Chapitre I : Mer du quotidien


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Acte1🟤: Mariage et poids du devoir

"Il y a toujours quelques individus que le hasard isole, ou que la génétique favorise."

Ronald Wright





Adeola.

Nigeria, Lagos
Ikoyi
6:53 AM

Je m'éveille lentement. Les premiers rayons de soleil traversent la seule fenêtre de ma chambre, brouillant ma vue pendant un court instant.

Je referme les paupières et m'étire sur le dos, prenant un moment pour contempler le plafond.

Toujours aussi fascinant, pense-je avec une pointe de désespoir, avant de décider de me lever pour commencer ma journée.

Je me traîne jusqu'à la salle de bain. J'applique du dentifrice sur ma brosse et commence à me laver les dents. Mes tresses, attachées en foulard durant la nuit, sont en désordre ; je les rassemble en un chignon et me concentre sur le brossage de mes dents.

Sous la douche, j'ouvre le robinet, laissant l'eau tiède envelopper mon corps. Le choc thermique me réveille
complètement.

Rien de tel qu'une douche froide le matin. Une fois séchée, j'enfile des sous-vêtements, puis me rapproche du miroir pour me maquiller. Une touche de fond de teint, un peu de poudre, un trait de crayon à lèvres, et du gloss que je n'appliquerai qu'après m'être habillée pour éviter les bavures.

Je vérifie mon reflet dans le miroir en tournant légèrement la tête. Satisfaite du résultat, je m'approche de mon placard et en sors une robe droite en pagne hollandais, que j'enfile rapidement.

Quelques accessoires : des boucles d'oreilles et mon collier porte-bonheur, puis je retourne au miroir pour ajouter une couche de mascara et mon gloss. Je referme le placard et utilise son grand miroir pour me contempler. Un petit tour sur moi-même, une démarche assurée... Oui, c'est parfait pour aujourd'hui.

Je suis prête à affronter la journée. Même si je ne le montre pas, je sais que je suis belle. J'aime entendre les compliments, mais je préfère les laisser venir à moi. Devant le miroir, je souris à la fille que je vois.

Je choisis une paire de talons de sept centimètres, glisse mon téléphone dans mon sac quotidien, et prends une profonde inspiration avant d'ouvrir la porte pour sortir.

En ouvrant la porte, je découvre que le couloir devant ma chambre est mouillé. Avec un soupir, j'enlève mes chaussures et les tiens en main avec mon sac.
J'en ai assez des farces dans cette maison, mais je ne peux pas me plaindre de peur d'attirer l'attention de quelqu'un dont je préfère ne pas mentionner le nom.

En passant par le salon, je lance un bonjour rapide à mon père et à l'assemblée, puis je disparais comme si j'étais pressée, bien que mon service ne commence que dans deux heures.

Je monte dans ma voiture et prends la même route que chaque matin depuis trois ans pour me rendre au travail.

Je me gare dans le parking encore désert et prends les escaliers jusqu'au hall, puis l'ascenseur jusqu'à notre étage. À peine la porte s'ouvre-t-elle que ma meilleure amie, Ife, me tire hors de l'appareil.

Elle me plaque son téléphone devant les yeux. Je récupère l'appareil pour lire tranquillement. Son ex est à l'honneur dans les tabloïdes à commérages.

— Je te jure, Adé, j'ai bien fait de quitter ce type. Tu imagines, il avait trois autres copines...

Et c'est reparti pour une nouvelle session de justifications. Depuis deux ans que je lui disais de quitter ce gars toxique, elle ne voulait rien entendre. J'ai même fait appel à un ami informaticien pour traquer ses réseaux sociaux. Mission accomplie !

Ife est une femme ébène, pleine d'énergie, avec un corps de top model, bien qu'elle fasse 1m70.

— Comment ai-je pu être aussi aveugle !

— Tu te rends compte maintenant ? dis-je en la taquinant en plein milieu du couloir.

Elle me lance un regard blasé et reprend son téléphone.

— J'avais mes raisons.

—Ah, au nom de l'amour ou du porc au four qu'il te cuisinait chaque soir.

