Chapitre V : Le pacte silencieux
( Démarrez la vidéo. Détendez vous et bonne lecture)
Acte1🟤: Mariage et poids du devoir
«La meilleure façon de prédire sont avenir est de le créer»
Abraham Lincoln
Adeola.
Depuis trois jours, je me suis retrouvée prisonnière de ma propre chambre, submergée par un océan de larmes, incapable de trouver le moindre réconfort.
Dans la pénombre de ma chambre, les ombres dansent silencieusement, créant un ballet lugubre sur les murs défraîchis. L'air y est lourd, imprégné de tristesse et de désespoir, comme si chaque souffle résonnait du chagrin qui m'envahit. Les draps qui m'enveloppent sont devenus des chaînes, me retenant prisonnière de ma douleur. Le tissu usé et froissé semble absorber mes larmes, devenant le témoin muet de mes tourments.
Les draps, autrefois doux et réconfortants, sont maintenant froids et hostiles, reflétant la froideur de mon âme meurtrie. Leur texture rêche contre ma peau fragile est comme un rappel constant de ma solitude, un rappel de l'absence insupportable de ma mère. Les plis et les creux dans les draps semblent former des visages fantomatiques, des spectres de mes souvenirs douloureux qui hantent mes nuits sans fin.
Mes forces m'ont lâchée, me laissant à la merci de mes pensées les plus sombres. Entre les rares instants de sommeil agité et les torrents de larmes, je me surprends à souhaiter ne plus me réveiller, à envier ceux qui ont trouvé la paix éternelle. Si seulement ma mère était encore là, sa présence aurait tout changé. Elle aurait été ma bouée de sauvetage face à mon père.
Dans mes rêves tourmentés, je la revois, me coiffant le matin, sans savoir qu'elle cachait sa maladie. Son absence se fait cruellement sentir, son parfum fruité m'obsède. J'aimerais me laisser emporter par le sommeil et ne plus affronter cette réalité insoutenable.
Alors que je m'enfonce davantage dans ce cocon de tristesse, les ténèbres de la pièce semblent s'épaissir, enveloppant mon être meurtri dans un étreinte glaciale. Chaque fil des draps devient une corde invisible, me liant à ce monde de douleur et de désespoir. Et pourtant, au milieu de cette obscurité écrasante, un mince rayon d'espoir semble percer, apportant une lueur fragile dans ma nuit sans fin.
Une perturbation inattendue brise le silence pesant de ma torpeur. Une lumière éblouissante m'oblige à ouvrir les yeux, révélant deux silhouettes indistinctes, l'une à l'entrée et l'autre près de mon lit.
Les paroles dures de mon père résonnent, scellant mon destin incertain.
— rend la présentables......Salon privé
Une voix douce, celle d'une domestique, me tire délicatement de ma léthargie.Sa présence timide apporte un mince réconfort dans ce monde de douleur.
Elle m'aide à m'asseoir sur mon lit tout en déboutonnant ma robe que j'avais toujours sur le dos depuis cette fameuse soirée. Elle me tend un verre de jus d'orange que je n'avais aucune intention de boire, mais mon corps me trahit. Après le jus, de la bouillie au tapioca et quelques beignets que j'engloutis. Elle m'aide à me lever et me traîne dans la salle de bain.
M'habiller, me coiffer, j'obéis à ses ordres machinalement.
Elle m'ouvre la porte, signe que je devais sortir. Là, j'émet une objection, mais elle me pousse dehors et referme la porte.
—Je ne fais que mon travail, m'a-t-elle dit d'un air hautain.
Elle me traîne jusqu'au salon privé où se tient mon père et quelques personnes que je ne salue pas. Je n'en ai pas l'intention.
—Ma petite Bola, comment vas-tu?, émet la voix de tonton. Je lève la tête et ne réponds pas, ma gorge est nouée. Il soupire et mon père aussi.
—On les laisse, dit la voix de mon père à tonton, il me semble.
Les deux me dépassent et je reste près de la porte. Je lève la tête et remarque celui qui n'est autre que l'autre concerné. Il est debout près de la fenêtre. Mes jambes n'ayant pas assez de force pour me tenir debout, je me rapproche et m'assois sur le canapé. Je ne fixe que mes mains qui tremblent nerveusement.
