Ryan, comment trouves-tu le repas ? demande ma mère, me tirant brusquement de mes pensées.
Je lève brièvement les yeux vers Adeola, qui garde la tête baissée, concentrée sur son plat, comme si elle espérait disparaître.
– C'est bien, finis-je par dire après un moment de réflexion. C'est délicieux.
– C'est ce que je pensais aussi, répond ma mère avec son sourire commence à sérieusement m'énerver .
Je me concentre sur mon assiette, pressé d'en finir et de fuir cette table.
– Alors, dites-moi, pourquoi vous faites chambre à part ?
Ma cuillère m'échappe, tombant un peu trop bruyamment sur l'assiette. Pris au dépourvu, je tente de répondre, mais les mots restent coincés dans ma gorge.
– On ne fait pas chambre à part, lâché-je, bien trop hésitant pour être convaincant.
J'aurais pu dire mieux. J'aurais dû dire mieux.
– Vous en êtes sûrs ? insiste-t-elle, son ton devenant plus perçant, presque accusateur.
Je tente une approche plus convaincante mais Adeola me devance avec une explication plus plausible.
– Mes affaires sont au premier étage, commence-t-elle avec une voix calme. Comme je me lève très tôt comparé à... Ryan, et parfois, on doit se préparer en même temps...
– Et il n'y a pas assez de place dans mon dressing non plus, ajouté-je rapidement pour dissiper les doutes.
Ma mère hoche la tête, mais je sais qu'elle n'est pas convaincue. René ne se laisse jamais tromper aussi facilement.
– J'ai vraiment cru que vous faisiez chambre à part, dit-elle, un air faussement innocent.
– NON, avons-nous répondu en même temps, un peu trop vite.
Le silence qui suit est encore plus pesant. Je vois déjà Lyan se moquer de moi, éclatant de rire à l'idée de cette situation absurde.
Après le dîner, je traîne un peu dans la maison, retardant l'inévitable. Quand je monte enfin, Adeola me rejoint quelques minutes plus tard, se couchant à la même place que la veille. Sans un mot, elle éteint la lampe dès que sa tête touche l'oreiller.
Une routine se crée, une routine aussi froide qu'efficace.
Le lendemain matin, tout se répète. Nous déjeunons ensemble dans le même silence avant que chacun ne prenne le chemin de sa destinée.
Mais ce soir-là, en rentrant, quelque chose d'étrange m'attend.
Depuis le jardin, je remarque que toutes les lumières du deuxième étage, celui de ma chambre, sont allumées. Une étrange lumière filtre à travers les longs rideaux qui couvrent les grandes baies vitrées. Une sensation de malaise me prend à la gorge.
Je me hâte vers le salon et y trouve Adeola, debout, l'air surpris. Mais ce n'est pas elle qui attire mon attention. Ma mère descend les escaliers avec un homme à ses côtés. Un inconnu dans ma maison.
– Chéri, tu es rentré ? me demande-t-elle, son sourire encore plus large aux lèvres.
Je retiens un soupir d'exaspération. Qu'a-t-elle encore fait ?
L'homme la remercie poliment avant de me saluer. Je ne réponds qu'avec un hochement de tête, le regard fixe. Adeola l'accompagne jusqu'à la porte, et dès qu'elle revient, je perds patience.
– Qu'est-ce qu'un inconnu fait chez moi, maman ? demandé-je, la voix tendue.
– Ce n'est pas un inconnu. Enfin, pas tout à fait... Mais la vraie question, c'est qu'est-ce que je vous ai fait ?
Je soupire profondément, tentant de maîtriser l'énervement qui monte.
– J'aimerais comprendre, dis-je, plus calmement cette fois.
– Suivez-moi, et vous comprendrez, nous invite-t-elle avec un geste de la main.
Nous montons les escaliers, jusqu'au deuxième étage où toutes les lumières sont allumées. Je ne me souviens même pas de la dernière fois où j'ai vu cette pièce si éclairée. Je m'arrête à l'entrée de mon dressing , choqué.