Elle lève les yeux pour trouver une réplique cinglante, mais nous sommes interrompues par notre supérieure, Madame Zozo, qui passe près de nous, une thermos fidèle à la main.

— Bonjour Adeola, bonjour Ife, dit-elle. Vous avez fait un excellent travail sur la campagne de vente de la maison 3C.

Son compliment me touche, étant la seule du service à savoir que je suis la fille du président, mais elle ne me favorise pas pour autant.

— ... et j'attends de vous encore plus de productivité. Vous êtes mes chevaux de course, conclut-elle avant de disparaître dans son bureau.

Nous acquiesçons toutes les deux, et Ife me donne un coup de coude amusé.

— Regarde qui rougit ! se moque-t-elle.

—Laisse-moi profiter de ce moment.

— Oui, oui, mademoiselle OLAMI ! crie-t-elle en courant à travers les bureaux.

Je la poursuis malgré tout.

— Ne crie pas !

— De toute façon, il n'y a personne pour nous entendre, rit-elle.

Je m'arrête, réalisant qu'elle a raison. Il n'y a que nous dans le bureau, mais mon nom de famille m'a toujours mis mal à l'aise.
Être la fille d'un des hommes les plus riches d'Afrique de l'Ouest n'est pas une situation qui me plaît pour autant, alors je dis souvent que nos noms ne sont que des homonymes.

Elle me fait une petite révérence, et je souris.

Installée à mon bureau, je parcours les dossiers laissés de la veille pour choisir par où commencer. Après une demi-heure, je me mets enfin au travail tout en échangeant des faits divers avec Ife.

Allongée sur le lit du petit studio d'Ife, je suis poussée vers l'extrémité, manquant de tomber.

— Il est temps de rentrer chez toi, princesse.

Je fais la moue et tente de récupérer ma place sur le lit.

— Non, laisse-moi encore un peu.

— Il est presque 22 h, ils vont finir par croire chez toi que tu fréquentes quelqu'un.

— Oui, toi, répondis-je en posant mes pieds sur elle. Je serais une excellente petite amie.

—Désolée, mais c'est non, dit-elle en enlevant mes pieds. Si je devais sortir avec un Olami, ce serait avec ton père.

— Tu as les yeux plus gros que le ventre.

— Il faut toujours avoir de grandes ambitions dans la vie, se justifie-t-elle en me poussant encore.

— Je te souhaite bien du courage, dis-je en me levant brusquement.

Je remets mes chaussures et arrange ma tenue en désordre devant son miroir. Son reflet ne cache pas la lueur de tristesse dans ses yeux lorsqu'elle me regarde.

— Tu y retournes ? me demande-t-elle.

Je lui souris avec assurance avant de me tourner vers elle.

— Il le faut bien, mon père refuse que je quitte la maison.

Je m'assois sur la chaise près de son bureau, ramasse mon sac au sol.

— Bon courage, dit-elle en me raccompagnant.

Après une petite séance de câlins et d'au revoir, je regagne ma voiture pour rentrer dans ma prison. Après une heure passée dans les embouteillages de Lagos, je finis par arriver à la propriété familiale.

Les lumières éteintes signalent que tout le monde dort, ou du moins, est sorti. Je me gare, descends et me dirige vers ma chambre. Je tourne la clé dans la serrure, ferme la porte derrière moi, et me jette immédiatement sur le lit.

Règle numéro un : toujours fermer la porte derrière soi.

Je sors mon téléphone et envoie un "bonne nuit" suivi d'un cœur marron à Ife. Elle répond avec un cœur noir, et un sourire se dessine sur mes lèvres avant que j'éteigne l'écran et me détende.

Je me réveille en sursaut, frappée par des coups à ma porte. Je prends un instant pour me calmer, appuie sur l'interrupteur et crie un "j'arrive" à la personne que je soupçonne.

J'attache un pagne autour de ma poitrine et prends une grande inspiration , réprimé ma peur avant d'ouvrir la porte.

Mon père est là, l'air grave.