Je ne sais au bout de combien de minutes, la porte claque et il n'est plus là. J'ai perdu la notion du temps, peut-être trente minutes à une heure. Je me lève à mon tour et sors, je regagne ma chambre.
Le lendemain, la domestique est revenue avec mon petit déjeuner, puis mon déjeuner, et m'a informé que je devais sortir. Comme d'habitude, nos parents nous laissent seuls dans le salon privé, et c'est lui qui s'en va en premier au bout d'une heure. Nous ne nous échangeons aucun mot. Je regagne ma chambre, et le soir, ma domestique me rapporte mon dîner.
Ce cycle se répète pendant cinq jours.
Aujourd'hui, c'est le sixième jour dans cette pièce, et il se tient encore près de la fenêtre. La domestique vient nous servir de la limonade, il fait particulièrement chaud aujourd'hui. Je saisis mon verre et y goûte, mais cela n'a pas le même goût. Celui de ma mère était différent, elle y ajoutait du sirop de canne dans lequel elle avait laissé des feuilles de menthe trempées depuis quelque temps. Le goût était différent. Je regarde la montre dans le salon. Cela fera bientôt une heure vingt que nous sommes ici, il devrait partir bientôt.
— Comment tu t'appelles ? me lance-t-il soudain, sa voix teintée d'une pointe d'acidité.
—Adé... Adeola, beigais -je, surprise par son ton.
— Ryan,réplique-t-il sèchement. J'ose croire que cette situation te plaît, à toi ?
Je relève les yeux vers lui, déconcertée par son attitude accusatrice. Je ne l'avais jamais vraiment regardé. Imposant avec sa barbe, il émane une aura intimidante, mais je soutiens son regard incisif.
— Cela te plaît, n'est-ce pas, qu'on m'offre à toi ? crache-t-il avec une pointe d'agacement
Je me lève du canapé, mon verre à la main, et je m'approche de lui près de la fenêtre, soutenant toujours son regard. Il semble me haïr pour une raison qui m'est inconnue, et moi, je n'en suis pas loin non plus.
— Vous..., commence-je. Vous êtes impoli. C'est vous qui venez tous les jours ici, m'obligeant à supporter votre présence, et lorsque cela vous plaît, vous partez. Pensez-vous réellement que j'ai une once d'envie de vous épouser ?
—Alors pourquoi tu ne dis rien ?
— Parce que... Vos mots vous ont-ils servi ?" lui demandé-je.
Il baisse le regard, signe que non. Alors les miens n'y changeront rien.
—Ne revenez plus m'infliger votre présence.
C'est à mon tour aujourd'hui de sortir en premier. Je retrouve mon père et sien près de la porte. Je les dépasse, monte les escaliers et regagne ma chambre. Aujourd'hui, je ne pleure pas, je n'en est toujours plus la force
En me retournant dans mon lit, la nuit sans sommeil, je me rappelle que j'avais un téléphone. Je fouille partout sans succès, puis je me souviens de l'avoir laissé dans le sac que j'avais utilisé ce soir-là, et qu'il est probablement resté dans la voiture.
Je sors délicatement de ma chambre pour ne pas faire de bruit, je passe par la cuisine où certains domestiques se trouvaient encore, et vais dans le garage où je récupère mon sac dans la voiture.
Alors que je tente de regagner ma chambre, une ombre surgit près de la cage d'escalier, me faisant presque trébucher.
— Alors, très chère sœur, j'ai entendu dire que tu allais te marier ? me lance la voix d'Aruna, mon demi-frère.
Il était présent au dîner, donc je n'ai pas l'intention de discuter avec lui maintenant.
— Tu me laisseras chanter à ton mariage, n'est-ce pas ? J'ai un tout nouveau hit, annonce-t-il, tandis que je m'éclipse rapidement vers ma chambre.
Je n'en ai rien à faire de son hit.
Je branche mon téléphone et suis surpris du nombre d'appels et de messages d'Ife, je l'ai oubliée. Je lui passe un appel, elle répond aussitôt.
"Adé, tu étais où ? J'étais inquiète ? C'est cette sorcière encore ?"
"Non, non, Ifé... je vais me marier."
Le prononcé part mes propres mots est comme un coup de poignard dans mon âme
"Hein... QUOI ???? COMMENT TU VAS TE MARIER ???? ET AVEC QUOI ???"
"Arrête de crier, tes voisins."
"J'en ai rien à cirer, comment vas-tu te marier ?"