– Comme vous souffrez d'un manque d'espace, j'ai fait appel au meilleur architecte d'intérieur que je connais, et il a tout réaménagé. C'était difficile, mais il a réussi. Il a dû...
Je ne l'écoute plus. Mon esprit se ferme, et je passe une main sur mon visage, tentant de me calmer. La colère, cette vieille ennemie que je garde sous contrôle, menace d'éclater. Elle me pousse à bout .
– Ryan, aide donc ta femme à ramener ses affaires, conclut-elle avec son sourire. Ne vous en faites pas, je m'occupe du dîner ce soir. Il ne faudrait pas que vous mourriez de faim.
Je ferme les yeux, inspirant profondément, tentant de maintenir le contrôle.
– Darling, dis-je d'une voix plus calme que je ne me sens. On va le faire. Commence à ranger tes affaires, j'arrive.
Elle hoche la tête et s'en va, me laissant seul face à celle qui m'a mis au monde. René, avec son port toujours si digne, tourne légèrement sur ses talons, m'observant avec ce regard intense que je connais trop bien. Je suis pris entre un mélange d'agacement et de respect, cette ligne fragile entre un fils et sa mère.
Elle tend lentement une boîte à biscuits, posée sur le repose-pieds près du lit, avec une gestuelle maîtrisée, presque théâtrale.
– On n'enlève les souvenirs d'une femme quand une autre est présente. C'est un principe basique, dit-elle, le ton plat, une évidence sans appel.
Mon regard se tourne vers le lit. Là où se trouvaient les photos autrefois. Ces images d'une autre vie. Celles d'Émiliana.
Le mur est désormais nu, chaque cadre effacé. Le vide qu'il laisse semble plus grand que la pièce elle-même. Notre album, ces pages accrocher que je visualise dans mes moments de faiblesse, n'existe plus. C'est comme si elle n'avait jamais été là.
Je prends la boîte avec une lenteur presque cérémoniale, mon esprit cherchant à comprendre le poids de cette perte une seconde fois.
À l'intérieur, les photos sont empilées, négligemment, comme si elles n'avaient jamais eu d'importance. Les souvenirs d'Émiliana, mon passé, jetés pêle-mêle.
Chaque image, un fragment de ce qui a été, n'est plus qu'une ombre déformée par le présent.
– René, René... dis-moi ce que je t'ai fait, lançai-je, la voix serrée, avec toute la force qu'il me reste, l'angoisse fait monter le son de ma voix
Elle me regarde calmement, comme si mes mots ne l'atteignaient pas.
— Ce que tu m'as fait ? répète-t-elle doucement, avec cette tranquillité glaçante qui me rappelle qu'elle maîtrise toujours la situation. Ce que tu m'as fait, c'est me déchirer les entrailles pour voir le jour. Voilà ce que tu m'as fait.
Ses mots me frappent comme une gifle. Il n'y a pas de place pour la discussion. La conclusion est définitive.
Et je me retrouve, une fois encore, impuissant , comme à chaque fois qu'on prenait des décisions sur ma vie sans me concerter .
Ma mâchoire se serre tandis que je respire profondément pour calmer la tempête qui menace.
On ne crie pas sur sa mère, me répète je intérieurement.
– C'est parce que je suis ton fils que tu ne peux pas comprendre ma douleur, maman ?
Je parle plus doucement cette fois, presque en chuchotant, comme si une partie de moi espérait que cela l'amadouerait.
Elle me sourit, doucement. Pas un sourire de joie, mais un sourire de ceux qui ont traversé la douleur et qui savent. Elle pose une main légère sur mon bras, presque un geste de réconfort.
– C'est précisément parce que tu es mon fils que je comprends ta douleur, dit-elle d'une voix empreinte de tendresse. C'est ça, la famille, Ryan. C'est douloureux, mais on s'entraide, toujours. Maintenant, va aider ta femme à ranger ses affaires. C'est elle, Ta femme et Ta famille.
Elle reprend la boîte de mes mains et la dépose sur la table de chevet avec une douceur calculée, puis me débarrasse de ma veste. Je me laisse faire, las, et retrousse mes manches comme un homme qui sait qu'il ne peut plus reculer.