— Bonsoir, papa, dis-je d'une voix endormie pour lui montrer ma fatigue.

— À quelle heure es-tu rentrée ? demande-t-il sans répondre à mon salut, comme à son habitude.

Je fronce les sourcils, intriguée par son soudain intérêt pour moi qui n'arrive presque que deux fois par année.

— Vers vingt- une heure ou vingt-deux, je crois.

— Et cela ne t'a pas poussé à te montrer au dîner, ne serait-ce que pour une demi-heure ? s'exclame-t-il.

Quel dîner ? Je m'apprête à demander, avant de voir ma belle-mère au sommet des escaliers.
Tout devient clair : elle m'a encore écartée, rien de nouveau.
Je soupire intérieurement et décide de jouer la carte de la soumission comme toutes les autres fois à présent

— Désolée, papa, dis-je d'un ton faussement contrit. Ça m'était sorti de la tête.

Il me regarde avec dédain, soupire et secoue la tête. Autrefois, il m'aurait crié dessus pendant une demi-heure, mais maintenant, il se contente de secouer la tête pour le bien de tous.

Avoir un enfant qui ne sert à rien doit,

être dur pour un père.

Je m'en veux d'avoir ce genre de pensées, mais je ne ressens plus la moindre émotion depuis bien longtemps.

Je reste figée, impassible, jusqu'à ce qu'il tourne les talons pour disparaître dans le couloir.

Je referme la porte, me laissant glisser jusqu'au sol. Je ferme les yeux et me masse les tempes en attendant que les battements de mon cœur se calment.

Mon père ne me fait pas peur. Je crains surtout de me laisser emporter par une pulsion qui me pousserait à me justifier à tous révèle.

Je me relève, retire mon pagne et me recouche, essayant de me vider l'esprit.

Je mets un épisode de "Friends" pour m'endormir, le volume à peine audible, et souris en pensant à Ife.




Ousmane OLAMI.

Assis dans mon bureau, attendant l'arrivée de mon confrère d'Afrique du Sud, je laisse échapper un sourire satisfait. Deux coups à la porte de mon secrétariat me signalent qu'il est là.

Il entre, vêtu d'un complet en Bazin malien, son sourire aussi large que le mien. Nous échangeons des poignées de main chaleureuses avant qu'il ne prenne place dans un fauteuil. Je lui tends un verre de whisky.

— Alors, Anamé, le Nigeria te plaît ? dis-je en lui tendant son verre.

Il prend une petite gorgée avant de me regarder.

— Ma femme s'est réveillée très tôt ce matin malgré le décalage horaire pour faire du tourisme. Je pense que je l'enverrai régulièrement ici pour avoir un peu de tranquillité.

— Et pourrais-tu le supporter ? Tu risques de te faire voler ta femme, les hommes de mon pays ne sont pas connus pour leur fair-play.

C'était plus une rumeur qu'une vérité sur son amour pour sa femme.

— Qui oserait toucher à la femme du grand Amané LONGUTI ? se vante-t-il en éclatant de rire.

— Ce n'est pas moi qui vais te contredire, dis-je en levant mon verre.

Nous trinquons à cette plaisanterie.

— Alors, changeons de sujet. Comment se porte le marché ici ? demande-t-il en observant son verre.

— Malgré les troubles politiques, nous pouvons toujours espérer passer une bonne nuit sur nos matelas, mais le Naira ne nous épargne pas non plus ces derniers temps. Nous sommes en chute libre.

— Les crises sont omniprésentes, souligne-t-il. Le ZAR ne pardonne pas non plus.

Un silence pesant s'installe, et mon instinct me dit que l'Amané que je connais n'est pas venu à Lagos uniquement pour des vacances. Il se racle la gorge et esquisse un sourire.

— Ne fais pas cette tête, Ousmane, je ne viens pas te proposer quelque chose de menaçant.

— Que veux-tu ?

Il sourit encore, se lève et se dirige vers la baie vitrée à ma gauche, admirant la vue sur une partie du centre-ville. Après un long moment, il se tourne vers moi.

— Je veux que nous devenions partenaires, me lance-t-il enfin. Une fusion tout en conservant nos identités.