"Tu es au courant de la fusion non..."
Je lui explique en détail ce que je sais et ce qui a conduit à ce cauchemar, mais mes larmes ne peuvent s'empêcher de couler.
"Mais Adé, ce n'est pas juste !"
"Je sais."
"Tu peux venir habiter chez moi, tu sais. Tu peux quitter cette maison de fous furieux."
"Si je fais ça, tu vas perdre aussi ton travail et tu vas te retrouver sans emploi..."
"On se débrouillera, t'inquiète, toi et moi contre le monde."
"C'est égoïste, Ife. Je serai égoïste si je fais ça. Tu aimes ton travail."
"Je sais, mais je t'aime aussi..."
"Je ne pense pas, Ife."
"Et il n'y a plus de solutions, ton père ne peut pas changer d'avis ?"
" Je crois pas, j'en suis pas sûr... il a pris sa décision."
Elle soupire, mon père ne changera jamais d'avis. Nous restons là à écouter la respiration de l'autre et cela donne l'illusion que nous étions proches, sur le même lit. Jusqu'à ce que je m'endors épuisé, le cœur en miettes ,pleurer m'épuise.
La peur de l'inconnu et le poids de la situation pesaient lourdement sur mes épaules, me laissant perdu dans un océan d'émotions tumultueuses.
Le lendemain, il n'est pas revenu.
Les jours se sont succédé dans un silence lourd, et son absence, pour une fois, était presque un soulagement.
Ce matin, j'ai décidé de sortir de cette maison étouffante pour aller travailler. Plus personne ne se préoccupe de moi, excepté une domestique, chargée de s'assurer que je mange, certainement sur ordre de mon père. Habillée et prête à partir, je sors de ma chambre, mais ma belle-mère surgit devant moi comme une ombre menaçante. Mon corps réagit instinctivement, et je recule.
— Hey, ashawo (prostituée), me crache-t-elle. Où comptes-tu aller ?
Une énième insultes que je ne peux que toléré
— Je vais travailler, dis-je d'une voix que je tente de rendre ferme.
— Travailler pour qui ? Son regard est glacé, et avant que je puisse répondre, elle me pousse brutalement dans la chambre. Derrière elle, plusieurs domestiques s'engouffrent.
— Tu n'iras plus nulle part, jusqu'au jour où ton mari viendra te chercher. Déshabille-toi, ordonne-t-elle, sa voix tranchante comme une lame.
Je la fixe, sidérée, mon cœur battant à tout rompre. Les domestiques s'activent autour de moi, m'encerclant.
— Déshabille-toi ! répète-t-elle, l'impatience marquant chaque syllabe.
Son impatience se mue en violence.
Elle me gifle si fort que ma vision vacille, et commence à arracher mes vêtements de ses propres mains. Je me retrouve nue, exposée, vulnérable. Elle me traîne sans ménagement jusqu'à la salle de bain, où elle m'assoit sur un pot traditionnel rempli d'eau bouillante et d'herbes amères. La chaleur est insupportable, brûlant mes parties intimes. Je tente de me lever, mais elle écrase mon épaule avec une force implacable.
— Si tu te lèves, tu le regretteras, me menace-t-elle d'une voix glaciale.
Elle m'enveloppe d'un drap, me couvrant jusqu'à la tête. Je suis là, recroquevillée, prisonnière de cette vapeur qui semble vouloir me consumer de l'intérieur.
Les larmes, que je n'arrive plus à retenir, coulent silencieusement. La douleur et la chaleur se confondent, me brûlant jusqu'à l'âme. Après ce qui me semble une éternité, elle me fait lever. D'un geste sec, elle me tend un savon et me force à me laver. Puis, sans une once de douceur, elle me tend une infusion. Je la bois, le goût fade et terreux des herbes emplissant ma bouche, pendant qu'elle me surveille avec des yeux de rapace.
— À partir d'aujourd'hui, on fera ça tous les jours jusqu'à ton mariage.
Elle quitte la pièce sans un mot de plus, me laissant seule, tremblante, désespérée. Je m'effondre au sol, incapable de contenir plus longtemps cette angoisse qui me ronge. Quand cela prendra-t-il fin ? La brûlure persiste sur ma peau, alors je m'allonge sur le lit, mes larmes mouillant l'oreiller. Je mets mes écouteurs, essayant désespérément de noyer la réalité dans la musique.