Elle me devance dans les escaliers, descend jusqu'au salon, mais moi, je m'arrête au premier étage, juste devant la porte d'Adeola.
Je frappe doucement. Le silence est long avant que la porte ne s'ouvre. Elle me fait attendre , je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi elle ferme toujours à clé.
Ses yeux me fixent, sereins, comme si ce que ma mère avait orchestré ne la concernait pas.
Son visage, impassible, me renvoie à ma propre ignorance. Comment peut-elle tout encaisser ainsi ? Elle ne montre rien, ne demande rien. Elle reste en retrait, une énigme.
Qu'est-ce que je sais d'elle au fond ? Rien. Absolument rien.
Je pénètre dans son espace pour la première fois. Une vague de parfum d'orchidées m'enveloppe aussitôt. La pièce est soigneusement ordonnée, avec cette précision silencieuse qui semble la définir. Sur le lit, son chat est enroulé, paisible, comme si l'agitation du monde extérieur n'avait aucun impact sur lui. Les draps, d'un bleu profond, sont tendus à la perfection, décorés de vagues qui me rappellent l'océan.
Seule une écharpe noire est posée négligemment sur la tête du lit.
Sur son bureau, un cadre photo attire mon attention. Une photo d'elle souriante doucement dans la photo. C'est elle ? . Non , plutôt une version d'elle plus âge , plus mûre, peut-être sa mère.
Elles se ressemblent tellement ça en est troublant.
Sans un mot, je la suis jusqu'à son dressing. Ses affaires sont déjà pliées, organisées avec soin, chaque vêtement semblant occuper une place définie dans son univers. L'odeur florale envahit la pièce, imprégnant chaque recoin. Je l'aide à déplacer ses vêtements dans ce qui est désormais notre espace partagé, à moitié mon territoire, à moitié le sien.
Je lui tends une robe, un vêtement , une à une, qu'elle accroche méticuleusement dans son placard. Chaque geste est précis, comme une chorégraphie. Une danse mécanique qui semble l'éloigner encore un peu plus de moi.
– Désolé, soufflai-je finalement, brisant le silence pesant.
Elle lève les yeux vers moi, et je m'attends à une réaction, quelque chose, n'importe quoi. Mais son regard est distant, détaché.
– Tu n'as pas à t'en faire, dit-elle, d'une voix froide, tranchant avec la douceur de ses traits.
Je prend la robe suivante, une à paillettes, et elle répète le même geste, sans jamais dévier. Le bruit du cintre glissant sur la tringle devient hypnotique.
– Je le suis sincèrement, répétai-je, ma voix plus ferme, cherchant à combler cet écart entre nous.
Cette fois, elle esquisse un sourire, petit, presque imperceptible, mais sans la moindre chaleur. Elle continue à ranger, une robe dorée cette fois, toujours avec la même précision.
Il est tard quand nous terminons enfin. Elle descend, et je profite de ce moment de solitude pour prendre une douche. L'eau chaude me calme, et je baisse l'intensité des lumières dans la chambre, espérant apaiser le mal de tête qui bat dans mes tempes.
En bas, je la trouve en pleine discussion avec ma mère. Elles échangent des mots que je ne peux, ou ne veux, entendre. Ma mère me regarde avec une certaine incompréhension, et je lui rends un regard noir. Peu importe ce qu'elle pense. René peut bien jouer à son jeu, mais je n'y accorderai pas plus d'importance.
Cette nuit encore, le sommeil nous échappe. Malgré l'obscurité apaisante, je sens l'inquiétude monter en moi. Je l'entends se lever vers quatre heures du matin, comme toujours, silencieuse, et elle descend.
Le lendemain, ma mère annonce, avec son sourire de bienveillance , qu'elle restera encore un peu. Comme si nos vies n'étaient pas déjà assez bouleversées.
Je respire profondément. Prisonnier dans mon propre cocon.
NDA : spécial joyeux anniversaire à ma go Adeola
N'oublie pas de laisser vos impressions , vos ressentis, sur leur première nuit ensemble .
Un petit étoile 🌟 d'encouragement
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