Je me lève à mon tour et me rapproche de lui, face à la baie, comme pour admirer ce qui lui donne cette inspiration. Un sourire m'échappe, et sa proposition tourne en boucle dans ma tête.

Son offre est plus qu'alléchante. Nos deux entreprises sont puissantes chacune sur son territoire. Les LONGUTI dominent en Afrique du Sud grâce à leur mine de diamant et leur sens des affaires, tandis que moi, Olami, grâce à mes acquisitions immobilières et mes grands magasins, nous faisons la paire.

Le marché qu'il propose est clair : devenir partenaires. Les Longuti pourraient s'implanter à l'ouest tout comme les Olami  au sud, un gain de territoire considérable.

— Mon ami, je lui dis, ce que tu proposes est vraiment énorme à digérer.

— Moi non plus, je ne sais pas d'où m'est venue cette idée.

— Es-tu sûr de ne pas avoir une calebasse magique dans ta chambre ?

— Peut-être que je m'en ferai une dans ton pays avant de redescendre au sud. Il paraît que vous produisez les meilleures.

Nous échangeons un sourire et trinquons à nouveau, nos verres à moitié vides, signe que nous sommes en accord. Nous avons toujours été sur la même longueur d'onde lorsque nos intérêts se rejoignent.

— Que pensent tes fils et tes vassaux de cette idée ?

À ma question, il se gratte la tête. Je me prends la tête entre les mains ; il ne l'a dit à personne, le voilà, l'enfoiré.

— Comment peux-tu me lâcher une telle bombe sans...

— J'en ai parlé à un de mes fils et à mon bras droit... ils sont encore sous le choc, aucune réponse de leur part pour l'instant.

— À quel fils en as-tu parlé ? demande-je perplexe.

— Au second, dit-il d'une voix basse, car ce n'est pas lui le successeur légitime.

— Tu viens de me faire saliver pour rien. Ton projet ne pourra pas se concrétiser.

— Ousmane, ne sois pas si pessimiste, je vais y arriver. Je retourne à Johannesburg cet après-midi et demain, je te confirmerai.

— Et es-tu sûr que ton successeur serait d'accord ? Il est devenu plus influent que toi ces derniers temps, depuis qu'il est vice-président, d'après ce que j'ai entendu.

—Je l'ai élevé pour qu'il en soit ainsi, se défend-il avec ferveur. Et toi, dis-moi, as-tu des successeurs dont tu sois fier ?

Il vient de toucher un point sensible. Mon fils aîné, à peine âgé de 17 ans, est plus intéressé par devenir chanteur ou DJ que de prendre ma place.

— Bien sûr, ma fille aînée. Elle excelle dans l'équipe marketing.

— Oui, oui... d'ici demain soir, tu auras ma confirmation. Tu as intérêt à te démener de ton côté.

Je m'apprête à répliquer lorsqu'un nouveau coup sur la porte nous interrompt.

— Oui, répondis-je.

La tête de mon secrétariat apparaît.

— Monsieur, un appel du trésor. Je vous le transmets.

— Fais-le, répondis-je en regagnant mon siège. Enfin, de bonnes nouvelles.

Ce commentaire fait grimacer mon ami, ce qui me fait sourire avant que je ne prenne le téléphone.

Après un appel bref, je me tourne vers lui.

— Alors, que fait-on ? lui demandai-je après avoir raccroché.

— Comme prévu, demain tu auras l'approbation. D'ici la semaine prochaine, nos experts auront terminé leur travail.

Il aligne ses mots tout en remplissant nos verres.

— Te voir aussi confiant me fait oublier que tu es dans l'ombre de ton successeur, raillé-je en le voyant aussi sérieux.

— On parlera de l'ombre lorsque ta fille aura quitté l'équipe marketing, conclut-il sur un ton amer.

Je prends une gorgée de mon verre, me demandant si un jour elle parviendra à relever la tête et à ne plus jouer à l'enfant.

Malgré mes inquiétudes de père, je me satisfais de ma vie d'homme d'affaires.

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