Quatre jours plus tard, je suis toujours allongée sur ce même lit, devenue esclave de TikTok pour échapper à ma misère. Un coup résonne à la porte, brisant mon évasion. J'ouvre, et c'est mon père qui se tient là, avec cette même posture rigide, prêt à me juger, à m'écraser sous le poids de son regard intransigeant.
Aujourd'hui, je ne sais pas trop pourquoi il est là, il m'a abandonné. Oui, il l'a fait depuis dix-huit ans déjà.
Mon père m'a abandonné au même moment que ma mère a quitté ce monde. Je l'avais regardé avec toute ma douleur, toute ma pitié dans ce restaurant, mais il ne m'a pas regardé. Une seule fois de ma vie, mon père n'a pas choisi de me sauver. Il est en fin de compte mon premier bourreau, même s'il ne tenait pas la hache à chaque fois, il envoyait quelqu'un la tenir pour lui.
— Tu ne sors plus de ta chambre ? me demande-t-il.
—Je ne sais pas quoi faire dehors...
Il me fixe un moment avant de prendre la direction des escaliers. Je referme la porte derrière lui. En retournant sur mon lit, quelques minutes plus tard, on cogne encore. Je me lève, c'est une domestique.
— Tu as de la visite, me dit-elle avant de descendre elle aussi.
Je rajuste ma robe et descends les escaliers. Je ne sais pas qui c'est, mais je m'en fiche. Dans le salon principal, mon futur bourreau m'attend assis et ma demi-sœur près de lui. Elle semble lui faire la conversation, mais lui n'y participe pas.
À mon arrivée, elle s'éloigne, mais pas sans me lancer un dernier regard acéré, un de ceux qui tentent de percer la peau et l'âme en une seule fois. Si j'avais eu la force, ou même le courage, je l'aurais giflée, juste pour voir si cela aurait suffi à éteindre ce feu dans ses yeux.
Je m'avance vers lui, les jambes lourdes, comme si chaque pas me rapprochait un peu plus de l'abîme. Il m'invite d'un geste calme à m'asseoir en face de lui. J'obéis, m'effondrant presque sur le canapé.
Son regard me transperce, il semble chercher quelque chose en moi, une étincelle peut-être, ou simplement le moyen de m'achever. Mais il n'en a pas besoin. Brisée, je le suis depuis si longtemps que je ne sais même plus ce que c'est de ne pas l'être.
— Comment vas-tu ? finit-il par demander, comme si cette question avait un sens.
— Bien. Et vous ? répliquai-je mécaniquement, la politesse comme dernier rempart contre un monde qui s'effondre.
Le tutoyer ? Hors de question. Il ne mérite pas cette intimité.
— Bien, répond-il, sans émotion, comme un écho vide.
Il continue de me fixer, ses yeux pesants comme une chape de plomb, avant de se lever lentement.
— Voudriez-vous m'accompagner quelque part ? propose-t-il, sa voix résonnant comme une invitation à l'inconnu.
Je reste figée un instant, stupéfaite par l'ironie de la situation. Sortir de cette prison, même pour un court instant, est une tentation irrésistible. Je hoche la tête, incapable de répondre autrement, ma voix étouffée par le poids de la résignation.
— Très bien, allons-y, dit-il en m'incitant doucement à me lever.
— Je vais juste récupérer mon téléphone, murmurai-je en tournant les talons.
Je monte rapidement, le cœur battant plus fort que je ne l'aurais voulu. Je saisis mon téléphone, mon portefeuille, et attrape un foulard que je noue autour de mes nattes fatiguées, qui ne ressemblent plus à rien.
Une pensée traverse mon esprit, fugace et désespérée : il faudrait vraiment que je les refasse. Comme si cela avait encore de l'importance.
Je redescends, prête, ou du moins aussi prête qu'on peut l'être dans une telle situation. Il m'invite à passer devant, et je me laisse guider, un automate, une marionnette. À peine ai-je franchi la porte que je tombe sur ma belle-mère. Elle sort de sa voiture, ses yeux se plissant d'interrogation.
— Où est-ce que tu vas, toi ? crache-t-elle en dialecte, sa voix acide, avant de le voir derrière moi, et de changer instantanément de ton. Ah, beau-fils, tu es de passage ?
Elle est passée à l'anglais, comme si cela pouvait masquer son venin. Je me crispe, une réaction instinctive à cette phrase qui résonne comme une gifle.
— Oui, répond-il, sans même lever les yeux vers elle.
— Je vois que ta femme veut te raccompagner. C'est bien, ajoute-t-elle, avec cette douceur feinte .
— Non, nous allons ailleurs, répond-il d'un ton coupant.
Son visage se fige, un masque de marbre qui se craquèle à peine.
— J'ai bien peur que ce ne soit possible, commence-t-elle avec un sourire crispé. Une jeune femme promise ne doit pas quitter la maison sans ses parents avant le mariage. Tu es au courant, n'est-ce pas, Bola ?
Cette règle, je n'en avais jamais entendu parler, mais dans sa bouche, cela pourrait être la loi divine elle-même. Si cela l'arrange, ma belle-mère inventerait n'importe quoi.
Je hoche la tête, soumise, avant d'essayer de parler, mais il me devance, sa voix coupant l'air comme un couperet.
— Elle m'est promise, réplique-t-il avec une froideur qui me fait frissonner. Je ne la toucherai pas avant notre union, et nous ne serons pas long.
À ces mots, je baisse les yeux, la honte brûlant mes joues. Oui, je lui appartiendrait bientôt. Ce n'est plus qu'une question de temps, une certitude qui pèse sur moi .
— D'accord, mais qu'il ne fasse pas nuit, concède-t-elle, vaincue.
— D'accord, dit-il en posant une main sur mon épaule, un geste qui se veut rassurant mais qui ne fait que m'enchaîner davantage.
Je le suis jusqu'au portail où sa voiture est garée. Il m'ouvre la portière avec une courtoisie glaciale, et je m'installe. Il fait de même de l'autre côté, bouclant sa ceinture dans un silence lourd.
— Connais-tu un endroit calme où nous pourrions discuter ? me demande-t-il, sa voix neutre, comme si tout cela n'était qu'une affaire d'affaires.
Je hoche la tête, incapable de trouver mes mots, et entre l'adresse la plus proche dans son GPS. Il démarre, et le moteur ronronne comme un fauve en cage.
Nous entrons dans le glacier, l'air frais de l'intérieur contraste avec la chaleur oppressante de l'extérieur. Nous nous installons à une table isolée, loin des regards curieux.
La serveuse arrive, je commande une glace, lui une bière. Le silence s'installe entre nous, pesant et dense. Je sens encore son regard sur moi, scrutateur, jugeant chaque mouvement, chaque respiration. La serveuse revient avec nos commandes, et je plonge ma cuillère dans la glace, cherchant désespérément un réconfort que je sais ne pas pouvoir trouver.
— Dites-moi, commence-t-il soudainement, brisant le silence d'une voix douce mais ferme. Avez-vous quelqu'un dans votre vie ? Un petit ami ?
Je secoue la tête, incapable de répondre autrement. Je me concentre sur ma glace, qui commence déjà à fondre, se liquéfiant comme mes rêves.
— Je vois, murmure-t-il, presque pour lui-même. Un nouveau silence s'installe, lourd de non-dits.
— Regardez-moi, m'ordonne-t-il, sa voix maintenant plus dure.
Je lève les yeux de mon pot et le fixe, essayant de lire quelque chose, n'importe quoi, dans son regard.
— J'ai tout essayé, mais nous sommes obligés de nous marier. Désolé, dit-il, sa voix pleine de cette résignation qui commence à m'étouffer.
— Vous n'avez pas à l'être, je le savais déjà, dis-je en jouant avec ma cuillère, tentant de dissimuler le tremblement de mes mains.
Il sort son téléphone, tapotant sur l'écran avant de me montrer un document photographié. Je prends l'appareil, mes yeux parcourant les mots qui semblent se brouiller sous l'effet de l'absurdité.
Ce sont les termes d'un contrat, une fusion basée sur notre "désir" de nous marier.
Ce mot, "désir", me frappe comme un coup. Toute cette farce est construite autour d'un mensonge si énorme qu'il semble avaler tout ce qu'il y a de vrai.
— Je n'ai pas particulièrement envie de vous épouser, tranche-t-il sans détour, les mots glacials. Mais il me le faut pour quelques raisons, alors je vous propose un marché.
Je le fixe, attendant la suite, un mélange de curiosité morbide et de désespoir.
— Marions-nous comme ils le veulent. Soyons le couple idéal pendant cinq ans, le temps que ce contrat ne soit plus fragile. Ensuite, je vous rendrai votre liberté. Vous pourrez retourner à Lagos et reprendre votre vie. Je veillerai à ce que vous ne manquiez de rien, mais il faudra attendre cinq ans de plus pour finaliser le divorce officiel. Vous aurez 34 ans lorsque tout sera terminé.
Je le regarde, perplexe, une tempête d'émotions tourbillonnant en moi. Cinq ans de vie commune. Je finis par détourner les yeux vers ma glace, qui fond comme mes espoirs, tandis qu'il prend une gorgée de sa bière, imperturbable.
— D'accord, dis-je enfin, ma voix presque éteinte. Je vous accorde dix ans de ma vie.
Dix ans... Ce n'est rien comparé à une vie entière d'agonie. Après tout, ma vie ne sera pas plus malheureuse que maintenant. Dix ans, et je serai enfin libre de tout. Libre même de la vie elle-même.
— Tutoie-moi maintenant, me dit-il avec une familiarité soudaine. Je vais devenir ton époux dans moins de deux semaines, à Pâques.
Je le regarde, surpris par la brutalité de la révélation.
— Tu n'étais pas au courant ? demande-t-il, presque amusé. C'est dans deux semaines.
Deux semaines. Le temps s'étire devant moi comme un chemin semé d'embûches, mais je me raccroche à une pensée : cela ne peut pas être si terrible. Je ne mourrai pas avant ces deux semaines.
Je termine ma glace, admirant le paysage un instant avant qu'il ne me fasse signe qu'il est temps de rentrer. Je me lève et je le suis.
— Puis-je vous demander un service ? lui demandai-je alors que la caissière, après de longues minutes, lui remet enfin le ticket de caisse.
— Tutoie-moi, me rappelle-t-il. Je t'écoute ?
Je prends mon courage à deux mains. Cela n'aura pas d'importance s'il refuse.
— J'aimerais rendre visite à une amie... Vu que je ne pourrai plus le faire bientôt...
— Je ne connais pas bien le trafic ici. Tu veux conduire ?
— Non, ce n'est pas loin. Elle doit être en train de sortir du travail.
— D'accord, et c'est où ?
— Au bureau... Au bureau de mon père.
Il hausse les épaules et m'invite à le suivre
Il se gare dans le parking juste au moment où j'appelle Ife. Sa voix familière me réchauffe instantanément, elle me dit de couper, qu'elle arrive tout de suite. Quelques petites minutes plus tard, elle déboule en courant, essoufflée mais rayonnante.
— Sérieusement, Adé, tu as tellement maigri ! Tu veux devenir aussi mince que moi, c'est ça ?
Je ne réponds pas, je me contente de l'étreindre, de me perdre dans ses bras.
— Arrête de parler, murmurai-je, la gorge nouée.
Elle m'a tellement manqué. Le poids du monde semble s'alléger un instant.
— Toi aussi, tu m'as manqué, ma petite femme, dit-elle en resserrant son étreinte. Tu me manques chaque jour, chaque instant. Quand je vois ta place vide, mon cœur se brise en mille morceaux.
Ses mots font resurgir les larmes que je m'efforçais de retenir depuis si longtemps. Mais avant qu'elles ne puissent couler, Ife me secoue doucement.
— Toula... Yuyu, ne pleure pas, d'accord ? Je serai toujours là pour toi. On est les sœurs du 10 octobre, tu te souviens ?
Je hoche la tête, un sourire triste aux lèvres. Ife et moi sommes nées le même jour, et nous célébrions toujours notre anniversaire ensemble, chaque 10 octobre.
— Allez, dis-moi, t'as mangé aujourd'hui ? Et c'est quoi ce foulard ? On dirait une vieille Haoussa de mon quartier, tu sais, celle qui attend son quatrième mari...
Son ton espiègle me fait sourire malgré moi. Cette vieille dame finirait par nous maudire un jour si elle entendait tout ce qu'on a dit sur elle. Nous éclatons de rire, un rire qui résonne comme un écho d'un temps plus simple, plus heureux.
— Je te jure, et la dernière fois, tu te souviens de son fils ? Il avait ramené une fille... Elle s'est mise à crier en pleine nuit que cette fille voulait faire de l'argent avec son fils...
— Elle est pas possible, vraiment...
— Il y a tellement de choses que je dois te raconter, je vais aller chercher mon sac et on pourra parler en route.
— Non, Ife... Attends, dis-je en la retenant. Je ne suis pas venue seule.
Elle fronce les sourcils, et son regard passe de moi à la voiture garée un peu plus loin. Son expression se durcit.
— C'est lui ? demande-t-elle, la voix lourde de sous-entendus.
Je hoche la tête. Elle soupire profondément, l'inquiétude marquant ses traits.
— Comment il est avec toi ?
Je hausse les épaules, incapable de formuler une réponse claire. Je ne le connais pas vraiment, pas encore.
— Il a accepté de m'amener ici, dis-je, comme si cela pouvait tout expliquer.
— Ce n'est pas parce qu'il t'a amenée ici que c'est quelqu'un de bien, rétorque-t-elle, son regard perçant.
— Je sais, Ife, mais s'il te plaît... laisse-moi gérer ça moi-même.
Elle me fixe un long moment, ses yeux cherchant la vérité dans les miens, avant de finalement hocher la tête.
— D'accord, finit-elle par dire, résignée.
Je prends une grande inspiration avant de lâcher la bombe.
— Et... Je me marie dans deux semaines.
— Si tôt ? Il pouvait pas te donner plus de temps ?
Je secoue la tête, sentant une nouvelle vague de désespoir m'envahir. Elle soupire de nouveau, mais cette fois, son expression change, se durcissant.
— Ce n'est rien, je viendrai, même si ce n'est pas le mariage qu'on avait imaginé. Mais... TU VAS TE MARIER !!!
Et là, dans un éclat soudain, elle commence à faire de petits mouvements de danse, un sourire éclatant aux lèvres. C'est tellement Ife. Sa joie inattendue fait éclater un rire en moi, et nous nous prenons dans les bras une dernière fois avant qu'elle ne me raccompagne à la voiture.
Je la supplie du regard de ne rien dire, et pour une fois, mes prières sont exaucées. Elle se contente de me serrer la main, un geste plein de promesses silencieuses, avant de s'éloigner.
Après qu'Ife soit parti, il démarre la voiture en silence, nous dirigeant vers ma maison. Le soleil s'est déjà couché avant que nous ne franchissions le portail, et une boule d'angoisse se forme dans mon estomac. J'aurais dû écourter ma conversation avec Ife... maintenant, c'est trop tard.
Il me suit jusqu'au salon où ma belle-mère et mon père sont assis. Dès que je croise le regard de ma belle-mère, je me sens suffoquer sous son regard accusateur.
Il s'approche de mon père, saluant ma belle-mère avec une politesse impeccable, avant de s'excuser pour le retard, prétextant les embouteillages. Mon père répond avec cette même gentillesse feinte, remerciant l'homme qui est en train de bouleverser ma vie. Après les au revoir, je m'éclipse discrètement vers ma chambre, verrouillant la porte derrière moi, comme pour créer une barrière contre le monde extérieur.
En me déshabillant, je me dirige lentement vers la salle de bain. L'eau froide qui coule du robinet semble pénétrer jusqu'au plus profond de mon être, apaisant à peine le feu qui brûle en moi. Je saisis l'éponge et le savon laissé par ma belle-mère, un savon qui adoucit ma peau jusqu'à la rendre presque immaculée. Je n'aime pas cette transformation, mais je m'y plie, comme si ma vie en dépendait.
Après ma douche, je me rhabille rapidement, mes pensées tournant en boucle. Quelqu'un frappe à la porte. C'est la domestique, portant mon repas, suivie de près par ma belle-mère, qui entre sans invitation.
— Qu'as-tu fait avec lui ? me demande-t-elle, sa voix tranchante, presque accusatrice.
— Il... il m'a emmenée manger une glace, et nous avons discuté, répondis-je, les mots sortant trop vite.
— Discutée de quoi ?
— Il m'a rassurée... sur notre mariage, mentis-je, mon cœur battant à tout rompre.
— Ah... de toute façon, tu n'avais pas le choix, lâche-t-elle avant de se détourner. Prépare-toi, demain les couturières viennent.
— D'accord, dis-je à peine audible, alors qu'elle claque la porte derrière elle.
Il me reste deux semaines. Deux semaines à survivre. Après, il n'y aura plus rien
Bonne nuit. 🤎
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